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Décisions

Cass. crim., 1 juin 1999, n° 98-83.267

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocats :

SCP Boré, Xavier.

TGI Châlons-sur-Marne, ch. corr., du 31 …

31 janvier 1996

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par T Michel, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, du 14 janvier 1998, qui, pour tromperie et publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à 40 000 francs d'amende et a ordonné une mesure de publication ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 174, 385, 591 à 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a jugé que le procès-verbal de délit n'était pas privé de validité par la nullité du procès-verbal de déclaration du 13 avril 1995 et qu'aucun vice n'affectait la procédure subséquente ;

"aux motifs qu'"à partir du moment où un agent de la Direction Générale de la Répression des Fraudes estime devoir consigner les déclarations qui lui ont été faites et dresser un "procès-verbal de déclaration", cet agent doit respecter les formes appropriées, d'autant que le formulaire mis à sa disposition à cet effet par son administration comporte des mentions pré-imprimées avec des renvois explicites et péremptoires, imposant en particulier d'inviter le déclarant à signer, après lecture de sa déclaration, sous la mention, "lecture faite, persiste et signe" ; "que force est ici de constater que le procès-verbal de déclaration du 13 avril 1995 est infecté de vices majeurs, puisque Jean-Pierre Maigrot y dit, sur un seul et même document, y avoir entendu Michel T "et, ensuite en son absence, Jean-Michel T, son fils" et qu'il a consigné les déclarations portant la seule signature de Jean-Michel T, sans mentionner la relecture qui aurait été faite desdites déclarations et sans que l'on puisse savoir quelles déclarations seraient à imputer au prévenu et quelles d'entre elles auraient été le fait de son fils ; "qu'en cet état, ledit procès-verbal ne saurait être tenu pour valable, même si, bien que s'étant ravisé depuis, Michel T, lors de son audition par les gendarmes, et Jean-Michel T, lors de son audition par la cour, ont admis l'un comme l'autre avoir fait à Jean-Pierre Maigrot des déclarations comme quoi il n'était pas fait de différenciation dans le champagne fabriqué par eux entre ce qui venait de raisins récoltés au Mesnil et ce qui venait de raisins récoltés à Vertus ou Villeneuve ; "que, cependant, contrairement à ce qu'a estimé devoir décider le tribunal, les vices affectant le procès-verbal de déclaration du 13 avril 1995, s'ils justifient de ne pas retenir comme valide l'indice que l'on pouvait croire y trouver tenant en un aveu du prévenu sur ses pratiques, ne sauraient suffire à entraîner la nullité du procès-verbal de délit proprement dit et, par voie de conséquence, celle de la procédure subséquente ; "qu'en effet, ce procès-verbal de délit du 31 août 1995, loin de reposer, uniquement, ou même seulement essentiellement, sur les déclarations recueillies le 13 avril précédent, comporte la relation de constatations objectives faites par l'agent verbalisateur à partir de l'examen, à la fois, des conditions matérielles de réalisation des opérations de pressurage et de vinification, et des registres correspondants prévus en la matière par la réglementation ; "qu'il est symptomatique de relever que ces constatations ne donnent lieu, en tant que telles, à aucune contestation de la part du prévenu, sauf pour lui à faire valoir que les indices à en tirer seraient insuffisants pour établir la matérialité des infractions visées ; "que le procès-verbal de délit n'étant dès lors pas privé de validité, et aucun vice n'affectant la procédure subséquente, il y a lieu d'infirmer le jugement et, donc, d'examiner le fond" ;

"alors qu'en réalité, il ne résulte pas du procès-verbal de délit que l'agent verbalisateur ait examiné "les conditions matérielles de réalisation des opérations de pressurage et de vinification", et ait personnellement constaté le mélange des vins et des raisins ; que l'agent s'est contenté de relever qu'il n'y avait pas de factures distinctes ou de comptes séparés dans le registre de cave entre les vins "grand cru" et les vins "premier cru" ; que l'absence de distinction comptable n'implique pas l'absence de distinction matérielle ; que ces constatations simplement comptables étaient donc insuffisantes pour caractériser l'existence des délits de tromperie et de publicité trompeuse et que, donc, le procès-verbal de délit reposait essentiellement sur les déclarations relevées dans le procès-verbal du 13 avril 1995, dont la cour d'appel a constaté la nullité ; qu'en refusant, néanmoins, d'annuler le procès-verbal de délit et la procédure subséquente, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation, et 591 à 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a jugé Michel T coupable de tromperie et de publicité mensongère et l'a condamné à une amende de 40 000 francs et à la publication de l'arrêt dans la Champagne agricole et la Marne agricole ;

"aux motifs qu'il résulte des constatations objectives effectuées par Jean-Pierre Maigrot, confortées en cela par l'examen des copies des déclarations de récolte et du carnet de pressoir produites par Michel T lui-même qu'il n'était procédé à aucune comptabilisation à part, permettant d'individualiser les raisins provenant des communes de Vertus et de Villeneuve-Renneville, de distinguer, lors des opérations de pressurage, les produits issus desdites communes de ceux venant des communes d'Oger et du Mesnil-sur-Oger et, a fortiori, de considérer que tous les moûts conservés par la société X pour fabriquer le champagne commercialisé par celle-ci étaient exclusivement issus de raisins récoltés dans les vignes plantées dans des communes classées à 100 % dans l'échelle des crus ; "que ne sont, à cet égard, nullement significatifs les documents émanant de la société Champagne Y à laquelle Michel T cédait une partie des moûts issus de la production de la société X, ou émanant de tels des intermédiaires commerciaux entre les parties ; "qu'en effet, aucun de ces documents n'établit que Champagne Y acquérait l'ensemble des moûts issus de la récolte des vignes situées à Vertus et à Villeneuve, compte tenu, d'une part, de ce que leurs auteurs présents, au mieux, au pressoir, ne disposaient d'aucun moyen pour connaître l'origine géographique exacte des raisins y apportés et compte tenu, d'autre part, de l'absence de corrélation, au regard des normes de rendement-limite en vigueur à l'époque des faits, entre les différentes surfaces de vignes exploitées par la société X et les quantités successivement pesées et enlevées ; "que, d'ailleurs, de l'attestation du 25 juin 1996 de Champagne Y, il résulte simplement que cette société savait acquérir indistinctement des moûts provenant de raisins récoltés sur le territoire de communes classées à 100 % sur l'échelle des crus tout autant que des autres communes concernées et qu'elle payait ces derniers au même prix que les autres, en l'espèce à 95 % + 5 % ; "qu'au vu de ces éléments, il est établi qu'à l'instar de ce qu'il cédait à la société Champagne Y, Michel T utilisait, pour le reste de sa production, de manière indifférenciée, des moûts issus de raisins récoltés en différents endroits de vignes exploitées par sa société" ;

"alors qu'au contraire, il résulte clairement et précisément de l'attestation du 25 juin 1996 de la société Champagne Y que le contrat qui la liait à Michel T ne portait que sur l'acquisition "des raisins de Vertus et de Villeneuve" (sic), qu'elle payait au prix fort ; qu'il résultait donc de cette attestation que Michel T procédait bien à un classement à part des raisins de Vertus et de Villeneuve, dont il vendait une partie à la société Y ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a dénaturé cette attestation, entachant ainsi sa décision d'une contradiction de motifs" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Michel T, viticulteur, commercialise des bouteilles de champagne comportant, sur l'étiquette, la mention "grand cru", réservée, aux termes de l'article 9 du Décret du 29 juin 1936 modifié relatif à l'appellation contrôlée "champagne", aux vins provenant des communes classées à 100 % dans l'échelle des prix ; que la même indication est portée sur ses documents commerciaux ; qu'il est poursuivi pour tromperie et publicité de nature à induire en erreur ;

Attendu qu'il a soulevé, avant toute défense au fond, une exception de nullité du procès-verbal consignant ses déclarations et celles de son fils, établi le 13 avril 1995 par un fonctionnaire de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, au motif que cette pièce ne permettait pas d'identifier l'auteur des dépositions recueillies ni leur signataire ; que l'exception a été admise par les premiers juges qui, en conséquence, ont annulé toute la procédure ;

Attendu que, sur l'appel du Ministère public, pour limiter les effets de la nullité au seul procès-verbal de déclaration et refuser d'annuler la procédure subséquente, la juridiction du second degré retient que le procès-verbal de délit du 31 août 1995, fondement de la poursuite, comporte la relation de constatations objectives faites par l'agent verbalisateur à partir de l'examen des conditions matérielles de pressurage et de vinification, ainsi que des registres prévus en la matière par la réglementation ;que les juges ajoutent que ces constatations ne sont pas critiquées par le prévenu qui se borne à soutenir qu'elles sont insuffisantes pour établir la matérialité des faits poursuivis ;

Attendu que, sur le fond, pour déclarer Michel T coupable des infractions, les juges d'appel relèvent que, si ses vignes sont situées pour la plupart sur le territoire de communes qui sont classées à 100 % dans l'échelle des crus, une petite partie se trouve sur des communes classées à 95 %, de sorte qu'il n'était pas autorisé à user de la qualification "grand cru" pour sa production de champagne, provenant de manière indifférenciée des moûts de raisins récoltés sur l'ensemble de ses vignes ;que le prévenu, professionnel averti, savait ne pas pouvoir prétendre à cette appellation de supériorité, déterminante du choix des consommateurs ;

Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs procédant de son appréciation souveraine des preuves soumis à son examen, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.