CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 31 janvier 2001, n° 98-05930
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lapeyre
Défendeur :
Delvotte
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Brunhes
Conseillers :
Mme Jourdan, M. Gallais
Avoués :
SCP Gallière, Lejeune, Marchand, Gray, SCP Theubet-Duval
Avocats :
Mes Terrier, Beignet
M. Lapeyre est appelant d'un jugement rendu par le Tribunal de grande instance d'Evreux le 2 octobre 1998 qui a:
- prononcé la résolution de la vente d'un véhicule automobile conclue le 15 novembre 1995 avec M. Devotte,
- autorisé M. Lapeyre à conserver ce véhicule,
- l'a condamné, avec exécution provisoire, à payer à M. Delvotte:
- la somme de 39 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 1997,
- celle de 8 277,24 F en réparation de son préjudice matériel,
- a mis à sa charge le paiement d'une somme de 3 000 F pour frais hors dépens.
En l'état de ses dernières écritures du 7 novembre 2000, il conclut à l'irrecevabilité et au rejet des demandes de M. Devotte et, subsidiairement, si la cour estime devoir prononcer la résolution de la vente, il lui demande de juger que cette résolution ne pourra être effective qu'à compter de la restitution de l'ensemble des documents administratifs accompagnant le véhicule.
Enfin il conclut à la condamnation de M. Delvotte à lui payer la somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Suivant ses dernières conclusions du 10 novembre 2000 M. Delvotte formant appel incident demande:
- la condamnation de M. Lapeyre à lui régler la somme de 1 000 F/mois à compter du 16 mars 1998 et jusqu'à la restitution du prix de vente de la voiture,
- la confirmation du jugement pour le surplus,
- la condamnation de M. Lapeyre à lui payer une somme de 15 000 F pour frais hors dépens.
Sur ce,
Vu les conclusions des parties.
Il résulte des pièces versées aux débats que le 15 novembre 1995 M. Devotte a acquis de M. Lapeyre, garagiste, un véhicule d'occasion de marque Seat, immatriculé 8125 XJ 78, pour un prix de 39 000 F; que ce véhicule bénéficiait d'une garantie auprès de la société Allan Garantie France souscrite par l'intermédiaire de M. Lapeyre.
Le 19 décembre 1995 M. Devotte, rencontrant des difficultés lors du passage des vitesses, notamment de la première, a ramené le véhicule au garage de M. Lapeyre.
Le 9 janvier 1996 l'expert de la société Allan a examiné le véhicule et le 25 janvier 1996 la société Allan a informé M. Devotte de son refus de faire jouer la garantie au vu de l'avis de son expert.
Les 27 février et 3 avril 1996, M. Devotte a assigné M. Lapeyre et la société Allan en référé expertise.
L'expert désigné par le juge des référés a achevé ses opérations le 15 avril 1996.
Il a constaté que la boîte de vitesses présentait un état de dégradation antérieur à la vente, que cette dégradation avait entraîné la détérioration des pièces d'engrenage et de roulement, qu'elle s'était amplifiée jusqu'à ne plus permettre l'utilisation du véhicule, qu'elle constituait un vice que M. Devotte ne pouvait déceler lors de l'achat, que ce vice rendait le véhicule impropre à son usage, que le temps nécessaire au changement de la botte de vitesses pouvait être estimé à une journée, le coût de cette intervention pouvant être fixé à 6 700 F.
M. Lapeyre fait tout d'abord valoir que M. Devotte, de mauvaise foi , a refusé de mettre en œuvre la procédure permettant la garantie de la société Allan, que son action relève de cette garantie.
Cependant et ainsi que l'a rappelé le tribunal, cette garantie souscrite auprès de la société Allan ne pouvait avoir pour effet de dispenser M. Lapeyre de son obligation de garantie des vices cachés, ce qui était d'ailleurs rappelé dans les conditions générales de la garantie due par la société Allan. D'autre part il résulte des courriers de cette société qu'elle a refusé d'intervenir au motif que le défaut affectant la voiture était antérieur à la vente.
M. Lapeyre prétend encore que le vice affectant la boîte de vitesses ne présente pas une gravité suffisante pour le rendre impropre à sa destination, que le changement de la boîte de vitesses auquel il a procédé en février 1996 permettait de nouveau son utilisation.
II ajoute encore que si l'expert judiciaire a considéré que le vice était antérieur à la vente et qu'il s'en rapporte sur ce point, il est parfaitement possible de dégrader rapidement une boîte de vitesses en s'abstenant de débrayer ou bien encore en passant de la première à la marche arrière alors que le véhicule n'est pas complètement immobilisé, que M. Devotte a pu, par sa conduite, détériorer la boîte de vitesses.
Il convient de rappeler que l'expert judiciaire, tout comme l'expert de la société Allan, ont constaté que la denture des moyeux de synchronisation était émoussée, l'expert judiciaire parlant même de cisaillement sur un moyeu, que les autres éléments de la boîte de vitesses présentaient également un état dégradé. L'expert judiciaire a indiqué que ces anomalies étaient dues à des changements de régime "très secs" mais sur une longue période, que le début de la dégradation était antérieur à l'achat de la voiture par M. Devotte. L'expert de la société Allan a estimé quant à lui que les dommages étaient dus à une usure générale dans le temps vraisemblablement conjuguée à une " utilisation sévère", que M. Devotte n'ayant parcouru que 3000 kilomètres avec le véhicule, ces défauts étaient antérieurs à la vente.
Au vu de ces éléments il est justifié que les défauts de la botte de vitesses préexistaient à la vente et ne sont pas la conséquence de la conduite du véhicule par M. Devotte.
De même il est établi que ces défauts ont entraîné l'immobilisation de la voiture à compter du 19 décembre 1995 soit un peu plus d'un mois après son acquisition par M. Devotte. Il est certain que M. Devotte, s'il les avait connus, n'aurait pas acheté ce véhicule.
Il avait le choix, comme l'a rappelé le tribunal, entre les options offertes par l'article 1644 du Code civil et l'offre faite par M. Lapeyre de procéder à la remise en état du véhicule, même si cette réparation était inférieure au prix d'achat du véhicule, ne lui interdit pas d'exercer l'action en résolution de la vente.
Au surplus il y a lieu de souligner que si M. Devotte dans un dire à l'expert judiciaire reconnaissait que M. Lapeyre lui avait proposé de réparer la botte de vitesses, il précisait qu'il ne lui avait pas offert de prendre en charge le coût de cette réparation.
C'est donc à juste titre que le tribunal a prononcé la résolution de la vente.
Le tribunal a accordé à M. Devotte en application de l'article 1645 du Code civil les sommes suivantes:
- 1 174,23F pour les frais d'installation d'un autoradio,
- 660,01 F pour le remplacement d'une serrure,
- 6 443 F pour le montant de la prime d'assurance du véhicule.
M. Devotte produit aux débats la facture de l'autoradio qu'il a fait installer sur le véhicule, celle concernant le remplacement d'une batterie (et non d'une serrure) d'un montant de 660,01 F et la quittance émise par la compagnie d'assurances à la suite du paiement de la prime pour le véhicule pour la période du 1-1 au 30-6-1996.
M. Lapeyre, vendeur professionnel, est tenu de réparer l'intégralité du préjudice résultant du vice caché affectant le véhicule vendu à M. Devotte et par conséquent des sommes exposées par lui pour équiper cette voiture ou l'assurer.
Le jugement sera en conséquence confirmé sur ces points.
Le tribunal a considéré que la demande de M. Devotte en paiement de dommages et intérêts au titre d'un préjudice de jouissance n'était pas justifiée.
M. Delvotte fait valoir, dans le cadre de son appel incident, qu'il a été privé de sa voiture un mois après l'avoir achetée, qu'il en avait besoin pour rechercher un travail, qu'il ne pouvait recourir à un emprunt pour acheter un nouveau véhicule en raison de sa situation de chômeur.
M. Lapeyre soutient pour sa part qu'il ne justifie pas d'un tel préjudice.
Il ressort des éléments du dossier que la voiture a été immobilisée au garage de M. Lapeyre à compter du 19 décembre 1995, que si M. Lapeyre a mis un véhicule à la disposition de M. Devotte ce n'est que jusqu'au 29 février 1996.
Les pièces produites par M. Devotte établissent qu'il a occupé un emploi de février à décembre 1996, qu'ainsi la privation de son véhicule ne lui a pas interdit de retrouver une activité professionnelle durant cette période.
Toutefois il est certain qu'il n'a pu utiliser son véhicule un mois environ après l'avoir acquis, que sa situation de demandeur d'emploi à partir du mois de décembre 1996 lui permettait difficilement d'envisager d'en racheter un autre.
S'il n'y a pas lieu, comme il le demande, de lui accorder une indemnisation à ce titre jusqu'à la restitution du prix de vente par M. Lapeyre, celui-ci doit cependant le dédommager de la privation de jouissance qu'il a subie et qui sera évaluée à la somme de 15 000 F.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
La vente étant résolue M. Devotte doit remettre à M. Lapeyre les documents administratifs du véhicule mais il ne peut être fait droit à la demande de l'appelant visant à voir juger que cette résolution ne sera effective qu'à partir de la remise de ces documents.
M. Lapeyre succombant dans ses prétentions sera condamné aux dépens et débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; il devra régler à ce titre à M. Devotte une somme de 7 000 F, l'équité commandant qu'il ne conserve pas la charge des frais.
Par ces motifs : Reçoit l'appel principal et l'appel incident ; Infirmant partiellement le jugement ; Condamne M. Lapeyre à payer à M. Devotte la somme de 15 000 F en réparation de son préjudice de jouissance ; Dit que M. Devotte doit remettre à M. Lapeyre les documents administratifs du véhicule ; Confirme pour le surplus la décision déférée; Condamne M. Lapeyre à payer à M. Devotte la somme de 7 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel; Rejette toutes autres demandes; Condamne M. Lapeyre aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.