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Décisions

CJCE, 3e ch., 10 juillet 1986, n° 95-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boriello

Défendeur :

Darras et Tostain

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Everling

Juges :

MM. Galmot, de Carvalho Moitinho de Almeida

Avocat général :

Sir Slynn

Avocat :

Me Jousset.

LA COUR,

En droit,

1- Par jugement du 29 mars 1984, parvenu à la Cour le 6 avril 1984, confirmé en appel par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence par arrêt du 24 avril 1985 parvenu à la Cour le 11 mars 1986, le Tribunal de police de Martigues a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE, en vue d'être mis en mesure d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire d'une législation nationale imposant à tout détaillant le respect d'un prix fixé par l'éditeur ou l'importateur pour la vente de livres.

2- Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale contre MM Darras et Tostain, poursuivis pour avoir vendu, dans les supermarchés à Vitrolles dont ils ont la responsabilité, des livres à un prix inférieur au prix de vente au public fixé conformément à la loi n° 81-766 du 10 août 1981 (JO RF du 11/08/1981) relative au prix du livre.

3- En vertu de la loi française du 10 août 1981, tout éditeur ou importateur de livres est tenu de fixer le prix de vente au public des livres qu'il édite ou importe. Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public entre 95 et 100 pour cent de ce prix. La loi prévoit des dérogations à l'obligation de respecter ce prix en faveur de certains organismes privés ou public, tels que les bibliothèques et les établissements d'enseignement, et autorise des soldes sous certaines conditions. En cas d'infraction aux dispositions de la loi, des actions en cessation ou en réparation peuvent être introduites par des concurrents et par différents types d'associations, et des poursuites pénales sont prévues.

4- En ce qui concerne les livres importés, l'article 1er, dernier alinéa, de la loi du 10 août 1981 dispose que " dans le cas où l'importation concerne des livres édités en France, le prix de vente au public fixé par l'importateur est au moins égal à celui qui a été fixé par l'éditeur ". Le décret n° 81-1068 du 3 décembre 1981 (JO RF du 4 décembre 1981), pris en application de la loi du 10 août 1981, précise en outre qu' " est considéré comme importateur ... le dépositaire principal de livres importés à qui incombe l'obligation prévue par l'article 8 de la loi du 21 juin 1943 ", à savoir l'obligation du dépôt légal d'un exemplaire complet à la régie du dépôt légal du ministère de l'intérieur.

5- Le Tribunal de police de Martigues a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) La réglementation du prix des livres et notamment la fixation d'un prix effectif minimum de vente au public, telle que résultant de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 et du décret n° 82-1176 du 29 décembre 1982, constitue-t-elle une mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives au commerce intra-communautaire ?

2) Dans l'affirmative, cette réglementation est-elle susceptible d'entrer dans les exceptions prévues par l'article 36 du traité de Rome ?

3) A défaut, peut-elle être légitimée par la protection de certains intérêts nationaux et par exemple par celle des libraires menacés par la concurrence d'autres formes de distribution ?

4) En ce cas, les mesures adoptées sont-elles les plus convenables pour la protection de ces intérêts et les moins attentatoires à la liberté des échanges ? "

6- Il y a lieu de mentionner qu'une question préjudicielle, relative notamment à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE, posée par la Cour d'appel de Poitiers dans le cadre d'un litige portant sur le non-respect du prix de vente fixé conformément à la loi du 10 août 1981, a fait l'objet de l'arrêt de la Cour du 10 janvier 1985 (Association des centres distributeurs Edouard Leclerc et Thouars distribution & autres, 229-83, Rec. 1985, p. 1).

7- L'examen de la présente affaire n'a fait apparaître aucun élément nouveau par rapport à l'affaire 229-83. Dans ces conditions, il suffit de renvoyer à la motivation de l'arrêt du 10 janvier 1985 dont un exemplaire est joint au présent arrêt.

8- Il y a donc lieu de répondre aux premières, deuxième et troisième questions posées par le Tribunal de police de Martigues :

- que, dans le cadre d'une législation nationale selon laquelle le prix de vente au détail des livres doit être fixé par l'éditeur ou l'importateur d'un livre et s'impose à tout détaillant, constituent des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation, interdites par l'article 30 du traité, des dispositions selon lesquelles il incombe à l'importateur d'un livre chargé d'accomplir la formalité du dépôt légal d'un exemplaire de ce livre, c'est-à-dire au dépositaire principal, d'en fixer le prix de vente au détail, ou qui imposent, pour la vente de livres édités dans l'Etat membre concerné lui-même et réimportés après avoir été préalablement exporté dans un autre Etat membre, le respect du prix de vente fixé par l'éditeur, sauf si des éléments objectifs établissent que ces livres ont été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner une telle législation ;et que ni l'article 36 du traité CEE ni des exigences impératives de la défense des intérêts des consommateurs ou de la protection de la création et de la diversité culturelle dans le domaine du livre ne peuvent être invoquées pour justifier de telles mesures.

9- La quatrième question est sans objet eu égard à cette réponse aux autres questions.

Sur les dépens :

10- Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

La COUR (troisième chambre), statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de police de Martigues, par jugement du 29 mars 1984, dit pour droit :

1) Dans le cadre d'une législation nationale selon laquelle le prix de vente au détail des livres doit être fixe par l'éditeur ou l'importateur d'un livre et s'impose à tout détaillant, constituent des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation, interdites par l'article 30 du traité, des dispositions

- selon lesquelles il incombe à l'importateur d'un livre chargé d'accomplir la formalité du dépôt légal d'un exemplaire de ce livre, c'est-à-dire au dépositaire principal, d'en fixer le prix de vente au détail,

- ou qui imposent, pour la vente des livres édités dans l'Etat membre lui-même et réimportés après avoir été préalablement exportés dans un autre Etat membre, le respect du prix de vente fixé par l'éditeur, sauf si des éléments objectifs établissent que ces livres ont été exportés aux seules fins de leur réimportation dans le but de tourner une telle législation.

2) Ni l'article 36 du traité CEE ni des exigences impératives de la défense des intérêts des consommateurs ou de la protection de la création et de la diversité culturelle dans le domaine du livre ne peuvent être invoquées pour justifier de telles mesures.