Cass. crim., 3 juin 1993, n° 92-83.322
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Jorda
Avocat général :
M. Perfetti
Avocat :
Me Choucroy
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par R Mélanie, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, du 20 mai 1992, qui, pour publicité de nature à induire en erreur et tromperie, l'a condamnée à la peine de 20 000 francs d'amende, a ordonné la confiscation des marchandises saisies et la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-I, 44-II alinéas 7, 8, 44-II alinéas 9, 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1 de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mélanie R coupable de publicité mensongère ;
"aux motifs que les circonstances de la commande et de la mise en vente des vêtements litigieux, les réticences de la prévenue au sujet d'une information commerciale, somme toute banale, qui lui avait été communiquée, la qualité des vêtements qui lui avaient été livrés dont la médiocrité évidente ne pouvait manquer de susciter un doute sérieux sur leur authenticité, telle qu'une vérification à cet égard s'imposait ; qu'elle a diffusé en vitrine des vêtements marqués "Chevignon" alors qu'ils ne pouvaient prétendre à cette appellation d'un bien ou d'un service ;
"alors qu'il ne suffit pas qu'une publicité contienne "une information inexacte" pour qu'elle soit considérée comme tombant sous le coup de l'interdiction, il faut encore qu'elle soit de nature à induire en erreur un consommateur moyen ; qu'en l'espèce, en retenant comme élément constitutif du délit de publicité mensongère : la mise en vente de tee-shirts marqués faussement "Chevignon", le fait que la prévenue avait fait preuve de réticence au sujet de l'information commerciale et de la médiocrité des vêtements qui lui avaient été livrés, l'arrêt attaqué a violé par fausse application l'article susvisé" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Mélanie R a été citée devant la juridiction répressive pour avoir "effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur l'origine des biens faisant l'objet de la publicité, en l'espèce en proposant à la vente en vitrine des vêtements marqués Chevignon alors qu'ils ne pouvaient prétendre à cette appellation" ;
Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable de ce délit, la cour d'appel se prononce par les motifs repris au moyen ; qu'elle ajoute que l'engouement pour les vêtements de la société Chevignon est tel que, par l'effet de cette mode, un vêtement portant la marque de cette société se recommande par ce seul fait auprès d'éventuels acheteurs ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, desquels il résulte que la publicité litigieuse était de nature à induire en erreur tout consommateur destinataire des informations mensongères qu'elle comportait, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'il s'ensuit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable de tromperie ;
"aux motifs que les vêtements "Chevignon", outre leurs qualités intrinsèques, connaissent auprès des consommateurs une faveur particulière, au point qu'elle porte sur le nom "Chevignon" lui-même ; que cet engouement a pour effet que la marque suffit à caractériser un objet ou à le signaler d'une manière flatteuse au choix d'éventuels acheteurs ; qu'il s'annonce et se recommande par le fait qu'il est "un Chevignon" ; que cette particularité, la mode aidant, est caractéristique de la qualité substantielle prise en considération par l'acheteur ; que la prévenue ne pouvait ignorer que la marque "Chevignon" pour des vêtements auxquels elle était attribuée, correspondait à une appellation fausse dont elle réalisait, toutefois, la diffusion publicitaire ; que, de surcroît, du moment où la marque "Chevignon" revêt le caractère d'une qualité substantielle, son utilisation par la prévenue, en vue de la vente dans les circonstances dont s'agit, est constitutive du délit de tromperie visé à l'acte de poursuite ; que celui-ci énonce que les agissements de la prévenue tendaient à tromper la société "Chevignon" ; qu'en réalité cette tromperie n'était susceptible de parvenir à effet que dans le cadre d'un contrat ou dans la perspective de sa conclusion avec d'éventuels acheteurs ; qu'il échet de rectifier en ce sens le libellé de cette qualification ;
"alors que, d'une part, les tribunaux correctionnels ne peuvent statuer légalement que sur les faits relevés par l'ordonnance ou la citation qui les a saisis ; qu'en l'espèce, la demanderesse a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour avoir trompé "Chevignon" sur la nature, l'espèce ou l'origine, les qualités substantielles, la composition et la teneur en principes utiles de la marchandise vendue sous la dénomination fausse de vêtements marqués "Chevignon" alors qu'ils ne pouvaient prétendre à cette appellation ; que la cour d'appel a requalifié les faits relevés par la prévention, en relevant l'absence de contrat avec la société Chevignon et en retenant que la tromperie n'était susceptible de parvenir à effet que dans le cadre d'un contrat ou dans la perspective de sa conclusion avec d'éventuels acheteurs ; qu'ainsi, la cour a ajouté aux faits de la poursuite et a, ainsi, excédé ses pouvoirs ;
"alors, d'autre part, que la tromperie sur les qualités de la chose vendue, pour être punissable au sens de l'article 1er de la loi du 1er août 1905, doit résulter d'une intention frauduleuse et porter sur les qualités substantielles du produit vendu ; qu'il appartient au juge de constater les circonstances d'où se déduit la mauvaise foi du prévenu et de préciser les qualités substantielles sur lesquelles le consommateur a été trompé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'intention coupable, a privé sa décision de toute base légale" ;
Attendu que, pour requalifier en tentative de ce délit la tromperie objet de la poursuite, les juges énoncent que celle-ci "n'était susceptible de parvenir à effet que dans le cadre d'un contrat ou dans la perspective de sa conclusion avec d'éventuels acheteurs" ; qu'ils retiennent, d'autre part, que la prévenue ne pouvait ignorer qu'elle vendait des vêtements faussement marqués "Chevignon" ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, qui n'a pas excédé ses pouvoirs, a caractérisé en tous ses éléments, y compris intentionnel, l'infraction dont elle a déclaré la prévenue coupable ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.