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Décisions

Cass. com., 8 octobre 2003, n° 01-10.326

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Opel France (SAS)

Défendeur :

SADRA (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Vigneron

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.

T. com. Paris, 1re ch., du 16 nov. 1998

16 novembre 1998

LA COUR : - Joint le pourvoi n° 01-10.326 formé par la société Opel France et le pourvoi n° 01- 10.448 formé par la société de diffusion et de réparation automobiles, qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 janvier 2001), que la société Opel France (société Opel), qui était liée à la société de diffusion et de réparation automobiles (société SADRA) par un contrat de concession exclusive pour la distribution de véhicules automobiles de marque Opel sur un territoire déterminé l'a résilié par lettre recommandée du 15 octobre 1997; que, suivant protocole d'accord du 9 décembre 1997, les parties convenaient de résoudre leurs différends au moyen de la cession de l'entreprise de la société SADRA à un repreneur agréé par la société Opel que la société SADRA, prétendant que la société Opel avait rompu abusivement les relations contractuelles et n'avait pas exécuté de bonne foi le protocole d'accord, l'a assignée en réparation de ses préjudices;

Sur le premier moyen pris en ses quatre branches, du pourvoi n° 01-10.326 : - Attendu que la société Opel fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts à la société SADRA, alors, selon le moyen : 1°) que comme l'a constaté elle-même la cour d'appel, la résiliation du contrat de concession exclusive de la société SADRA, à la suite de la condamnation pénale du gérant de la concession pour tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise, est intervenue sur le fondement de l'article 6.1.2. des dispositions supplémentaires dudit contrat, qui ouvrait à la société Opel une faculté de résiliation lorsqu'il survient un acte ou un événement qui est fondamental et contraire à l'esprit ou aux objectifs du contrat ou en cas d'agissements du concessionnaire susceptibles de nuire de façon importante à la réputation ou aux intérêts du concessionnaire ou de la société Opel ; que cette clause ne prévoyait aucune obligation pour la société Opel, d'attendre un certain délai avant d'exercer cette faculté de résiliation, ni d'entendre son concessionnaire sur les faits reprochés; qu'en reprochant à la société Opel d'avoir notifié cette résiliation précipitamment et sans avoir préalablement entendu son concessionnaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) que dès lors que la société Opel disposait d'un motif légitime de résiliation, ce qui n'était pas contesté par la cour d'appel, elle n'a commis aucune faute en procédant à cette résiliation immédiatement et sans avoir entendu les explications de son cocontractant; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ; 3°) que la cour d'appel a constaté elle-même que, par une première lettre en date du 23 septembre 1997, la société Opel a proposé au dirigeant de sa concession un entretien, afin que ledit dirigeant puisse s'expliquer sur la condamnation pénale dont la presse s'était fait l'écho ; que, comme le faisait valoir la société Opel dans ses conclusions d'appel, elle lui avait envoyé une seconde lettre, le 3 octobre 1997, correspondance expressément visée par la cour d'appel, en lui proposant plusieurs dates de rendez-vous; qu'en énonçant que la société Opel s'était rendue coupable d'abus en prononçant la résiliation sans avoir cherché à entendre son concessionnaire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et violé l'article 1147 du Code civil ; 4°) que constitue un motif légitime de résiliation immédiate du contrat de concession le fait pour le dirigeant concessionnaire de s'être livré, à plusieurs reprises, à des pratiques constitutives de tromperie sur les qualités substantielles de véhicules vendus à des consommateurs, peu important qu'au moment de la notification de la résiliation, la condamnation pénale prononcée pour de tels faits n'ait pas encore été confirmée en appel, dès lors que les faits en cause sont avérés ; qu'en retenant que la résiliation prononcée pour de tels motifs était illégitime et disproportionnée au préjudice que cette mesure pouvait causer au concessionnaire, les juges du fond ont violé l'article 1147 du Code civil;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la société Opel a appris par la presse que le dirigeant de la société SADRA avait été condamné par le tribunal correctionnel pour tromperie sur la qualité substantielle de deux véhicules d'occasion et constaté que par courrier du 23 septembre 1997, la société Opel a demandé à ce dirigeant de s'expliquer sur ces faits, l'arrêt retient qu'il résulte des correspondances échangées entre les parties, fin septembre et début octobre 1997, que ni l'une ni l'autre n'a facilité une rencontre et une explication pourtant nécessaire compte tenu de la gravité de la situation et que c'est dans ces conditions que, trois semaines après avoir appris la condamnation pénale non définitive de son concessionnaire qui avait fait appel de cette décision, par courrier recommandé du 15 octobre 1997, la société Opel a notifié à la société SADRA sa décision de résilier le contrat par application de son article 6.1.2. avec prise d'effet dix jours après réception de ce courrier; qu'en l'état de ces constatations et appréciations et dès lors que l'obligation pour un concédant de recueillir les explications de son concessionnaire avant de résilier le contrat et de respecter un préavis d'une durée conforme aux usages de la profession, relève de l'obligation de bonne foi qui s'impose en matière contractuelle, la cour d'appel a pu en déduire que les conditions de brutalité dans lesquelles a été notifiée la résiliation du contrat étaient abusives;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'a pas dit que la résiliation était illégitime et disproportionnée au préjudice que cette mesure pouvait causer au concessionnaire ; d'où il suit que le moyen qui manque en fait en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus;

Sur le second moyen du même pourvoi : - Attendu que la société Opel fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen, que n'ayant pas contesté, au fond, la légitimité des motifs de la résiliation du contrat de concession justifiée par les délits de tromperie sur la qualité de véhicules commis par le dirigeant de la société SADRA, la cour d'appel ne pouvait, au seul prétexte que la société Opel aurait pris sa décision sans avoir entendu son concessionnaire et recueilli ses observations, le condamner à réparer le préjudice subi par ce dernier du fait de la perte de la valeur de son commerce à la suite de la résiliation du contrat, préjudice sans aucun lien de causalité avec la seule irrégularité formelle retenue à la charge du concédant; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui ne s'est pas déterminée par le seul motif que critique le moyen, a retenu que la société SADRA est fondée à obtenir la réparation du préjudice qui lui a été causé par les conditions de brutalité dans lesquelles a été notifiée la résiliation du contrat et qui est constitué par la perte de valeur de son fonds de commerce correspondant à l'activité "véhicules neufs"; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique, pris en ses quatre branches, du pourvoi n° 01-10.448 : - Attendu que la société SADRA reproche à l'arrêt d'avoir accueilli partiellement sa demande, alors, selon le moyen : 1°) que le juge doit, en toutes circonstances, observer le principe de la contradiction et qu'aucun moyen non soulevé par les parties ne peut être examiné d'office sans que celles-ci aient été amenées à présenter leurs observations à ce sujet; qu'en relevant, d'office, et sans provoquer préalablement les explications des parties à cet égard, que si la société Opel ne pouvait contester que la réussite de la cession du fonds de commerce de la société SADRA dépendait de l'agrément qu'elle seule pouvait donner, il n'en demeurait pas moins que la cession d'une entreprise de cette valeur en un délai de 4 mois alors que son contrat de concession venait d'être résilié était une opération d'une difficulté extrême, voire impossible, de sorte qu'il n'était pas établi que l'échec de cette cession ait été imputable au seul concédant, dont la mauvaise foi n'était dès lors pas démontrée, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, violant ainsi l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) qu'en ne répondant pas aux conclusions d'appel de la société SADRA dans lesquelles celle-ci soutenait que l'exécution de bonne foi d'une telle convention impliquait la confidentialité de l'accord à l'égard des tiers, que la société Opel avait d'emblée violé la confidentialité à laquelle elle s'était engagée puisque dès le 6 novembre 1997, soit près d'une semaine après le prononcé de l'ordonnance du 28 octobre 1997 lui enjoignant de reprendre les relations commerciales, elle avait adressé à l'ensemble des fournisseurs agréés du réseau Opel une circulaire les informant de la cessation des relations commerciales avec la société SADRA et leur enjoignant en conséquence de cesser toute livraison à cette concession et que concomitamment le directeur commercial de la zone Opel et le district manager ont informé individuellement un certain nombre de concessionnaires de la région parisienne de ce que les relations commerciales prendraient définitivement fin le 30 avril 1998, et que la divulgation de cette disposition du protocole d'accord a été immédiatement relayée dans le réseau et auprès de la clientèle, plaçant du même coup la société SADRA en porte-à-faux dans la négociation de cession qu'elle devait entreprendre la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 3°) que tout jugement doit être motivé à peine de nullité; qu'en déboutant la société SADRA de sa demande tendant à la réparation du chef de préjudice constitué par la dévalorisation de la partie de son fonds de commerce ne correspondant pas à l'activité de vente de véhicules neufs sans assortir ce chef de son dispositif du moindre motif de nature à le justifier, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 4°) que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que le tribunal avait alloué à la société SADRA, à titre de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat de concession exclusive, les sommes, notamment, de 3 500 000 francs pour absence de préavis, et 1 500 000 francs pour frais de restructuration, et, essentiellement, de licenciement; qu'en infirmant le jugement entrepris sur ce point sans assortir ce chef de son dispositif du moindre motif de nature à le justifier, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu, en premier lieu, que la société SADRA avait fait porter l'argumentation de ses conclusions sur la mauvaise foi de la société Opel dans l'exécution du protocole d'accord qu'elle avait conclu avec cette société ; que le moyen était donc dans les débats et n'a pas été relevé d'office par la cour d'appel ;

Attendu, en second lieu, qu'en relevant, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve versés aux débats, qu'il n'est pas démontré que l'échec de la cession de l'entreprise de la société SADRA soit imputable au seul concédant dont la mauvaise foi n'est pas prouvée, la cour d'appel a répondu en les écartant aux conclusions invoquées;

Attendu, enfin, que l'existence et l'étendue du préjudice sont justifiés par l'évaluation qui en a été faite ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Par ces motifs : rejette les pourvois.