Cass. crim., 4 mai 1999, n° 98-83.864
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
M. Blondet
Avocat général :
M. Géronimi
Avocat :
Me Bertrand.
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par D Yves-Laurent, M Jean-Michel, P Jean, G Michel, C Denis, I Hubert, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 20 mars 1998, qui, pour publicité de nature à induire en erreur et tromperie, les a condamnés à une amende, les deux premiers de 2 000 francs, les quatre derniers de 1 000 francs, a ordonné une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Sur la recevabilité du pourvoi d'Yves-Laurent D : - Attendu qu'aux termes de l'article 576 du Code de procédure pénale, la déclaration de pourvoi doit être signée par le demandeur lui-même ou par un avoué près la juridiction qui a statué ou par un fondé de pouvoir spécial ; que dans ce dernier cas le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier ; qu'il résulte de ces dispositions que le document annexé à la déclaration de pourvoi formée par un fondé de pouvoir spécial doit faire preuve du mandat dont il est investi ; - Attendu qu'à la déclaration de pourvoi, formée par un avocat déclarant agir au nom et pour le compte d'Yves-Laurent D, est joint un document qui, ne comportant pas la signature du demandeur, ne répond pas aux exigences du texte susvisé ; que, dès lors, le pourvoi d'Yves-Laurent D est irrecevable ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 485, 486, 512 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble le principe du secret du délibéré ;
"en ce que l'arrêt attaqué mentionne que, lors des débats et du délibéré, la cour d'appel était composée de M Christian Payard, président, Mme Eliane Renon, M Patrick Vernudachi, conseillers, M. Jean-Pierre Vergne, représentant du Ministère public et Mme Anicette Guillot, greffier ;
"alors que les délibérations des juges sont secrètes ; que la cour d'appel, dont les mentions de l'arrêt font apparaître que le représentant du Ministère public et le greffier, même s'ils n'y ont pas participé, étaient présents lors du délibéré, a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué suffisent à établir que, contrairement à ce qui est allégué, le Ministère public et le greffier n'ont pas participé au délibéré ; que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 388, 551, 565, 593 et 802 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de nullité de la citation délivrée à chacun des prévenus, Yves-Laurent D, Jean-Michel M, Jean P, Michel G, Denis C et Hubert I ;
"aux motifs que, si la citation délivrée à chacun des prévenus vise de manière erronée des faits commis "courant septembre 1995" alors que l'opération publicitaire incriminée s'est déroulée du 7 au 17 juin 1995, cette erreur de date ne peut, compte tenu de ce que les faits reprochés sont ensuite précisément articulés, avoir eu pour effet d'induire les prévenus en erreur ni de porter atteinte aux droits de la défense et c'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté l'exception de nullité soulevée (arrêt p. 8, alinéa 3) ;
"alors, d'une part, que la citation doit, à peine de nullité, énoncer le fait poursuivi ; qu'après avoir constaté que la citation délivrée à chacun des prévenus, visait de façon erronée des faits survenus "courant septembre 1995", quand l'opération critiquée s'était déroulée du 7 au 17 juin 1995, d'où résultait pour les prévenus une incertitude sur le contenu même de la prévention et une atteinte à leurs droits, la cour d'appel ne pouvait écarter l'exception de nullité qui lui était soumise sans violer les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, que la juridiction répressive ne peut statuer sur d'autres faits que ceux qui sont mentionnés dans l'acte qui la saisit ; qu'en déclarant les prévenus coupables à raison de faits survenus du 7 au 17 juin 1995 après avoir elle-même constaté que la citation, fixant les limites de la prévention, visait des faits commis "courant septembre 1995", la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu qu'Yves D, Jean-Michel M, Michel G, Denis C, Jean P et Hubert I, dirigeants de sociétés anonymes exploitant des magasins à l'enseigne X ou Y dans diverses localités de la Haute-Vienne, ont été, chacun, cités devant la juridiction correctionnelle sous la prévention d'avoir commis, "courant septembre 1995", les délits de publicité trompeuse et de tromperie ; qu'avant tout débat au fond, ils ont excipé de la nullité de l'exploit, en faisant valoir que celui-ci visait non la date à laquelle les faits reprochés ont été constatés, mais celle à laquelle les procès-verbaux de constatation ont été dressés par la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes ;
Attendu que, pour écarter cette exception, la juridiction du second degré énonce, par motifs propres et adoptés, que, s'il est exact que la campagne publicitaire incriminée n'a pas eu lieu au mois de septembre 1995 mais du 7 au 17 juin précédents, l'erreur de date contenue dans la citation n'a pas porté atteinte aux intérêts des prévenus, dès lors que ceux-ci l'avaient relevée dans leurs conclusions devant le tribunal, et que le jugement a précisé les circonstances de temps et de lieu exactes des faits reprochés ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, les juges du second degré ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 213-1 du Code de la consommation, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré chacun des prévenus coupables de tromperie sur l'origine de la marchandise et de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur en proposant à la vente une marchandise dont l'origine était différente de celle qui était annoncée ;
"aux motifs, propres et adoptés, "qu'a été diffusé à 7 900 exemplaires dans les boîtes aux lettres du département de la Haute-Vienne un catalogue publicitaire intitulé "N du 7 au 17 juin ; Nous sommes avec toi ; magasin X, magasin Y" ; qu'en page 5, figure la photographie d'un lapin dépouillé accompagnée de la mention "26,50 francs le kg - Lapin nu du Limousin - Forestier - prêt à cuire" ; que l'enquête de la Direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a établi, ce qui n'est pas contesté par les prévenus, qu'ont été revendus dans les magasins X et Y de Haute-Vienne dirigés par les prévenus des lapins sous l'appellation "Lapin du Limousin" (jugement p 9) ; qu'il ne peut être contesté que l'information donnée aux consommateurs sur l'origine des produits vendus était inexacte, dans la mesure où les investigations menées auprès du fournisseur établissent que sur 3 768 lapins commercialisés au cours de l'opération publicitaire, 25 seulement avaient été élevés en Haute-Vienne, les autres provenant de la Charente, département qui non seulement n'est pas inclus dans la région Limousin prise en tant que circonscription administrative mais ne peut faire partie d'un bassin de production qui n'existe pas en matière de production cunicole" (arrêt p. 8, alinéa 6) ;
"et aux motifs adoptés qu'il n'existe pas de définition officielle ou d'appellation de l'origine géographique, en l'espèce "Limousin" ; que ce qui importe et ce dont devaient s'assurer les prévenus qui ont mis en place l'opération de vente est que la marchandise livrée corresponde à celle qui était annoncée dans la publicité ; qu'il convient de se placer non pas au niveau de la définition générale du "Limousin", mais de ce qui a été voulu par les prévenus sous cette appellation ; qu'il ressort de leurs explications à l'audience notamment qu'il a été organisé pour les magasins X et Y une campagne publicitaire portant sur les produits régionaux sur toute la France, divisée en trente terroirs ; que, selon ce critère celui du Limousin comprend les départements de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne, celui de "Charente-Poitou" les départements de la Charente et de la Vienne ; qu'ainsi la Charente et la Haute-Vienne font partie de deux terroirs distincts avec des appellations différentes, ainsi qu'il ressort du découpage géographique fixé et voulu par les prévenus eux-mêmes et la chaîne dont ils font partie ; qu'en l'espèce donc il n'y a pas lieu de retenir la notion agricole ou régionale de "Limousin" et encore moins celle de "Charente Limousine", d'ailleurs controversée ; que les délits de publicité mensongère et de tromperie sont établis dès lors que les lapins mis en vente et vendus provenaient d'un terroir ou région autre que celle annoncée, même limitrophe et quelle que soit la qualité du produit (jugement p 10-11) ;
"alors, d'une part, que le délit de tromperie suppose l'affirmation d'un fait inexact ; que la prévention ne portant pas sur une affirmation inexacte de provenance de la "région Limousin" prise en tant que circonscription administrative, le fait que le département de la Charente ne soit pas inclus dans cette région ne pouvait établir l'inexactitude de l'information donnée aux consommateurs sur l'origine des produits vendus ; que la circonstance, également relevée par la cour d'appel, qu'il n'existe en matière d'élevage de lapins aucun "bassin de production" était par ailleurs nécessairement exclusive de toute inexactitude sur l'origine des produits comme provenant du "Limousin" ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'une tromperie sur l'origine de la marchandise a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, que seule est pénalement sanctionnée la publicité comportant soit une allégation intrinsèquement fausse soit une allégation de nature à induire le public en erreur ; qu'en l'état des énonciations qui précèdent, exclusives de toute inexactitude de l'information donnée aux consommateurs sur l'origine du produit, la cour d'appel n'a pas non plus caractérisé l'existence d'une publicité fausse ou de nature à induire en erreur, violant ainsi les textes visés au moyen ;
"alors, enfin, que si les juges du fond ont relevé que la publicité critiquée s'inscrivait dans le cadre d'une campagne publicitaire plus vaste, fondée sur une division du territoire français en trente terroirs, où le Limousin se composait des trois départements de la Haute-Vienne, de la Creuse et de la Corrèze, à l'exclusion de la Charente, il ne résulte ni des termes de la prévention, ni des constatations de l'arrêt attaqué que cette division et son contenu aient été portés à la connaissance du public ; que la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, violant là encore les textes visés au moyen" ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de publicité de nature à induire en erreur et de tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue, les juges du second degré relèvent qu'à la suite de la diffusion de 7 900 exemplaires d'un catalogue publicitaire, intitulé "N du 7 au 17 juin", sur lequel figurait la photographie d'un lapin écorché présenté sous l'appellation "Lapin nu du Limousin", ces détaillants ont commercialisé comme produits dans cette région 3768 lapins provenant, à l'exception de 25 d'entre eux, du département de la Charente, qui n'est pas compris dans la région Limousin ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, les juges du second degré ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2 de la loi du 5 août 1908, L. 217-8 du Code de la consommation, 2 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné "solidairement" les prévenus à payer la somme de 10 000 francs à titre de dommages et intérêts à l'Association régionale de développement des petits animaux en Limousin (ARDEPAL) et la même somme au même titre au syndicat professionnel agricole "Lim'Lapin" ;
"aux motifs que les premiers juges ont à juste titre déclaré l'Association régionale de développement des élevages de petits animaux en Limousin (ARDEPAL) et le syndicat professionnel agricole "Lim Lapin" (recevables) en leurs constitutions de parties civiles ; que ces deux organismes qui regroupent des producteurs cunicoles du Limousin ont directement subi du fait des infractions commises par les prévenus un préjudice certain (cf arrêt p. 9, alinéa 6 et 7) ;
"alors, d'une part, qu'en matière de tromperie, l'action civile n'appartient qu'aux syndicats professionnels constitués conformément à la loi du 21 mars 1884 ; qu'en déclarant recevable l'action civile exercée par l'ARDEPAL, dont il résulte de l'arrêt qu'elle a la forme juridique d'une association, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, qu'aucune disposition légale ne confère aux syndicats constitués pour la défense des intérêts généraux d'une profession le droit de se constituer partie civile dans des poursuites pour publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ; qu'en admettant le syndicat professionnel agricole "Lim Lapin" à obtenir réparation du préjudice causé par les infractions poursuivies, soit le délit de tromperie et le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"alors, enfin, que les syndicats professionnels ne peuvent rechercher que la réparation de l'atteinte portée aux intérêts collectifs de la profession qu'il représentent ; qu'en déclarant réparer le préjudice directement subi par le syndicat professionnel et l'association dont elle a admis la constitution de partie civile, et non l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession que ces organismes représentaient, la cour d'appel, dont les énonciations sont au surplus entachées d'une incertitude sur l'appartenance géographique des producteurs regroupés au sein de ces organismes et, par suite, sur la définition de l'intérêt collectif représenté, a violé les textes visés au moyen" ;
Sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu que, pour déclarer recevable en sa constitution de partie civile le syndicat professionnel agricole "Lim Lapin", et condamner les prévenus à lui verser 10 000 francs de dommages et intérêts, les juges du second degré énoncent que cet organisme, qui regroupe des producteurs de lapins du Limousin, a subi, du fait des deux infractions poursuivies, un préjudice certain ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet, les syndicats ou unions de syndicats formés conformément à la loi du 21 mars 1884 pour la défense des intérêts de l'industrie et du commerce de tous produits et marchandises quelconques tiennent de l'article L. 217-8 du Code de la consommation la faculté d'exercer, en matière de tromperie, les droits reconnus à la partie civile en vue de la réparation du préjudice direct ou indirect causé à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'en outre, les organisations syndicales tiennent de l'article L. 411-11 du Code du travail, le droit d'ester en justice afin d'obtenir réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession qu'elles représentent ; que le fait de diffuser au cours d'une campagne de publicité des indications de nature à induire la clientèle en erreur, puis de la tromper sur l'origine des produits, est, en lui-même, générateur, pour la profession qui assure la production d'origine, d'un préjudice dont les syndicats représentant cette profession peuvent demander réparation ; d'où il suit que le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, doit être écarté ;
Mais, sur le moyen pris en sa première branche : - Vu l'article 2 du Code de procédure pénale ; - Attendu qu'aux termes de cet article, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime ou un délit n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé directement par l'infraction ;
Attendu que, pour déclarer recevable en sa constitution de partie civile l'Association régionale de développement des élevages de petits animaux en Limousin (ARDEPAL), et condamner les prévenus à lui verser 10 000 francs de dommages et intérêts, les juges du second degré se bornent à énoncer que cet organisme, qui regroupe des producteurs de lapins du Limousin, a directement subi, du fait des deux infractions poursuivies, un préjudice certain ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'association ne justifiait ni du caractère direct du préjudice allégué, ni d'une habilitation par la loi à exercer les droits reconnus à la partie civile pour la défense de l'intérêt collectif, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé ;d'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs : Déclare irrecevable le pourvoi d'Yves-Laurent D ; Casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel de Limoges, en date du 20 mars 1998, par voie de retranchement, dans ses seules dispositions relatives à l'action civile de l'Association régionale de développement des élevages de petits animaux en Limousin (ARDEPAL), toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Limoges, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.