Cass. crim., 6 décembre 1993, n° 89-86.591
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella
Rapporteur :
M. Roman
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
SCP Nicolay, de Lanouvelle, de la société civile professionnelle Masse-Dessen, Georges, Thouvenin.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par M Varoujan, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, du 14 septembre 1989, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, apposition frauduleuse de marque et usage d'une marque frauduleusement apposée, l'a condamné à 10 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 25 et 26 de la loi du 31 décembre 1964, 37 du décret du 27 juillet 1965, 2 et 595 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que, rejetant les conclusions de nullité du procès-verbal de constat prises par le prévenu, l'arrêt attaqué a, sur l'action publique mise en œuvre par la voie de la citation directe à la requête de la société OCM, déclaré Varoujan M coupable de contrefaçon de marque, d'apposition frauduleuse et usage et lui a infligé une peine d'amende, et, sur l'action civile, déclaré recevable la constitution de partie civile de la société OCM et condamné M à verser à cette société des indemnités à titre de dommages-intérêts et pour frais irrépétibles, prononcé l'interdiction sous astreinte d'utiliser la marque X et, à titre de réparation complémentaire, ordonné la publication de l'arrêt par extraits ;
"aux motifs que, les premiers juges ont à bon droit écarté l'exception de la nullité soulevée par le prévenu en rappelant que le procès-verbal d'huissier incriminé n'était pas un procès-verbal de saisie contrefaçon mais un procès-verbal de constat, ainsi qu'il ressort à l'évidence des termes mêmes de l'ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Marseille prescrivant de "constater" et non de procéder à des saisies ;
"alors qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions d'appel de M qui avaient fait valoir le moyen péremptoire selon lequel la nullité de plein droit faute de poursuite dans le délai de quinzaine prévu par l'article 26 de la loi du 31 décembre 1964 sur les marques était encourue par le procès-verbal de description même en l'absence de toute saisie, la cour a entaché son arrêt d'un défaut de motifs" ;
Attendu que, pour écarter l'exception régulièrement soulevée par le prévenu, de nullité du procès-verbal de l'huissier de justice commis par le président du tribunal de grande instance pour violation des dispositions des articles 25 et 26 de la loi du 31 décembre 1964 alors applicable, la cour d'appel énonce que l'huissier de justice n'avait pas été commis pour procéder à une saisie-contrefaçon, mais à de simples constatations ;
Attendu qu'en cet état, loin de violer les textes visés au moyen, les juges du fond en ont fait l'exacte application ; qu'en effet, si la nullité du procès-verbal édictée par l'article 26 précité est applicable, même en l'absence de saisie, au procès-verbal de description dressé en application de l'article 25, il n'en est pas de même lorsque, comme en l'espèce, l'huissier de justice n'est pas commis pour décrire des produits faisant l'objet d'une contrefaçon ou apposition illicite de marque, mais pour constater, en vertu de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 visé dans l'ordonnance du président du tribunal de grande instance, des faits susceptibles de constituer le délit de publicité de nature à induire en erreur ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1134 du Code civil, 3 de la loi du 31 décembre 1964, et 593 du Code de procédure pénale, dénaturation des conclusions d'appel, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action publique, déclaré Varoujan M coupable de contrefaçon de marque, d'apposition frauduleuse et usage et lui a infligé une peine d'amende, et, sur l'action civile, l'a condamné à verser à la société OCM des indemnités à titre de dommages-intérêts et pour frais irrépétibles, prononcé l'interdiction sous astreinte d'utiliser la marque X et, à titre de réparation complémentaire, ordonné la publication de l'arrêt par extraits ;
"aux motifs que le prévenu reprend devant la cour les allégations présentées devant les premiers juges selon lesquelles les tapis litigieux proviennent d'une région dénommée X au Népal ; que les premiers juges ont à bon droit observé que le mot X correspond non à une ville, ainsi que le prétend à tort le prévenu, mais à des sommets ou des chaînes de montagnes du Tibet ; que les plans examinés par la cour font apparaître que ces montagnes se situent en Chine et non pas au Népal comme le prétend le prévenu ;
"alors que pour soutenir que, risquant de tromper le public sur l'origine véritable de la marchandise, le nom géographique de X ne pouvait, par application de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1964, être considéré comme une marque, M avait, en se référant d'ailleurs à une brochure diffusée par la partie civile OCM, fait valoir dans ses conclusions d'appel que X était le nom d'une région du Tibet, particulièrement connue pour la qualité de ses tapis, que lors de l'annexion du Tibet par la Chine les artisans de X avaient fui ce pays pour le Népal où ils avaient, dans des camps de réfugiés, reconstitué des ateliers de tapis et transféré le savoir-faire de la région de X ; qu'ainsi est-ce au prix d'une dénaturation desdites conclusions, que l'arrêt déclare que le prévenu aurait prétendu à tort, d'une part, que X se situait au Népal, et, d'autre part, qu'il s'agissait du nom d'une ville ;
Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 44 de la loi du 27 décembre 1973, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action publique, déclaré Varoujan M coupable de publicité mensongère et l'a condamné à la peine de 10 000 francs d'amende, sur l'action civile, l'a condamné à verser aux parties civiles des indemnités à titre de dommages-intérêts et pour frais irrépétibles, et, à titre complémentaire, ordonné la publication de l'arrêt par extraits ;
"aux motifs que, d'une part, les publicités parues dans les journaux ainsi que les étiquettes figurant sur les tapis sont de nature à faire penser aux consommateurs que les tapis présentés avec une apparence de certificats d'origine sous le terme "Royal Népal" proviennent bien de ce pays et en particulier d'une ville dénommée X ;
"alors, d'une part, qu'est interdite toute publicité fausse ou de nature à induire en erreur ; que le tribunal n'avait pas retenu la prétention des parties civiles selon lesquelles les tapis présentés par M ne seraient pas, en fait, d'origine népalaise ; que M lui-même avait fait valoir dans ses conclusions d'appel que chacun des tapis était revêtu de l'étiquette d'origine réalisée par le fabricant népalais ; qu'ainsi la cour n'a pu retenir implicitement que ceux-ci ne proviendraient pas de ce pays sans procéder à aucune constatation de fait ni fournir aucune explication à ce sujet, sans priver son arrêt de base légale au regard de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
"alors, d'autre part, qu'en se bornant à affirmer que les publicités litigieuses indiqueraient faussement que les tapis proviendraient d'une ville dénommée X, sans procéder à aucune constatation de fait d'où résulterait que lesdites publicités auraient comporté l'allégation que le nom de X serait celui d'une ville, la cour a derechef privé son arrêt de base légale au regard du texte précité ;
"et aux motifs adoptés que d'autre part, une autre publicité tend à faire croire que les tapis sont vendus au "prix du pays" en pratiquant un rabais de 50 % tel que cela apparaît sur les étiquettes ; que les documents produits par le prévenu font apparaître qu'un tapis d'une valeur de 15 000 francs vendu 7 500 francs a été acheté par celui-ci 2 046 francs ; qu'en faisant croire au public qu'il bénéficiait d'un prix de pays, soit 7 500 francs (après déduction de 50 %) pour l'achat d'un tapis que le prévenu n'a payé que 2 046 francs, celui-ci a sciemment fait une publicité mensongère ou de nature à tromper le consommateur, le prix de référence 15 000 francs étant calculé par application d'un coefficient 7, 3 inhabituel dans la profession ;
"alors que saisie par M de conclusions d'appel faisant valoir que le "prix du "pays" devait s'entendre du prix qu'aurait payé un particulier chez un détaillant au Népal, que ce prix ne pouvait en tout cas être confondu avec celui effectivement payé par le prévenu qui avait acheté sur place au prix de fabrique non pas un seul tapis mais 150, la cour n'a pu ainsi statuer sans procéder à aucune constatation de fait sur le montant réel du "prix du pays" d'où résulterait que celui-ci ne serait pas du même ordre que celui proposé par M aux clients de la foire de Marseille ; qu'ainsi la cour a privé son arrêt de base légale ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que M a exposé à la Foire de Marseille quatre tapis munis d'étiquettes portant les mentions "Tapis du Népal", "X", et l'indication d'un prix de vente égal à la moitié du prix de référence, et que des publicités insérées dans la presse locale faisaient état de "tapis venus de X, fabriqués à X" et présentés au "prix du pays", alors que X est une marque déposée par une société commerciale ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu relative au défaut de validité de la marque X qui serait selon lui le nom d'une région connue pour la qualité de ses tapis, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, énonce que d'après les documents produits ce nom s'applique à des sommets ou chaînes de montagnes du Tibet ; qu'elle en déduit que le prévenu a apposé frauduleusement et utilisé illicitement la marque X ;
Attendu que, pour déclarer M coupable du délit de publicité trompeuse, la cour d'appel se prononce par les motifs pour partie repris au moyen ;qu'elle ajoute, d'une part, que le libellé des annonces parues dans la presse et des étiquettes, faisant penser que les tapis litigieux avaient été fabriqués dans une ville du Népal dénommée X, était de nature à induire en erreur quant à l'origine de la marchandise en question ;qu'elle relève, d'autre part, par motifs adoptés, que l'allégation selon laquelle les tapis étaient vendus au "prix du pays" et l'indication d'un rabais de 50 % par rapport à un prix de référence inscrit sur les étiquettes constituaient une publicité de nature à induire en erreur quant à leurs prix et conditions de vente ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, les juges, qui n'étaient pas tenus de suivre le prévenu dans le détail de son argumentation et ont répondu aux articulations essentielles des conclusions dont ils étaient saisis, ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;d'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et de la valeur des éléments de preuve soumis aux débats contradictoires, ne sauraient être admis ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles L. 411-1 du Code du travail, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a, sur l'action publique mise en œuvre par la voie de la citation directe à la requête de l'UNRST et de l'INTD, déclaré Varoujan M coupable de contrefaçon de marque, d'apposition frauduleuse et usage, et de publicité mensongère, et lui a infligé une peine d'amende, et sur l'action civile, l'a condamné à verser à l'UNRST et à l'INTD des indemnités à titre de dommages-intérêts et pour frais irrépétibles, prononcé l'interdiction sous astreinte d'utiliser la marque X et, à titre de réparation complémentaire, ordonné la publication de l'arrêt par extraits ;
"aux motifs que l'UNRST et l'INTD ont qualité pour agir ; qu'ils sont des organismes professionnels, que leur action doit être déclarée recevable ;
"alors que, saisie par le prévenu de conclusions d'appel contestant expressément la qualité à agir de l'UNRST et de l'INTD, la cour n'a pu ainsi statuer sans rechercher tout d'abord si ces organismes constituaient des syndicats professionnels pouvant à ce titre exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représenteraient, et ensuite s'ils apportaient la preuve de l'existence d'un dommage résultant de la lésion d'un intérêt collectif ; qu'ainsi la cour a privé son arrêt de base légale au regard des textes susvisés" ;
Vu lesdits articles ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs de nature à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, saisie par le demandeur de conclusions contestant la recevabilité de la constitution de deux des parties civiles, à savoir l'Union nationale des revêtements de sol et du tapis et l'Institut national du tapis distribution, la cour d'appel se borne à énoncer, par motifs propres et adoptés, que lesdites parties civiles sont des organismes professionnels, que leur constitution est régulière en la forme et qu'il convient de déclarer recevable leur action civile ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitaient les conclusions du demandeur, si les deux organismes susvisés avaient qualité pour agir, la cour d'appel a violé le principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, casse et annule, mais en ses seules dispositions civiles concernant l'Union nationale des revêtements de sol et du tapis et l'Institut national du tapis distribution, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 14 septembre 1989, et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.