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Décisions

CA Angers, ch. corr., 25 janvier 2001, n° 00-00227

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

INAO

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Liberge (faisant fonctions)

Conseillers :

M. Midy, Mme Andre

Avocats :

Mes Fuhrer, Gilet, Diallo.

TGI Saumur, ch. corr., du 2 mars 2000

2 mars 2000

LA COUR

Le prévenu V et le Ministère public ont interjeté appel du jugement rendu le 2 mars 2000 par le Tribunal correctionnel de Saumur qui, pour faux, altercation frauduleuse de la vérité dans un écrit, tromperie sur la nature, la qualité, l'origine ou la quantité d'une marchandise, a relaxé Gérard S du chef de faux au préjudice de M. Champigny et l'a condamné à une amende de 10 000 F, Georges V, à une amende de 100 000 F outre publication dans "La Nouvelle République" et le "Courrier de l'Ouest" pour un coût de 5 000 F, sur l'action civile, a déclaré l'institut national des appellations d'origine irrecevable en sa constitution de partie civile.

Georges V comparaît. Il plaide au principal sa relaxe et la confirmation de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'INAO.

Le Ministère public requiert une aggravation de l'amende contre V et la confirmation de la sanction contre S. Il requiert également une interdiction professionnelle.

Gérard S sollicite la confirmation.

L'institut National des Appellations d'Origine demande l'infirmation du jugement en ce qui le concerne.

Gérard S est poursuivi pour avoir à Savigny en Veron, et sur le territoire national, du 8 août au 12 août 1996 et le 30 septembre 1996, altéré frauduleusement la vérité en rajoutant la mention "Domaine X" dans un écrit ayant pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, en l'espèce des factures originales, au préjudice de Patrice et de Béatrice Moreau, Christophe Berton et Alain Champigny;

Georges V est poursuivi pour avoir à Montreuil Bellay, et sur le territoire national, du 1er janvier 1996 au 18 avril 1998, trompé les consommateurs, contractants, sur l'origine de 91 472 bouteilles de vin Chinon vendues sous le nom d'exploitation viticole "Domaine X" auquel elles ne pouvaient pas prétendre.

MOTIFS

Le 21 mars 1997, suite à une campagne publicitaire faite par le magasin Y de Chambray le Tours, les agents de la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes se sont rendus dans les locaux commerciaux de cette grande surface.

Ils ont remarqué que des bouteilles de vin Chinon AOC, "Domaine X" ne comportaient pas les renseignements obligatoires sur l'embouteilleur.

Ils se sont rendus auprès de l'intermédiaire auquel le magasin s'était adressé: A à Saint-Pierre des Corps. Là, ils ont appris que cette centrale avait acquis 2 406 bouteilles de ce vin auprès de la société A.

Le 27 mars 1997, le service recevait, en recommandé, une lettre, invoquant une erreur d'étiquetage portant sur un lot de 8667 cols acquis auprès de M. Jacky Dumont à Cravant les Coteaux (37), soit 65 hl.

4 488 bouteilles avaient déjà été commercialisées, le reste se trouvait en stock.

M. Dumont a été entendu et confirmé la vente de 65 hl de ce vin, mis en bouteilles à la propriété (8 667 cols).

Les investigations auprès de la société A ont permis de constater que le prévenu avait acheté des vins étiquetés "Domaine X" auprès de Jacky Dumont mais aussi de son frère Gabriel, lui-même viticulteur à Cravant. Ces ventes s'élèvent pour 1996, auprès de Jacky Dumont à 200 hl et Gabriel Dumont 315 hl. Toutes les ventes ont eu lieu en vrac et mises en bouteilles par la société L pour le compte de la société A.

La facture de la société d'étiquetage fait apparaître l'embouteillage de 9 996 cols (75 hl) chez Abel Dumont père de Gabriel et de Jacky, n'exerçant plus depuis 1987.

La poursuite de l'enquête a permis de constater d'autres achats de Chinon "Domaine X" auprès d'autres viticulteurs:

- Alain Champigny, fact du 13.8.96 150 hl

- Christophe Berton fact du 30.9.96 220 hl

- P et B Moreau facture du 8.08.96: 26 666 bouteilles facture du 4.09.96 10 hl soit: 580 hl de vins

Le vin acheté auprès de ces viticulteurs ne pouvait être vendu sous l'appellation Chinon "Domaine X", dont il n'est pas originaire.

La mention valorisante "mis en bouteille à la propriété" sur une grande part de ces ventes ne pouvait être portée.

Il apparaît que la société A a écrit À Monsieur et Madame Moreau pour autoriser la société à commercialiser leur vin sous l'appellation "Domaine X", ce qui a surpris ces personnes puisque leur domaine viticole s'appelle "Manoir B". Ils ont accepté sous la pression de S, courtier de V.

L'enquête auprès de M. Champigny a permis aux enquêteurs de constater que le vin avait été vendu sans nom de domaine, comme l'a justifié le double de la facture, Or, comme pour M. Berton, les factures originales détenues par la société A comportent la mention "Domaine X", mention qui a donc été portée à l'insu de ces viticulteurs.

S a reconnu être à l'origine de celle-ci, portée à l'insu des viticulteurs, sauf pour les ventes Moreau dans lesquelles il n'était pas intermédiaire;

Il résulte de ces éléments que les ventes effectives par les exploitants du domaine X de vin AOC Chinon, 1995, sont de 315 hl or les ventes faites sous appellation de ce même vin s'élèvent à 895 hl.

Sur les vins vendus par A et G Dumont, 55 hl, vendus par des bailleurs de fruits, ont été produits sur des parcelles n'appartenant pas au Domaine X et ne pouvaient être vendus sous cette appellation.

70 hl ont été assemblés avec 10 hl provenant de l'EARL Moreau, ils ne pouvaient prétendre dès lors à l'appellation "Domaine X".

125 hl seulement soit 16 666 bouteilles pouvaient être commercialisés sous l'appellation en cause.

Le prévenu plaide sa relaxe en soutenant que l'appellation protégée est en l'espèce "Chinon", or tous les vins commercialisés par le prévenu pouvaient bénéficier de cette appellation. La notion de Domaine ne fait l'objet d'aucune définition légale.

La poursuite vise la tromperie sur l'origine au sens du Code de la consommation et non pas l'appellation d'origine contrôlée.

Ce qui est reproché au prévenu est le fait d'avoir commercialisé avec la précision que le vin avait une origine précise, le "Domaine X", ce qui correspond à un viticulteur déterminé, ce qui n'était pas le cas de la plus grande partie du vin vendu avec cette précision.

Cette mention a un effet certain sur la décision d'achat du consommateur, elle lui indique que celui-ci n'a pas subi de mélange avec un autre vin, fût-il bénéficiaire de l'appellation Chinon, ce qui le caractérise plus encore et constitue pour lui une garantie de l'origine de l'exploitation. Utiliser cette précision alors qu'elle n'est pas réellement applicable, constitue à l'égard du consommateur que la loi protège, une tromperie.En effet dans la consommation actuelle les commerçants déploient des méthodes de plus en plus réfléchies pour faire croire au consommateur que le produit qui lui est offert a été fabriqué, élevé par une personne identifiée, dans le but manifeste de faire cesser l'image de la grande production, de son caractère impersonnel et de l'absence de soins qu'elle véhicule. Les conditions de la fraude démontrent que cette mention avait aux yeux de la SA A une importance certaine.

Georges V soutient que la définition du domaine n'est pas usurpée si l'on se réfère à la définition donnée par la Direction de la Concurrence et de la Consommation qui indique que les terres constituant un domaine peuvent être dispersées. Le prévenu admet pourtant que ces terres doivent appartenir au même propriétaire, il ne prétend pas que ce soit le cas.

Il admet donc, par voie de conséquence que les vins ne provenaient pas d'un même domaine.

Le prévenu soutient que la qualification à retenir est celle à l'article 13 du décret du 19 août 1921, pris en application de la loi du 1 août 1905 (contravention de 3e classe), qui interdit pour les vins l'emploi du mot "Domaine".

Ce texte est exclusif de la volonté de tromper. Or, il résulte de la procédure que la SA A, en employant ce nom, volontairement, en le faisant apposer frauduleusement sur les factures d'achats provenant d'autres exploitants que les frères Dumont, ont commis l'infraction de tromperie.

Gérard S a reconnu avoir, à la demande de la SA A, porté sur les factures émanant de Messieurs Champigny et Berton la mention domaine X alors qu'il connaissait parfaitement l'irrégularité de cette mention. Il est donc bien complice de l'infraction de tromperie reprochée à Georges V.

Sur la responsabilité personnelle de Georges V.

La cour adopte les motifs du premier juge pour retenir sa responsabilité. Effectivement, en sa qualité de Président du Conseil d'administration de la SA A, il lui incombait de s'assurer du respect de la législation sur les fraudes. Le procédé utilisé, la quantité de vins concernés par cette fraude démontre, à tout le moins, que celui-ci n'a pas exercé le contrôle minimum, qui aurait permis d'éviter l'infraction. Un simple contrôle formel des factures lui aurait permis de s'assurer que la mention du "Domaine X" figurait sur des factures qui n'émanaient pas des exploitants de ce domaine.

Sur la constitution de partie civile de l'institut national des appellations d'origine:

Georges V conteste la recevabilité de la constitution de partie civile de l'INAO qui ne peut intervenir que lorsque l'appellation d'origine, en l'espèce "Chinon" est en cause. Les poursuites ne visent pas une infraction de cette nature.

La cour adopte ici aussi les motifs du premier juge. L'article 641-6 du Code rural qui crée cet institut le charge de la défense des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées.

Or, l'appellation "Domaine" n'est pas protégée, puisqu'elle est interdite. Il appartient au Ministère public de poursuivre ceux qui enfreignent cette interdiction. Ce texte d'exception doit être interprété de manière restrictive.

Il ne peut être soutenu, comme le fait l'institut, qu'ils doivent être assimilés à un syndicat professionnel au sens de l'article L. 411-1 du Code du travail.

En effet, l'INAO n'est pas chargé de représenter les intérêts d'une profession, mais de défendre les vins ayant bénéficié d'une appellation ce qui est limité par rapport aux intérêts concernant la profession de viticulteurs.

La cour confirmera l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'institut national des appellations d'origine.

Sur les peines:

Les peines prononcées sont justes et adaptées, elles seront confirmées.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Dit les appels recevables, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Dit que la contrainte par corps s'exercera, s'il y a lieu, selon les dispositions légales. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné, conformément aux dispositions de l'article 1018-A du Code général des impôts.