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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 6 mai 1999, n° 323-97

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Thomson CSF (SA)

Défendeur :

Ingenico (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Jullien-Lecharny-Rol, SCP Lambert-Debray-Chemin

Avocats :

Mes Thonon, Sudaka, Bouhot, Jenselme

T. com. Nanterre, du 22 oct. 1996

22 octobre 1996

RAPPELS DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La Compagnie Industrielle et Financière d'Ingénierie Ingenico (ci-après désignée Ingenico) est spécialisée dans la conception et la réalisation de terminaux de paiement électroniques qui ont vocation à être utilisés notamment dans la grande distribution, les réseaux de stations services ou encore les banques.

Pour la fabrication de ces appareils, elle s'adresse couramment à des sous-traitants ou des façonniers dont la société Compagnie Européenne de Composants Electroniques (LCC) devenue Thomson CSF - Passive Composants (TPC) qui conçoit et fabrique, entre autres productions, des lecteurs de cartes magnétiques équipant les terminaux.

C'est ainsi que, de mars 1987 à février 1988, la société Ingenico a passé commande à la société LCC de 25 000 lecteurs ISO II destinés à équiper ses terminaux de paiement.

Les livraisons de ces matériels ont été échelonnées jusqu'à la fin de l'année 1988 et les terminaux ont été progressivement mis en service.

Au second semestre de l'année 1988, la société Ingenico a reçu un certain nombre de réclamations de sa clientèle et en particulier du Crédit Mutuel, du Crédit Agricole, de la BNP et des sociétés Auchan, Carrefour, Genty, Docks Français, etc.

Ceux-ci se plaignaient, en particulier, de nombreux refus de lecture des cartes par les terminaux.

Les sociétés Ingenico et LCC se sont alors rapprochées pour tenter de définir l'origine de ces dysfonctionnements et un certain nombre de tests ont été effectués par des organismes spécialisés tels que Sligos, le CNET et le CEA. Des modifications ont été également apportées à certains lecteurs.

Cependant, les parties ne se sont pas accordées sur les causes des désordres, la société Ingenico incriminant la mauvaise qualité des lecteurs fabriqués par la société LCC et cette dernière prétendant que les cartes utilisées n'étaient pas conformes à la norme ISO.

Par acte en date du 17 juillet 1989, la société Ingenico a fait assigner la société LCC devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre pour obtenir la désignation d'un expert.

Par ordonnance du 26 juillet 1989, il a été fait droit à la mesure sollicitée et Monsieur Jacques Viet a été désigné avec mission de :

- se rendre en tous lieux que jugera nécessaire pour l'accomplissement de sa mission, se faire communiquer tous documents, pièces et matériels qu'il jugera utile;

- entendre tous sachants, et le cas échéant... s'adjoindre tout technicien ou organisme spécialisé... ;

- examiner les désordres allégués et, en particulier, dire si les lecteurs de cartes fournis par la société LCC sont conformes à leur destination, c'est-à-dire à une utilisation commerciale normale ;

- fournir tous éléments techniques et de fait, de nature à permettre à la juridiction du fond de déterminer les responsabilités éventuellement encourues et d'évaluer, s'il y a lieu, les préjudices subis;

- indiquer et évaluer les travaux éventuellement nécessaires pour remédier au mauvais fonctionnement des appareils, en chiffrer le coût;

- en cas d'urgence, autoriser la société Ingenico à faire exécuter à ses frais avancés et pour le compte de qui il appartiendra, tous travaux et modifications nécessaires au bon fonctionnement de ces terminaux électroniques, et ce, sous le contrôle de l'expert;

- donner son avis sur le compte entre les parties;

Parallèlement et toujours par assignation du 17 juin 1989, la société Ingenico a saisi le Tribunal de commerce de Nanterre d'une action au fond pour obtenir notamment la résolution de la vente avec toutes conséquences de droit et des dommages et intérêts.

Estimant que l'appréciation d'une "utilisation commerciale normale" se référait implicitement aux performances obtenues par les lecteurs de la concurrence, la société Ingenico a saisi à nouveau le juge des référés, par acte du 26juin 1991, afin de lui demander d'autoriser l'expert à procéder à des essais comparatifs.

Par ordonnance du 10 juillet 1991, cette demande a été rejetée.

Statuant sur l'appel interjeté par la société Ingenico à l'encontre de cette ordonnance, la cour d'appel de ce siège a, par arrêt infirmatif du 12 décembre 1991 :

- étendu la mission confiée à Monsieur Jacques Viet, expert, et à Monsieur André Adamsbaum, sapiteur, par l'ordonnance du 26 juillet 1989;

- dit que les experts auront également pour mission de procéder à des essais comparatifs entre le lecteur livré à la société LCC par la société Ingenico et trois lecteurs de carte à piste magnétique de paiement les plus couramment utilisés sur les terminaux de paiement électroniques, à la période de livraison du matériels litigieux, l'un étant le lecteur utilisé par la société Ingenico avant l'acquisition du matériel LCC et les deux autres au choix de l'expert et de la société LCC ;

- dit que les essais seront effectués à l'aide de cartes magnétiques conformes à la norme ISO.

Par arrêt en date du 23 mars 1994, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société LCC à l'encontre de cette décision.

Les opérations d'expertise se sont poursuivies sur ces nouvelles bases mais elles ont donné lieu à de nombreuses difficultés en raison notamment de l'opposition des parties sur la manière de conduire les tests comparatifs. Par ailleurs, la société Ingenico ayant refusé de fournir un supplément de consignation, l'expert a déposé son rapport en l'état, auquel était joint un pré-rapport du sapiteur.

La société LCC a fait valoir pour l'essentiel, que les opérations d'expertise étaient entachées de graves irrégularités et qu'elles ne pouvaient, dans ces conditions, valablement étayer les demandes formées à son encontre. Elle a soutenu par ailleurs que celles-ci étant dépourvues de tout fondement.

La société Ingenico s'est, pour sa part, opposée à l'argumentation adverse et a maintenu ses prétentions.

C'est dans ces conditions que, par jugement en date du 22 octobre 1996, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, la 9ème chambre du Tribunal de commerce de Nanterre a:

- dit le dépôt du rapport valable,

- dit le rapport dénué de toute carence;

- ordonné la résolution de la vente des 25 500 lecteurs par la société LCC aux torts de cette dernière;

- condamné la société LCC à payer à la société Ingenico la somme de 2 036 243,20 F ;

- avant dire droit sur les préjudices subis par la société Ingenico, désigné Monsieur de Querre en qualité d'expert, avec mission de :

- se rendre en tous lieux qu'il jugera nécessaire pour l'accomplissement de sa mission;

- se faire communiquer tous documents qu'il estimera utiles; entendre tous sachants;

- fournir tous éléments de nature à permettre au tribunal d'évaluer les préjudices subis par la société Ingenico;

- ordonné l'exécution provisoire en ce qui concerne la résolution de la vente et le paiement par la société LCC à la société Ingenico de 2 036 243,60 F, à charge pour la société Ingenico de produire une caution bancaire équivalente ;

- dit les parties mal fondées en leur surplus de demande;

- condamné la société LCC à payer à la société Ingenico la somme de 150 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Appel de cette décision a été interjeté par la société LCC devenue TPC et la société Ingenico a été autorisée par Monsieur le premier président de cette cour à faire venir l'affaire à jour fixe pour l'audience du 26 mai 1997. A cette date, la cause s'est avérée ne pas être en état et elle a été renvoyée, avec l'accord des parties, à l'audience du 24 juin 1997.

La société TPC (anciennement LCC) a déposé à cette deuxième audience de nouvelles conclusions (82 pages), que la cour a estimé devoir rejeter des débats, faute du respect et du principe du contradictoire, ainsi qu'en fait foi l'extrait de plumitif dressé par le greffier de la chambre.

Au soutien de son recours, la société TPC reprochait aux premiers juges de ne pas avoir pris en compte les critiques qu'elle avait formulées en ce qui concerne les conditions dans lesquelles s'est déroulée l'expertise et d'avoir validé et pris en compte le rapport de l'expert Viet, ainsi que celui du sapiteur, pour entrer en voie de condamnation à son encontre. Elle leur reprochait également d'avoir prononcé la résolution de la vente alors que, selon elle, les difficultés de lecture constatées proviennent d'un défaut de conformité des cartes à la norme et non d'un vice des lecteurs qu'elle a fournis à la société Ingenico.

En ce qui concerne l'expertise, elle a fait tout d'abord valoir que le sapiteur aurait déposé son rapport préliminaire "par surprise" et que les experts n'auraient pas respecté les accords intervenus entre les parties sur la manière de procéder aux tests comparatifs ainsi que les prescriptions contenues dans l'arrêt du 12 décembre 1991. Elle a ajouté que le sapiteur aurait exploité des documents non contradictoirement débattus dans le cadre de l'expertise. Elle a estimé également que le rapport d'expertise a été déposé "en l'état" dans des conditions totalement irrégulières au regard des prescriptions du nouveau Code de procédure civile et qu'il ne peut en aucun cas s'agir d'un rapport définitif. Elle a déduit de là que le rapport d'expertise doit être annulé dans sa globalité ou que, pour le moins, le rapport du sapiteur doit être écarté des débats. Sur le fond, elle a estimé que l'action de la société Ingenico est tardive et que ladite société est dans l'incapacité d'établir qu'elle est encore en possession des matériels vendus ou qu'elle ferait l'objet d'une action en garantie émanant de ses propres acheteurs, ce qui, selon elle, conditionne la recevabilité de l'action. Elle a ajouté encore que la non-conformité alléguée, qui doit s'apprécier par rapport à ce qui a été convenu entre les parties au moment de la vente, n'est nullement prouvée en l'espèce, et ce, d'autant que les matériels ont été testés de façon positive à la livraison. Elle a ajouté encore que la société Ingenico a abusivement étendu en cours de procédure, sa demande qui ne visait, au départ, que de 10 500 lecteurs à 15 000 autres lecteurs sans justifier de cette demande de résolution complémentaire et qu'il n'est pas davantage justifié que les lecteurs qu'elle a livrés seraient en cause. Pour l'ensemble de ces motifs qu'elle a très largement développés dans ses écritures, elle a demandé que la société Ingenico soit déboutée de l'ensemble de ses prétentions et qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une indemnité "hors taxes" de même montant en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Subsidiairement, elle a sollicité l'organisation d'une nouvelle mesure d'instruction.

La société Ingenico a réfuté, point par point, l'argumentation adverse et conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a:

- dit que le rapport de l'expert valable;

- ordonné la résolution de la vente des 25 500 lecteurs par la société LCC aux torts de cette dernière ;

- condamné la société LCC à lui payer la somme de 2 036 243,20 F;

- avant dire droit sur son préjudice, ordonné une mesure d'expertise confiée à Monsieur de Querre.

Elle a reproché en revanche aux premiers juges d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation provisionnelle du préjudice commercial qu'elle a subi et dont la réalité a été admise puisqu'une expertise a été ordonnée de ce chef et elle a demandé, dans le cadre d'un appel incident, que la société LCC devenue TPC, soit condamnée à lui payer d'ares et déjà, sur la base des éléments d'appréciation qu'elle fournit, 100 millions de francs à titre provisionnel. Elle a réclamé aussi une indemnité de 250 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En cet état, la cour a, par arrêt du 13 novembre 1997, ordonné la réouverture des débats et invité la société Ingenico à préciser les fondements de son action, après avoir relevé:

- que la société Ingenico fonde son action sur les vices affectant les têtes de lecture qui lui ont été livrées par la société LCC et qui rendent, selon elle, ces matériels inaptes à l'usage commercial auquel ils étaient destinés ; qu'elle sollicite, en conséquence, la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente des 25 500 têtes de lectures et ordonné la restitution du prix, outre à titre provisionnel et dans le cadre de son appel incident, des dommages et intérêts complémentaires sous réserve des résultats de l'expertise en cours confiée à Monsieur de Querre;

- mais qu'il est de principe que l'action en garantie des vices cachés se transmet avec la chose vendue ou sans acquéreur et que le vendeur intermédiaire ne conserve la faculté de l'exercer qu'autant qu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain;

- qu'en l'espèce, il ressort des pièces des débats que les têtes de lecture litigieuses ont été intégrées dans les terminaux de paiement fabriqués par la société Ingenico, lesquels ont été ensuite revendus à différents opérateurs; qu'il n'est nullement justifié que lesdits opérateurs aient sollicité l'annulation de la vente ou demandé de manière systématique à la société Ingenico de reprendre ces matériels; que les seules pièces produites par cette société pour servir de fondement à son action sont des lettres de doléances qui lui ont été envoyés par certains de ses clients ou quelques demandes ponctuelles d'intervention ; qu'il en résulte que les conditions d'exercice de l'action en garantie des vices cachés ne sont pas réunies en l'état et qu'il y a lieu d'ordonner la réouverture des débats sur ce point fondamental, dans la mesure où il conditionne à la fois la recevabilité de l'action engagée par la société Ingenico ainsi que son éventuelle étendue ;

Compte tenu des prescriptions contenues dans l'arrêt avant dire droit précité, la société Ingenico a, dans des conclusions dites récapitulatives, modifié et précisé les fondements de son action. Elle entend tout d'abord à titre principal démontrer que les têtes de lectures qui lui ont été fournies par LCC n'étaient pas conformes aux prescriptions contractuelles et elle demande que soit prononcée, sur ce premier fondement, la résolution de la vente des 25 500 têtes de lectures par LCC devenue TPC, aux torts exclusifs de cette dernière, que soit ordonné la restitution du prix de ces lecteurs par le vendeur, sous déduction de leur valeur résiduelle au jour de la résolution, et ce, avec intérêts de droit à compter du versement du prix, compte tenu de la mauvaise foi de LCC, devenue TPC ;

Subsidiairement, s'appuyant sur l'analyse d'une importante jurisprudence, elle entend démontrer que, nonobstant l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de restituer le matériel vendu, elle a subi néanmoins, du fait des défectuosités constatées sur ledit matériel, un important préjudice direct et certain qui lui donne un intérêt légitime à agir sur le fondement de vices cachés et elle demande que, sur ce deuxième fondement, soit ordonnée la réfaction du prix de la vente à 1 F symbolique.

En toute hypothèse, elle s'estime fondée à obtenir réparation de son préjudice commercial, non seulement sur les deux fondements précités, mais encore en raison des manquements de LCC devenue TPC à ses devoirs de loyauté et de renseignement et de conseil.

Par ailleurs, elle réfute encore l'argumentation adverse en ce qui concerne les prétendues irrégularités ayant affectées les opérations d'expertise.

Elle demande, en conséquence, que lui soit allouée le bénéfice de ses précédentes écritures, sauf à voir porter, au vu d'un rapport financier qu'elle verse aux débats, à 133 576 830 F la provision à valoir sur son préjudice commercial, et ce, avec intérêt de droit à compter de "fin 1992". Elle réclame également une indemnité de 500 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société TPC demande à la cour dans ses dernières écritures récapitulatives de:

1. Sur l'irrecevabilité :

Dire et juger que la société Ingenico a revendu les lecteurs litigieux qui lui ont été livrés par la société TPC ;

Dire et juger que, faute d'être l'objet d'une action en résolution en vente ou en réfection de prix ou d'avoir répété entre les mains de ses sous-acquéreurs tout ou partie du prix des terminaux de paiement dans lesquels étaient intégrés les lecteurs, cette dernière ne justifie d'aucun intérêt né, direct et certain, justifiant de sa qualité pour agir soit au titre d'une prétendue non-conformité de la chose vendue aux dispositions contractuelles, soit au titre d'un quelconque vice caché;

Dire et juger que la demande en dommages et intérêts est rattachée aux prétentions précédentes par un lien nécessaire ;

Dire et juger en conséquence que la société Ingenico ne justifie pas davantage de son intérêt pour agir en réparation d'un préjudice commercial qui serait précisément fondé sur la non-conformité de la chose vendue ou sur l'existence de vices cachés l'affectant;

En conséquence, dire et juger que la société Ingenico ne justifie d'aucun intérêt né, direct, actuel et certain au soutien de ses prétentions ;

La déclarer irrecevable dans l'ensemble de ses demandes.

2. Sur les obligations de la société TPC :

Dire et juger que liée à la société Ingenico par un contrat de vente, la société TPC ne répond pas d'une obligation de conseil mais d'une obligation de renseignement à laquelle il a été satisfait dès lors que la commande faisait elle-même référence aux dispositions de la norme ISO ;

Dire et juger que la société Ingenico, en sa qualité de professionnel, hautement spécialisé dans la lecture des cartes magnétiques, ne pouvait ignorer que la référence à la norme ISO II visée sur ses bons de commande limitait l'usage desdits lecteurs à la lecture de la piste 2 des cartes magnétiques réalisées conformément aux dispositions de ladite norme ;

Dire et juger en conséquence que la société Ingenico n'est pas fondée à soutenir, pour la première fois devant la cour, que la limitation contractuelle des lecteurs s'entendait uniquement de leur aptitude à lire la piste 2 prévue par la norme, sans référence aux caractéristiques électromagnétiques de ladite piste;

Dire et juger que la société Ingenico n'a d'ailleurs jamais saisi l'expert d'une telle prétention ;

Dire et juger en outre que le défaut de bonne foi allégué par la société Ingenico n'a aucune consistance au regard des moyens par elle invoqués;

Dire et juger en conséquence que la société TPC n'a nullement été défaillante dans l'exécution de ses obligations ;

En conséquence, réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions;

Débouter la société Ingenico de l'intégralité de ses demandes.

3. Subsidiairement,

Dire et juger que le rapport d'expertise qui a été établi sur la base d'éléments d'information recueillis à partir de cartes non conformes à la norme en violation formelle des dispositions de l'arrêt de la cour du 12 décembre 1991, est entaché d'irrégularités dès lors que la mission a été exécutée en marge de ce qui avait été ordonné ;

En conséquence, déclarer nul et de nul effet le rapport en l'état déposé par Monsieur Viet auquel était annexé l'avis de Monsieur Adamsbaum;

Dire et juger que ce rapport est, par définition, incomplet, dès lors que les investigations auxquelles il devait être procédé n'ont pu être mises en œuvre, faute de prise en charge desdites investigations par la société Ingenico ;

Dire et juger qu'un tel rapport d'expertise ne saurait venir au soutien des prétentions de la société Ingenico qui est à l'origine de l'interruption de l'accomplissement des opérations d'expertises.

4. Plus subsidiairement encore et pour le cas ou par extraordinaire la cour ne croirait pas devoir prononcer la nullité du rapport déposé

Dire et juger qu'il existe une corrélation directe entre les défauts de lecture et la non-conformité à la norme des cartes objet des investigations de Monsieur Adamsbaum, corrélation que ce dernier n'était pas fondée à écarter;

Dire et juger qu'en définitive, la société Ingenico est défaillante dans l'administration de la preuve qui lui incombe, tant au regard de l'existence d'une prétendue non conformité de la chose livrée aux dispositions contractuelles qu'au regard de l'existence d'un prétendu vice caché;

Dire et juger que ces demandes en réfection de prix ou en résolution de vente apparaissent dès lors mal fondées.

5. Sur le préjudice commercial :

Dire et juger que la société Ingenico ne justifie:

- ni de la matérialité des faits qu'elle allègue,

- ni de l'imputabilité de ces derniers à une quelconque réduction de son activité non établie en l'état dans le domaine considéré.

Dire et juger que la mesure d'expertise ordonnée ne saurait servir à pallier la carence du demandeur dans l'administration de la preuve qui lui incombe;

Dire et juger qu'en l'absence de justification de la relation causale entre les faits allégués et le préjudice invoqué, la demande de la société Ingenico ne peut qu'être déclarée mal fondée ;

Plus subsidiairement encore et pour le cas où la cour croirait devoir en juger autrement,

Dire et juger que la seule consultation du Conseil financier de la société Ingenico ne saurait suffire à justifier la condamnation provisionnelle requise, qui dispenserait en définitive la mise en œuvre de la mission d'expertise judiciaire dès lors qu'il serait satisfait aux prétentions de la société Ingenico;

Dire et juger qu'en pareilles circonstances, seule une mesure d'expertise afin de déterminer l'étendue du préjudice réellement subi et son imputabilité pourrait être ordonnée ;

Débouter la société Ingenico à plus prétendre;

Dire et juger que la société Ingenico a largement participé à la réalisation de son préjudice, dans des proportions laissées à l'appréciation de la cour, en s'abstenant de procéder à un contrôle-qualité de ses terminaux de paiement équipés de lecteurs litigieux, avant de les commercialiser;

6. Et recevant la société TPC en sa demande reconventionnelle

Condamner la société Ingenico à payer à la société TPC le solde du prix de vente laissé impayé à hauteur de 769 063,46 F, ladite somme majorée des intérêts légaux courant à compter de la demande reconventionnelle présentée à l'audience de référés du 26 février 1989, lesdits intérêts capitalisés par années entières et consécutives dans les termes de l'article 1154 du nouveau Code de procédure civile ;

Condamner la société Ingenico à rembourser à la société TPC la somme de 2 036 243,20 F payée en vertu de l'exécution provisoire du jugement dont appel, ladite somme majorée des intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir;

Condamner la société Ingenico à payer à la société TPC une somme de 500 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, de référé, de première instance et d'appel, en ce, compris les frais d'expertise.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l'action engagée par la société Ingenico :

Considérant que la société Ingenico entend fonder à titre principal son action, après la décision de réouverture des débats, sur la non-conformité des produits livrés et, accessoirement, sur le manquement de la société Thomson à ses obligations de loyauté, de conseil et d'information; que ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle invoque désormais les vices cachés affectant les têtes de lecture.

Mais considérant tout d'abord que la non-conformité d'un produit aux spécifications convenues au contrat de vente doit s'apprécier au moment de la délivrance; que, plus particulièrement, l'acceptation sans réserve de la chose par l'acquéreur qui, en toute connaissance de cause, a pu apprécier l'identité et les qualités de celle-ci au regard des stipulations contractuelles, a pour effet "d'épuiser" l'obligation de délivrance, de sorte que ladite obligation doit être tenue pour valablement accomplie.

Or, considérant qu'en l'espèce il est constant que les produits litigieux ont, avant même la livraison, fait l'objet d'essais organisés en commun par les sociétés Ingenico et LCC ; que ces essais se sont révélés satisfaisants; qu'à cette occasion la société Ingenico a eu toute latitude pour s'assurer de la conformité du produit aux spécifications de la commande qu'elle a par la suite accepté sans réserve; que ce n'est qu'après mise en service des terminaux de paiements, dans lesquels étaient intégrés les têtes de lecture litigieuse et après plusieurs mois d'utilisation de ces appareils par les sous-acquéreurs, que l'inaptitude alléguée desdits appareils à la lecture de certaines cartes de paiement s'est révélée; qu'il suit de là que les conditions d'une action fondée sur la non-conformité du produit à la commande, ne sont pas réunies en l'espèce.

Considérant que l'action fondée sur un manquement du fournisseur à ses obligations de conseil, d'information et de loyauté ne peut davantage prospérer.

Considérant en effet que la société Ingenico, qui se présente comme un des premiers spécialistes en Europe de la fabrication des terminaux de lecture de cartes de paiement, et qui dispose d'ingénieurs pour concevoir et assembler ces terminaux, est incontestablement, et quoi qu'elle tente de s'en défendre, un spécialiste de ce type d'appareillage au même titre que la société LCC devenue Thomson CSF ; que cela est d'autant moins contestable qu'elle a mentionné dans le bon de commande des caractéristiques techniques qu'un profane n'aurait pu connaître et qu'elle a participé activement aux essais des premiers matériels livrés, ce qui lui a permis, comme il a été dit, de s'assurer que le produit fabriqué était bien conforme aux normes techniques définies à la commande et qu'il était susceptible de répondre aux besoins précis de ses futurs clients qu'elle était à même d'évaluer sans le concours actif du vendeur originaire ; que, dans ces conditions, LCC qui a vendu à un professionnel qualifié un produit standard déjà inclus dans son catalogue et non pas un produit mis en fabrication pour répondre à des besoins spécifiques d'Ingenico, ne saurait se voir reprocher utilement un quelconque manquement à son obligation de conseil et d'information; qu'elle ne saurait davantage, eu égard à ce qui vient d'être exposé, se voir reprocher un manquement à son obligation de loyauté; qu'il n'en serait autrement que si la preuve était rapportée que la société LCC ait volontairement celé à sa cocontractante certaines restrictions d'usage déjà connues d'elle, notamment en ce qui concerne la capacité de lecture de certaines cartes, ce qui n'est nullement démontré en l'espèce, étant observé que ces restrictions d'usage ne se sont révélées qu'après plusieurs mois d'utilisation des appareils et qu'il a fallu recourir à de nombreuses investigations techniques pour tenter d'en rechercher les causes et l'imputabilité.

Considérant qu'il en résulte l'action engagée par la société Ingenico ne peut relever que de la garantie des vices cachés.

Or, considérant que cette action se transmet, comme l'a rappelé la cour dans son précédent arrêt, avec la chose vendue au sous-acquéreur et que le vendeur intermédiaire ne conserve la faculté de l'exercer qu'autant qu'elle présente pour lui un intérêt direct et certain.

Considérant qu'en l'espèce, force est de constater que la société Ingenico n'a jamais été actionnée par les sous-acquéreurs en résolution de la vente, pas plus qu'elle ne justifie avoir organisé, après avoir reçu les premières lettres de doléances, un rappel du matériel vendu ou pris l'engagement de garantir les sous-acquéreurs de sorte que les ventes auxdits sous-acquéreurs, dont il n'est pas contesté que le prix a été payé, doivent être tenues pour parfaites avec pour conséquence la transmission attachée à la chose de la garantie des vices susceptibles de l'affecter ; qu'il s'ensuit que la société Ingenico, vendeur intermédiaire et dépossédé de la chose, n'est plus recevable, faute de justifier d'un intérêt personnel, direct et certain, à agir sur le fondement des vices cachés, et ce, même si elle entend placer son action, dans le dernier état de ses écritures, sur le terrain estimatoire dans la mesure où elle ne peut désormais restituer la chose.

Considérant, par ailleurs, que la société Ingenico n'est pas plus recevable à réclamer réparation du préjudice commercial qu'elle prétend avoir subi en raison des dysfonctionnements affectant le matériel qui lui a été livré par LCC ;

Considérant en effet qu'une telle demande, qui suppose qu'aient été accueillies favorablement les prétentions de la société Ingenico relatives à la non-conformité, aux vices cachés ou aux manquements du vendeur à ses obligations contractuelles, d'information, de conseil ou de loyauté et qui ne constitue que l'accessoire de ces prétentions originaires, ne peut prospérer de manière autonome.

Considérant que, dans ces conditions, le jugement déféré sera infirmé, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens invoqués par les parties, en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente, ordonné le remboursement du prix et ordonné une mesure d'expertise pour évaluer les préjudices complémentaires subis par la société Ingenico, l'ensemble des demandes formées par cette dernière étant déclarées irrecevables.

Sur les demandes formées par la société LLC devenue TPC :

Considérant qu'il est constant et non contesté que la société Ingenico a laissé impayé un solde du prix de vente de 769 063,46 F; que l'action de la société Ingenico ayant été rejetée, celle-ci doit être condamnée à payer ce solde à la société LCC devenue TPC avec intérêts de droits à compter du 26 février 1989, date de la première demande formée par voie de conclusions valant mise en demeure; que le jugement déféré sera encore infirmé de ce chef.

Considérant que la société TPC est, par ailleurs, fondée à réclamer le bénéfice de la capitalisation des intérêts de retard, conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, et ce, à compter du 8 décembre 1998, date des conclusions comportant pour la première fois une telle demande.

Qu'elle est également fondée à demander remboursement de la somme de 2 036 234,20 F qu'elle a payée en vertu de l'exécution provisoire, ladite somme portant intérêt au taux légal à compter de la notification de la présente décision.

Considérant que l'équité ne commande cependant pas, eu égard aux circonstances particulières de la cause, que soit fait application en l'espèce de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant enfin que la société Ingenico, qui succombe, supportera les entiers dépens exposés à ce jour, en ce compris les frais d'expertises qui auraient pu être engagés.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société Thomson CSF - Passive Composants TPC SA, venant aux droits de la société LCC, en son appel principal et la société Ingenico SA en son appel incident ; Vidant son arrêt avant dire droit en date du 13 novembre 1997, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Et statuant à nouveau ; Dit irrecevable l'action engagée par la société Ingenico SA à l'encontre de la société Thomson CSF - Passive Composants TPC SA tant sur le fondement de la non-conformité que sur celui des vices cachés ou des manquements aux obligations d'information, de conseil et de loyauté ; Dit également irrecevable l'action accessoire engagée par la société Ingenico SA en réparation du préjudice commercial prétendument subi par elle ; Rejette, en conséquence, l'ensemble des prétentions de la société Ingenico SA ; Faisant droit pour l'essentiel à l'appel incident de la société Thomson CSF - Passive Composants TPC SA ; Condamne la société Ingenico SA à payer à cette dernière, au titre du solde du prix de vente, la somme de 769 063,46 F avec intérêts au taux légal à compter du 26 février 1989 ; Autorise la société Thomson CSF - Passive Composants TPC SA à capitaliser lesdits intérêts, conformément à l'article 1154 du Code civil, et ce, à compter du 8 décembre 1998, date de la première demande ; Condamne la société Ingenico SA à rembourser à la société Thomson CSF - Passive Composants TPC SA la somme de 2 036 234,20 F payée en vertu de l'exécution provisoire, et ce, avec intérêt au taux légal à compter de la notification de la présente décision ; Dit n'y avoir lieu à application en la cause de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Ingenico SA aux entiers dépens exposés à ce jour, en ce compris les frais d'expertise qui auraient pu être engagés, et autorise la SCP d'avoués Jullien-Lecharny-Rol à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.