CCE, 20 décembre 1989, n° 91-1
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Décision
Aides accordées en Espagne par le Gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à Magefesa, producteur d'ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 93 paragraphe 2 premier alinéa, ayant mis, conformément à l'article susmentionné, les intéressés en demeure de lui présenter leurs observations et vu ces observations, considérant ce qui suit :
I
Magefesa est le nom d'une société holding espagnole constituée essentiellement de quatre entreprises industrielles dont les usines sont situées dans trois communautés autonomes d'Espagne, à savoir :
- INDOSA : Derio ( Biscaye ), Pays basque,
- GURSA : Guriezo, Cantabrie,
- CUNOSA : Limpias, Cantabrie,
- MIGSA : San Roque (Cadix), Andalousie.
Magefesa est un producteur très connu en Espagne. En 1983, selon les estimations faites par des experts-conseils indépendants, les parts de marché de Magefesa pour ses principaux produits ont été les suivantes : autocuiseurs (79,1 %), poêles (50,7 %), couteaux en acier inoxydable (24,2 %), cafetières électriques (36,6 %) et grils électriques (85,5 %). Pour la même année Magefesa a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 12,144 milliards de pesetas espagnoles, dont 26 % à l'exportation. Les exportations vers les autres États membres ont représenté 12 % du volume total des ventes.
Après 1983, Magefesa a commencé à éprouver de graves difficultés financières. À cet égard, il suffit d'indiquer que le chiffre d'affaires a été ramené de 8,037 milliards de pesetas espagnoles en 1984 à 1,979 milliard de pesetas espagnoles en 1986; en d'autres termes, les ventes ont chuté de 88 % en trois ans. Par ailleurs, les pertes cumulées étaient supérieures à 15 milliards de pesetas espagnoles à la fin de 1986 et la valeur comptable du groupe était de moins 11 milliards de pesetas espagnoles. Magefesa s'est donc retrouvée au bord de la faillite. Selon les explications fournies à l'époque, un déclin aussi spectaculaire a été provoqué par de graves erreurs de gestion. Cette perte de prééminence sur le marché espagnol s'est encore manifestement aggravée lorsque Magefesa a essayé d'y remédier en se lançant dans des opérations à haut risque à l'étranger, qui ont finalement échoué. Malgré ces difficultés, les effectifs de Magefesa sont restés pratiquement constants ; au début de 1986, elle employait 3 200 personnes géographiquement réparties comme suit : 1 472 au Pays basque, 1 354 en Cantabrie, 123 en Andalousie, les 251 personnes restantes constituant le personnel de vente.
Pour empêcher l'arrêt de l'activité de ses usines et la faillite qui en aurait résulté, en novembre 1985, Magefesa a confié sa gestion à une société espagnole privée d'experts-conseils, Gestiber. En février 1986, cette société a présenté un programme d'action qui devait faire l'objet de négociations avec les syndicats et qui a finalement été accepté en mai 1986. Pour sa mise en œuvre, ce programme s'appuyait sur la participation active de l'État et des gouvernements des communautés autonomes où se trouvaient les usines de Magefesa, sous la forme de l'octroi d'une série d'aides d'État.
Au préalable, les gouvernements autonomes concernés ont créé trois sociétés écrans : Ficodesa (Pays basque), Gemacasa (Cantabrie) et Manufacturas Damma (Andalousie). Ces sociétés avaient deux principales fonctions : premièrement, permettre aux pouvoirs publics de contrôler tant l'utilisation des aides qui devaient être accordées que la mise en œuvre des directives de Gestiber; deuxièmement, garantir l'activité des sociétés du groupe Magefesa, essentiellement en empêchant les créanciers de saisir les ressources financières et les stocks desdites sociétés. À cette fin, sur la base d'accords conclus avec lesdites entreprises, les sociétés écrans en question commercialisent la totalité de la production de Magefesa achetée auparavant aux différentes entreprises et gèrent en même temps les ressources, la matière première et les produits semi-finis nécessaires aux entreprises, qu'elles approvisionnent en fonction de l'état d'avancement des travaux ou de la justification de leurs dépenses.
II
À la suite d'une plainte, par lettre du 13 janvier 1987, la Commission a demandé aux autorités espagnoles de lui donner des précisions au sujet des interventions décidées par les pouvoirs publics en faveur des entreprises du groupe Magefesa. Par l'intermédiaire de la même lettre, la Commission a rappelé aux autorités espagnoles les obligations qui leur incombent, en vertu de l'article 93 du traité, de lui notifier toute aide au stade du projet et a attiré l'attention des autorités espagnoles sur le caractère précaire et sur l'illégalité des aides accordées avant qu'une décision formelle n'ait été prise au sujet de leur compatibilité.
Après avoir demandé que le délai fixé pour la réponse soit prorogé, les autorités espagnoles ont communiqué les premiers renseignements par lettre du 15 mai 1987. Des renseignements complémentaires ont été fournis à l'occasion d'une réunion tenue le 16 septembre 1987 avec des représentants du Gouvernement espagnol, au cours de laquelle ceux-ci se sont efforcés de clarifier la structure complexe des interventions. Ils ont également indiqué que les renseignements manquant au sujet de la restructuration de Magefesa seraient communiqués peu après. Enfin, en décembre 1987, la Commission a reçu une note relative à la stratégie d'action de Magefesa élaborée par Gestiber. Ce document a été envoyé directement à la Commission sans emprunter le canal officiel de la représentation permanente. Malgré l'invitation de la Commission, la représentation permanente de l'Espagne a refusé de le transmettre officiellement.
Selon les informations communiquées, les pouvoirs publics ont accordé, tant au niveau national qu'à celui des communautés autonomes, une série d'aides à Magefesa en vue principalement d'empêcher la faillite du groupe et d'atténuer les conséquences défavorables sur le plan social de l'adaptation de ses effectifs.
Ces aides se présentaient sous la forme suivante : des garanties sur des prêts (1,830 milliard de pesetas espagnoles), un prêt (2,085 milliards de pesetas espagnoles) accordé à des conditions autres que celles du marché, des subventions (1,095 milliard de pesetas espagnoles), des bonifications d'intérêt (9 millions de pesetas espagnoles) et des aides exceptionnelles pour les travailleurs licenciés (1,5 milliard de pesetas espagnoles). Ces aides sont examinées de manière détaillée dans le quatrième considérant.
Après une première analyse, la Commission a estimé que les aides en question tombaient sous le coup de l'interdiction visée à l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE et ne satisfaisaient pas à première vue aux conditions d'exemption prévues aux paragraphes 2 et 3 dudit article. En conséquence, la Commission a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE à l'égard de ces aides.
Cette décision a été communiquée au Gouvernement espagnol par lettre du 28 novembre 1988, par laquelle la Commission mettait celui-ci en demeure de lui présenter ses observations. Les autres États membres ont été informés par lettre du 6 février 1989. Une communication aux autres intéressés a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes le 15 février 1989.
III
Le Gouvernement espagnol a répondu à la Commission par télex du 15 février 1989.
En ce qui concerne le prêt accordé à des conditions autres que celles du marché, le Gouvernement espagnol a indiqué qu'il résultait d'un accord conclu entre Fogasa - Fonds national de garantie des droits des travailleurs en cas d'insolvabilité de leur employeur - et Magefesa.
Fogasa avait payé, à la place de Magefesa et dans les limites fixées par sa réglementation, les salaires et indemnités non encore versés aux travailleurs licenciés. La transformation en un prêt a été décidée d'un commun accord entre le fonds et Magefesa pour permettre au fonds de récupérer lesdites avances. En conséquence, le Gouvernement espagnol a estimé que ce prêt ne devait pas être considéré comme une aide à Magefesa, mais plutôt comme une aide aux travailleurs, ceux-ci étant les bénéficiaires directs de la mesure en question.
En ce qui concerne les subventions, le Gouvernement espagnol a fait valoir que, comme pour le prêt susmentionné, il s'agissait d'aides aux travailleurs et non à Magefesa. Les gouvernements des communautés autonomes ont versé cet argent à Magefesa pour lui permettre de payer le solde des salaires et indemnités dus et non avancés par le Fonds national parce qu'ils dépassaient les plafonds fixés en vertu de sa réglementation. En conséquence, il convient de considérer cette intervention publique comme une mesure de protection sociale complémentaire des travailleurs licenciés.
En ce qui concerne les aides accordées par une des communautés autonomes concernées, celle du Pays basque, sous la forme de garanties de prêts et de subventions, le Gouvernement espagnol a fait valoir qu'elles ont été octroyées au titre d'un régime d'aides existant en Espagne avant l'entrée de ce pays dans la Communauté et notifiées lors de l'adhésion sans susciter la moindre observation de la Commission. Les autorités espagnoles ont également fait observer que le régime en question était un régime d'aides régionales pour lequel, selon elles, la Commission prévoit la compatibilité des aides au fonctionnement avec le Marché commun.
Enfin, en ce qui concerne les aides exceptionnelles accordées aux travailleurs qui ont accepté de quitter leur emploi, les autorités espagnoles ont indiqué que, contrairement à la première appréciation de la Commission, cette mesure n'avait eu aucun effet sur les négociations entre Magefesa et son personnel au sujet de l'adaptation des effectifs. Cette intervention publique devrait plutôt être considérée comme une mesure générale s'inscrivant dans le cadre de la politique sociale du Gouvernement espagnol visant à atténuer les conséquences préjudiciables du chômage pour les travailleurs qui ne peuvent plus percevoir d'allocations de chômage.
Après avoir reçu les observations du Gouvernement espagnol, la Commission a attiré son attention, par lettre du 27 février 1989, sur le fait qu'il n'avait apporté aucune réponse sur un point essentiel (sur lequel elle avait émis une réserve) soulevé dans la lettre par laquelle elle faisait part de l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE, à savoir l'absence de notification d'un plan de restructuration solide pour les entreprises du groupe Magefesa, qui, dûment approuvé par les pouvoirs publics, puisse servir de référence pour la discussion relative à la compatibilité des aides.
Les autorités espagnoles ont répondu, par télex du 31 mars 1989, qu'à ce jour les autorités administratives concernées n'avaient approuvé aucun plan de restructuration industrielle pour les entreprises du groupe Magefesa.
Dans le cadre de la consultation des autres intéressés, les gouvernements de trois autres États membres et deux fédérations professionnelles ont présenté leurs observations, qui soutenaient la position de la Commission et mettaient en évidence le risque de distorsion de la concurrence dû aux aides accordées.
Le Gouvernement espagnol a été informé des observations susmentionnées par lettre du 6 septembre 1989, par l'intermédiaire de laquelle il a été mis en demeure de présenter ses propres observations dans un délai d'un mois. Les autorités espagnoles ont répondu par télex du 20 octobre 1989 en réitérant les observations qu'elles avaient communiquées antérieurement à la Commission, à savoir qu'elles considéraient toutes les interventions comme légitimes et compatibles avec le traité CEE.
IV
Pour examiner les interventions des pouvoirs publics en faveur de Magefesa, la Commission a déterminé, sur la base des articles 92 à 94 du traité CEE, dans quelle mesure ces interventions comportaient des éléments d'aide.
Selon les informations dont dispose la Commission, les autorités espagnoles ont décidé d'accorder les aides suivantes à Magefesa, qui, sauf indication contraire, ont toutes été octroyées en 1986 :
i) Garanties de prêts
Les gouvernements des communautés ou provinces autonomes du Pays basque, de Cantabrie et d'Andalousie ont accordé à Magefesa des garanties de 972 millions, 512 millions et 96 millions de pesetas espagnoles respectivement sur des prêts bancaires.
Ces interventions constituent, à l'évidence, des aides en faveur de Magefesa, puisqu'elles ont permis à celle-ci de contracter des prêts pour qu'elle puisse continuer son activité. Il est peu probable que Magefesa aurait pu obtenir ces prêts sans la garantie de l'État, en raison de ses graves difficultés financières.
Avant l'octroi des garanties susmentionnées, les autorités de Cantabrie avaient, en 1985, accordé des garanties d'un montant de 250 millions de pesetas espagnoles. Cette intervention ne tombe pas sous le coup de l'article 92 paragraphe 1 du traité CEE, parce qu'elle a été réalisée avant l'entrée de l'Espagne dans la Communauté.
ii) Prêt accordé à des conditions autres que celles du marché
En raison de l'insolvabilité de Magefesa, Fogasa, fonds social dépendant des autorités nationales et financé essentiellement par des taxes parafiscales perçues sur les cotisations patronales de sécurité sociale, s'est engagé à payer aux travailleurs licenciés, en lieu et place de Magefesa, les salaires qui leur étaient dus et les indemnités légales de licenciement dans les limites prévues par sa réglementation. La somme que le fonds s'est engagé à payer était de 2,085 milliards de pesetas espagnoles. En même temps, Fogasa a convenu avec Magefesa, à la demande de ce dernier, que le groupe pouvait rembourser la somme versée à sa place sous la forme de versements semestriels d'un montant croissant sur huit ans assortis d'un taux d'intérêt annuel de 10,5 %. Ce taux contraste avec les taux du marché en vigueur en 1986. Selon les statistiques publiées par la Banque centrale d'Espagne, le taux d'intérêt annuel moyen pour des prêts garantis remboursables après plus de trois ans était de 14,65 % en 1986. En outre, les conditions de remboursement convenues, avec l'amortissement de 51 % du capital au cours des deux dernières années et le paiement des intérêts échus avec les derniers remboursements semestriels, ont été délibérément fixées pour faciliter le redressement des entreprises. Aucune des conditions susvisées n'est conforme à celles qui sont généralement appliquées aux opérations de crédit réalisées dans les conditions du marché et cela d'autant moins si l'on considère les graves difficultés financières de Magefesa.
En conséquence, l'intervention publique en question constitue une aide en ce sens que Magefesa s'est vu octroyer un avantage financier sous la forme d'une réduction du taux d'intérêt appliqué au cours de la période de remboursement et des conditions artificielles fixées pour le remboursement du principal et des intérêts.
(1) Recueil de la jurisprudence de la Cour (1973), p. 813.
iii) Aides non remboursables
Les gouvernements des communautés autonomes du Pays basque, de Cantabrie et d'Andalousie ont accordé des aides non remboursables à Magefesa d'un montant de 794 millions, 262 millions et 39 millions de pesetas espagnoles respectivement. (Les autorités andalouses ont accordé des aides analogues en 1987.) Ces aides étaient destinées à permettre à Magefesa de payer le solde des salaires et indemnités dus, que Fogasa n'avait pas avancé aux travailleurs licenciés parce que son montant dépassait les plafonds qu'il doit respecter.
Ces interventions des communautés autonomes sont des aides en faveur de Magefesa, parce que leur octroi a permis à Magefesa d'apurer une partie de son passif exigible à court terme sans aucune obligation de remboursement, ce qui confère à ces aides le caractère d'une véritable remise de dettes.
iv) Prêts bonifiés
Les autorités basques ont accordé une aide supplémentaire sous la forme de bonifications d'intérêt sur des prêts contractés par Magefesa. Les bonifications correspondaient à la partie du taux d'intérêt annuel qui dépassait 11 %. Magefesa a ainsi reçu 9 millions de pesetas espagnoles.
Cette intervention constitue manifestement une aide au fonctionnement en faveur de Magefesa, qui a ainsi obtenu une aide financière parce que ses dépenses courantes ont été prises en charge par l'État.
v) Aides exceptionnelles
La dernière intervention publique consiste en une décision exceptionnelle du ministère espagnol du Travail, qui a accordé aux travailleurs licenciés de Magefesa des aides correspondant au maximum autorisé des allocations de chômage. Le coût de cette mesure pour l'État est estimé à 1,5 milliard de pesetas espagnoles. Les travailleurs concernés avaient déjà utilisé une partie de ces allocations légales pendant des périodes de chômage temporaire. En Espagne, la période pendant laquelle il est possible de percevoir une allocation de chômage est limitée dans le temps et cette période est progressivement réduite si le bénéficiaire reçoit une allocation de l'État pendant les périodes de chômage temporaire. Selon les informations dont dispose la Commission, cette intervention publique avait pour but d'assurer une couverture sociale plus appropriée aux travailleurs licenciés, compte tenu des perspectives défavorables de réemploi dans les zones où sont situées les entreprises. En outre, cette décision exceptionnelle a été prise après que les travailleurs concernés ont accepté de quitter l'emploi qu'ils occupaient dans l'entreprise Magefesa. Cette intervention ne peut donc pas être considérée comme ayant favorisé l'entreprise en question et ne constitue donc pas une aide en faveur de Magefesa, mais plutôt une aide exceptionnelle ayant une incidence favorable sur la protection sociale des travailleurs.
Les interventions publiques en faveur de Magefesa ayant été passées en revue, il est important, à ce stade, de faire certaines observations au sujet des arguments présentés par les autorités espagnoles.
Dans la présente décision, la Commission ne s'oppose en aucune façon à l'intervention de Fogasa et des gouvernements des communautés autonomes en faveur des travailleurs de Magefesa, qui a pour but de sauvegarder leurs droits par le biais du paiement, à la place des entreprises du groupe, des salaires et indemnités que les travailleurs perdraient autrement. Cette partie de l'intervention, qui vise à protéger les droits du personnel et à garantir le paiement du solde qui leur est dû, doit être considérée comme justifiée et nécessaire pour que le développement économique et social de la Communauté soit équilibré. Dans la présente décision, la Commission examine l'autre aspect de l'intervention, c'est-à-dire les décisions prises par le fonds social et les autorités régionales au sujet de Magefesa après leurs interventions en faveur des travailleurs. C'est lorsque l'on examine cet aspect que les éléments d'aide en faveur de l'entreprise apparaissent.
V
Comme cela a été indiqué précédemment, les interventions publiques en question ont renforcé directement et indirectement la situation financière de Magefesa en la déchargeant de dépenses qu'elle aurait dû normalement supporter seule et en créant les conditions appropriées pour lui permettre d'obtenir des crédits. En outre, ces interventions publiques sont de nature à affecter les échanges entre États membres. Lorsqu'une aide financière accordée par les pouvoirs publics renforce la position de certaines entreprises par rapport à celle d'autres entreprises concurrentes de la Communauté, elle doit être considérée comme affectant ces dernières entreprises.
À cet égard, les produits commercialisés par Magefesa font l'objet d'échanges entre les États membres et la concurrence règne parmi les producteurs. En 1987, les exportations intracommunautaires de couteaux en acier inoxydable, d'ustensiles de cuisine en fer et en acier, de grils électriques et de cafetières ou de théières électriques (codes Nimexe 82.14-10, 73.38-21, 85.12-55, 85.12-71) ont atteint 52,1, 36,3, 19,4 et 81,4 millions d'écus respectivement, dont 1,8, 0,3, 1,3 et 0,2 million d'écus pour les produits originaires d'Espagne. Pour leur part, les importations espagnoles des mêmes produits en provenance d'autres États membres ont atteint 5,6, 2,9, 0,7 et 2,9 million(s) d'écus respectivement.
En outre, Magefesa a été présent sur les marchés de la Communauté au cours des années passées et était auparavant l'un des principaux producteurs espagnols du secteur. Selon les estimations de son programme d'action, Magefesa s'est fixé comme objectif d'exporter 25 à 30 % de sa production, dont la moitié vers les autres États membres.
Compte tenu des éléments susmentionnés, les aides accordées à Magefesa affectent les échanges entre États membres et faussent la concurrence au sens de l'article 92 paragraphe 1 du traité.
VI
En ce qui concerne le statut des aides accordées à Magefesa au regard du droit communautaire, exception faite de celles octroyées par les autorités basques, les aides en question n'ont pas été accordées en vertu de régimes existants, mais sur la base de décisions spéciales des autorités concernées, qui auraient dû être notifiées à la Commission au stade de projet. En conséquence, au regard du droit communautaire, ces aides sont illégales.
En ce qui concerne la légalité des aides accordées par les autorités basques dans le cadre d'un régime existant, pour la mise en œuvre duquel aucune objection n'avait été soulevée, la Commission a vérifié, sur la base des informations qui lui avaient été fournies, si les conditions d'octroi au titre du régime en question avaient été respectées dans ce cas précis. Une de ces conditions concernait l'existence d'un plan de restructuration pour le secteur concerné et pour les bénéficiaires, qui ait été dûment approuvé par les autorités chargées de l'application du régime d'aides. À cet égard, le Gouvernement espagnol a confirmé que les autorités concernées n'avaient approuvé aucun plan de restructuration pour les entreprises du groupe Magefesa; il s'agit, en fait, d'une application abusive du régime d'aides. La Commission doit, par conséquent, considérer l'intervention des autorités basques comme illégale.
Le caractère illicite de toutes les aides considérées résulte du non-respect des règles de procédure prévues à l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE. En outre, dans le cas d'aides incompatibles avec le Marché commun, la Commission, faisant usage de la possibilité que lui offre l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, du 12 juillet 1973, dans l'affaire 70-72, Commission contre république fédérale d'Allemagne (1), confirmé par l'arrêt, du 24 février 1987, dans l'affaire 310-85, Deufil GmbH & Co. KG contre Commission (1), peut obliger les États membres à recouvrer auprès des bénéficiaires les aides octroyées illégalement. À cet égard, il convient de rappeler que, compte tenu du caractère impératif et d'ordre public des règles de procédure prévues à l'article 93 paragraphe 3 du traité CEE, dont la Cour de justice a reconnu l'effet direct dans son arrêt, du 19 juin 1973, dans l'affaire 77-72, Carmine Capolongo contre Azienda Agricola Maya (2), il n'est pas possible de remédier a posteriori au caractère illicite des aides en question.
VII
L'article 92 paragraphe 1 du traité CEE dispose que les aides qui remplissent les critères qui y sont définis sont, en principe, incompatibles avec le Marché commun. Les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 2 ne sont pas applicables dans le cas d'espèce en raison de la nature des aides, qui ne visent pas à atteindre les objectifs mentionnés au paragraphe 2.
L'article 92 paragraphe 3 du traité énumère les aides qui peuvent être compatibles avec le Marché commun. La compatibilité avec le traité doit être déterminée dans le contexte de la Communauté et non dans celui d'un seul État membre. Pour garantir le bon fonctionnement du Marché commun et compte tenu du principe énoncé à l'article 3 point f) du traité, les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 doivent être interprétées de manière stricte lorsqu'un régime d'aide ou un cas individuel d'aide est examiné. Elles ne sont applicables, en particulier, que si la Commission est à même d'établir que, sans l'aide, le jeu des forces du marché ne permettrait pas d'obtenir à lui seul des bénéficiaires qu'ils adoptent un comportement contribuant à atteindre l'un des objectifs visés par ces dérogations.
En ce qui concerne les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 points a) et c), et relatives aux aides destinées à favoriser ou à faciliter le développement de certaines régions, aucune des régions, exception faite de San Roque (Cadix), où sont situées les usines de Magefesa, à savoir Derio (Biscaye), Guriezo et Limpias (Cantabrie), ne se caractérise par un niveau de vie anormalement bas ou par un grave sous-emploi au sens de l'article 92 paragraphe 3 point a). Pour leur part, bien que ces villes soient situées dans des zones assistées au sens de l'article 92 paragraphe 3 point c), les aides accordées à Magefesa ne possèdent pas les caractéristiques requises des aides destinées à faciliter le développement de certaines régions économiques au sens de cet article, parce qu'elles se présentaient sous la forme d'aides au fonctionnement, c'est-à-dire qu'elles n'étaient subordonnées ni à un investissement ni à la création d'emplois, comme cela est stipulé dans la communication de la Commission de 1979 sur les principes de coordination des régimes d'aides à finalité régionale (3). Les aides accordées à San Roque (Cadix) n'ont pas été octroyées dans le cadre du régime d'aides régionales correspondant, mais sur la base d'une décision spéciale du Gouvernement autonome. En outre, les aides au fonctionnement accordées dans les régions visées à l'article 92 paragraphe 3 point a) ne peuvent bénéficier de cette dérogation que si les conditions d'octroi sont limitées et contrôlées. C'est ainsi que, pour des entreprises en difficulté, l'aide doit notamment être strictement subordonnée à la mise en œuvre par le bénéficiaire de mesures de restructuration lui permettant d'être réellement viable. Or, les aides considérées ne satisfont pas à cette condition, comme cela est indiqué ci-après.
En ce qui concerne les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 point b), les aides en question n'étaient pas destinées à promouvoir la réalisation d'un projet d'intérêt commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie espagnole et ne présentaient pas les caractéristiques de projets de ce type. Les autorités espagnoles n'ont d'ailleurs pas invoqué cette dérogation.
L'article 92 paragraphe 3 point c) prévoit également une dérogation pour les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités. Les aides accordées à Magefesa présentent les caractéristiques d'aides à des entreprises en difficulté, parce que le groupe était au bord de la faillite lorsqu'il en a bénéficié.
Les aides aux entreprises en difficulté présentent les risques les plus élevés de transfert du chômage et des problèmes industriels d'un État membre à l'autre. Elles permettent de préserver le statu quo en empêchant les forces du marché d'avoir pour conséquence normale de faire disparaître les entreprises non compétitives, qui doivent s'adapter aux modifications des conditions de concurrence. En même temps, ces aides peuvent provoquer des distorsions de la concurrence et des échanges en raison de leur incidence sur la politique de prix des bénéficiaires, qui choisissent une stratégie consistant à fixer les prix à un niveau artificiellement bas pour rester présents sur le marché.
C'est pour cette raison que la Commission a élaboré une conception spéciale pour l'appréciation des aides aux entreprises en difficulté. Bien qu'elle ait exprimé des réserves de principe au sujet de la compatibilité des aides au fonctionnement avec le Marché commun, la Commission ne condamne cependant pas toutes les aides aux entreprises en difficulté. À plusieurs reprises, elle a exprimé son point de vue sur ces mesures en indiquant quelles étaient les principales conditions à respecter. D'une manière générale, ces interventions doivent être limitées aux aides indispensables pour maintenir l'entreprise en activité jusqu'à ce que les mesures nécessaires soient mises en œuvre pour en rétablir la viabilité et elles doivent être strictement subordonnées à la réalisation d'un programme de restructuration ou de reconversion bien articulé apte à rétablir la viabilité à long terme du bénéficiaire. Lors de son appréciation de la compatibilité de ces projets d'aide, la Commission tient compte des conditions qui amènent les pouvoirs publics à intervenir et juge si, en contrepartie des aides, les projets comportent une justification compensatoire sous la forme d'une contribution du bénéficiaire, ce qui est contraire au jeu normal des forces du marché altéré par l'aide en question, à la réalisation des objectifs communautaires visés par les dérogations prévues à l'article 92 paragraphe 3 du traité CEE.
Dans le cas considéré, les autorités espagnoles n'ont même pas fourni à la Commission d'éléments de preuve montrant que les aides accordées aux entreprises du groupe Magefesa étaient liées à un programme de restructuration visant à en rétablir la compétitivité à long terme.
Dans sa lettre par l'intermédiaire de laquelle elle a informé le Gouvernement espagnol de l'ouverture de la procédure prévue à l'article 93 paragraphe 2 du traité CEE, la Commission a indiqué à celui-ci que la stratégie communiquée par Magefesa sans avoir été officiellement approuvée ne répondait pas aux conditions requises pour qu'elle puisse la considérer comme un plan de restructuration solide. En fait, cette stratégie communiquée de manière informelle exposait dans leurs grandes lignes les mesures qui avaient déjà été prises pour sauver les entreprises du groupe Magefesa. Elle définissait, en particulier, la nature des aides d'État reçues et leur utilisation, ainsi que l'état d'avancement du programme de réduction des effectifs, en vertu duquel 1 780 des 2 027 emplois initialement prévus avaient déjà été supprimés. En ce qui concerne les actions futures, sur le plan commercial, la stratégie prévoyait certaines mesures de développement des ventes visant à porter de nouveau leur volume à des niveaux satisfaisants. Sur le plan industriel, elle ne faisait que proposer certains investissements, certaines améliorations de la production et certains échanges d'équipements entre les usines, dont les coûts n'étaient même pas chiffrés, sauf pour les investissements (estimés à 439 millions de pesetas espagnoles) qui pourraient être financés par la vente d'actifs inutilisés. La stratégie présentée ne comportait aucun engagement précis concernant les mesures à prendre pour réduire l'activité des entreprises en fonction de la situation nouvelle créée par la chute des ventes. Aucun engagement concernant des réductions précises de la capacité de production et des fermetures éventuelles d'installations industrielles n'était pris. En outre, à la lumière des informations fournies à la Commission, la viabilité et l'autonomie financières du groupe étaient en tout cas fortement compromises, parce que le budget de trésorerie présenté n'avait apparemment pas tenu compte du remboursement d'une partie importante des dettes dont l'amortissement avait été reporté pendant la période de sauvetage. Selon les explications fournies à l'appui de la stratégie, Magefesa ne pourrait faire face à ces dépenses que par le biais d'apports en capital ou de nouveaux reports de remboursement, qui ne seraient possibles que si l'État accordait sa garantie. En conséquence, la Commission a considéré que la stratégie communiquée par Magefesa n'était pas réellement viable à long terme.
Il convient également de noter que les autorités espagnoles ont refusé d'approuver la stratégie en question, c'est pourquoi elles n'étaient pas tenues par la mise en œuvre des mesures proposées.
Ces réserves ont été communiquées aux autorités espagnoles par l'intermédiaire de la lettre du 28 novembre 1988 susmentionnée. Dans son télex du 15 février 1989 par le biais duquel il présentait ses observations dans le cadre de la procédure, le Gouvernement espagnol n'a fait aucune mention des réserves en question au sujet de la viabilité de Magefesa, mais s'est uniquement intéressé aux aspects formels de l'octroi des aides. C'est pourquoi, par lettre du 27 février 1989, la Commission a de nouveau fait part de ses réserves aux autorités espagnoles et a attiré leur attention sur le fait que les aides accordées à Magefesa ne pouvaient, en fin de compte, être considérées comme compatibles avec le traité que si elles s'inscrivaient dans le cadre d'un plan de restructuration bien conçu, qui soit dûment approuvé par les autorités concernées et communiqué à la Commission.
Les autorités espagnoles ont répondu par télex du 31 mars 1989 en indiquant que les autorités concernées n'avaient, à ce jour, approuvé aucun programme de restructuration pour Magefesa.
Cette déclaration montre que les aides ont été octroyées à Magefesa sans qu'il soit tenu compte de la viabilité future et de la restructuration du groupe, dans le but évident de maintenir les entreprises artificiellement en activité. Compte tenu des principes appliqués par la Communauté en matière d'aides d'État, cet élément interdit absolument de faire bénéficier les aides en question de la dérogation prévue à l'article 93 paragraphe 3 point c) du traité CEE.
VIII
Par conséquent, en conclusion, les aides en question sont illégales parce que le Gouvernement espagnol n'a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de l'article 93 paragraphe 3. En outre, elles ne répondent pas aux conditions nécessaires pour bénéficier d'une des dérogations prévues à l'article 92 paragraphes 2 et 3. Les aides accordées à Magefesa sont donc incompatibles avec le traité CEE. En conséquence, les éléments d'aide qu'elles contiennent doivent être supprimés,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :
Article premier
Les aides publiques accordées aux sociétés du groupe Magefesa et consistant en :
i) des garanties d'un montant de 1,580 milliard de pesetas espagnoles sur des prêts,
ii) un prêt de 2,085 milliards de pesetas espagnoles accordé à des conditions autres que celles du marché,
iii) des aides non remboursables d'un montant de 1,095 milliard de pesetas espagnoles
et
iv) une bonification d'intérêt d'un montant évalué à 9 millions de pesetas espagnoles ont été octroyées illégalement et sont incompatibles avec le Marché commun en vertu de l'article 92 du traité CEE.
Article 2
En conséquence, les éléments d'aide qu'elles contiennent doivent être supprimés. Le Gouvernement espagnol est donc invité à appliquer les dispositions suivantes :
a) retrait des garanties d'un montant de 1,580 milliard de pesetas espagnoles accordées par l'État sur des prêts;
b) transformation du prêt à taux réduit en un crédit normal assorti des conditions du marché pour ce qui concerne le taux d'intérêt et le remboursement, ou retrait du prêt ou encore toute autre mesure appropriée permettant de garantir que les éléments d'aide soient entièrement supprimés; la mesure adoptée, quelle que soit la nature, doit prendre effet à la date à laquelle le prêt a été accordé;
c) en cas de transformation, l'assurance que les remboursements du prêt en question se feront conformément au calendrier fixé;
d) récupération de 1,104 milliard de pesetas espagnoles correspondant aux aides non remboursables accordées.
Article 3
Les autorités espagnoles informent la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s'y conformer. Si la décision est mise à exécution après l'expiration de ce délai, les dispositions en vigueur en Espagne en matière de paiement d'intérêts de retard à l'État seront applicables.
Article 4
Le Royaume d'Espagne est destinataire de la présente décision.
(1) Vice-président
(2) Recueil de la jurisprudence de la Cour (1987), p. 901.
(3) Recueil de la jurisprudence de la Cour (1973), p. 611. JO n° C-31 du 03.02.1979, p. 9.