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Décisions

CCE, 13 août 2003, n° 2003-741

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

NDC Health/IMS Health : mesures provisoires

CCE n° 2003-741

13 août 2003

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1-2003 (2), et notamment ses articles 3 et 16, vu la décision de la Commission du 8 mars 2001 d'engager une procédure dans cette affaire, vu la décision 2002-165-CE de la Commission (3), prise en vertu du règlement n° 17, et notamment du pouvoir conféré à la Commission par son article 3 d'arrêter des mesures provisoires, décision adressée et notifiée à IMS Health dans la présente affaire, vu la demande de retrait de la décision formulée par IMS Health le 31 octobre 2002, après avoir donné à IMS Health, NDC Health et AzyX la possibilité de présenter leurs observations sur l'opportunité pour la Commission de retirer la décision arrêtant les mesures provisoires, eu égard à l'absence d'urgence, vu le rapport final (4) du conseiller-auditeur dans cette affaire, après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et positions dominantes, considérant ce qui suit:

(1) IMS Health (IMS) a créé, en collaboration avec le secteur pharmaceutique et sur une période prolongée, une structure modulaire pour la présentation des services d'information sur les prescriptions et les ventes pharmaceutiques régionales en Allemagne. Dans sa décision 2002-165-CE, la Commission a estimé que cette structure était devenue une norme de fait du secteur, ce que les entreprises pharmaceutiques ont confirmé. Elles considéraient en effet que, au cas où elles souhaiteraient adopter une autre structure modulaire, la nécessité de disposer de données comparables et compatibles, le risque de rupture des relations entre les visiteurs médicaux et les médecins, la modification des contrats de travail des visiteurs médicaux et le coût de l'adaptation des logiciels et des applications basés sur la structure à 1 860 modules constitueraient des obstacles majeurs. En outre, des contraintes techniques et d'autre nature, telles que la nécessité de respecter les frontières administratives, la législation sur la protection des données et l'incertitude concernant la licéité, au regard du droit d'auteur, de la vente de données présentées selon une nouvelle structure basée sur les codes postaux, limitaient fortement les possibilités de créer d'autres structures modulaires commercialisables. En particulier, le Landgericht Frankfurt am Main (Tribunal de grande instance de Francfort) avait rendu, entre octobre et décembre 2000, plusieurs ordonnances qui interdisaient à NDC Health (NDC) (une multinationale américaine), à AzyX (une société belge de taille beaucoup plus modeste) et à Pharma Intranet Information (PI, devenue une filiale de NDC), trois concurrentes d'IMS sur le marché des services d'information sur les ventes pharmaceutiques régionales, l'utilisation de structures dérivées de la structure à 1 860 modules, au motif qu'IMS jouissait de la protection du droit d'auteur.

(2) La Commission concluait en outre qu'IMS n'avait aucune raison objective de refuser à NDC et à AzyX l'autorisation d'utiliser la structure à 1 860 modules. Elle estimait qu'il existait des indices sérieux et concordants d'un comportement constituant un abus en vertu de l'article 82, et que l'on était en présence de "circonstances exceptionnelles " au sens de l'expression employée par la Cour de justice dans l'arrêt Magill (5), et dans les arrêts Ladbroke (6) et Bronner (7) combinés. Le recours à la structure à 1 860 modules était jugé indispensable à l'exercice de l'activité car il n'existait aucun substitut réel ou potentiel.

(3) La Commission a estimé que le refus d'IMS d'autoriser l'utilisation de la structure à 1 860 modules risquait de causer un préjudice grave et irréparable à la plaignante, NDC, et un préjudice intolérable pour l'intérêt général qui justifiaient l'urgence de prendre des mesures provisoires de sauvegarde. Tout d'abord, au vu des éléments de preuve dont elle disposait, la Commission a considéré que si NDC n'obtenait pas le droit d'utiliser la structure à 1 860 modules, sa société allemande devrait cesser ses activités. Selon la Commission, sans mesures provisoires, NDC perdrait ses clients actuels, n'aurait plus aucune chance d'attirer de nouveaux clients pour les années à venir et se trouverait probablement dans l'obligation de cesser toute activité en Allemagne. Ensuite, outre le risque grave de causer un préjudice irréparable à NDC, il existait un risque de préjudice intolérable pour l'intérêt général, au sens de l'arrêt rendu dans l'affaire La Cinq (8). En effet, puisqu'il n'était pas possible de demeurer présent sur le marché, actuellement ou dans un proche avenir, sans la structure à 1 860 modules, en l'absence de mesures provisoires, le maintien sur le marché de l'autre concurrent alors actif, AzyX, risquait d'être gravement compromis. Enfin, rejetant l'argument d'IMS selon lequel elle subirait un préjudice irréparable, la Commission a conclu que l'équilibre des intérêts en l'espèce favorisait NDC et l'intérêt général.

(4) Ainsi, la Commission a arrêté la décision 2002-165-CE, qui ordonnait à IMS, à titre de mesures provisoires, d'accorder aux sociétés qui étaient alors ses concurrentes sur le marché des services d'information sur les ventes pharmaceutiques régionales en Allemagne une licence d'utilisation de la structure à 1 860 modules, en contrepartie de redevances à fixer d'un commun accord entre les parties dans les quinze jours suivant la date de la demande de licence; en l'absence d'accord, des redevances appropriées seraient fixées par des experts indépendants.

(5) Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance le 6 août 2001, sous la référence T-184-01, IMS Health a intenté un recours tendant à obtenir l'annulation de la décision de la Commission et, à titre subsidiaire, l'annulation de sa décision en ce qui concerne l'obligation d'accorder une licence d'utilisation de la structure à 1 860 modules dans le cas où les conditions de la licence seraient négociées et approuvées par la Commission, ainsi que la suspension des effets de la décision de la Commission.

(6) Par ordonnance rendue le 26 octobre 2001 dans l'affaire T-184-01 R, le président du Tribunal de première instance (le Tribunal) a suspendu l'exécution de la décision 2002-165- CE jusqu'à ce qu'il soit statué au fond.

(7) Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 décembre 2001, sous la référence C-481-01 P(R), NDC Health Corporation a attaqué l'ordonnance susmentionnée du président du Tribunal.

(8) Par ordonnance rendue le 11 avril 2002 dans l'affaire C-481-01 P(R), le président de la Cour de justice (la Cour) a rejeté le pourvoi de NDC.

(9) Le 12 juillet 2001, le Landgericht Frankfurt am Main a saisi la Cour à titre préjudiciel au sujet de l'interprétation à donner à l'article 82 du traité en l'espèce. Le recours préjudiciel s'inscrivait dans le cadre d'une action en contrefaçon du droit d'auteur intentée par IMS Health contre NDC Health devant les tribunaux allemands. L'affaire a été enregistrée sous la référence C-418-01; elle est pendante et la procédure dans l'action principale relative à la décision 2002-165-CE a été suspendue dans l'attente de la décision préjudicielle.

(10) Par décision du 17 septembre 2002, l'Oberlandesgericht Frankfurt am Main (Cour d'appel de Francfort) a rejeté un pourvoi intenté par PI contre le jugement susmentionné du Tribunal de grande instance de Francfort interdisant à PI et à son cofondateur d'utiliser la structure à 1 860 modules ou ses dérivés. Tout en admettant que la structure à 1 860 modules était protégée par le droit d'auteur national (les droits en question étant détenus, notamment, par certains salariés d'IMS plutôt que par IMS elle-même) et que la reproduction directe de cette structure par un concurrent d'IMS constituait une violation de la Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi contre la concurrence déloyale), la cour d'appel a estimé que "der Beklagten oder Dritten die freie, selbständige Entwicklung einer Segmentstruktur, die ebenfalls auf der Einteilung nach Landkreisen, kreisfreien Städten und Postleitzahlbezirken beruht und deshalb ggfs. aus einer annähernd gleichen Anzahl von Segmenten besteht, nicht ohne weiteres untersagt werden könnte. (...) Insbesondere könnte es der Beklagten oder Dritten nicht zugemutet werden, eine den praktischen Anforderungen nur unzulänglich gerecht werdende Datenstruktur zu erstellen, nur um einen möglichst weiten Abstand von dem Produkt der Klägerin zu halten. Vielmehr können Abweichungen nicht verlangt werden, wo die Übereinstimmungen auf sachlich - technischen Anforderungen beruhen und unter Berücksichtigung des Freihaltebedürfnisses der Wettbewerber in diesen Merkmalen die angemessene Verwirklichung der Technischen Aufgabe liegt." [On ne peut purement et simplement interdire à la défenderesse ou aux tiers de concevoir librement et indépendamment une structure modulaire qui soit également basée sur un découpage par circonscriptions administratives (Landkreis, kreisfreie Stadt) et par code postal, et qui comprenne de ce fait un nombre similaire de modules. (...) En particulier, on ne saurait imposer à la défenderesse ou aux tiers de créer une structure de données ne répondant qu'imparfaitement aux besoins pratiques, dans le seul but de la rendre la plus distincte possible de celle de la demanderesse. De surcroît, on ne saurait exiger qu'il existe des différences lorsque les similitudes sont dictées par des contraintes matérielles ou techniques et lorsque ces caractéristiques conditionnent précisément la réalisation correcte de la tâche technique, sans que l'on oublie l'impératif de disponibilité des concurrents.]

(11) Le 16 avril 2003, le Tribunal de grande instance de Francfort a interdit à AzyX d'utiliser la structure à 1 860 modules et ses dérivés. AzyX n'a pas fait appel du jugement devant la Cour d'appel de Francfort.

(12) Dans ses observations du 12 mai 2003 relatives à l'opportunité pour la Commission de retirer sa décision de mesures provisoires, IMS estimait que l'interprétation de l'arrêt du 17 septembre 2002 soulevait des questions de fait et de droit toujours pendantes devant les juridictions allemandes et qu'il leur appartenait de définir la portée exacte de cet arrêt. Sur la question du retrait de la décision de mesures provisoires, IMS laissait entendre que ce serait la solution la plus sage, aucune des conditions requises pour l'adoption de mesures provisoires, notamment l'urgence, n'étant remplie. En ce qui concerne sa position sur le marché, en 2002, IMS détenait une part de marché comprise entre [...] (*) et [...] % en valeur et [...] contrats. Au premier trimestre de 2003, cette part a progressé de [...] points en valeur et représente [...] contrats, en tenant compte de la situation d'AzyX.

(13) Dans ses observations du 12 mai 2003, NDC constatait qu'il demeurait une grande incertitude sur ce que l'on peut considérer comme un dérivé de la structure à 1 860 modules, et plus particulièrement sur ce qui lui est "similaire pour l'essentiel", et donc interdit par la législation allemande sur le droit d'auteur. À l'heure actuelle, NDC présente ses données dans le cadre d'une structure composée d'environ 4 000 modules, proche des structures utilisées par les services postaux allemands. NDC a néanmoins signé un certain nombre de nouveaux contrats depuis l'arrêt du 17 septembre et il semble qu'il y ait désormais davantage de possibilités pour les concurrents d'IMS de rester sur le marché, puisque NDC représentait entre [...] et [...] % en valeur en 2002 et a augmenté sa part de marché de [...] points au cours du premier trimestre, grâce à de nombreux contrats. En outre, depuis l'arrêt, NDC a obtenu des contrats avec certaines entreprises pharmaceutiques plus importantes, alors qu'auparavant elle n'en avait aucun avec les 20 premières sociétés.

(14) AzyX a mis fin à ses activités en Allemagne le 12 mars 2003. À la fin de l'année 2002, elle avait un certain nombre de contrats et détenait entre [...] et [...] % du marché (en valeur) dans le domaine des services d'information sur les ventes pharmaceutiques régionales en Allemagne. Selon AzyX, ses pertes sont consécutives à la difficulté d'atteindre un taux de pénétration suffisant sur le marché allemand, qu'elle impute à l'insécurité juridique, et elles n'étaient plus tolérables.

(15) La disparition d'AzyX du marché allemand des services d'information sur les ventes pharmaceutiques régionales constitue une modification substantielle de la situation. Dans la mesure où la décision de la Commission visait à préserver l'intérêt général que représente une concurrence viable sur ce marché jusqu'à ce qu'une décision définitive puisse être prise dans cette affaire, cet objectif ne peut plus être atteint en obligeant IMS à accorder une licence à AzyX. Cet octroi n'est donc plus possible et n'est plus urgent.

(16) Pour ce qui concerne les intérêts propres de NDC et l'intérêt général que représente le maintien de l'unique source de concurrence subsistante, il est inutile que la Commission se prononce sur l'issue probable de la procédure pendante en contrefaçon et en concurrence déloyale qui oppose IMS et NDC. La Commission relève que la décision de la cour d'appel de Francfort du 17 septembre 2002 coïncide avec une amélioration de la position de marché de NDC, due à l'utilisation de la structure susmentionnée. En particulier, NDC a obtenu ses premiers contrats avec des sociétés pharmaceutiques de premier plan dans la période qui a suivi l'arrêt de la cour d'appel, et ses projections pour 2003 indiquent une amélioration générale par rapport aux années précédentes. C'est pourquoi, indépendamment du fait que l'arrêt du 17 septembre 2002 pourrait être à l'origine de cette évolution positive de la situation commerciale de NDC, il y a bel et bien eu modification substantielle de la situation. La menace de la disparition de NDC, qui risquait d'atteindre NDC et l'intérêt général à l'existence d'une concurrence, ne présente plus l'urgence imposant d'accorder une licence à NDC, comme l'avait constaté la Commission au moment où elle a pris sa décision, et nécessaire à justifier le maintien de mesures provisoires.

(17) Il convient par conséquent de retirer la décision 2002-165-CE notifiée à IMS Health, au motif qu'il n'existe plus d'urgence établie imposant de prévenir un préjudice irréparable pour NDC et pour l'intérêt général à l'existence d'une concurrence, dans l'attente de la décision de la Commission clôturant la présente procédure administrative,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

La décision 2002-165-CE de la Commission du 3 juillet 2001 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (Affaire COMP D3-38.044 - NDC Health/IMS Health: mesures provisoires) est retirée.

Article 2

La société IMS

Health Harewood Avenue

London NW1

United Kingdom

est destinataire de la présente décision.

NOTES

(1) JO 13 du 21.2.1962, p. 204-62.

(2) JO L 1 du 4.1.2003, p. 1.

(3) JO L 59 du 28.2.2002, p. 18.

(4) JO C 250 du 18.10.2003.

(5) Affaires jointes C-241-91 P et C-242-91 P, Radio Telefis Eireann (RTE) and Independent Television Publications Ltd (ITP) contre Commission, Rec. 1995, page I-743.

(6) Affaire T-504-93, Tiercé Ladbroke SA contre Commission, Rec. 1997, page II-923.

(7) Affaire C-7-97, Oscar Bronner GmbH & Co KG/Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag GmbH & Co KG, Rec. 1998, page I-7791.

(8) Affaire T-44-90, La Cinq, Rec. 1992, p. II-1, point 28.

(*) Secret commercial.