CA Paris, ch. corr., 14 janvier 1998, n° 4983-97
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chanut
Avocat général :
M. Pomier
Conseillers :
M. Castel, Mme Radenne
Avocat :
Me Dubois.
RAPPEL DE LA PROCEDURE
PREVENTION
Mohamed B est poursuivi, à la requête de Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, devant la 12e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris,
- pour avoir à Paris, courant octobre 1996, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, en violation des dispositions du chapitre 1er du titre II de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971, donné des consultations ou rédigé pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique en faisant notamment de l'assistance téléphonique juridique, faits prévus et réprimés par les articles 54,66-2, 72 de la loi 71-1131 du 31 décembre 1971,
- pour s'être à Paris, courant octobre 1996, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, livré au démarchage en vue de donner des consultations ou rédiger des actes en matière juridique en faisant distribuer ou en distribuant des publicités proposant l'assistance téléphonique juridique, faits prévus et réprimés par les articles 54 et suivants, 66-2, 66-4,72 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée par la loi 90-1259 du 31 décembre 1990, 1 du décret 72-785 du 25 août 1972.
A) LE JUGEMENT
Le tribunal, par jugement contradictoire en date du 24 avril 1997,
Sur l'action publique :
- a déclaré Mohamed B coupable de:
- consultation juridique ou rédaction d'acte sous-seing privé sans respect des conditions, faits commis courant octobre 1996
- démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique, faits commis courant octobre 1996 à Paris,
- vu les articles susvisés,vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal,a condamné Mohamed B à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 F,
- a rappelé que le jugement est assujetti à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable Mohamed B.
Sur l'action civile :
- a déclaré recevable en la forme la constitution de partie civile de l'Ordre des Avocats au Barreau de Paris,
- a condamné Mohamed B à payer à l'Ordre des Avocats au Barreau de Paris, partie civile, la somme de un franc à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- a ordonné la publication du jugement, par extraits aux frais du prévenu, dans La Gazette du Palais, La Vie Judiciaire, Le Figaro, France-Soir et Le Monde, sans que le coût de l'insertion n'excède 5 000 F par extrait.
B) LES APPELS
Appel a été interjeté par :
- Monsieur B Mohamed le 24 avril 1997, (appel au pénal et au civil)
- M. le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, le 24 avril 1997,
DECISION
Rendue publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Devant la cour :
Mohamed B, prévenu appelant, comparaît. Il sollicite l'infirmation du jugement.
Le Ministère public, appelant incident, requiert la confirmation du jugement.
L'Ordre des Avocats au Barreau de Paris est représenté. Son conseil demande la confirmation du jugement entrepris et l'allocation d'une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles en cause d'appel.
Il sera statué par arrêt contradictoire.
Sur ce,
Considérant que les premiers juges ont exactement et complètement rapporté la procédure, la prévention et les faits de la cause dans un exposé auquel la cour se réfère; qu'il convient de rappeler en substance :
- que Mohamed B a apposé à Paris, dans le dernier trimestre de l'année 1996, en des lieux publics, des affichettes ainsi conçues :
"Assistance juridique : <numéro>
Rédaction actes ssp/consultation : Au service du particulier et de l'entreprise. Nous sommes titulaires du CAPA (certificat d'aptitude à la profession d'avocat) 2,23 F/mn"
- que le numéro de téléphone mentionné sur ces affichettes correspondait à l'adresse personnelle de Mohamed B;
- que les policiers ont constaté la présence sur la boîte à lettres de l'intéressé de l'indication "Assistance juridique";
Considérant qu'il est reproché au prévenu :
- d'avoir, en violation des articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, modifiée par celle du 31 décembre 1990, donné des consultations ou rédigé pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique;
- de s'être livré illégalement au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes juridiques;
Considérant que le prévenu sollicite l'infirmation du jugement en invoquant plusieurs arguments;
1. En ce qui concerne la violation de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme
Considérant que le prévenu fait grief aux premiers juges d'avoir "reçu derrière la salle d'audience de la 12e Chambre correctionnelle, le 24 avril 1997, pendant plus de sept minutes avant le début de l'audience, l'avocat de la partie civile"; qu'il soutient que les premiers juges sont devenus "dépendants, inéquitables et partiaux";
Considérant que le prévenu ne fournit pas la preuve que cet entretien ait eu lieu; qu'en tout état de cause, si cet entretien a bien eu lieu, le prévenu en ignore l'objet, qui pouvait être parfaitement légitime; que rien ne permet de supposer que l'impartialité du tribunal ait été affectée de quelque manière que ce soit; que l'exception soulevée par le prévenu sera donc rejetée;
2. En ce qui concerne la violation de la règle "non bis in idem"
Considérant que le prévenu conteste les poursuites en faisant valoir qu'il a déjà été condamné pour des faits similaires par le Tribunal de Paris (15 septembre 1995) puis par la Cour d'appel de Paris (13 septembre 1996); qu'il ajoute qu'un pourvoi en cassation a été formé contre l'arrêt rendu le 13 septembre 1996;
Considérant que nul ne peut être poursuivi deux fois pour les mêmes faits;
Considérant toutefois que les faits visés à l'occasion des premières poursuites ont eu lieu de février 1993 à février 1995; que les présentes poursuites visent des faits qui ont eu lieu courant octobre 1996; que les faits visés par chacune des poursuites sont distincts; que le prévenu n'est donc pas fondé à se prévaloir de la règle "non bis in idem";
3. Sur le fond
Considérant que le prévenu reconnaît qu'il donne des consultations juridiques par téléphone;qu'il affirme exercer cette activité légalement;
Considérant que l'article 54 de la loi modifiée du 31 décembre 1971 subordonne la consultation en matière juridique à plusieurs conditions;
Considérant que les poursuites ne peuvent être fondées sur le 10 de l'article 54, aux termes duquel nul ne peut donner des consultations juridiques s'il n'est titulaire d'une licence en droit ou d'un titre ou diplôme reconnu comme équivalent; qu'en effet cette condition de titre ou de diplôme, dont l'entrée en vigueur a été repoussée à plusieurs reprises, notamment par la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, n'était pas applicable à la date des faits;
Considérant par ailleurs qu'il ne résulte pas de l'enquête ni des débats que les conditions prévues par le 2°, le 3°, le 4° et le 50 de l'article 54 aient été méconnues;
Considérant en conséquence que le délit prévu par l'article 66-2 de la loi n'est pas établi;
Considérant en revanche que le prévenu reconnaît avoir apposé les affichettes litigieuses dans des lieux publics;que cette initiative constitue une forme de démarchage pour se constituer une clientèle et tombe sous le coup de l'article 66-4 de la loi;
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable d'infraction à l'article 66-4 de la loi;
Considérant que les faits justifient le prononcé d'une amende de 10 000 F;
Considérant que l'Ordre des Avocats de Paris est recevable en sa constitution de partie civile; que la cour confirmera l'allocation de la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts;
Considérant que les faits justifient la publication, aux frais du prévenu, dans La Gazette du Palais, La Vie Judiciaire et France Soir, d'un communiqué dont les termes figurent au dispositif;
Considérant que la partie civile réclame la somme de 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; que l'équité commande de lui allouer la somme de 2 000 F au titre des frais d'appel;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Après délibéré; Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public; Rejette les exceptions soulevées par le prévenu; sur l'action publique ; Infirme partiellement le jugement déféré; Déclare le prévenu non coupable d'avoir à Paris, courant octobre 1996, donné des consultations juridiques ou rédigé pour autrui des actes sous seing privé en matière juridique en violation du chapitre 1er du titre 2 de la loi modifiée du 31 décembre 1971; Vu l'article 516 du Code de procédure pénale, renvoie le prévenu des poursuites exercées de ce chef; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Mohamed B coupable de s'être à Paris, courant octobre 1996, livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique; En répression, vu les articles 66-4 et 72 de la loi modifiée du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires, condamne Mohamed B à une amende de 10 000 F ; Sur l'action civile ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile de l'ordre des avocats à la Cour de Paris, et alloué à la partie civile une indemnité d'un franc; Le modifiant pour le surplus, ordonne la publication, aux frais du prévenu, dans La Gazette du Palais, La Vie Judiciaire et France-Soir, du communiqué suivant : " Par arrêt du 14 janvier 1998, la Xlème chambre de la Cour d'appel de Paris a déclaré M. Mohamed B coupable de s'être, en octobre 1996, livré illégalement au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. Elle a condamné M. Mohamed B à une amende de 10 000 F, reçu la constitution de partie civile de l'Ordre des Avocats à la Cour d'appel de Paris, alloué la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts à la partie civile et ordonné la publication du présent communiqué " ; Dit que les frais de chaque publication mis à la charge du prévenu ne devront pas excéder la somme de 5 000 F; Elève de 5 000 F à 7 000 F la somme due à la partie civile en application de l'article 475-l du Code de procédure pénale (tribunal et cour); Rejette comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires des parties.