Cass. crim., 1 juin 1999, n° 98-83.825
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
Mme Agostini
Avocat général :
M. Di Guardia
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner
LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par L Daniel, L Patrick, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 18 mars 1998, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, les a condamnés, chacun, à 8 000 francs d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de leur connexité ; - Vu les mémoires ampliatif et additionnel produits ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation, 4 de l'arrêté du 29 juin 1990 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Patrick et Daniel L à une amende de 8 000 francs chacun, a ordonné à l'encontre de chacun d'eux la publication du jugement dans le journal l'Union de Reims et les a condamnés à payer à la partie civile un franc à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs qu'il est constant que la SARL Y exploite une agence immobilière à l'enseigne X dont l'objet est de mettre en relation des propriétaires de biens immobiliers et des candidats à la location de ces biens ; que les particuliers doivent acquitter auprès de l'agence concernée, pour pouvoir bénéficier des services proposés par elle, pendant une période donnée, une somme fixe à verser à l'avance ; qu'à l'époque des faits, cette somme était de 950 francs pour une durée de 6 mois ; qu'il est constant que si Patrick L est le gérant de la société Y, Daniel L est seul personnellement concessionnaire exclusif de la marque X, dans le département de la Marne ; qu'à l'inverse, Patrick L est seul titulaire de la carte professionnelle d'agent immobilier ; en troisième lieu, qu'en vertu de l'article 92 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, les agents immobiliers doivent faire figurer sur tous les documents professionnels auxquels ils ont recours des mentions (numéro de la carte professionnelle, date de délivrance de cette carte, nom ou raison sociale et adresse de l'entreprise ainsi que l'activité exercée, notamment) faisant apparaître leur qualité de professionnel ; que selon l'article 4 de l'arrêté du 29 juin 1990 applicable aux agents immobiliers : "Toute publicité effectuée par l'un des professionnels visés à l'article 1er, et relative au prix de location ou de vente d'un bien déterminé, doit, quel que soit le support utilisé, mentionner le montant toutes taxes comprises de la rémunération de l'intermédiaire lorsqu'elle est à la charge du locataire ou de l'acquéreur, et qu'elle n'est pas incluse dans le prix annoncé" ; enfin, que les investigations auxquelles s'est livré l'agent de la DGCCRF, quant aux petites annonces qu'il avait été fait paraître pour le compte de l'agence immobilière à l'enseigne X exploitée par la société Y dans la presse locale gratuite, ont révélé, pour la période allant du 30 janvier 1996 au 2 avril 1996, qu'avaient été diffusées 57 annonces dans le journal Canal 51, et 106 annonces dans le journal Atout Magazine, et que, chaque fois, les annonces insérées à la rubrique "offres de location", dans laquelle se trouvent principalement insérées des annonces émanant de particuliers, comportaient, après la description du bien loué, les mentions "francs 950, xxx" (dans cet ordre ou dans l'ordre inverse, savoir xxx 950) suivies des numéros de téléphone qui sont ceux de l'agence X ; que les annonces incriminées étaient par leurs modalités d'insertion, tout autant que par leur imprécision, leur caractère confus et l'absence des mentions obligatoires, de nature à induire en erreur le consommateur, sur la qualité de prestataire de service de l'intermédiaire, par le truchement duquel il pourrait avoir accès à plus d'informations sur le bien offert à la location, ainsi que sur la nature commerciale et rémunérée de la prestation à laquelle il devrait faire appel ; que, notamment, le lecteur de l'annonce ne pouvait voir dans le sigle xxx l'abréviation de l'enseigne X ; que les mentions francs 820, par son insertion dans le texte de l'annonce, ne pouvait raisonnablement évoquer un prix quelconque ; que ces publicités sont également imputables à Daniel L, nonobstant la délégation de pouvoirs consentie dans les termes les plus larges par celui-ci à celui-là, dès lors que si Daniel L était l'auteur desdites annonces, il ne pouvait s'autoriser de les faire paraître sans l'accord du seul titulaire de la carte d'agent immobilier, sous couvert duquel elles étaient diffusées ; qu'il ne s'agissait en l'espèce pas de maladresses de rédaction, les deux prévenus ayant été, au cours des mois précédents, contrôlés pour des pratiques similaires et ayant vu leur attention expressément attirée sur le caractère illicite de ces pratiques ; que l'intention frauduleuse des prévenus était d'autant plus patente que, professionnels avertis, Daniel et Patrick L savaient qu'en matière de location de biens immobiliers, le consommateur est sensible, à la fois, à la description du bien suscitant son intérêt, mais aussi au fait qu'il aura affaire à un agent immobilier plutôt qu'à un particulier, et qu'il aura immanquablement, dans le premier cas, des frais supplémentaires de nature à suffire à rendre moins attrayante une offre de location remarquée par lui ; que la manière de procéder incriminée avait pour effet souhaité et attendu d'inclure, dans le tri fait par le candidat au logement préalablement à ses appels téléphoniques, des opportunités, dont les implications commerciales lui avaient été cachées et dont il serait forcément le captif ;
"alors, d'une part, que ne constitue pas une publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur une annonce d'offres de location d'appartement par voie de presse qui n'indiquerait pas qu'elle émane d'un professionnel, non plus que la rémunération de ce dernier, une telle annonce ayant pour seul objet d'informer les candidats potentiels à la location des offres du marché, et étant dépourvue de tout caractère incitatif à la conclusion d'un contrat ; qu'en déclarant les prévenus coupables de publicité mensongère, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, qu'en ne faisant pas ressortir en quoi l'annonce litigieuse aurait comporté des indications qui auraient pu laisser croire au lecteur qu'elles étaient passées par un particulier et que le locataire, en cas de conclusion de contrat, n'aurait eu d'autre somme à verser pour entrer dans les lieux que le prix du loyer, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'erreur que l'annonce litigieuse aurait été susceptible de faire naître dans l'esprit du lecteur, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
"alors, ensuite, que ne caractérise pas l'élément matériel de l'infraction de publicité trompeuse la cour d'appel qui ne recherche pas si la reproduction répétitive d'annonces qui comportaient toutes les mentions xxx et francs 980 OU francs 800, suivies d'un même numéro de téléphone, ne suffisait pas à permettre au lecteur doté d'une attention et d'une intelligence moyennes de comprendre que lesdites annonces provenaient d'un professionnel de l'immobilier et ce, même s'il ne pouvait nécessairement voir dans le sigle xxx l'abréviation de l'enseigne X ;
"alors, enfin, que ne caractérise pas non plus l'élément intentionnel de l'infraction la cour d'appel qui omet de répondre aux conclusions des prévenus selon lesquelles les indications francs 980 et xxx avaient été acceptées par les services de la Répression des Fraudes lors de contrôles effectués auprès de nombreux autres concessionnaires de l'enseigne X et avaient même été reconnues par une cour d'appel comme "ne caractérisant pas une publicité manifestement mensongère", ce dont il résultait que les prévenus avaient pu agir sans intention délictueuse ;
Sur le second moyen de cassation , pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121- 6, L. 213-1 du Code de la consommation, 4 de l'arrêté du 29 juin 1990 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;
"en ce que la cour d'appel a retenu la culpabilité de Patrick L en qualité de coauteur du délit de publicité trompeuse ;
"aux motifs que ces publicités sont également imputables à Daniel L et à Patrick L, nonobstant la délégation de pouvoirs consentie dans les termes les plus larges par celui-ci à celui-là, dès lors que si Daniel L était l'auteur desdites annonces, il ne pouvait s'autoriser de les faire paraître sans l'accord du seul titulaire de la carte d'agent immobilier, sous couvert duquel elles étaient diffusées ;
"alors que la cour d'appel devait rechercher comme elle y était invitée par les écritures d'appel des demandeurs, si Daniel L, signataire du contrat de concession X et bénéficiaire d'une délégation de pouvoirs consentie dans les termes les plus larges, ne gérait pas de fait la SARL Y qui porte d'ailleurs ses initiales, et devait en conséquence assumer seul la responsabilité des annonces publiées dans la presse locale sur lesquelles il avait un pouvoir de décision et de contrôle exclusif" ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction et répondant aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé, en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables et ainsi justifié, pour la partie civile, l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant de cette infraction ; d'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.