CE, 5e et 3e sous-sect. réunies, 12 juin 1998, n° 170173
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société Toulousaine de Télévision
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Labetoulle
Rapporteur :
M. Lambron
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan.
LE CONSEIL : - Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 13 juin 1995 et 6 octobre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société toulousaine de télévision dont le siège est 3, place Alphonse Jourdain à Toulouse (31069), représentée par son Président-directeur général domicilié en cette qualité audit siège ; la société toulousaine de télévision demande au Conseil d'État : 1°) d'annuler la décision du 14 avril 1995 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté son recours gracieux dirigé contre la décision du 23 février 1995 lui infligeant une sanction pécuniaire d'un montant de 100 000 F pour infraction aux articles 8 et 9 du décret du 27 mars 1992 ; 2°) d'annuler ladite décision en date du 23 février 1995 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le traité du 25 mars 1957, instituant les communautés européennes ; Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; Vu la loi n° 86-1067 du 29 septembre 1986 modifiée ; Vu le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 ; Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Considérant que par une décision en date du 23 février 1995, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 100 000 F à la société toulousaine de télévision - télé Toulouse (TLT) pour infraction d'une part aux dispositions de l'article 8 du décret du 27 mars 1992, qui interdit notamment la publicité télévisée concernant le secteur de la distribution, sauf dans les départements et territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, et d'autre part, aux dispositions de l'article 9 dudit décret qui prohibent la publicité clandestine ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée : - Considérant qu'aux termes de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut mettre en demeure les titulaires d'autorisation pour l'exploitation d'un service de communication audiovisuelle de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis à l'article 1er de la présente loi " ; que l'article 42-1 de la loi précitée dispose que " si le titulaire d'une autorisation pour l'exploitation d'un service de communication ne respecte pas les obligations ci-dessus mentionnées ou ne se conforme pas aux mises en demeure qui lui ont été adressées, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, une des sanctions suivantes : 3° Une sanction pécuniaire " ;
Considérant que, par deux lettres en date des 17 septembre 1992 et 24 novembre 1992, le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait mis en demeure la société toulousaine de télévision de se conformer aux dispositions du décret du 27 mars 1992 prohibant la publicité télévisée pour le secteur de la distribution et la publicité clandestine ; que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que ces deux lettres, qui rappelaient les obligations s'imposant légalement à ladite société, n'avaient pas le caractère d'une mise en demeure prévue par l'article 42-1-3° et préalable aux sanctions prévues par cette disposition ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée : - Considérant que la requérante soulève par voie d'exception l'illégalité de celles des dispositions de l'article 8 du décret susvisé qui prévoient : " Est interdite la publicité concernant les produits et secteurs économiques suivants : distribution, sauf dans les départements et territoires d'outre-mer ainsi que les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon " ;
Sur le moyen tiré de la violation des articles 1er et 27 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée : - Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 : " La communication audiovisuelle est libre. L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité de développer une industrie nationale de production audiovisuelle " ; qu'aux termes de l'article 27 de la même loi : " Compte tenu des missions d'intérêt général des organismes du secteur public et des différentes catégories de services de communication audiovisuelle diffusés par voie hertzienne terrestre ou par satellite, des décrets en Conseil d'État fixent les principes généraux définissant les obligations concernant : 1° la publicité et le parrainage " ;
Considérant que le législateur a, par les dispositions précitées de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, confié au gouvernement le soin de déterminer les conditions et limites dans lesquelles des messages publicitaires pourront être diffusés par la télévision ; que la requérante ne saurait utilement contester devant le juge de l'excès de pouvoir l'étendue de la délégation ainsi donnée par la loi ; qu'il suit de là que la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en interdisant au secteur économique de la distribution, de recourir à la télévision pour faire diffuser des messages publicitaires, le gouvernement aurait, par le décret attaqué, violé les dispositions de l'article 34 de la constitution qui définissent le domaine de la loi et méconnu les dispositions des articles 1er et 27 précités de la loi du 30 septembre 1986 modifiée ;
Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité : - Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la disposition de l'article 8 du décret précité qui autorise la publicité télévisée dans le secteur de la distribution dans les départements et territoires d'outre-mer ainsi que dans les collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon, alors qu'elle l'interdit dans les départements de la métropole, est justifiée par la spécificité du marché publicitaire en outre-mer ;que, dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que cet article méconnaît le principe d'égalité de traitement ;
Sur le moyen tiré de la violation du traité du 25 mars 1957 instituant la communauté économique européenne : - Considérant que l'interdiction faite aux sociétés de télévision autorisées de diffuser par le canal de la télévision des messages publicitaires relatifs au secteur de la distribution, s'applique de la même façon à tous les prestataires de services de télévision autorisés en France quelle que soit leur nationalité et à tous les commerçants nationaux et à ceux des États membres de la communauté ; que les dispositions contestées ne sont ainsi pas contraires aux dispositions des articles 59 et 60 du traité de Rome, relatives à la suppression des restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la communauté ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : - Considérant qu'en prohibant l'accès à la publicité télévisée du secteur de la distribution pour assurer à la presse écrite les ressources nécessaires à son équilibre économique et à son indépendance, l'article 8 du décret du 27 mars 1992 n'a pas méconnu le principe de liberté d'expression affirmé par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions susvisées de la requête de la société toulousaine de télévision doivent être rejetées ;
Article 1er : La requête de la société toulousaine de télévision est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société toulousaine de télévision, au Conseil supérieur de l'audiovisuel et au ministre de la culture et de la communication.