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Décisions

Cass. crim., 23 novembre 1999, n° 98-87.458

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

CNCT

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Avocat général :

M. Cotte

Conseillers :

Mme Mazars, M. Roman

Avocats :

Mes Choucroy, Odent, Cossa

TGI Paris, 31e ch., du 18 déc. 1995

18 décembre 1995

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par L. Francis, la R, civilement responsable, la société P, venant aux droits de la société R, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 29 octobre 1998, qui, pour complicité de publicité illicite en faveur du tabac, a condamné solidairement, les deux premiers à 50 000 francs d'amende, les deux derniers à 80 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de leur connexité ; I - Sur le pourvoi formé par Jacques F ; - Attendu qu'aucun mémoire n'est produit :

I - Sur les pourvois formés par Francis L, la R et la société P : - Vu les mémoires produits en demande et en défense - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'une campagne d'affichage publicitaire pour les montres "C" a été réalisée, entre le 7 et le 14 décembre 1993, dans l'ensemble des stations de métro parisiennes: que le Comité national contre le tabagisme a fait citer devant le tribunal correctionnel la R, la société X et leurs dirigeants respectifs, les premières comme civilement responsables, sur le fondement des dispositions de la loi du 9 juillet 1976, reprises par les articles L. 355-25, L. 355-26 et L. 355-31 du Code de la santé publique, pour complicité de publicité indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac;

Attendu que les prévenus ont fait valoir que la publicité litigieuse relevait de la dérogation prévue par l'article L. 355-26, alinéa 2, du Code de la santé publique aux motifs que les montres "C" avaient été mises sur le marché en 1987 et que l'annonceur, la société suisse Y Ltd, était une entreprise juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac: que le tribunal et la cour d'appel ont écarté ce moyen de défense, déclaré caractérisée l'infraction reprochée aux prévenus, et ont alloué une indemnité à la partie civile;

En cet état: - Sur le premier moyen de cassation proposé pour Francis L et la R, pris de la violation des articles 2 de la loi d'amnistie du 3 août 1995, 8 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de constater la prescription de l'action publique en application de la loi d'amnistie;

"aux motifs que "selon l'article 2 al. 1 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue, à l'exception de toute autre peine ou mesure, lors qu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995; qu'en vertu de l'article L. 355-31 du Code de la santé publique, applicable aux faits de la cause, le juge peut également ordonner la suppression, l'enlèvement ou la confiscation de la publicité interdite aux frais des délinquants; que dès lors les faits visés à la prévention n'entrent pas dans le champ d'application de la loi d'amnistie et que par suite le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il n'a pas fait application de la loi d'amnistie du 3 août 1995";

"alors que l'article 2 de la loi d'amnistie du 3 août 1995 dispose que sont amnistiés les délits pour lesquels seule une peine d'amende est encourue à l'exception de toute autre peine ou mesure; qu'en excluant les faits poursuivis du bénéfice de cette loi, pour la considération que l'article L. 355-31 du Code de la santé publique donne la faculté au juge d'ordonner la suppression, l'enlèvement ou la confiscation de la publicité aux frais des délinquants, en plus de la peine d'amende, bien que ces mesures ne présentent pas un caractère de sanction pénale, la cour d'appel a violé les textes susvisés";

Attendu que, pour déclarer que le délit visé à la prévention n'entre pas dans le champ d'application de l'article 2, alinéa 1, de la loi d'amnistie du 3 août 1995, les juges d'appel énoncent que sont encourues pour cette infraction, outre une peine d'amende, des mesures de suppression, d'enlèvement ou de confiscation de la publicité interdite aux frais des délinquants;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte précité; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour la société P, pris de la violation de la loi du 2 juillet 1931, des articles 11, 114, 114-1, 197, 427 et 593 du Code de procédure pénale, violation du secret de l'instruction, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'incident de communication de pièces soulevé par la société X;

"aux motifs que le secret de l'instruction ne peut plus être invoqué après que les pièces tirées d'un dossier d'instruction aient été produites lors de l'audience publique qui a suivi le renvoi devant le tribunal de l'affaire en question;

"alors qu'en application des articles 114 et 114-1 du Code de procédure pénale destinés à assurer le respect du secret de l'instruction, seules les copies des rapports d'expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense sous peine des sanctions prévues par ce dernier texte, un prévenu ou un accusé pouvant exclusivement se prévaloir de pièces tirées d'un dossier d'instruction devant la juridiction de jugement saisie des poursuites ayant donné lieu à ladite instruction; que dès lors en l'espèce où la partie civile a cru pouvoir produire devant la cour d'appel, des pièces provenant d'une instruction diligentée sur des poursuites qu'elle avait exercées pour des faits distincts de ceux dont la cour était saisie, cette juridiction a méconnu les textes visés au moyen et violé le principe du secret de l'instruction en admettant la régularité d'une telle production sous prétexte que le secret ne serait plus applicable après le renvoi devant la juridiction de jugement sans même indiquer si un tel renvoi avait été ordonné et à quelle date";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le Comité national contre le tabagisme a versé au dossier des pièces qu'il a obtenues en sa qualité de partie civile dans une procédure distincte étrangère aux prévenus ;

Attendu que pour rejeter la demande tendant à voir écarter ces pièces des débats, les juges d'appel énoncent que le secret de l'instruction ne peut plus être invoqué après que les pièces tirées du dossier aient été produites lors de l'audience publique de jugement qui a suivi le renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel ; qu'ils ajoutent qu'il s été débattu contradictoirement devant eux du contenu et de la portée des pièces litigieuses;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision; que le moyen doit, dès lors, être écarté;

Sur le second moyen de cassation, proposé par Francis L et par la R, pris de la violation des articles 121-7, 121-3 du Code pénal, 1134 du Code civil, de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le président de la Z coupable de complicité de publicité interdite en faveur du tabac;

"aux motifs que le tribunal a donc retenu à juste titre Jacques F et Francis L à qui il incombait de veiller au respect de la loi interdisant toute publicité en faveur du tabac, dans les liens de la prévention... il sera fait une application plus significative de la loi pénale à l'égard de Jacques F qui se devait d'être plus attentif à l'égard des publicités qui lui étaient proposées en sa qualité de régisseur de publicité";

"et aux motifs adoptés des premiers juges que "si la convention de concession précitée prévoit que le régisseur supportera seul les conséquences des contraventions aux lois et règlements qui seraient dressées à l'occasion de l'exploitation faisant l'objet de la présente convention, elle stipule aussi qu'est formellement prohibée toute publicité présentant un caractère politique, confessionnel ou contraire à la morale ou à l'ordre public ; la Z se réserve expressément le droit d'interdire à tout moment, avant ou pendant l'exécution des engagements, toute publicité inconciliable avec les traditions de bienséance et de sérieux qui s'imposent à elle en sa qualité d'exploitant d'un service public ou qu'elle jugerait contraire à ses intérêts; or, il résulte des pièces versées aux débats que, le 7 décembre 1993, Francis L a été prévenu par le CNCT de l'illicéité de la campagne diffusée; ... en laissant afficher la campagne en cause, il a lui aussi sciemment procuré au responsable de la société Y les moyens de commettre une infraction à la loi du 9 juillet 1976";

"alors que, d'une part, en refusant de faire application de la délégation de pouvoirs invoquée par le président de la Z en faveur de la société X et de nature à l'exonérer de sa responsabilité, au motif qu'il avait la possibilité d'interdire ou de mettre fin à la campagne publicitaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale;

"alors que, d'autre part, en reprochant au président de la Z d'avoir laissé afficher la campagne en cause du caractère illicite de laquelle il avait été averti par courrier du CNCT du 7 décembre 1993, sans répondre à ses conclusions faisant valoir qu'il avait été absent de France dès le 5 décembre 1993 et qu'il n'avait pu prendre connaissance du courrier du CNCT que le 12 décembre au plus tôt, soit deux jours avant la fin de la campagne publicitaire, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale;

"alors que, de troisième part, l'élément intentionnel de la complicité implique la participation volontaire et consciente à l'aide apportée à la commission de l'infraction ; qu'en déclarant le président de la Z complice du délit de publicité illicite en faveur du tabac au motif qu'il connaissait la loi interdisant toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, que le CNCT lui avait écrit dès le 7 décembre 1993 pour attirer son attention sur l'illicéité de cette campagne publicitaire, qu'il avait donc sciemment procuré à l'auteur du délit les moyens de le commettre, sans constater qu'il était personnellement intervenu dans la préparation et la diffusion de ladite campagne avec la volonté d'enfreindre la loi, la connaissance postérieure du caractère illicite des affiches apposées sur des panneaux dont la régie exclusive avait été déléguée à une société indépendante, étant insuffisante à caractériser cet élément intentionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale";

Attendu que pour rejeter les moyens de défense de Francis L, les juges d'appel prononcent par les motifs repris au moyen;

Attendu qu'en cet état, et dés lors que le dirigeant d'une personne morale, responsable, de plein droit de l'infraction, ne s'exonère de sa responsabilité pénale que s'il a délégué ses pouvoirs à un préposé pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires, la cour d'appel a justifié sa décision; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche ne saurait être admis;

Sur le second moyen de cassation proposé par la société P, pris de la violation des articles 3 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 10 janvier 1991 devenu l'article L. 355-26 du Code de la santé publique, 121-3, 121-7 et 122-3 du Code pénal, 1382 et 1384 du Code civil, 2,460 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société X solidairement responsable avec Jacques F, déclaré coupable de publicité illicite en faveur du tabac, du paiement des amendes et des dommages-intérêts alloués au CNCT partie civile;

"aux motifs, sur le moyen tiré du bénéfice de la dérogation prévue par l'alinéa 2 de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique: qu'il résulte de ce texte que la dérogation au régime de la publicité indirecte en faveur du tabac est exclue pour les produits commercialisés, même avant le 1er janvier 1990, par les entreprises qui, sans constituer juridiquement et financièrement une entité avec celle qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, se rattachent à cette dernière par un lien juridique ou financier, fût-il indirect ou occasionnel; que le plan stratégique WBI pour la France, qui avait pour objectif l'augmentation des ventes de la marque C, prévoyait des manifestations destinées à soutenir la marque par des publicités et par la mise en œuvre d'événements particuliers telle C; que la société WBI tenait ses droits sur la marque C de la société RJ Reynolds fabricant de tabac ; qu'il existait bien un lien juridique entre la société Y et la société WBI titulaire de la marque C qui ayant été déposée n'a pu être utilisée sans l'autorisation de son titulaire; qu il n'est d'ailleurs pas soutenu qu'il ait été fait une utilisation abusive de cette marque par Y;

Sur le moyen tiré de l'erreur de droit: - que les doutes dont font état les prévenus sur la portée réelle de l'alinéa 2 de l'article 355-26 du Code de la santé publique ne pouvaient conduire un professionnel de bonne foi, qu'à s'abstenir de participer à une campagne publicitaire dont le Comité national contre le tabagisme dénonçait le caractère illicite;

Sur le caractère illicite de la publicité en cause: - que le mot C qui rappelle sans confusion possible une marque de tabac était présenté sous la forme du logo utilisé par cette marque; - que cette présentation flatteuse d'une marque de tabac constitue une publicité indirecte en faveur du tabac interdite par l'article 355-2 du Code de la santé publique;

"alors que, d'une part, en se référant à la "création" et non à l'existence, de tout lien juridique ou financier entre l'entreprise ayant mis sur le marché un produit autre que le tabac ou un produit du tabac avant le 1er janvier 1990 et une entreprise juridiquement et financièrement distincte, qui fabrique, importe ou commercialise du tabac ou un produit du tabac, pour prévoir une exception à la dérogation de l'interdiction de toute publicité, même indirecte en faveur du tabac, le législateur a, comme le démontrent les travaux préparatoires à l'adoption de la loi du 10 janvier 1991 qui a modifié la loi du 9 juillet 1976, entendu seulement exclure du bénéfice de la dérogation que prévoit l'alinéa 2 de son article 3, les entreprises qu'il vise ayant contracté des liens juridiques ou financiers avec des entreprises liées au commerce du tabac après le 1er janvier 1990, en sorte qu'en interprétant ce texte comme s'il s'appliquait même quand les liens juridiques ou financiers sont antérieurs au 1er janvier 1990, les juges du fond l'ont manifestement violé;

"alors que, d'autre part, la campagne publicitaire litigieuse ayant été réalisée en décembre 1993, soit à une époque où aucune décision n'avait été encore rendue sur les conditions d'application de la dérogation à l'interdiction de la publicité indirecte en faveur du tabac, les justiciables ne pouvaient que se référer au texte de la loi du 10 janvier 1991 et aux travaux préparatoires ayant précédé son adoption sans pouvoir deviner l'interprétation répressive et déformante qui a été faite de ce texte par la jurisprudence à l'instigation de la partie civile; que dès lors en l'espèce où les juges du fond ont constaté que le dirigeant de la personne morale exposante, avait, avant d'accepter la campagne publicitaire litigieuse, reçu une attestation certifiant que la société qui fabriquait la montre faisant l'objet de la publicité, était juridiquement et financièrement distincte de toute entreprise liée au commerce du tabac, ce qui impliquait que la publicité de sa montre pouvait bénéficier de la dérogation prévue par la loi, la cour a violé l'article 122-3 du Code pénal ainsi que les articles 121-3 et 121-7 dudit Code en refusant d'admettre que le prévenu puisse être exonéré de sa responsabilité pénale en raison de l'erreur qu'il avait commise sur la portée de la dérogation prévue à l'interdiction de la publicité indirecte en faveur du tabac";

Attendu que pour refuser aux prévenus le bénéfice de la dérogation prévue par l'article L. 355-26, alinéa 2 du Code de la santé publique, les juges du second degré retiennent qu'il existait un lien juridique entre la société WBI, qui tient ses droits sur la marque "C" de la société RJ Reynolds, fabricant de tabac, et l'annonceur, la société Y, qui n'a pu utiliser la marque sans l'autorisation de celle-ci; que, pour rejeter le moyen de défense tirée de l'erreur sur le droit et caractériser l'élément intentionnel de la complicité du délit, les juges énoncent que les prévenus ne peuvent ni faire état de leurs doutes sur la portée de la dérogation légale ni exciper de leur bonne foi, alors que, s'étant vu notifier une mise en garde par le Comité national contre le tabagisme, il leur appartenait de s'abstenir de participer à la campagne publicitaire;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article L. 355-26 du Code de la santé publique et caractérisé, en tous ses éléments, la complicité de publicité indirecte en faveur du tabac imputée aux prévenus; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette les pourvois.