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Décisions

CJCE, 5e ch., 1 décembre 1998, n° C-200/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ecotrade Srl

Défendeur :

Altiforni e Ferriere di Servola SpA (AFS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Puissochet

Avocat général :

M. Fennelly

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Gulmann, Edward, Wathelet (rapporteur)

Avocats :

Mes Conte, Rossi, Picone, Vitucci, Guarino, Fiumara.

CJCE n° C-200/97

1 décembre 1998

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par ordonnance du 10 février 1997, parvenue à la Cour le 26 mai suivant, la Corte suprema di cassazione a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 92 du même traité.

2. Cette question a été posée dans le cadre d'un litige opposant Ecotrade Srl (ci-après "Ecotrade"), société de capitaux, active dans le domaine de la commercialisation de produits sidérurgiques, à la société Altiforni e Ferriere di Servola SpA (ci-après "AFS"), qui exerce une activité de production dans l'industrie sidérurgique, à propos d'une dette de 149 108 190 LIT due par cette dernière à Ecotrade pour une livraison de laitier.

3. Cette dette n'ayant pas été payée, le Pretore di Trieste a, le 30 juillet 1992, ordonné le transfert à Ecotrade, à titre exécutoire, d'une créance détenue par AFS sur une banque, à concurrence de la somme due.

4. Le 28 août 1992, AFS a informé Ecotrade qu'elle avait été placée sous administration extraordinaire par décret ministériel du 23 juillet 1992 (ci-après le "décret ministériel"), en application de la loi n° 95-79, du 3 avril 1979 (GURI n° 94 du 4 avril 1979, ci-après la "loi n° 95-79"), avec autorisation de poursuivre son activité, et lui a réclamé la restitution de la somme en cause, au motif que l'exécution de la dette était contraire à l'article 4 de la loi n° 544-81, du 2 octobre 1981 (GURI n° 272 du 3 octobre 1981, ci-après la "loi n° 544-81"), qui interdit les actions exécutoires individuelles après l'ouverture de la procédure d'administration extraordinaire.

5. Le 4 octobre 1992, Ecotrade a introduit un recours devant le Tribunale di Trieste, visant à voir juger que la demande de remboursement d'AFS n'était pas fondée, car elle reposait sur un décret ministériel incompatible avec le droit communautaire en matière d'aides d'État.

6. Par jugement du 23 octobre 1993, le tribunal a rejeté la demande d'Ecotrade et a fait droit à la demande de remboursement d'AFS.

7. Ce jugement a été confirmé par arrêt du 27 janvier 1996 de la Corte d'appello di Trieste. Ecotrade a alors formé un pourvoi devant la Corte suprema di cassazione.

8. La loi n° 95-79 instaure la procédure d'administration extraordinaire des grandes entreprises en difficulté.

9. En vertu de l'article 1er, premier alinéa, de ladite loi, cette procédure est susceptible d'être appliquée aux entreprises qui, depuis un an au moins, emploient 300 salariés au minimum et ont, à l'égard d'établissements de crédit, d'organismes de prévoyance et de sécurité sociale ou de sociétés dont l'État est l'actionnaire majoritaire, des dettes d'un montant égal ou supérieur à 80,444 milliards de LIT, et supérieur au quintuple du capital libéré de la société.

10. La procédure est également applicable, selon l'article 1er bis de la même loi, lorsque l'insolvabilité découle de l'obligation de rembourser des sommes s'élevant au minimum à 50 milliards de LIT, représentant au moins 51 % du capital libéré, à l'État, à des organismes publics ou à des sociétés dont l'État est l'actionnaire majoritaire, au titre de la restitution d'aides illégales ou incompatibles avec le Marché commun ou dans le cadre de financements accordés pour des innovations technologiques et des activités de recherche.

11. En vertu de l'article 2, premier alinéa, de la loi n° 95-79, pour se voir appliquer la procédure d'administration extraordinaire, l'entreprise doit avoir été déclarée insolvable par les tribunaux, soit en application de la loi sur la faillite, soit en raison du défaut de paiement des salaires depuis trois mois au moins. Le ministre de l'Industrie, après consultation du ministre des Finances, peut alors adopter un décret plaçant l'entreprise en administration extraordinaire et autoriser l'entreprise, en tenant compte de l'intérêt des créanciers, à poursuivre son activité pendant une période de deux ans au maximum, prorogeable pour une durée maximale supplémentaire de deux ans sur avis conforme du comité interministériel pour la coordination de la politique industrielle (ci-après le "CIPI").

12. Les entreprises sous administration extraordinaire sont soumises aux règles générales de la loi sur la faillite, sauf dérogations expresses prévues par la loi n° 95-79 ou des lois postérieures. Ainsi, dans le cas de l'administration extraordinaire comme dans celui de la procédure ordinaire de liquidation, le propriétaire de l'entreprise insolvable ne peut pas disposer de ses actifs, qui doivent, en principe, servir à désintéresser les créanciers; les intérêts sur les dettes existantes sont suspendus; aucune voie d'exécution ne peut être instituée ni poursuivie à titre individuel sur les biens de l'entreprise concernée. Toutefois, à la différence de la procédure ordinaire de faillite, dans le cas de l'administration extraordinaire, la suspension de toute voie d'exécution s'étend, en vertu de l'article 4 de la loi n° 544-81, aux dettes fiscales ainsi qu'aux pénalités, intérêts et majorations en cas de retard de paiement de l'impôt sur les sociétés.

13. En outre, en vertu de l'article 2 bis de la loi n° 95-79, l'État peut garantir tout ou partie des dettes que les sociétés placées sous administration extraordinaire contractent pour le financement de la gestion courante et pour la réactivation et l'achèvement des installations, des bâtiments et des équipements industriels, conformément aux conditions et modalités régies par décret du ministre du Trésor, sur avis conforme du CIPI.

14. Dans le cadre du processus d'assainissement, il est permis de procéder à la vente de l'ensemble des établissements de l'entreprise insolvable selon des modalités prévues par la loi n° 95-79. En vertu de l'article 5 bis de celle-ci, le transfert de propriété de tout ou partie de l'entreprise est alors soumis à un droit forfaitaire d'enregistrement d'un million de LIT.

15. Par ailleurs, en vertu de l'article 3, deuxième alinéa, de la loi n° 19-87, du 6 février 1987 (GURI n° 32 du 9 février 1987, ci-après la "loi n° 19-87"), les entreprises placées sous le régime de l'administration extraordinaire sont dispensées du paiement des amendes et sanctions pécuniaires infligées en cas de défaut de paiement des cotisations sociales obligatoires.

16. Selon l'article 2, deuxième tiret, de la loi n° 95-79, lorsqu'une entreprise sous administration extraordinaire est autorisée à poursuivre son activité, l'administrateur nommé pour la gérer doit préparer un plan de gestion approprié, dont la compatibilité avec les grandes lignes de la politique industrielle nationale est examinée par le CIPI avant son approbation par le ministre de l'Industrie. Les décisions concernant des questions telles que la restructuration, la vente des actifs, la liquidation ou la fin de la période d'administration extraordinaire doivent être approuvées par le même ministre.

17. Ce n'est qu'à la fin de la période d'administration extraordinaire que les créanciers de l'entreprise placée sous ce régime peuvent être désintéressés, en tout ou en partie, par liquidation des actifs de l'entreprise ou sur ses nouveaux bénéfices. En outre, en vertu des articles 111 et 212 de la loi sur la faillite, les dépenses occasionnées par l'administration extraordinaire et la poursuite de l'exploitation de l'entreprise, y compris les dettes contractées, sont payées par prélèvement sur le produit de réalisation de la masse, avec priorité sur les créances existantes à la date d'ouverture de la procédure d'administration extraordinaire.

18. La procédure d'administration extraordinaire se clôture après le concordat, la répartition intégrale de l'actif, l'extinction totale des créances ou l'insuffisance d'actif, ou encore après la récupération par l'entreprise de la capacité de faire face à ses obligations et donc le retour à l'équilibre financier.

19. Il convient de préciser, par ailleurs, que la loi n° 95-79 a fait l'objet d'un certain nombre de décisions de la Commission.

20. D'une part, en ce qui concerne la loi n° 95-79 dans son ensemble, la Commission a envoyé au Gouvernement italien une lettre au titre de l'article 93, paragraphe 1, du traité CE, dans laquelle, après avoir estimé que la réglementation en question semblait relever, à différents égards, du champ d'application des articles 92 et suivants dudit traité, elle demandait que lui soient préalablement notifiés tous les cas d'application de ladite loi, afin qu'ils puissent être examinés dans le cadre de la réglementation applicable aux aides aux entreprises en difficulté (lettre E 13-92, du 30 juillet 1992 JO 1994, C 395, p. 4).

21. Les autorités italiennes ont répondu à l'invitation de la Commission en indiquant qu'elles n'étaient disposées à faire une notification préalable que dans les cas d'octroi de la garantie de l'État visée à l'article 2 bis de la loi en question. La Commission a, dans ces conditions, décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE.

22. D'autre part, la Commission a adopté plusieurs décisions concernant des dossiers particuliers:

- la décision 96-434-CE, du 20 mars 1996 (JO L 180, p. 31), dans laquelle la Commission a qualifié d'aide d'État les dispositions de la loi n° 80-93 qui prévoient l'application de la procédure d'administration extraordinaire aux entreprises dont l'état d'insolvabilité découle de l'obligation de restituer à l'État, à des organismes publics ou à des sociétés dont l'État est l'actionnaire majoritaire une somme égale ou supérieure à 51 % du capital libéré et, en tout état de cause, non inférieure à 50 milliards de LIT, en exécution de décisions prises par des institutions communautaires en application des articles 92 et 93 du traité CE. Par cette décision, la Commission a déclaré l'aide en question incompatible avec le Marché commun ainsi qu'avec le fonctionnement de l'accord sur l'Espace économique européen et a imposé l'abrogation des dispositions incompatibles;

- la décision 96-515-CECA, du 27 mars 1996 (JO L 216, p. 11), dans laquelle la Commission a qualifié d'aide, au sens de l'article 4, sous c), du traité CECA, l'octroi d'une garantie d'État destinée à couvrir une somme de 26,5 milliards de LIT sans versement d'aucune prime, en faveur d'AFS précisément, en vertu de l'article 2 bis de la loi n° 95-79. Par cette décision, la Commission a déclaré l'aide en question illégale et incompatible avec le Marché commun du charbon et de l'acier et a demandé à l'État italien de la récupérer;

- la décision 97-754-CECA, du 30 avril 1997 (JO L 306, p. 25), dans laquelle la Commission a qualifié d'aide, au titre de l'article 4, sous c), du traité CECA, une série de mesures dont a bénéficié la société Ferdofin Siderurgica Srl - notamment la suspension du paiement de dettes considérables envers certains organismes publics - dans le cadre de l'application de la loi n° 95-79. Par cette décision, la Commission a déclaré l'aide en question incompatible avec le Marché commun du charbon et de l'acier et a enjoint aux autorités italiennes de récupérer les aides versées et de suspendre les dispositions de la loi n° 95-79 pour ce qui concerne le défaut de paiement par Ferdofin Siderurgica Srl des dettes contractées auprès d'entreprises et d'organismes publics.

23. C'est dans ces conditions que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice la question préjudicielle suivante:

"1) L'article 92 du traité: dès lors que, en prévoyant l'alternative entre les "aides accordées par les États" ou "au moyen des ressources d'État', la disposition peut inciter à penser que doivent aussi être considérées comme des aides les mesures d'État qui, tout en ne prévoyant pas le versement de sommes d'argent par l'État, permettent, par des procédures particulières, de parvenir au même résultat;

2) la décision indiquée [E 13-92]: dès lors que la conclusion à laquelle elle parvient ... est précédée de la prémisse selon laquelle la loi n° 95-79 "paraît relever sous différents aspects de l'application des articles 92 et suivants du traité"; qu'il semble donc douteux que l'on puisse considérer comme une aide, selon les dispositions du traité et la décision de la Commission, une mesure d'État, telle que celle prise en application de la loi n° 95-79, précitée, qui prévoit:

a) la simple non-application aux grandes entreprises des procédures ordinaires de faillite;

b) cette non-application et en même temps la poursuite de l'activité de l'entreprise; et cela, compte tenu du fait que le DL n° 414 du 31 juillet 1981 (ratifié par la loi n° 544-81) dispose (article 4) que "les actions exécutoires individuelles ... ne peuvent être entamées ou poursuivies après l'adoption de la mesure qui prévoit l'ouverture de la procédure d'administration extraordinaire"."

Sur la recevabilité de la demande préjudicielle

24. Au cours de l'audience, AFS a mis en doute la pertinence de la question préjudicielle au motif que, si elle avait été d'emblée soumise à la procédure ordinaire de faillite, Ecotrade n'aurait pas non plus été en mesure d'obtenir l'exécution de sa créance.

25. A cet égard, il y a lieu de rappeler, d'abord, qu'il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C-415-93, Rec. p. I- 4921, point 59).

26. Ensuite, il convient de constater qu'il ne découle pas de l'ordonnance de renvoi que, si l'application des mesures nationales litigieuses avait été écartée au motif que ces mesures constituaient des aides d'État interdites, Ecotrade aurait échappé à la règle d'interdiction des actions exécutoires individuelles, puisque celle-ci est également applicable en cas de procédure ordinaire de faillite.

27. Toutefois, rien ne permet d'affirmer d'emblée que, si AFS avait été soumise à la procédure ordinaire de faillite, la situation d'Ecotrade aurait été en tous points identique, en particulier, quant à ses chances de recouvrer ses créances au moins partiellement, ce qui relève de l'appréciation du juge national.

28. Il y a donc lieu de répondre à la question préjudicielle.

Sur la question préjudicielle

29. A titre liminaire, il convient de constater qu'AFS exerce une activité de production dans le domaine sidérurgique et constitue ainsi une entreprise au sens de l'article 80 du traité CECA. Il y a lieu en conséquence de replacer la question posée par la juridiction de renvoi dans le cadre du traité CECA.

30. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'application à une entreprise au sens de l'article 80 du traité CECA d'un régime tel que celui instauré par la loi n° 95-79 et dérogatoire aux règles de droit commun en matière de faillite, doit être considérée comme pouvant donner lieu à l'octroi d'une aide d'État interdite par l'article 4, sous c), du traité CECA.

31. La lettre E 13-92 de la Commission, à laquelle se réfère la juridiction de renvoi, constitue, ainsi qu'il ressort du point 20 du présent arrêt, une simple demande adressée au Gouvernement italien, en application de l'article 93, paragraphe 1, du traité CE, de notifier tous les cas d'application de la loi n° 95-79, demande à laquelle a fait suite l'ouverture de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CE. Cette dernière procédure n'avait pas encore donné lieu, à la date du dépôt de la demande préjudicielle, à une décision finale de la Commission.

32. Aux termes de l'article 4, sous c), du traité CECA, sont reconnues incompatibles avec le Marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolies et interdites à l'intérieur de la Communauté les subventions ou aides accordées par les États sous quelque forme que ce soit.

33. La décision n° 3855-91-CECA de la Commission, du 27 novembre 1991, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 362, p. 57), entrée en vigueur le 1er janvier 1992 et applicable jusqu'au 31 décembre 1996, autorise toutefois l'octroi d'aides à la sidérurgie dans des cas limitativement énumérés, notamment des aides à la fermeture, pour autant qu'elles aient été notifiées préalablement à la Commission conformément à l'article 6, paragraphe 2, de cette décision.

34. Comme la Cour l'a déjà jugé, la notion d'aide est plus générale que celle de subvention parce qu'elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30-59, Rec. p. 1, 39, et du 15 mars 1994, Banco Exterior de EspaÄna, C-387-92, Rec. p. I-877, point 13).

35. En outre, à l'instar de ce que la Cour a jugé à propos de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE, le terme "aide", au sens de l'article 4, sous c), du traité CECA, implique nécessairement des avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d'État ou constituant une charge supplémentaire pour l'État ou pour les organismes désignés ou institués à cet effet (voir arrêts du 24 janvier 1978, Van Tiggele, 82-77, Rec. p. 25, points 23 à 25; du 13 octobre 1982 Norddeutsches Vieh- und Fleischkontor Will e.a., 213-81 à 215-81, Rec. p. 3583, point 22; du 17 mars 1993, Sloman Neptun, C-72-91 et C-73-91, Rec. p. I-887, points 19 et 21; du 30 novembre 1993, Kirsammer-Hack, C-189-91, Rec. p. I-6185, point 16, et du 7 mai 1998, Viscido e.a., C-52-97 à C-54-97, Rec. p. I-2629, point 13).

36. A cet égard, contrairement à ce que soutient la Commission, l'éventuelle perte de ressources fiscales qui résulterait pour l'État de l'application du régime d'administration extraordinaire, en raison de l'interdiction absolue des voies d'exécution à titre individuel et de la suspension des intérêts sur toutes les dettes de l'entreprise concernée, ainsi que de la diminution corrélative des bénéfices des créanciers, ne saurait en elle-même justifier la qualification d'aide dudit régime. En effet, une telle conséquence est inhérente à tout régime légal fixant le cadre dans lequel s'organisent les relations entre une entreprise insolvable et l'ensemble de ses créanciers, sans pour autant qu'il puisse en être déduit automatiquement l'existence d'une charge financière supplémentaire supportée directement ou indirectement par les pouvoirs publics et destinée à accorder aux entreprises concernées un avantage déterminé (voir, en ce sens, arrêt Sloman Neptun, précité, point 21).

37. En revanche, plusieurs caractéristiques du régime instauré par la loi n° 95-79, particulièrement au regard des circonstances de l'espèce au principal, pourraient permettre d'établir, si la portée qui leur est attribuée ci-après était confirmée par la juridiction de renvoi, l'existence d'une aide interdite par l'article 4, sous c), du traité CECA.

38. Tout d'abord, il ressort du dossier que la loi n° 95-79 a pour vocation de s'appliquer de manière sélective en faveur de grandes entreprises industrielles en difficulté ayant une position débitrice particulièrement élevée envers certaines catégories de créanciers, pour la plupart à caractère public. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 26 de ses conclusions, il est même hautement probable que l'État ou des organismes publics figurent parmi les principaux créanciers de l'entreprise concernée.

39. Il importe également de souligner que les décisions du ministre de l'Industrie de placer l'entreprise en difficulté sous administration extraordinaire et de l'autoriser à poursuivre son activité, à supposer même qu'elles soient prises en tenant compte au mieux des intérêts des créanciers et, en particulier, des chances de valorisation des actifs de l'entreprise, sont également influencées, ainsi que le Gouvernement italien l'a lui-même admis dans ses écrits et au cours de l'audience, par le souci de préserver, au regard de considérations de politique industrielle nationale, l'activité économique de l'entreprise.

40. Dans ces conditions, compte tenu de la catégorie des entreprises couvertes par la réglementation litigieuse et de l'étendue du pouvoir d'appréciation dont jouit le ministre lorsqu'il autorise, en particulier, une entreprise insolvable sous administration extraordinaire à poursuivre son activité, la réglementation en cause remplit la condition de spécificité qui constitue l'une des caractéristiques de la notion d'aide d'État (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 1996, France/Commission, C-241-94, Rec. p. I-4551, points 23 et 24).

41. Ensuite, quel que soit l'objectif poursuivi par le législateur national, il apparaît que la réglementation en cause est susceptible de placer les entreprises auxquelles elle s'applique dans une situation plus favorable que d'autres en ce qu'elle permettrait la poursuite de leur activité économique dans des circonstances où une telle éventualité serait exclue dans le cadre d'application des règles ordinaires en matière de faillite, ces dernières tenant compte de façon déterminante de la protection des intérêts des créanciers. Or, compte tenu du rang prioritaire des créances liées à la poursuite de l'activité économique, l'autorisation de poursuivre celle-ci, dans de telles circonstances, pourrait impliquer une charge supplémentaire pour les pouvoirs publics s'il était effectivement établi que l'État ou des organismes publics figurent parmi les principaux créanciers de l'entreprise en difficulté, d'autant que celle-ci est, par hypothèse, débitrice de sommes considérables.

42. Par ailleurs, en plus de l'octroi de la garantie de l'État au titre de l'article 2 bis de la loi n° 95-79, que les autorités italiennes ont accepté de notifier préalablement à la Commission, la mise sous administration extraordinaire entraîne l'extension de l'interdiction et de la suspension de toute voie d'exécution individuelle aux dettes fiscales et aux pénalités, intérêts et majorations en cas de retard de paiement de l'impôt sur les sociétés, l'exonération de l'obligation de paiement des amendes et sanctions pécuniaires en cas de défaut de paiement des cotisations sociales ainsi que l'application d'un taux préférentiel en cas de transfert de tout ou partie de l'entreprise, le transfert étant soumis au droit forfaitaire d'enregistrement d'un million de LIT, alors que le droit d'enregistrement ordinaire s'élève à 3 % de la valeur des biens cédés.

43. De tels avantages, consentis par le législateur national, pourraient impliquer également une charge supplémentaire pour les pouvoirs publics, sous la forme d'une garantie d'État, d'un renoncement effectif aux créances publiques, d'une exonération de l'obligation de paiement d'amendes ou autres sanctions pécuniaires ou d'un taux réduit d'impôt. Il ne saurait en être autrement que s'il était établi que la mise sous administration extraordinaire et la poursuite de l'activité économique de l'entreprise n'ont pas effectivement entraîné une charge supplémentaire pour l'État, par rapport à ce qui aurait découlé de l'application des dispositions ordinaires du régime de la faillite.

44. A cet égard, le Gouvernement italien soutient, d'une part, que l'administration extraordinaire n'entraîne pas une plus grande perte pour l'État, titulaire de créances fiscales, que le régime de droit commun dans le cadre duquel il jouirait de certains privilèges de procédure, et, d'autre part, que les dispositions prévoyant l'exonération de l'obligation de paiement des amendes et pénalités pour retard de paiement de cotisations sociales ne sont plus applicables. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier ces allégations.

45. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l'application à une entreprise au sens de l'article 80 du traité CECA d'un régime tel que celui instauré par la loi n° 95-79 et dérogatoire aux règles de droit commun en matière de faillite, doit être considérée comme donnant lieu à l'octroi d'une aide d'État, interdite par l'article 4, sous c), du traité CECA, lorsqu'il est établi que cette entreprise

- a été autorisée à poursuivre son activité économique dans des circonstances où une telle éventualité aurait été exclue dans le cadre de l'application des règles de droit commun en matière de faillite, ou

- a bénéficié d'un ou plusieurs avantages, tels qu'une garantie d'État, un taux réduit d'impôt, une exonération de l'obligation de paiement d'amendes et autres sanctions pécuniaires ou un renoncement effectif, total ou partiel, aux créances publiques, auxquels n'aurait pas pu prétendre une autre entreprise insolvable dans le cadre de l'application des règles de droit commun en matière de faillite.

Sur les dépens

46. Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR (cinquième chambre), statuant sur la question à elle soumise par la Corte suprema di cassazione, par ordonnance du 10 février 1997, dit pour droit:

L'application à une entreprise au sens de l'article 80 du traité CECA d'un régime, tel que celui instauré par la loi n° 95-79, du 3 avril 1979, et dérogatoire aux règles de droit commun en matière de faillite, doit être considérée comme donnant lieu à l'octroi d'une aide d'État, interdite par l'article 4, sous c), du traité CECA, lorsqu'il est établi que cette entreprise

- a été autorisée à poursuivre son activité économique dans des circonstances où une telle éventualité aurait été exclue dans le cadre de l'application des règles de droit commun en matière de faillite, ou

- a bénéficié d'un ou plusieurs avantages, tels qu'une garantie d'État, un taux réduit d'impôt, une exonération de l'obligation de paiement d'amendes et autres sanctions pécuniaires ou un renoncement effectif, total ou partiel, aux créances publiques, auxquels n'aurait pas pu prétendre une autre entreprise insolvable dans le cadre de l'application des règles de droit commun en matière de faillite.