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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 3 novembre 1999, n° 99-00075

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Comité national contre le tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

M. Seltensperger, Mme Marie

Avocats :

Mes Dauzier, Lebosse-Peluchonneau, Antonini.

TGI Paris, 31e ch., du 24 nov. 1998

24 novembre 1998

Rappel de la procédure:

La prévention:

Par acte en date du 15 décembre 1997, le Comité national contre le tabagisme, (CNCT) a cité directement devant le Tribunal de grande instance de Paris, C Jean-Dominique, F Alain et W Hermann, ces deux derniers non en cause d'appel, aux fins de les voir déclarer coupables du délit de publicité illicite en faveur du tabac et de les entendre condamner chacun à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts.

Le Comité national contre le tabagisme, (CNCT) a cité les sociétés X France et Y aux fins de les voir déclarer civilement responsables de leurs dirigeants.

Le jugement:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a:

déclaré C Jean-Dominique coupable de publicité directe ou propagande en faveur du tabac ou de ses produits, faits commis du 28 septembre 1996 au 6 octobre 1996, à Paris,

infraction prévue par les articles L. 355-31 al. 1, L. 355-24 al. 1, L. 355-25 du Code de Yanté publique et réprimée par l'article L. 355-3 1 al. 1, al. 3 du Code de santé publique et, en application de ces articles, l'a condamné à 20 000 F d'amende, statuant sur l'action civile, reçu le Comité national contre le tabagisme en sa constitution de partie civile,

condamné Jean-Dominique C à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 500 F sur le fondement de l'article 475-l du Code de procédure pénale,

mis hors de cause Y,

débouté le Comité national contre le tabagisme du surplus de ses demandes,

dit que la décision était assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 600 F dont est redevable chaque condamné.

Les appels:

Appel a été interjeté par:

Monsieur C Jean-Dominique, le 1er décembre 1998, sur les dispositions pénales et civiles contre Comité national contre le tabagisme;

Y prise en la personne de son représentant légal M. C civilement responsable, le 1er décembre 1998, sur les dispositions du jugement en date du 24 novembre 1998 rendu contre Monsieur C Jean-Dominique;

M. le Procureur de la République, le 1er décembre 1998, contre Monsieur C Jean-Dominique;

Décision:

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels relevés par le prévenu, Y en qualité de civilement responsable et du Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé des faits et de la prévention

Jean-Dominique C demande à la cour, par voie de conclusions, de le relaxer aux motifs qu'il n'est pas l'auteur matériel de l'infraction qui lui est reprochée et qu'il avait délégué ses pouvoirs à Gilles D, directeur commercial; subsidiairement, il fait valoir que l'installation, dans la foire exposition de Montluçon, d'un sous-débit de tabac avait été autorisée conformément à la réglementation en vigueur, qu'aucune règle imposée aux débits de tabac en matière de publicité n'a été enfreinte et que, s'agissant de la vente de produits dérivés, celle-ci, organisée certes maladroitement, était occasionnelle et limitée, comme ne portant que sur onze produits provenant d'un résidu de stocks;

Toujours à titre subsidiaire, il demande à la cour de juger Y, aux côtés de laquelle il conclut conjointement avec elle, responsable des condamnations tant pénales que civiles qui pourraient être mise à sa charge;

Y ne formule aucune demande spécifique mais elle s'associe aux demandes de Jean-Dominique C;

Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) et Maître Lebosse-Peluchonneau, commissaire à l'exécution du plan, désignée en cette qualité par jugement rendu le 12 mars 1999 par le Tribunal de grande instance de Paris, demandent à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et de condamner Jean-Dominique C à lui verser en outre une somme de 10 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Rappel des faits

A la foire-exposition de Montluçon (Allier), organisée entre le 28 septembre et le 6 octobre 1996, ont été installés un stand X France, un stand X et un stand Y, trois points de vente de cigarettes, ouverts au public dans le hall de la dite exposition;

Outre les produits du tabac, y étaient exposés notamment des briquets, tee-shirt, casquettes, allumettes, blousons, portefeuilles arborant diverses marques de cigarettes;

C'est dans ces conditions que le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a, par voie de citation directe, attrait devant le Tribunal de grande instance de Paris Alain F, Hermann W et Jean-Dominique C ainsi que la société X France et Y, en leur qualité de civilement responsable respectivement des deux premiers et du troisième prévenus, reprochant à ces deniers d'avoir commis le délit de publicité illicite en faveur du tabac;

Aux termes du jugement déféré, le Tribunal de grande instance de Paris, a accueilli l'exception d'incompétence territoriale soulevée par Alain F, Hermann W et la société X France, a déclaré Jean-Dominique C coupable des faits visés à la prévention, l'a condamné à une amende de 20 000 F, a alloué une somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts au Comité national contre le tabagisme (CNCT) outre une somme de 3 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et a mis Y, prise en sa qualité de civilement responsable de Jean-Dominique C hors de cause;

Sur l'action publique

Considérant que l'installation d'un débit de tabac de Y dans les locaux de la foire exposition de Montluçon, communément appelé "sous-débit de marques", a été autorisée le 21 mars 1996 par la Direction régionale des douanes et droits indirects d'Auvergne;

Que l'installation de ce sous-débit ne peut être, en soi, constitutive du délit de publicité illicite;

Considérant que, fût-il ouvert au public et garni de produits du tabac offerts au moins à la vue du même public, ce sous-débit était astreint, au plan des règles de publicité, aux mêmes obligations et interdictions que celles applicables aux débits de tabac;

Que, dès lors, l'existence même de sous-débit de tabac, autorisée le 21 mars 1996 par la Direction régionale des douanes et droits indirects et prévue par l'instruction de cette administration n° 95-128 (DA, du 28 juin 1995, n° 6008 du 6 juillet 1995) publiée au bulletin officiel des Douanes, ne peut, par elle-même, constituer une infraction à l'article L. 355-25 alinéa premier du Code de santé publique, étant fait observer que les dites dispositions, selon l'alinéa deuxième du même article, ne s'appliquent ni aux enseignes ni aux affichettes disposées à l'intérieur de l'établissement, non visibles de l'extérieur;

Que, s'agissant du sous-débit de tabac lui-même, il n'est nullement prétendu que les obligations en matière de présentation des produits à la vente, d'agencement des vitrines et les dispositions en matière de publicité aient été enfreintes;

Qu'il résulte des photographies produites que les dispositions de l'article 1-4 de la dite instruction ("Il sera précisé, en outre, sur l'autorisation que toute forme de publicité est interdite à l'exception de l'apposition de la carotte") ont été respectées;

Cela étant;

Considérant que, à l'écart du point de vente de tabac mais à proximité immédiate du sous-débit dont elle dépendait, une vitrine contenait, exposés à la vente, des produits dérivés, à savoir des briquets, des tee-shirts et des casquettes marqués "R" et G";

Considérant que le Comité national contre le tabagisme (CNCT) ayant fait valoir, aux termes de sa citation directe, qu'étaient "proposés à la vente, sur les trois stands litigieux", donc sur celui de Y, de produits marqués "X, M, N, L, R et G", Jean-Dominique C reconnaît la présence de produits marqués "R" et G" à l'exclusion de tous autres;

Qu'en l'état des pièces produites et des éléments fournis à la cour, il est établi en effet et non discuté que les produits offerts à la vente par Y étaient effectivement marqués exclusivement "R" (un tee-shirt, un sac marin et trois casquettes) et "G" (trois porte-briquet et trois tee-shirt);

Que, tout en reconnaissant la matérialité des faits qui lui sont reprochés s'agissant de ces produits marqués "R" et "G", Jean-Dominique C fait valoir d'une part qu'il s'agissait d'un fait occasionnel et limité portant sur une très faible quantité de produits constituant un reliquat de stocks, d'autre part, en tant que président directeur général de Y, il n'est pas l'auteur de cette infraction et que, enfin, il avait délégué ses pouvoirs à un directeur commercial;

Que les observations du prévenu tendant à invoquer le caractère occasionnel de la manifestation, le nombre, certes faible, des objets proposés à la vente et le fait que, selon ses déclarations, il s'agissait d'un reliquat de stocks sont inopérantes, le point de savoir si l'infraction est reprochée est constituée ou non ne dépendant nullement de l'étendue ou de l'importance de la publicité illicite mais de son principe et de sa réalité mêmes;

Considérant que, le 9 août 1996, Jean-Dominique C a délégué ses pouvoirs de direction générale et de représentation notamment quant à l'élaboration, la mise en œuvre et le contrôle des campagnes publi-promotionnelles en France et à l'étranger dans le respect des législations en vigueur;

Qu'aux termes de cette délégation de pouvoirs, il est toutefois précisé "Cependant, vous devrez solliciter mon autorisation préalable pour les décisions suivantes: campagnes publi-promotionnelles en France...";

Que, en conséquence, Jean-Dominique C s'étant expressément réservé la responsabilité de donner ou non l'autorisation sollicitée par une direction régionale en vue de l'organisation d'une campagne publi-promotionnelle, la délégation de pouvoir qu'il invoque est inopérante;

Que dès lors il est pénalement responsable des faits visés à la prévention;

Considérant que, compte tenu de l'ensemble des éléments soumis à l'appréciation de la cour, il y a lieu, les faits étant constants, s'agissant de l'exposition à la vente de produits dérivés marqués "R" et "G", de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que "le fait de proposer à la vente dans un sous-débit de tabac ouvert dans une foire exposition des produits vestimentaires et dérivés du tabac revêtus de marques de cigarettes constitue une publicité illicite en faveur du tabac" et qu'il a déclaré Jean-Dominique C coupable à ce titre;

Qu'il y a lieu également de le confirmer en répression, la peine d'amende de 20 000 F qui lui a été infligée étant une peine équitable;

Considérant que, si l'article L. 355-31, quatrième alinéa du Code de santé publique permet à la juridiction correctionnelle de décider que les personnes morales sont en totalité ou en partie solidairement responsables du paiement des amendes et des frais de justice mis à la charge de leurs dirigeants ou de leurs préposés, cette mesure, dont la cour observe qu'elle n'a pas été sollicitée devant les premiers juges, n'est qu'une faculté dont dispose la juridiction correctionnelle;

Que la cour n'estime pas devoir satisfaire la demande présentée à ce titre par Jean-Dominique C concluant aux côtés de Y elle-même;

Sur l'action civile

Considérant que la cour ne trouve pas motif à modifier la fixation à 30 000 F du préjudice subi, certain, direct et personnel, par le Comité national contre le tabagisme (CNCT);

Que les dispositions civiles prises à l'encontre de Jean-Dominique C aux termes du jugement déféré seront confirmées à ce titre, y compris celle prise en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Que la demande présentée par le CNCT sur le fondement de ces mêmes dispositions en cause d'appel sera accueillie et limitée ainsi qu'il sera dit au dispositif du présent arrêt;

Considérant que les premiers juges ont mis hors de cause Y, prise en qualité de civilement responsable et citée à ce titre par le CNCT, lequel n'a pas relevé appel;

Que la demande de Jean-Dominique C tendant à ce que Y, son employeur dont il est le président directeur général, soit déclarée civilement responsable, est recevable;

Considérant que la qualité de mandataire qu'a Jean-Dominique C en tant que président directeur général n'est pas nécessairement exclusive de celle de préposé au sens de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil de sorte que le jugement entrepris sera réformé en ce qu'il a mis Y, citée en sa qualité de civilement responsable, hors de cause;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Donne acte à Maître Lebosse-Peluchonneau de ce qu'elle intervient aux côtes du Comité national contre le tabagisme (CNCT) en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire; Sur l'action publique, Confirme le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité de Jean-Dominique C et sur la peine prononcée à son encontre; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article L. 355-31, alinéa 4, du Code de santé publique; Sur l'action civile, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Jean-Dominique C à payer au CNCT la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 3 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Y ajoutant, condamne Jean-Dominique C à payer au CNCT une somme de 2 000 F sur le fondement de ces mêmes dispositions en cause d'appel; Infirme le dit jugement en ce qu'il a mis hors de cause Y; La déclare civilement responsable de Jean-Dominique C. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.