Cass. crim., 21 mai 1984, n° 83-92.070
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Association Force-Ouvrière consommateurs
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Escande
Rapporteur :
M. Le Gunehec
Avocat général :
M. Clerget
Avocats :
SCP Labbé-Delaporte, SCP Riché, Blondel
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par l'association Force-Ouvrière consommateurs, (AFOC), partie civile - contre un arrêt de la Cour d'appel de paris, 13e chambre - section A, en date du 12 avril 1983, qui, dans une procédure suivie du chef de publicité fausse ou de nature à induire en erreur contre C René, l'a déboutée de son action après avoir relaxé le prévenu ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 44-1 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motif ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé le sieur C des fins de la poursuite et débouté en conséquence l'association FO consommateurs, partie civile, de son action ;
"alors que s'il appartient aux juridictions répressives d'apprécier les circonstances qui peuvent dépouiller les faits de leur caractère délictueux, leurs appréciations à cet égard ne sont souveraines qu'autant qu'elles ne sont pas en contradiction avec les faits constatés et avec le caractère légal qui appartient à ces faits ; que les premiers juges saisis de poursuites contre C du chef de publicité de nature à induire en erreur ont exposé les motifs d'où il se déduit que le film publicitaire en faveur des valises X qui représentait la simulation d'un match de football au cours duquel une valise X tenait lieu de ballon et des bulldozers remplaçaient des équipes de joueurs, aboutissait, en raison de la répétitivité des scènes et alors qu'il était montré avec insistance à l'issue de la séquence une valise indemne, à donner une impression d'ensemble de nature à induire en erreur sur le degré de robustesse attribué à la valise X ; qu'ils ont notamment relevé que lors des opérations de tournage du film, il avait été utilisé de nombreuses valises dont plusieurs avaient été détériorées, que selon le sieur Fernand Blachere, ingénieur chargé par la Commission consultative de visionnage instituée auprès de la régie française de publicité de contrôler les conditions de tournage du film, deux des quatre essais réalisés dans la scène où la roue du bulldozer passait sur la valise avaient entraîné des dommages pour celles-ci dont une avait été cassée, qu'en outre pendant le tournage du film, un nombre important de valises avait été endommagé par bris de charnière ou écrasé par le godet du bulldozer et que les valises ainsi accidentées étaient déposées dans un camion et remplacées par des neuves ; qu'en l'état de ces constatations, les juges du second degré ne pouvaient comme ils l'ont fait sans s'expliquer autrement que par la considération que la transposition de la présentation de la valise permettait de dissiper toute équivoque et sans infirmer les constatations de fait sur lesquelles le tribunal avait fondé sa décision de condamnation, affirmer simplement qu'aucune personne ne peut raisonnablement croire qu'une valise ne peut résister à l'écrasement par un bulldozer ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que René C, gérant de la société X France, a fait diffuser courant 1979 et 1980, à la télévision et dans diverses salles de cinéma, un "spot" publicitaire destiné à vanter les qualités de solidité des valises fabriquées par sa société et qui présentait un match de football simulé, dans lequel des bulldozers du type "tracto-pelle" faisaient office de joueurs, tandis qu'une valise de la marque, tenant lieu de ballon, était soumise à de "très dures et exceptionnelles épreuves" dont elle ressortait indemne ; qu'il est établi et non contesté qu'au cours des opérations de tournage du film, qui ont duré quatre jours, de nombreuses valises similaires ont été utilisées, dont plusieurs ont été détériorées, en particulier lors d'une scène au cours de laquelle la valise passait sous les roues d'un des bulldozers ; que pour ces faits, sur la plainte d'une entreprise concurrente, C a été poursuivi du chef de publicité fausse ou de nature à induire en erreur ;
Attendu que, pour déclarer non constitué le délit poursuivi, et débouter de sa demande de réparation l'association Force-Ouvrière consommateurs (AFOC), constituée partie civile en cours d'instance, la cour d'appel énonce que "le film incriminé ne prétend nullement décrire une expérience scientifique ou donner une démonstration rigoureuse de l'indestructibilité des valises X, à laquelle personne ne saurait raisonnablement croire", mais que son but "consiste à offrir au public, afin de retenir son attention, un spectacle inhabituel, tout à fait irréel et parfaitement imaginaire" ; que, selon l'arrêt, le produit vante étant "présente dans une situation fantaisiste et très insolite", recevant "un traitement hors du commun" et étant utilisé "dans des conditions absolument étrangères à ses fins habituelles", il importe peu que, lors du tournage, "des valises aient pu ou non être endommagées et que tel ou tel procédé de montage ou de truquage ait pu être utilisé" ; qu'en raison même du caractère irréel et imaginaire du film, "qui ne pouvait échapper au spectateur moyen", "tout reproche d'induire en erreur doit être écarté" ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, et en interprétant l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 comme n'interdisant pas "la publicité hyperbolique" qui se traduit par "la parodie" ou "l'emphase", dès lors qu'il est établi, par référence à "l'optique du consommateur moyen" et en tenant compte "du degré de discernement et du sens critique de la moyenne des consommateurs", que l'outrance ou l'exagération de l'image publicitaire "ne peut finalement tromper personne", les juges ont justifié leur décision, sans encourir les griefs allégués au moyen ;que celui-ci ne saurait donc être accueilli ;
et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.