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Décisions

Cass. crim., 11 mars 1998, n° 96-85.352

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocats :

Me Choucroy, SCP Waquet, Farge, Hazan

TGI Grenoble, ch. corr., du 6 nov. 1995

6 novembre 1995

LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par X Brigitte, épouse Y, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, du 27 septembre 1996, qui, pour complicité de publicité de nature à induire en erreur, l'a condamnée à 10 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 375 du Code de la santé publique, 1, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a écarté l'exception de nullité de la citation des parties civiles;

"aux motifs adoptés des premiers juges qu'aux termes de l'article 1er du Code de procédure pénale, l'action publique peut être mise en mouvement par la partie lésée; que l'article L. 375 du Code de la santé publique ne limite pas le droit pour l'ordre professionnel d'agir par voie de citation directe au seul délit d'exercice illégal; que la répression des actes de publicité mensongère n'a pas pour seul objet de protéger le consommateur contre les tromperies dont il pourrait être victime, mais vise aussi à protéger les professionnels contre les actes de concurrence déloyale; que les actes reprochés à la demanderesse rentrent dans ce cadre; que, dès lors, la citation doit être déclarée régulière; "que, selon, la Cour, la concurrence n'est pas limitée au secteur commercial de l'économie, mais concerne aussi les professions libérales; qu'en outre, la publicité litigieuse était destinée à détourner la clientèle des chirurgiens-dentistes vers les deux prothésistes dentaires, auteurs de la publicité incriminée, dans le but, pour eux, de se livrer à l'exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, ainsi que cela a été définitivement jugé par cette Cour pour ce qui les concerne; que l'exercice illégal d'une profession réglementée est, par définition, un acte de concurrence déloyale;

"alors que l'article L. 375 du Code de la santé publique limite la saisine des tribunaux répressifs par voie de citation directe aux organismes concernés par le délit d'exercice illégal de la médecine, de l'art dentaire ou de la profession de sage-femme; qu'un ordre professionnel ou un syndicat ne peut agir que dans le cadre des pouvoirs que lui confère la loi; que, par suite, ni l'Ordre des chirurgiens-dentistes, ni le Syndicat des chirurgiens-dentistes ne pouvaient agir par voie de citation directe dans le cadre d'une infraction de complicité de publicité mensongère de nature à induire en erreur, infraction totalement étrangère au délit d'exercice illégal visé par la disposition sus-mentionnée";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que deux prothésistes dentaires ont fait insérer, dans un journal périodique gratuit, des annonces faisant offre de prestations de service relevant de l'art dentaire, à l'occasion desquelles ils ont définitivement été condamnés pour publicité de nature à induire en erreur; qu'à la suite de ces faits, le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes et le syndicat des chirurgiens-dentistes de l'Isère, ont fait directement citer devant le tribunal correctionnel Brigitte X, directrice de publication du journal, pour complicité de publicité de nature à induire en erreur; que la prévenue, se prévalant du défaut de qualité pour agir des parties civiles, a opposé, avant toute défense au fond, une exception d'irrecevabilité de leur constitution et soutenu que l'action publique n'avait pas été régulièrement mise en mouvement; que pour écarter cette exception, les juges d'appel se prononcent par les motifs reproduits au moyen;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que la complicité de publicité de nature à induire en erreur était connexe à un exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article L375 du Code de la santé publique; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, alinéa 1, du Code de la consommation, 121-6 et 121-7 du Code pénal, 59 et 60 de l'ancien Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable de complicité de publicité mensongère et l'a condamnée à une peine d'amende de 10 000 francs;

"aux motifs adoptés des premiers juges que les annonces visées par la prévention mentionnent, pour les unes: "Conseils techniques et réfection sur rendez-vous", pour d'autres: "Appareils dentaires, réparations", et pour d'autres enfin: "Conseils techniques"; que les prothésistes proposaient aussi à une clientèle potentielle de procéder à un examen de leur dentition et à un diagnostic pour les soins à entreprendre, sans lesquels aucun conseil technique ne pouvait être donné; que ces publicités constituaient une offre d'actes d'exercice illégal de l'art dentaire; qu'elles étaient susceptibles de faire croire faussement que les annonceurs étaient en droit de se livrer à ces actes; que le délit est ainsi constitué; que la demanderesse reconnaît avoir sciemment fait paraître des publicités, puisqu'elle expose avoir consulté au préalable le bureau de vérification de la publicité; que cet organisme la mettait en garde contre les risques présentés par une telle publicité; "que, selon la Cour, Brigitte Y ne pouvait ignorer le caractère de nature à induire en erreur de cette publicité, d'une part, à raison de son contenu même, d'autre part, par la publication judiciaire d'une précédente condamnation des mêmes annonceurs du chef d'exercice illégal de l'art dentaire et de publicité mensongère opéré par le même "Z", alors qu'elle en était déjà directrice de publication, enfin, parce que, de son propre aveu, elle a pris l'attache de son service juridique qui lui a exposé les risques encourus en continuant à accepter ces publicités;

"alors que, d'une part, la complicité légale n'existant que si le fait principal est punissable, les éléments de ce fait principal doivent être constatés; que le délit de publicité mensongère suppose que le message incriminé puisse induire en erreur un consommateur moyen et porte sur l'un des éléments cotés par la loi; qu'en l'espèce, les juges du fond, qui se sont bornés à constater que les annonces visées par la prévention constituaient une offre d'actes d'exercice illégal de l'art dentaire, qu'elles étaient susceptibles de faire croire faussement que les annonceurs étaient en droit de se livrer à ces actes, n'ont pas caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction de publicité mensongère; que, par suite, la complicité légale de ce délit n'existe pas, faute d'une infraction principale légalement établie;

"alors, d'autre part, et en tout état de cause, que la complicité suppose un acte de participation par aide ou assistance accompli avec intention frauduleuse; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les éléments de la complicité punissable, n'a pas donné de base légale à sa décision";

Attendu que pour déclarer Brigitte X coupable de complicité de publicité de nature à induire en erreur sur les qualités ou aptitude des prestataires de service, les juges d'appel retiennent que les annonces incriminées laissaient croire au client potentiel que les prothésistes dentaires offrant leurs services étaient habilités à procéder à un examen de la dentition et à poser un diagnostic, alors qu'ils ne remplissaient pas les conditions exigées pour l'exercice d'actes prothétiques relevant de la pratique de l'art dentaire; que les juges relèvent que la prévenue a poursuivi, en connaissance de cause, la diffusion des annonces illicites dans la publication qu'elle dirige;

Attendu qu'en l'état de ces motifs caractérisant le délit poursuivi en tous ses éléments, la cour d'appel a justifié sa décision; que le moyen doit être écarté;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la prévenue à verser un franc à chacune des parties civiles;

"aux motifs adoptés des premiers juges que le Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes et le Syndicat des chirurgiens-dentistes ont subi un préjudice qui doit être considéré comme symbolique; qu'il convient de déclarer la demanderesse responsable du préjudice subi par les parties civiles; qu'en l'état des justifications produites aux débats, les juges du fond disposent d'éléments d'appréciation suffisants pour fixer à un franc la somme à allouer;

"alors que, si les syndicats professionnels ne peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile, c'est à la condition que les faits déférés aux juges puissent par eux-mêmes porter un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession distinct aussi bien de l'intérêt privé de la victime que des intérêts généraux de la société; que tel n'est pas le cas du Conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes de l'Isère et du Syndicat des chirurgiens-dentistes de l'Isère, l'infraction de publicité mensongère ne portant atteinte qu'à l'intérêt des consommateurs";

Attendu que, pour allouer un franc de dommages-intérêts au conseil départemental de l'Ordre des chirurgiens-dentistes de l'Isère, ainsi qu'au syndicat des chirurgiens-dentistes de ce département, les juges d'appel énoncent que les deux parties civiles justifient d'une atteinte aux intérêts de la profession qu'elles défendent, découlant directement des publicités incriminées, celles-ci ayant pour objet de détourner la clientèle des chirurgiens-dentistes vers les annonceurs se livrant à l'exercice illégal de l'art dentaire;

Attendu qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué; d'où il suit que le moyen ne peut être admis;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.