CA Paris, 5e ch. A, 5 mars 2003, n° 2001-10368
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Texstra (SARL)
Défendeur :
Bronks Tartine et Chocolat (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
Mme Percheron, M. Picque
Avoués :
SCP Monin, SCP Lecharny-Calarn
Avocats :
Mes Gionnoni, SCP Versini Campianchi, Mauiiln, Alexandre
La SARL Texstra est 'franchisée" à Strasbourg depuis 1985 de la marque et de l'enseigne "Tartine et Chocolat".
Estimant avoir subi un dommage du fait du défaut de livraison des collections "Tartine et Chocolat été et hiver 1999" et de son éviction subséquente du circuit commercial des franchisés, la société Texstra a attrait le 28 mai 1999, la SA Bronks devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de l'entendre prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de cette dernière et de la condamner à lui payer une indemnité provisionnelle d'un million de francs. Elle a en outre requis la désignation d'un expert en vue d'évaluer le préjudice définitif et 30 000 F de frais irrépétibles.
La société Bronks a reconventionnellement sollicité la résiliation du contrat, mais aux torts exclusifs du " franchisé " et la condamnation de celui-ci à lui payer :
- 152 115,76 F au titre de factures impayées,
- un million de F, "sauf à parfaire", en dommages et intérêts, le tout augmenté des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et anatocisme outre 50 000 F de frais irrépétibles.
Par jugement du 30 janvier 2001 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a implicitement rejeté la demande de désignation d'un expert et a condamné :
- la société Bronks à payer à la société Texstra 32 886,90 F de dommages et intérêts,
- la société Texstra à payer à la société Bronks 152 115,76 F majorés des intérêts au taux légal à compter du 1l mars 1999 et capitalisation, et a ordonné la compensation et le partage des dépens.
La société Texstra a relevé appel le 17 avril 2001 et a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 1er octobre suivant, de la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg, ayant désigné Me Mauchin en qualité de mandataire-liquidateur, lequel est intervenu en cette qualité devant la cour, le 15 mai 2002.
La société Bronks indique avoir effectué le 21 novembre 2001, une déclaration de créance à hauteur de 189 172,69 euros.
Intervenant et comme tel appelant, Me Mauchin expose es qualités, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 28 août 2002, que des pourparlers entre la société Bronks et les associés de la SARL Texstra, ont été engagés dans le courant de l'été 1998 en vue de céder au "franchiseur" le contrôle de la société "franchisée". Ceux-ci auraient abouti à un accord verbal en janvier 1999, qui n'a pas pu être exécuté du fait de nouveaux desiderata de la société Bronks, exigeant notamment la cession de 100 % du capital au lieu des 50 % prévus initialement et la prise en charge, par les futurs cédants, de l'intégralité du remboursement de l'encours bancaire de 2 MF, de la SARL auprès de la Banque Populaire. En suite du refus des associés de la société Texstra, la société Bronks aurait éliminé cette dernière du circuit commercial.
Le liquidateur judiciaire fait valoir :
- qu'en refusant de livrer la commande du 25 juin 1998 concernant la collection printemps-été 1999 qu'elle avait initialement acceptée et en éliminant la société Texstra de la liste des "franchisés", la société Bronks a rompu abusivement le contrat liant les parties,
- que le motif prétendu qu'elle restait devoir un solde de 171 117,63 F au titre de la saison précédente, n'était qu'un prétexte en ce qu'habituellement ce règlement intervenait la saison suivante après compensation avec les retours marchandises,
- qu'au demeurant, le véritable solde s'est révélé être limité à 152 115,76 F,
- que le caractère abusif de cette faute s'est trouvé aggravé dans le contexte de la rupture des pourparlers de cession avec les associés de la SARL, la société Bronks recherchant essentiellement à prendre le contrôle, à bon prix, du bail commercial du local occupé par la société Texstra dans le quartier piétonnier situé en plein centre de Strasbourg,
- que la société Bronks a abusé de sa puissance en rompant abusivement, au sens de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, une relation commerciale établie,
- qu'outre la perte de la marge espérée sur la commande non exécutée, son administrée a subi en 1999 et 2000, une baisse "drastique" de 30 % de son chiffre d'affaires annuel et un préjudice commercial, sa notoriété à Strasbourg étant liée à sa qualité de franchisée de "Tartine et Chocolat".
Me Mauhin conclut es qualités, à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il ne lui a alloué "qu'une indemnité de 32 886,90 F" et sollicite 152 449,02 euros de dommages et intérêts (1 MF) outre 4 573,47 euros de frais irrépétibles. Il reconnaît la dette de son administrée à hauteur de 23 189,90 euros (152 115,76 F) dont il demande l'inscription au passif de la liquidation judiciaire en sollicitant le rejet de toute compensation.
Intimée, la société Bronks réplique, dans des conclusions signifiées le 7 juin 2002, qu'à partir de 1997, elle a constaté des viciations contractuelles par la mise en vente sans autorisation, au-delà de la proportion permise par le contrat, d'articles de marques concurrentes outre des impayés dont le montant s'élevait fin 1998, à 152 115,76 F au titre de marchandises livrées. Elle prétend quant à elle, que les pourparlers d'acquisition avaient été engagés dans le but d'opérer un sauvetage de la société Texstra, dont l'endettement bancaire s'élevait à environ 2,5 MF outre l'encours fournisseurs exigible, et que la dirigeante de celle-ci a mis soudainement fin aux discussions.
Elle considère aussi ne pas avoir commis de faute en retirant de l'escompte les traites remises par la société Texstra en paiement de la marchandise objet de la commande du 25 juin 1998. Elle fait état des nombreux incidents antérieurs de paiement et de l'aggravation prévisible de la situation financière de la débitrice des effets de commerce, faisant peser un doute sérieux sur la bonne fin de ceux-ci à l'échéance. Elle indique que pour éviter la dégradation de ses propres lignes d'encours bancaire par le retour de lettres de change impayées, elle a préféré les retirer et exiger le paiement comptant de la marchandise par chèque au jour de la livraison, comme cela avait déjà été le cas antérieurement sans que la société Texstra n'émette la moindre protestation.
L'intimée soutient encore qu'elle a subi un préjudice important du fait de la disparition pendant plusieurs mois de son enseigne sur Strasbourg, engendrant une perte "conséquente" de chiffre d'affaires.
La société Bronks conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat et poursuit son infirmation pour le surplus. Formant appel incident, elle sollicite de fixer à 189 172,69 euros le montant de sa créance globale au passif de la liquidation judiciaire de la société Texstra, en ce compris l'indemnité requise au titre du préjudice commercial invoqué. Elle requiert aussi la condamnation es qualités de Me Mauchin, à lui verser 10 671,43 euros de frais irrépétibles.
Sur ce,
Considérant que les parties s'accordent pour estimer qu'elles étaient liées par le contrat de franchise du 14 novembre 1985, initialement souscrit par Madame Marie Lelay en qualité de franchisée, aux droits de laquelle se trouve la société Texstra ;
Que le terme en était primitivement fixé au 14 novembre 1988, de sorte qu'il est aujourd'hui dans une phase de tacite reconduction à durée non déterminée ; Qu'il est contant que l'article 16-C du contrat (page 17) stipule qu'il "pourra être résilié de plein droit après mise en demeure d'avoir à respecter une obligation contractuelle non satisfaite si la partie destinataire de cette mise en demeure n'a pas satisfait dans le mois à l'obligation énoncée précisément dans la mise en demeure";
Considérant qu'il n'est pas davantage discuté que, par les termes de sa lettre du 27 mai 1999 à la société Texstra, la Société Bronks indiquait qu'elle avait été amenée "à interrompre ses livraisons et à constater la cessation du contrat qui nous unissait ";
Qu'il convient cependant d'observer qu'il n'existe pas au dossier de mise en demeure contenant une interpellation suffisante au sens du contrat, d'avoir à respecter, sous un mois, une obligation précisément énoncée;
Considérant qu'il n'est, pas non plus contesté :
- que la commande litigieuse correspondant à la collection "été 1999", a été passée le 25 juin 1998 par la société Texstra et qu'elle a été initialement acceptée par la société Bronks,
- qu'elle a fait l'objet de quatre traites totalisant 365 407 F, toutes émises le 18 décembre 1998, s'échelonnant chaque fin de mois du 31 mars au 30 juin 1999, dont le tireur était la société Bronks et le tiré la société Texstra, laquelle les avait toutes acceptées,
- que la société Bronks les avait entre les mains et les avait même remises à l'escompte, avant de les en retirer et de les renvoyer à la société Texstra par sa lettre du 24 mars 1999;
- que les marchandises devaient être livrées le 15 février 1999 ;
Qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que l'exécution de la commande était initialement assortie d'autres conditions, le paiement par traites échelonnées pendant quatre mois après celui de la livraison, constituant un accord spécifique des parties, dérogeant implicitement mais nécessairement, aux conditions contractuelles de paiement à 60 jours de l'émission de la facture, stipulées à l'article 7-C-I du contrat;
Considérant en outre que les lettres de change tirées par la société Bronks sur sa débitrice, la société Texstra, laquelle les avait acceptées, constituent un moyen de paiement; Que si l'article 7-C-3° du contrat de franchise (page 10) stipule que "ne constitue pas un paiement au sens de la présente clause la remise de traite ou autre effet", c'est pour exclure le moyen de paiement par lettre de change uniquement pour l'application de la clause de réserve de propriété du troisième alinéa de l'article 7-C, afin d'éviter que la propriété des marchandises ne soit transmise entre les parties, avant que la traite n'ait été effectivement payée à son échéance;
Qu'on ne saurait étendre, comme le fait à tort l'intimée, l'effet de cette clause spécifiquement dédiée à la réserve de propriété des marchandises, à l'ensemble des relations au titre du contrat, les parties n'ayant pas voulu exclure ce moyen de paiement dans leurs rapports, ce qui est confirmé par l'usage régulier de lettres de change pendant la vie du contrat;
Considérant qu'il apparaît clairement à la lecture de la lettre du 24 mars 1999 de la société Bronks que, postérieurement à l'échange des consentements des parties sur les modalités de paiement de la commande litigieuse, la société Bronks en a unilatéralement modifié les conditions en exigeant, outre le paiement désormais comptant de la commande du 25 juin 1998, le règlement d'un solde antérieur, au demeurant non encore définitivement arrêté, puisqu'il a varié à la baisse entre la première formulation et les dernières écritures échangées devant le tribunal, et n'ayant pas fait, au surplus, l'objet d'une mise en demeure ni au sens de l'article 1146 du Code civil, ni à celui de l'article 16-C du contrat,
Considérant qu'il n'est pas non plus contesté qu'à partir de l'échange épistolaire du printemps 1999, la société Texstra n'a plus été admise à effectuer des commandes au titre de la franchise "Tartine et Chocolat ", la société Bronks ayant expressément estimé que le contrat avait cessé;
Considérant que si les nouvelles informations collectées par la société Bronks, notamment à l'occasion de la tentative de rapprochement avec les associés de la SARL, sur l'état financier de sa franchisée pouvait l'amener à modifier pour l'avenir les conditions de règlement, elle ne pouvait pas le faire unilatéralement pour les commandes ayant déjà fait l'objet d'un accord spécifique entre les parties ;
Que ce faisant le franchiseur a brutalement dénoncé le contrat qui était devenu à durée indéterminée, sans respecter un préavis raisonnable laissant au franchisé le temps nécessaire pour pallier la désorganisation résultant de la rupture, le dommage en résultant étant largement supérieur à la perte de marge de la seule livraison non effectuée le 15 février 1999;
Qu'il n'est pas contesté que les relations entre les parties existaient depuis au moins 1986, de sorte qu'au jour du refus de livraison le 15 février 1999, elles avaient duré 13 années environ;
Qu'en application de l'article L. 442-6-I-4e du Code du commerce (ancien article 36-5e de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986), la société Bronks doit réparer le préjudice résultant de cette rupture brutale;
Qu'il résulte des pièces du dossier que le chiffre d'affaires de 1999 de la société Texstra était en régression de 27,85 % par rapport à l'année précédente et que celle-ci n'a pas réussi à remplacer le volume d'activité disparu du fait de la rupture de la franchise "Tartine et Chocolat", au point de devoir déposer son bilan le 1er octobre 2001 alors que son magasin existait depuis plus d'une quinzaine d'années ;
Considérant qu'en fonction des éléments disponibles dans le dossier, la cour fixera forfaitairement à 75 000 euros, l'indemnité toutes causes de préjudices confondues, en réparation des dommages subis par la société Texstra du fait de la rupture brutale de sa franchise;
Considérant par ailleurs que le solde des factures réclamé par la société Bronks est reconnu par le mandataire-liquidateur et que la créance correspondante sera admise au passif de la liquidation judiciaire de la société Texstra, majorée des intérêts au taux légal entre la date de la mise en demeure et celle du jugement d'ouverture de la procédure collective, outre la capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil à compter de la demande judiciairement formulée pour la première fois le 13 mars 2000 devant les premiers juges, les effets de l'anatocisme s'arrêtant au jour du jugement déclaratif du 1er octobre 2001 ;
Que succombant principalement la société Bronks sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Me Mauchin es qualités, 4 500 euros de frais irrépétibles ;
PAr ces motifs, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Fixe à 23 189,90 euros, majorés des intérêts au taux légal du 11 mars 1999 au 1er octobre 2001 et anatocisme dans les conditions de l'article 1154 du Code civil à partir du 13 mars 2000 jusqu'au 1er octobre 2001, la créance de la SA Bronks au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Texstra, Condamne la SA Bronks à payer à Me Mauchin es qualités, 75 000 euros de dommages et intérêts et à lui verser en ses mêmes qualités, 4 500 euros de frais irrépétibles, La condamne en outre aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Monin au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.