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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 4 juin 2003, n° 2001-17611

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Editions Generales First (SA)

Défendeur :

Le Grand Livre du Mois (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Picque, Faucher

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet

Avocats :

Mes Lalanne, Monestier

CA Paris n° 2001-17611

4 juin 2003

ARRET

Reprochant à la société Le Grand Livre du Mois, qui sélectionne et commande aux éditeurs divers ouvrages pour le "Club de livres" qu'elle anime, d'avoir interrompu ses commandes depuis octobre 1998 alors qu'elles avaient un courant d'affaires annuel de un à deux millions de francs depuis 1993, la société d'édition Editions Générales First l'a assignée le 9 juillet 1999 aux fins de voir constater la rupture brutale de leurs relations contractuelles au visa de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, et de la condamner à lui payer 6 315 000 francs correspondant à la perte de chiffre d'affaires du fait de cette rupture, sollicitant la publication de la décision et l'exécution provisoire.

Par jugement contradictoire du 19 juin 2001, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit partiellement fondée la demande de la société Editions Générales First,

- condamné la société Le Grand Livre du Mois à lui payer 262 500 francs

(40 017,87 euros), déboutant la société Editions Générales First du surplus de ses demandes,

- ordonné l'exécution provisoire sous réserve de la constitution d'une caution,

- condamné la société Le Grand Livre du Mois à payer à la société Editions Générales First 20 000 francs pour ses frais irrépétibles. Appelante, la société Editions Générales First prie la cour d'infirmer la décision entreprise uniquement en ce qui concerne les dommages-intérêts qui lui ont été alloués, et statuant à nouveau, de condamner la société Le Grand Livre du Mois à lui payer :

- 160 072 euros correspondant à la marge sur 10 chiffres d'affaires annuel auquel elle doit renoncer du fait de la brutale rupture de la relation commerciale entre les parties,

- 54 882 euros correspondant à l'augmentation du coût unitaire de fabrication des ouvrages directement causée par cette rupture,

- 50 000 euros en réparation de l'atteinte portée à sa réputation.

Elle demande en outre la publication du dispositif de l'arrêt dans la revue professionnelle "Livre Hebdo" à la charge et aux frais de la société Le Grand Livre du Mois, et la condamnation de l'intimée à lui payer au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en sus des 3 049 euros alloués en première instance, 4 574 euros en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens.

Intimée, la société Le Grand Livre du Mois forme appel incident pour demander à la cour d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de débouter la société Editions Générales First de toutes ses demandes.

Subsidiairement, elle prie la cour de diminuer considérablement le montant des dommages intérêts dont l'estimation, sur le fondement de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, ne pourrait porter que sur une durée maximale de trois mois, et sollicite 4 500 euros pour ses frais irrépétibles.

Sur ce,

Considérant que la société Editions Générales First fait grief à la société Le Grand Livre du Mois d'avoir brutalement interrompu leurs relations commerciales établies depuis plus de six ans, sans préavis écrit, cette rupture coïncidant avec l'embauche par la société Le Grand Livre du Mois en octobre 1998 d'un de ses anciens salariés démissionnaire en août 1998 et devenu le directeur éditorial de la société intimée;

Que la société Le Grand Livre du Mois réplique que la cessation de ses commandes qui portaient exclusivement sur trois ouvrages "210 lettres pour régler vos litiges", "100 traitements survitaminés pour se passer de médicaments" et "guide pratique de vos droits" sélectionnés par son comité de lecture, résulte d'un phénomène d'usure, l'appelante n'ayant pas renouvelé son catalogue, ni mis à jour ses publications devenues inexactes ; qu'elle conteste toute intervention de l'ancien salarié de la société Editions Générales First dans la sélection des livres destinés au club qu'elle anime, cette sélection étant confiée à un collège composé de 35 personnes;

Considérant que c'est par de justes motifs que la cour adopte que les premiers Juges ont constaté qu'il résultait des pièces produites qu'un courant d'affaires important et régulier avait existé entre les parties entre 1993 et fin 1998, suscitant pour la société Editions Générales First un chiffre d'affaires annuel moyen de 228 673 euros (l 500 000 francs), et que la nature particulière des contrats passés entre les deux sociétés, soit la cession de droits de reproduction, de publication et de diffusion par correspondance des ouvrages édités par les Editions Générales First et sélectionnés par le Grand Livre du Mois entrait dans les prévisions de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce; qu'ils ont exactement relevé qu'il appartenait à la société Le Grand Livre du Mois, en application de ces dispositions qui sont d'ordre public, de notifier à sa cocontractante un préavis de rupture de cette relation commerciale établie, ce dont elle ne justifie pas, pas plus que des griefs tardivement formés contre l'éditeur alors que sa réponse le 8 juin 1999 à la lettre de protestation du 2 juin 1999 de la société Editions Générales First, ne faisait état d'aucun grief à son encontre;

Qu'il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé à six mois la durée de ce préavis, et chiffré le préjudice subi par la société Editions Générales First du fait de cette rupture brutale à 40 017,87 euros, estimant à 35 % du chiffre d'affaires moyen sur six mois la marge perdue par l'appelante;

Que la société Editions Générales First, qui fait état de nouveaux clients attirés par le renouvellement de son fonds éditorial dès 1999 (société Sélection du Reader's Digest, société France Abonnements, société France Loisirs), ne justifie pas de ce que la rupture de ses relations avec l'intimée se serait traduite par une augmentation du coût unitaire de ses publications du fait de tirages moins importants, le chiffre d'affaires net global qu'elle réalisait en 1997, soit 3 103 000 euros - dont 319 843 euros de chiffe d'affaires avec l'intimée, le plus élevé jamais réalisé avec elle, ayant été dépassé dès l'exercice 2000, atteignant 3 258 000 euros pour cet exercice, puis 467 000 euros en 2001 d'après les pièces qu'elle verse aux débats; que l'atteinte à son image n'est pas établie ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de publication;

Qu'il n'est pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles d'appel, les dépens étant partagés par moitié ;

Par ces motifs,

Confirme la décision entreprise, en toutes ses dispositions, y ajoutant, déboute la société Editions Générales First et la société Le Grand Livre du Mois de leurs demandes plus amples ou contraires, fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties, admet dans cette proportion la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay et la SCP Taze-Bernard-Belfayol Broquet, avoués, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.