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Décisions

TPICE, 5e ch. élargie, 10 avril 2003, n° T-366/00

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Scott SA, République française

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cooke

Juges :

MM. García-Valdecasas, Forwood, Legal, Mme Lindh

Avocats :

Mes Sir Leuer, Geretz, Giffith.

TPICE n° T-366/00

10 avril 2003

LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES (cinquième chambre élargie),

Faits à l'origine du litige et cadre juridique

1. La requérante était la filiale française de la société Scott Paper Company, établie aux États-Unis, et avait pour activité la production de papier à usage sanitaire et domestique au cours de la période pertinente pour la présente affaire.

2. En 1986, la requérante a décidé d'installer une usine en France et a choisi à cette fin un terrain dans le département du Loiret dans la zone industrielle de La Saussaye.

3. Le 31 août 1987, la ville d'Orléans, le département du Loiret et la requérante ont conclu un accord portant sur la vente à cette dernière d'un terrain de 48 hectares dans ladite zone industrielle et sur la redevance d'assainissement qui devait être calculée selon un taux préférentiel, correspondant à 25 % de la redevance la plus basse payée par les autres industries. La ville d'Orléans proposait également la gratuité des aménagements du site. Cet accord prévoyait par ailleurs que le département du Loiret et la ville d'Orléans contribueraient pour un maximum de 80 millions de francs français (FRF) aux travaux d'aménagement du site en faveur de la requérante. Enfin, le prix d'achat du terrain avec les aménagements était fixé à 31 millions de FRF, soit un prix de 65 FRF/m2.

4. En novembre 1996, la Cour des comptes française a publié un rapport public intitulé "Les interventions des collectivités territoriales en faveur des entreprises" (rapport public particulier de la Cour des comptes, novembre 1996, Paris). Par ce rapport, elle entendait attirer l'attention sur un certain nombre d'aides éventuelles octroyées par les collectivités territoriales françaises en faveur de certaines entreprises, et en particulier le transfert d'un terrain de 48 hectares de la zone industrielle de La Saussaye à la requérante.

5. À la suite de la publication de ce rapport, la Commission a reçu une plainte, par lettre datée du 23 décembre 1996, concernant les conditions préférentielles auxquelles la ville d'Orléans et le Conseil général du Loiret auraient vendu ces 48 hectares à la requérante et le tarif dont cette dernière aurait bénéficié en ce qui concerne la redevance d'assainissement.

6. Par lettre du 17 janvier 1997, la Commission a demandé des informations complémentaires aux autorités françaises. Il sen est suivi un échange de correspondance entre les autorités françaises et la Commission, entre janvier 1997 et avril 1998, dans le cadre duquel les autorités françaises ont partiellement fourni les informations et précisions demandées, notamment, par lettres du 19 mars, du 21 avril et du 29 mai 1997. Le 8 août 1997, la Commission a de nouveau demandé des précisions aux autorités françaises. La Commission a reçu des informations complémentaires de celles-ci, le 3 novembre 1997, et du plaignant, le 8 décembre 1997, le 29 janvier 1998 et le 1er avril 1998.

7. Par lettre du 10 juillet 1998, la Commission a informé les autorités françaises de sa décision du 20 mai 1998 d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE "compte tenu des doutes qui subsistaient sur les conditions dans lesquelles les autorités françaises avaient agi vis-à-vis de [la requérante] et sur leur compatibilité avec le traité", et les a invitées à présenter leurs observations ainsi qu'à répondre à certaines questions (ci-après la "décision d'ouverture de la procédure"). Dans cette lettre, la Commission a également demandé aux autorités françaises d'informer la requérante de l'ouverture de la procédure ainsi que du fait quelle pourrait avoir à rembourser toute aide illégalement perçue. Les parties intéressées ont été informées de l'ouverture de la procédure et ont été invitées à faire valoir leurs observations éventuelles sur les mesures en cause, par la publication de la lettre susvisée au Journal officiel des Communautés européennes du 30 septembre 1998 (JO C 301, p. 4).

8. La requérante a été informée de la décision d'ouverture de la procédure par appel téléphonique des autorités françaises du 30 septembre 1998.

9. Par lettre du 25 novembre 1998 et après avoir sollicité des délais supplémentaires, les autorités françaises ont présenté des observations sur la décision d'ouverture de la procédure. En réponse notamment à une injonction de la Commission, du 8 juillet 1999, en application de l'article 10, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), les autorités françaises ont partiellement fourni les informations nécessaires, le 15 octobre 1999.

10. Au cours de la procédure administrative, la requérante a présenté des observations et ses représentants ont assisté à des réunions entre la Commission et les autorités françaises.

11. Le 16 avril 1999, le règlement n° 659-1999 est entré en vigueur conformément à son article 30. Ce règlement établit les règles procédurales en matière d'aides d'État.

12. L'article 15 de ce règlement dispose:

"Délai de prescription

1. Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l'aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

2. Le délai de prescription commence le jour où l'aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d'aide individuelle ou dans le cadre d'un régime d'aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l'égard de l'aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l'objet d'une procédure devant la cour de justice des Communautés européennes.

3. Toute aide à l'égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante."

Décision litigieuse

13. Le 12 juillet 2000, la Commission a adopté une décision concernant l'aide d'État mise à exécution par la France en faveur de la requérante (ci-après la "décision litigieuse"), dont l'article 1er prévoit:

"l'aide d'État sous forme du prix préférentiel d'un terrain et d'un tarif préférentiel de la redevance d'assainissement, que la France a mise à exécution en faveur de Scott, pour un montant de 39,58 millions de FRF (6,03 millions d'euros) ou, en valeur actualisée, de 80,77 millions de FRF (12,3 millions d'euros), en ce qui concerne le prix préférentiel du terrain, [...] est incompatible avec le marché commun."

14. L'article 2 de la décision litigieuse dispose:

"1. La France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire l'aide visée à l'article premier et déjà illégalement mise à sa disposition.

2. La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant quelles permettent l'exécution immédiate et effective de la présente décision. l'aide à récupérer inclut des intérêts à partir de la date à laquelle elle a été mise à la disposition du bénéficiaire, jusqu'à la date de sa récupération. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de léquivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale."

15. Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que le délai de prescription auquel est soumis son pouvoir en matière de récupération d'une aide illégalement octroyée, en vertu de l'article 15 du règlement n° 659-1999, avait été, en l'espèce, interrompu. En effet, toute mesure prise par la Commission à l'égard de l'aide illégale interromprait le délai de prescription (voir considérant 219 de la décision litigieuse).

16. La Commission a constaté que l'aide litigieuse avait été octroyée le 31 août 1987. La première mesure de la Commission prise sous la forme d'une demande formelle de renseignements aux autorités françaises serait datée du 17 janvier 1997. Dès lors, le délai de prescription aurait été interrompu avant l'expiration du délai de dix ans prévu, de sorte que la Commission aurait le pouvoir de récupérer l'aide en cause (voir considérant 220 de la décision litigieuse).

17. En outre, dans la décision litigieuse, la Commission réfute l'argument de Scott selon lequel le délai de prescription viserait à protéger le bénéficiaire de l'aide et que, par conséquent, il ne serait interrompu que lorsque celui-ci a pris connaissance du fait quelle mène une instruction sur l'aide. En effet, selon la Commission, la question de savoir qui, en définitive, bénéficie du délai de prescription est indépendante de la question du mode de calcul de celui-ci. En outre, elle indique que l'article 15 du règlement n° 659-1999 ne vise pas les tiers et se limite aux relations entre elle-même et les États membres. La Commission ne serait donc pas soumise à une obligation d'information envers les tiers. Ces derniers ne pourraient tirer aucun droit spécifique de l'article 15 dudit règlement. Dans une procédure relative aux aides d'État, ils ne bénéficieraient que de droits procéduraux découlant de l'article 88, paragraphe 2, CE (voir considérants 221 à 223 de la décision litigieuse).

18. Lorsque l'article 15 du règlement n° 659-1999 fait référence au bénéficiaire de l'aide, il ne s'agirait là que d'un moyen pour déterminer la date à compter de laquelle le délai de prescription commence à courir, c'est à dire "le jour où l'aide illégale est accordée au bénéficiaire" (voir considérant 223 de la décision litigieuse).

19. La Commission rappelle également que le bénéficiaire d'une aide doit vérifier si l'aide qui lui est octroyée a été notifiée. À défaut d'une telle notification et en l'absence d'autorisation, il n'existerait pas de sécurité juridique (voir considérant 224 de la décision litigieuse).

Procédure et conclusions des parties

20. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 novembre 2000, la requérante a introduit le présent recours.

21. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2000, enregistrée sous le numéro T-369-00, un recours ayant également pour objet une demande d'annulation de la décision litigieuse a été introduit par le département du Loiret.

22. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 avril 2001, la République française a demandé à intervenir dans la présente procédure à l'appui des conclusions de la requérante. Le 25 avril 2001, le Tribunal a organisé une réunion informelle commune à la présente affaire et à l'affaire T-369-00, en application de l'article 64, paragraphe 3, sous e), de son règlement de procédure, au cours de laquelle ont été discutées la demande de jonction de ces deux affaires, introduite par le requérant dans l'affaire T-369-00, et la possibilité de trancher la question de la prescription avant tout débat au fond, demande introduite par la requérante dans la présente affaire.

23. Par ordonnance du Président de la cinquième chambre élargie, du 10 mai 2001, la République française a été admise à intervenir à l'appui des conclusions de la requérante. Dans son mémoire en intervention, la République française limite ses observations au moyen tiré d'une prétendue violation du principe de confiance légitime et ne se prononce pas sur la question de l'application en l'espèce du délai de prescription, prévu à l'article 15 du règlement n° 659-1999.

24. Sur rapport du juge-rapporteur et à la lumière des vues exprimées lors de la réunion informelle, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale en la limitant aux moyens d'annulation tirés d'une éventuelle prescription du pouvoir de la Commission d'ordonner la récupération de l'aide d'État octroyée par la République française sous la forme du prix préférentiel d'un terrain de 48 hectares de La Saussaye.

25. Au titre des mesures d'organisation de la procédure, le Tribunal a invité la requérante à présenter ses observations sur certains arguments soulevés par la Commission dans la duplique, ce quelle a fait dans le délai imparti.

26. Les parties principales ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 26 septembre 2002.

27. Lors de cette audience, la requérante a informé le Tribunal qu'elle se désistait de sa demande d'annulation dans la mesure où elle concernait l'aide d'État octroyée sous forme d'un tarif préférentiel de la redevance d'assainissement d'eau mentionnée à l'article 1er de la décision litigieuse et que son recours devait être compris comme limité à la demande d'annulation de la décision litigieuse dans la mesure où elle constatait l'illégalité d'une aide accordée sous forme de prix préférentiel d'un terrain et, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'article 2 de la décision litigieuse dans cette même mesure. Le Tribunal a pris acte de ce désistement partiel.

28. Dans le présent arrêt, le Tribunal se limite donc à examiner la demande en annulation de l'article 2 de la décision litigieuse, pour autant que cette demande se fonde sur le moyen tiré de la violation de l'article 15 du règlement n° 659-1999.

29. Dans ce contexte, la requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

Annuler l'article 2 de la décision litigieuse, dans la mesure où il concerne l'aide accordée sous forme du prix préférentiel d'un terrain visé à son article 1er;

Condamner la Commission aux dépens.

30. La République française, intervenant au soutien de la requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

Annuler la décision litigieuse;

Condamner la Commission aux dépens.

31. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

Rejeter le recours;

Condamner la requérante aux dépens;

à titre subsidiaire, condamner les parties à supporter leurs propres dépens.

En droit

32. La requérante soutient que la Commission, en ordonnant à l'article 2 de la décision litigieuse la récupération du montant de l'aide dont elle avait constaté l'octroi le 31 août 1987, a violé le délai de prescription de dix ans prévu à l'article 15 du règlement n° 659-1999.

33. Ce moyen est divisé en deux branches. Premièrement, la requérante conteste l'interprétation de l'article 15 de ce règlement, donnée par la Commission aux considérants 219 à 224 de la décision litigieuse, selon laquelle le délai de prescription de dix ans, bien qu'applicable en l'espèce, aurait été interrompu le 17 janvier 1997, date à laquelle la Commission a adressé aux autorités françaises une demande d'informations complémentaires, c'est à dire avant le dixième anniversaire de l'octroi de l'aide. Deuxièmement, la requérante conteste l'interprétation alternative de l'article 15 du règlement n° 659-1999, donnée par la Commission dans son mémoire en défense et selon laquelle l'aide octroyée à la requérante, le 31 août 1987, ne saurait tomber sous le coup de la prescription qui y est prévue en conséquence de la décision d'ouverture de la procédure, publiée le 30 septembre 1998 et connue de la requérante avant l'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999.

34. La Commission fait valoir deux séries d'arguments en réponse au moyen de la requérante. Premièrement, elle réaffirme l'interprétation de l'article 15 du règlement n° 659-1999 qu'elle avait avancée dans la décision litigieuse. Deuxièmement, dans le mémoire en défense, elle soutient que l'article 15 dudit règlement n'était pas applicable en l'espèce au motif que la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE a été ouverte et que la requérante a pris connaissance de ce fait avant l'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999, à savoir, au plus tard, le 30 septembre 1998, date de la publication de la décision d'ouverture de la procédure au Journal officiel des Communautés européennes. Une aide octroyée avant la date d'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999 ne saurait tomber sous le coup de la prescription de l'article 15 de ce règlement que si deux conditions sont cumulativement remplies, à savoir, d'une part, que dix ans au moins se sont écoulés depuis l'octroi de l'aide et, d'autre part, qu'aucune mesure interruptive de prescription n'est intervenue avant l'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999.

35. Le Tribunal estime qu'il y lieu d'examiner d'abord la première branche du moyen soulevé par la requérante.

Arguments des parties

36. La requérante avance six arguments spécifiques à l'encontre de l'interprétation de l'article 15 du règlement n° 659-1999, exposée aux considérants 219 à 224 de la décision litigieuse.

37. En premier lieu, une mesure de la Commission ne pourrait interrompre le délai de prescription vis-à-vis du bénéficiaire de l'aide, à moins que celui-ci, qui peut faire l'objet d'une injonction de récupération d'une somme versée que l'État membre concerné sera éventuellement tenu d'ordonner à l'issue de la procédure relative aux aides d'État, n'en ait connaissance. Il en serait ainsi même si, pour reprendre les termes de la Commission, la procédure relative aux aides d'État se déroule "au sens strict" entre la Commission et l'État membre concerné. Quelle que soit la situation du point de vue légal, c'est le bénéficiaire qui se trouverait en effet dans la position de partie défenderesse et c'est lui qui subirait le préjudice financier à l'issue de la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE. Pour cette raison, c'est le bénéficiaire qui devrait être en droit de se prévaloir, pour se défendre, du délai de prescription visé à l'article 15 du règlement n° 659-1999.

38. Ainsi, à défaut de publication par la Commission au Journal officiel des Communautés européennes d'un avis informant qu'une mesure interruptive du délai de prescription a été prise ou de la communication, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'État membre, de cette information, la mesure ne pourrait constituer un acte interruptif du délai de prescription au sens de l'article 15 du règlement n° 659-1999 vis-à-vis du bénéficiaire. En l'espèce, aucune de ces conditions n'aurait été remplie.

39. En deuxième lieu, la requérante soutient que l'article 15 dudit règlement a pour objet de garantir la sécurité juridique des bénéficiaires d'aides d'État ainsi que des États membres. L'affirmation de la Commission selon laquelle une action peut constituer une mesure interruptive même si le bénéficiaire de l'aide en ignore l'existence ne serait manifestement pas compatible avec cet objectif.

40. En troisième lieu, la requérante fait observer que la Commission semble admettre que l'une des caractéristiques essentielles d'une mesure interruptive du délai de prescription vis-à-vis de l'État membre est que ce dernier doit être informé de l'existence de cette mesure. De la même manière, selon la requérante, toute mesure de la Commission destinée à interrompre le délai de prescription vis-à-vis du bénéficiaire de l'aide doit être connue de ce dernier.

41. En quatrième lieu, lorsqu'elle soutient que, dans le cadre des procédures relatives aux aides d'État, le bénéficiaire de l'aide se trouve dans une position différente de celles d'autres tiers, la requérante ne développerait pas une position "absolument inédite". Les publications de la Commission confirmeraient une telle approche.

42. En cinquième lieu, la requérante relève que l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 659-1999 énonce que les mesures de la Commission susceptibles d'interrompre le délai de prescription incluent également des mesures prises par un État membre agissant à la demande de la Commission. Cette mention distincte de mesures prises par l'État membre serait superflue si seule la demande de la Commission adressée à l'État membre suffisait à interrompre le délai de prescription également vis-à-vis du bénéficiaire de l'aide. Il serait clair que le législateur communautaire avait à l'esprit des circonstances dans lesquelles la mesure adressée par la Commission à l'État membre n'avait pas interrompu le délai de prescription vis-à-vis d'une personne autre que l'État membre en question et qu'il était donc nécessaire de préciser que la mesure adoptée par l'État membre à la demande de la Commission devait interrompre le délai de prescription à l'égard des personnes autres que l'État membre.

43. Enfin, en sixième lieu, la requérante soutient qu'il n'existe aucune raison d'ordre administratif ou pratique empêchant la Commission d'informer le bénéficiaire d'une aide prétendument illégale quelle procède à l'examen de celle-ci, notamment lorsque, comme en l'espèce, elle aborde avec un plaignant la question de mesures interruptives du délai de prescription et de leurs résultats. Du point de vue administratif et pratique, l'interprétation de l'article 15 du règlement n° 659-1999, proposée par la requérante, serait donc parfaitement acceptable.

44. La Commission soutient que les lettres quelle a adressées aux autorités françaises entre le 17 janvier et le 8 août 1997, c'est à dire avant l'échéance du délai de dix ans à compter de la date d'octroi de l'aide, constituent des mesures interruptives du délai de prescription prévu à l'article 15 du règlement n° 659-1999.

45. Elle rappelle d'abord que la procédure relative aux aides d'État se déroule entre elle et l'État membre, et non pas entre elle et les parties intéressées, dont les bénéficiaires de l'aide. Cela ressortirait non seulement des termes des articles 87 CE, 88 CE et 89 CE ainsi que de la jurisprudence constante de la cour, mais également du libellé du règlement n° 659-1999 et, plus particulièrement, de son article 25 qui dispose que les décisions prises en application de ses dispositions sont adressées à l'État membre concerné.

46. La Commission relève également que la procédure relative aux aides d'État n'est pas une procédure pénale dirigée contre le bénéficiaire de l'aide. Aucune amende ne lui serait infligée et la récupération d'une aide illégale aurait pour objet de rétablir une concurrence effective et non pas de le pénaliser.

47. Ensuite, la Commission fait observer que les droits des parties intéressées, dont les bénéficiaires, sont délimités par l'article 88, paragraphe 2, CE, et par les termes du règlement n° 659-1999 et, plus particulièrement, par son article 20 intitulé "Droits des parties intéressées". La Commission n'aurait aucune obligation de communiquer aux bénéficiaires présumés de l'aide une mesure interruptive de prescription, prise en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement.

48. La requérante semblerait se prévaloir d'un droit procédural spécifique en sa faveur, à savoir le droit de se voir communiquer directement par la Commission toute mesure interruptive du délai de prescription. Elle évoquerait à ce propos la thèse selon laquelle la règle de la prescription vise à garantir la sécurité juridique des bénéficiaires. La Commission ne partage pas ce point de vue relevant que, à l instar des autres règles procédurales applicables en matière d'aides d'État, la règle de la prescription produit son effet par rapport à l'État membre concerné et non pas par rapport au bénéficiaire de l'aide. Une injonction de récupération d'une aide illégale impliquerait des conséquences négatives non seulement pour le bénéficiaire de l'aide, mais également pour l'État membre concerné. L'octroi d'une aide d'État non notifiée constituerait une violation de l'article 88, paragraphe 3, CE et pourrait donner lieu, en droit national, à un recours en responsabilité extracontractuelle contre l'État membre.

49. Enfin, la Commission rappelle que, par définition, le délai de prescription s'applique uniquement aux aides non notifiées. Une aide non notifiée constituerait une violation de l'article 88, paragraphe 3, CE, lequel a un effet direct. Les bénéficiaires seraient censés avoir connaissance du droit communautaire en matière d'aides d'État et ne pourraient invoquer l'ignorance de la loi pour en faire le fondement d'une confiance légitime dans le fait que l'aide ne sera jamais récupérable. Dans ces circonstances, la Commission estime que l'article 15 du règlement n° 659-1999 doit faire l'objet d'une application restrictive dans son ensemble, et non pas, comme le voudrait la requérante, de la seule notion de mesure interruptive de prescription.

Appréciation du Tribunal

50. Il convient de relever à titre liminaire que, selon une jurisprudence constante, la légalité d'un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l'acte a été adopté (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 octobre 1999, Salomon/Commission, T-123-97, Rec. p. II-2925, point 48, et du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T-126-99, Rec. p. II-2427, point 33).

51. De surcroît, il est de jurisprudence constante que, si les règles de procédure sont généralement censées s'appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, il n'en est pas de même des règles de fond. Ces dernières sont habituellement interprétées comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie quun tel effet doit leur être attribué. Cette interprétation garantit le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime en vertu desquels la législation communautaire doit être claire et prévisible pour les justiciables (voir, notamment, arrêts de la cour du 12 novembre 1981, Salumi e.a., 212-80 à 217-80, Rec. p. 2735, points 9 et 10, et du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, C-121-91 et C-122-91, Rec. p. I-3873, notamment points 22 et 23).

52. Le règlement n° 659-1999, constituant un règlement de procédure relatif à lapplication de l'article 88 CE, a été adopté au vu de la pratique développée par la Commission en ce domaine afin notamment d'assurer le bon fonctionnement et l'efficacité des procédures prévues à cet article et d'accroître la transparence et la sécurité juridique dans leur application (voir considérants 2 et 3 du règlement). Dans son chapitre III, intitulé "Procédure en matière d'aides illégales", sont exposés les pouvoirs de la Commission relatifs notamment à l'examen des aides d'État, à la demande de renseignements, aux injonctions de fournir des informations et à la récupération d'une aide illégale. Il y a lieu de considérer qu'il ressort du libellé même de ces dispositions, y compris de l'article 15, qu'elles sont de nature procédurale et qu'elles s'appliquent, dès lors, en application de la jurisprudence susvisée, à toutes les procédures administratives en matière d'aides d'États pendantes devant la Commission au moment où le règlement n° 659-1999 est entré en vigueur, à savoir le 16 avril 1999.

53. En outre, l'article 15 du règlement n° 659-1999 ne contenant aucune disposition transitoire quant à son application dans le temps, à la différence de l'article 11, paragraphe 2, dernier alinéa, de ce règlement, relatif au pouvoir de la Commission d'ordonner la récupération à titre provisoire d'une aide versée illégalement, il s'applique à toute action en récupération définitive d'une aide qui intervient après la date d'entrée en vigueur du règlement, y compris d'une aide octroyée avant cette date.

54. En l'espèce, il ressort des termes de la décision litigieuse, et notamment de l'analyse de la question de l'application du délai de prescription exposée aux considérants 219 à 224, que, lors de l'adoption de cette décision, la Commission considérait elle-même que son action en matière de récupération de l'aide en cause tombait dans le champ d'application de l'article 15 du règlement n° 659-1999. En outre, le fait que la Commission ait adressé aux autorités françaises, le 8 juillet 1999, une injonction de fournir des renseignements sur la base de l'article 10, paragraphe 3, dudit règlement montre quelle a mené la procédure en matière d'aides d'État, ouverte en application de l'article 88, paragraphe 2, CE, le 20 mai 1998, en se basant sur les nouvelles règles procédurales dès l'entrée en vigueur du règlement n° 659-1999, à savoir le 16 avril 1999.

55. Dans ces circonstances, il incombe au Tribunal d'examiner, tout d'abord, si l'hypothèse d'interruption du délai de prescription visée à l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 659-1999 est susceptible de s'appliquer dans le cas d'une mesure prise antérieurement à l'entrée en vigueur de ce règlement, mais pendant le délai de dix ans à compter de la date d'octroi de l'aide, et, ensuite, le cas échéant, si une telle mesure n'est susceptible d'interrompre le délai de prescription vis-à-vis du bénéficiaire de l'aide que si elle a été portée à sa connaissance.

56. Il y a lieu de constater que, même si le règlement n° 659-1999 n'était pas applicable le 31 août 1987, de sorte que l'octroi, à cette date, de l'aide en cause n'avait pas alors pour effet d'ouvrir un délai de prescription de dix ans, cette date doit toutefois être prise comme la date de commencement de ce délai lorsque l'article 15 est appliqué aux faits existants à la date du 12 juillet 2000.

57. De même, malgré le fait que les mesures adoptées par la Commission le 17 janvier 1997 n'avaient pas alors pour effet d'interrompre la prescription, un tel effet doit leur être reconnu lorsqu'elles sont envisagées dans le contexte de l'exercice, par la Commission, après le 16 avril 1999, de son pouvoir de récupération de l'aide octroyée le 31 août 1987. Cette interprétation ne vise pas à accorder un effet rétroactif aux dispositions de l'article 15, mais simplement à assurer l'application uniforme de ces dispositions à une série de faits ou d'événements passés et examinés à partir du 12 juillet 2000. En d'autres termes, si l'octroi de l'aide le 31 août 1987 doit être considéré comme ayant fait courir le délai de prescription prévu par l'article 15 du règlement n° 659-1999, les événements qui interviennent pendant ce délai doivent également être appréciés sur la base de ce règlement.

58. Quant à l'argument de la requérante selon lequel les mesures adoptées par la Commission entre janvier et août 1997 ne pouvaient pas avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription en application de l'article 15 du règlement n° 659-1999, au motif que la requérante n'avait pas connaissance de ces mesures à l'époque, il convient d'observer que l'article 15 a introduit un délai de prescription unique pour la récupération d'une aide qui s'applique de la même façon à l'État membre concerné et aux parties tierces.

59. À cet égard, il y a lieu de rappeler d'abord que la procédure établie par l'article 88, paragraphe 2, CE se déroule principalement entre la Commission et l'État membre concerné, les personnes intéressées, dont le bénéficiaire de l'aide, ayant le droit d'être averties et d'avoir l'occasion de faire valoir leurs arguments (voir, en ce sens, arrêt de la cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, points 16 et 17). En effet, selon une jurisprudence constante, les intéressés ont essentiellement un rôle de sources d'informations pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l'article 88, paragraphe 2, CE (arrêts du Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsvaerftsforeningen e.a./Commission, T-266-94, Rec. p. II-1399, point 256, et du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T-371-94 et T-394-94, Rec. p. II-2405, point 59). Or, la Commission n'est pas obligée d'avertir les personnes potentiellement intéressées, y compris le bénéficiaire de l'aide, des mesures qu'elle prend à l'égard d'une aide illégale, avant l'ouverture de la procédure administrative.

60. Il s'ensuit que le seul fait que la requérante ignorait l'existence des demandes d'informations faites par la Commission aux autorités françaises à partir du 17 janvier 1997 (voir point 6 ci-dessus) na pas pour effet de les priver d'effet juridique vis-à-vis de la requérante. Par conséquent, la lettre du 17 janvier 1997, envoyée par la Commission avant l'ouverture de la procédure administrative et demandant des informations complémentaires aux autorités françaises, constitue, en application de l'article 15 du règlement n° 659-1999, une mesure qui interrompt le délai de prescription de dix ans, lequel a commencé à courir en l'espèce le 31 août 1987, avant son échéance, même si la requérante ignorait à cette époque l'existence d'une telle correspondance.

61. Ensuite, il y a lieu de rappeler qu'en l'espèce l'aide en cause na pas été notifiée à la Commission. Or, il est de jurisprudence constante que le bénéficiaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, avoir une confiance légitime dans la régularité d'une aide que si celle-ci a été accordée dans le respect des dispositions de l'article 88 CE (arrêts de la cour du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5-89, Rec. p. I-3437, point 14, et du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C-169-95, Rec. p. I-135, point 51). En effet, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s'assurer que cette procédure a été respectée.

62. Enfin, il y a lieu de relever que, avant le 16 avril 1999, aucun délai de prescription n'était fixé par le législateur communautaire en matière d'actions de la Commission à l'égard d'aides étatiques non notifiées. Il s'ensuit qu'avant cette date la requérante ne pouvait se prévaloir d'aucune confiance légitime ou sécurité juridique à l'égard de la prescription d'une aide non notifiée octroyée en 1987. Dès lors, l'interprétation faite de l'article 15 du règlement n° 659-1999 aux points 42 à 49 ci-dessus et son application à la mesure adoptée par la Commission, le 17 janvier 1997, n'ont pas pour effet de priver la requérante de la sécurité juridique ou d'une confiance légitime qui aurait pu naître dans les dix ans suivant l'octroi de l'aide en question.

63. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu d'écarter la première branche du présent moyen.

64. Quant à la seconde branche du moyen, relative à l'interprétation alternative de l'article 15 du règlement n° 659-1999 avancée par la Commission dans son mémoire en défense, le Tribunal a déjà constaté aux points 49 à 52 ci-dessus que le règlement est applicable au cas d'espèce et que le délai de prescription de dix ans établi par l'article 15 a été interrompu le 17 janvier 1997. Lors de la publication de la décision d'ouverture de la procédure, le 10 juillet 1998, les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l'aide n'étaient donc pas prescrits.

65. Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le recours en annulation de l'article 2 de la décision litigieuse, pour autant qu'il est fondé sur la violation par la Commission de l'article 15 du règlement n° 659-1999.

Sur les dépens

66. Étant donné que le présent arrêt est limité à la question de prescription et que la procédure va se poursuivre, il convient en l'Etats de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),

déclare et arrête:

1) Le recours en annulation de l'article 2 de la décision 2002-14-CE de la Commission , du 12 juillet 2000 , concernant l'aide d'État mise à exécution par la France en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark, est rejeté, pour autant qu'il est fondé sur la violation par la Commission de l'article 15 du règlement (CE) n° 659-1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités dapplication de l'article [88] du traité CE .

2) La procédure est poursuivie pour le surplus.

3) Les dépens sont réservés.