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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 20 septembre 1999, n° 98-05105

PARIS

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Avocat général :

M. Blanc

Conseillers :

M. Savatier, Mme Marie

Avocat :

Me Abegg

TGI Paris, 13e ch. corr., du 12 mai 1998

12 mai 1998

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LA PREVENTION :

B Jean est poursuivi pour avoir, à Paris, depuis mai 1996 et jusqu'en octobre 1996, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles et l'origine de produits vendus en annonçant "viande bovine française" et "viande exclusivement d'origine France et Allemagne" alors que certaines viandes ont pour origine la Hollande et l'Irlande, et sur la portée des engagements pris par l'annonceur en indiquant "ces informations sont vérifiables dans nos livres" alors qu'il n'en est rien puisque certaines factures sont muettes sur l'origine des viandes.

S Jean-Pierre est poursuivi pour avoir, à Paris, depuis mai 1996 et jusqu'en octobre 1996, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles et l'origine de produits vendus en annonçant "viande bovine française" et "viande exclusivement d'origine France et Allemagne" alors que certaines viandes ont pour origine la Hollande et l'Irlande, et sur la portée des engagements pris par l'annonceur en indiquant "ces informations sont vérifiables dans nos livres" alors qu'il n'en est rien puisque certaines factures sont muettes sur l'origine des viandes.

LE JUGEMENT :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a rejeté l'exception de nullité, déclaré B Jean coupable de publicité mensongère ou de nature a induire en erreur, faits commis de mai 1996 à octobre 1996, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 AL.1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation

S Jean-Pierre coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis de mai 1996 à octobre 1996, à Paris, infraction prévue par les articles L.121-1, L.121-5, L.121-6 AL.1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L.213-1 du Code de la consommation

Et par application de ces articles, a condamné

B Jean à 100 000 F d'amende,

S Jean-Pierre à 100 000 F d'amende,

Ordonné la publication du jugement par extrait, aux frais des prévenus, dans "Le Monde",

Statuant sur l'action civile,

Reçu l'association interprofessionnelle du bétail et des viandes en sa constitution de partie civile,

Condamné Jean B et Jean-Pierre S à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale ordonné la publication de la décision dans les Marchés et LSA sans que le coût de chaque publication puisse excéder 10 000 F,

A dit que cette décision était assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable chaque condamné.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

Monsieur B Jean, le 20 mai 1998, sur les dispositions pénales et civiles contre Association Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes ;

Monsieur S Jean-Pierre, le 20 mai 1998, sur les dispositions pénales et civiles contre Association Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes;

Le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Paris, le 20 mai 1998, contre Jean B et Jean Pierre S;

Association Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes, le 26 mai 1998, contre Monsieur B Jean, Monsieur S Jean-Pierre ;

DÉCISION :

Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,

Sur ce,

Considérant que Jean-Pierre S, prévenu, est décédé le 5 juin 1998; que la cour constatera l'extinction de l'action publique à son égard;

Considérant que l'avocat de l'association interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV) a indiqué, dans une lettre du 21 janvier 1999, que sa cliente se désistait de son appel; que la cour lui donnera acte de ce désistement;

Considérant que le tribunal a exactement et complètement rapporté la procédure, la prévention (publicité trompeuse) et les faits de la cause dans un exposé auquel la cour se réfère expressément; qu'il convient de rappeler en substance les faits suivants :

- la société X, dont le siège est à Saint-Ouen, a pour objet, notamment, la vente de viande de boucherie en demi-gros (destinée aux restaurants et aux collectivités) et au détail; le Président directeur général est Jean B; le directeur général était à l'époque Jean-Pierre S; cette société exploite un magasin situé <adresse>à Paris;

- dans le cadre de la prévention de l'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine), les services de la DGCCRF ont procédé le 2 mai 1996 à un contrôle du magasin situé <adresse>à Paris; les agents de contrôle ont constaté la présence, sur la vitrine du magasin, d'un autocollant comportant le logo "Viande Bovine Française" et, sur la vitre de la caisse, d'une affiche comportant les mentions suivantes "(...) Comme vous le savez, la France et certains autres pays d'Europe viennent d'interdire toute importation de viande bovine en provenance de Grande-Bretagne. En ce qui concerne notre compagnie. Nous vous informons que nos approvisionnements dans cette catégorie de viande sont exclusivement d'origine France et Allemagne. Ces informations sont vérifiables dans nos livres (...)"; or en inspectant une chambre froide, les agents de la DGCCRF ont constaté la présence de six préemballages de paleron et d'un préemballage d'entrecôte indiquant que la viande était d'origine hollandaise, ainsi que de sept préemballages de bavette indiquant que la viande était d'origine irlandaise;

- en consultant le 4 juin 1996, au siège de la société, les factures d'achat, les agents de la DGCCRF se sont aperçus qu'il était impossible de vérifier l'origine de la totalité des viandes achetées par X;

- lors d'un nouveau contrôle le 8 novembre 1996, les agents de la DGCCRF ont constaté que l'autocollant "Viande Bovine Française" était toujours apposé sur la vitrine, que des petits drapeaux français étaient piqués sur des morceaux de viande exposés en vitrine et que plusieurs préemballages stockés dans la chambre froide ne mentionnaient pas l'origine de la viande;

Considérant lors de son audition par les agents de la DGCCRF le 3 juin 1996 (premier contrôle), Gilbert F, directeur du magasin <adresse>, a déclaré

- que l'autocollant "Viande Bovine Française" avait été remis par l'un de leurs fournisseurs (l'abattoir EVA);

- que l'affiche apposée sur la vitre de la caisse avait été conçue par Jean B et Jean-Pierre S;

- que la viande vendue au détail provenait de France et d'Allemagne; que la viande vendue en demi-gros provenait de l'ensemble des pays européens;

Considérant que lors d'une seconde audition le 8 novembre 1996 (second contrôle), Gilbert F a déclaré :

- que toute la viande exposée en vitrine avait une origine française;

- qu'il n'était pas en mesure de préciser si toutes les viandes vendues pouvaient bénéficier du logo "Viande Bovine Française";

Considérant que le logo "Viande Bovine Française" est la propriété de l'association interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV); qu'il a pour but de garantir au consommateur que la viande qu'il achète provient d'animaux nés, élevés et abattus en France, et présente les qualités conformes à la réglementation sanitaire; que l'utilisation de ce logo est subordonnée à une autorisation préalable de l'association et au respect de certains engagements dictés par l'objectif de "traçabilité";

Considérant que devant la cour, Jean B ne reprend pas l'exception de nullité de la procédure soulevée en première instance et rejetée par le tribunal; que son avocat demande l'infirmation du jugement en faisant valoir deux arguments le délit n'est pas constitué, et en tout état de cause Jean B avait consenti une délégation de pouvoirs à Jean-Pierre S;

1 - sur l'existence du délit de publicité trompeuse

Considérant que la défense conteste l'existence du délit pour des motifs qui peuvent se résumer ainsi :

- les viandes entreposées dans la chambre froide, en particulier provenant de Hollande et d'Irlande, étaient destinées aux clients en demi-gros (restaurants et collectivités);

- il n'est pas démontré que des viandes destinées au commerce de détail provenaient d'un pays autre que la France ou l'Allemagne;

- dans ces conditions l'autocollant "Viande Bovine Française" et l'affiche apposée sur la vitre, destinés aux clients de la boucherie, n'ont pu induire en erreur qui que ce soit;

- enfin le magasin de détail était à même de certifier l'origine des viandes exposées en vitrine grâce à ses facturations; il s'agit en effet de factures émises par les sociétés EVA, Socopa et IP Viandes;

Considérant que les pièces du dossier et des débats conduisent la cour aux observations suivantes :

- l'affiche apposée sur la vitre de la caisse, présente lors du contrôle effectué le 2 mai 1996, affirme de manière péremptoire que la viande de boeuf achetée par la société est uniquement d'origine française et allemande; or il est établi que les viandes achetées par la société X ne provenaient pas uniquement de France et d'Allemagne; ce point n'est pas contesté par la défense; l'affiche, telle qu'elle est rédigée, est donc mensongère;

- l'argument de la défense selon lequel cette affiche, tout comme l'autocollant "Viande Bovine Française", n'ont pu induire en erreur les clients de la boutique, à qui étaient vendus des produits uniquement français et allemands, n'est pas convaincant; en effet, l'affirmation de Jean B selon lequel seules les viandes provenant de France et d'Allemagne étaient affectées à la vente au détail est totalement invérifiable; les déclarations dans le même sens de Gilbert F ne constituent pas une preuve suffisante dans la mesure où elles émanent d'un préposé de la société; la découverte dans une chambre froide du magasin de viandes provenant de différents pays de la CEE, sans qu'aucun élément objectif ne vienne étayer les affirmations de Jean B et Gilbert F, permet de présumer que les viandes étaient affectées indistinctement à la vente au détail et à la vente en demi-gros;

- la mauvaise foi de Jean B résulte également de l'audition le 5 novembre 1996 par les agents de la DGCCRF de Marc C, directeur général du restaurant parisien "Y", établissement approvisionné par la société "X"; la société "X" a en effet affirmé à ce restaurateur que la viande fournie était uniquement d'origine française et allemande; cette déposition contredit les explications de Jean B et de Gilbert F qui ont reconnu que des viandes de toute provenance étaient vendues en demi-gros;

- il apparaît ainsi que la société "X" a effectué une publicité trompeuse en faisant croire que les viandes vendues étaient provenaient exclusivement de France et d'Allemagne;

- de même elle a effectué une publicité trompeuse en affirmant que cette information était vérifiable dans ses "livres", alors que certaines factures étaient muettes sur l'origine des viandes;

Considérant que le délit est donc établi;

1 - sur la délégation de pouvoirs

Considérant que Jean B conteste sa responsabilité pénale en invoquant une délégation de pouvoirs établie le 8 décembre 1993 au profit de Jean-Pierre S, et comportant notamment la mention suivante :

"Je soussigné, Jean B, délègue tous pouvoirs (...) à Jean-Pierre S, directeur de X, d'assurer et faire respecter les règles d'hygiène et de sécurité dans l'établissement, celles concernant les conditions de travail et les produits offerts à la vente (...)"

Considérant que Jean B soutient en substance que la garantie d'origine d'une viande constitue un des éléments de la publicité, et qu'il incombait à Jean-Pierre S de vérifier que la publicité n'était pas de nature à induire en erreur le consommateur sur l'origine des viandes;

Considérant que Jean B conteste au surplus avoir participé à la rédaction de l'affiche litigieuse apposée sur la vitre de la caisse du magasin;

Considérant qu'une délégation de pouvoirs doit être interprétée strictement;

Considérant que le tribunal a estimé à juste titre que l'infraction poursuivie concernait non pas sur le respect des règles d'hygiène, au sens strict, mais le contenu d'une publicité, qui relève de la politique commerciale de la société;

Considérant que dés lors Jean B ne peut se retrancher derrière la délégation de compétences pour échapper aux responsabilités qui lui incombent en tant que chef d'entreprise;

Considérant que la publicité trompeuse avait pour but de rassurer la clientèle sur l'origine de la viande; que cette pratique, qui porte atteinte aux droits du consommateur, justifie le prononcé d'une amende de 50 000 F ; qu'une mesure de publication de la décision de condamnation ne s'impose pas; que le jugement sera modifié en ce sens;

3 - sur l'action civile

Considérant que la cour est saisie, au plan civil, tant de l'appel de Jean B que de celui de Jean-Pierre S;

Considérant que la cour n'est pas en état de statuer sur les intérêts civils du fait du décès de Jean-Pierre S;

Considérant qu'il incombe à la partie civile de rechercher les héritiers éventuels de Jean-Pierre S et de les appeler en cause;

Considérant que la cour ordonnera un sursis à statuer et renverra l'affaire à une audience ultérieure;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de Jean B, prévenu, par défaut à l'égard de Jean-Pierre S, prévenu décédé, et contradictoirement en application de l'article 420-1 du Code de procédure pénale à l'égard de l'association interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV), partie civile; Après délibéré; Reçoit les appels des prévenus (appels portant sur les dispositions pénales et civiles) et du Ministère public; Constate que l'association interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV), partie civile, se désiste de son appel et lui en donne acte; Sur l'action publique Vu l'article 6 du code de procédure pénale, déclare l'action publique éteinte en ce qui concerne Jean-Pierre S; Confirme la déclaration de culpabilité de Jean B; Modifie la sanction prononcée par le tribunal à son encontre; Condamne Jean B à une amende de 50 000 F; Dit n'y avoir lieu de prononcer, à titre de peine complémentaire, une mesure de publication de la décision de condamnation; Sur l'action civile Constate que la créance de l'association interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV) à l'égard de Jean-Pierre S n'est pas définitive du fait de l'appel interjeté par ce dernier; Constate que la cour n'est pas en état de statuer sur les intérêts civils du fait du décès de Jean-Pierre S; Dit qu'il incombe à la partie civile de rechercher les héritiers éventuels de Jean-Pierre S et de les appeler en cause; Surseoit à statuer sur les intérêts civils; Ordonne le renvoi de l'affaire, mais uniquement sur les intérêts civils, et pour indication, à l'audience de la XIII ème chambre de la cour (section A) du lundi 6 décembre 1999 (13h30). La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné.