Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 8 novembre 2001, n° 99-00663

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Trezy (SA)

Défendeur :

Sovaca (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Uran

Conseillers :

M. Baumet, Mme Beroujon

Avoués :

SCP Pougnand, SCP Grimaud

Avocats :

Mes Dayrem, Rochelet.

T. com. Romans, du 10 juin 1998

10 juin 1998

La société Trezy et la société Sovaca, concessionnaire Peugeot à Valence, étaient en relations d'affaires depuis plusieurs années.

Au dernier état de leurs rapports, ceux-ci se trouvaient régis par un contrat d'agence service B en date du 31 janvier 1995, à durée indéterminée, modifié par un avenant du 2 janvier 1996.

Le 25 juin 1996 la société Sovaca a adressé à sa mandataire une lettre recommandée avec avis de réception mettant fin à leurs relations contractuelles au 31 décembre 1996.

Par acte du 10 septembre 1997, la société Trezy a fait assigner la société Sovaca devant le Tribunal de commerce de Romans aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 400 000 F à titre d'indemnité de rupture et celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 10 juin 1998 le tribunal a, en substance :

- constaté que la commercialisation de véhicules neufs Peugeot avait un caractère déterminant dans l'activité de la société Trezy,

- dit applicable la loi du 25 juin 1991 relative aux agents commerciaux,

- fixé à 21 500 F le montant de l'indemnité compensatrice de rupture,

- condamné la société Sovaca à payer à la société Trezy outre cette somme en principal, celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Trézy a relevé appel par acte du 30 décembre 1998.

Motifs :

Vu les conclusions signifiées par l'appelante le 15 janvier 2001,

Vu les conclusions signifiées par l'intimée le 8 octobre 1999,

I - Sur l'applicabilité des articles L. 134 et s. du Code de commerce relatifs aux agents commerciaux (anciennement loi n° 91-593 du 25 juin 1991)

Le point 3° de l'article V du contrat litigieux prévoit que :

"L'activité visée par le présent article est exercée par l'Agent Service à titre accessoire et non déterminant. Elle ne relève pas des dispositions de la loi n° 91-593 sur les agents commerciaux".

Il résulte de l'article L. 134-15 alinéa 1 du Code de commerce que les parties peuvent écarter l'application des dispositions légales normalement applicables au contrat d'agent commercial par une stipulation expresse lorsque l'activité de mandataire de l'agent "est exercée en exécution d'un contrat écrit passé entre les parties à titre principal pour un autre objet".

Tel est bien le cas en l'espèce, où l'objet de la convention conclue le 31 janvier 1995, tel que précisé sous son article 1, consiste d'une part, en la fourniture et le développement du service après-vente comprenant la garantie, l'entretien et la réparation des véhicules de la marque vendus ou non par le concessionnaire et d'autre part, en "la commercialisation des pièces de rechange, accessoires et équipements y afférents", toutes activités qui ne relèvent pas du mandat d'agent commercial proprement dit, lequel porte exclusivement sur la commercialisation de véhicules neufs, activité définie et organisée à l'article V de la convention.

Cependant, l'article L. 134-15 alinéa 2 du Code de commerce a pour effet de relativiser la portée de l'alinéa 1 dans la mesure où il dispose que la renonciation au bénéfice de la loi est nulle " si l'exécution du contrat fait apparaître que l'activité d'agence commerciale est exercée en réalité à titre principal ou déterminant ".

La société Trezy fait valoir que nonobstant les stipulations contraires du contrat qu'elle a signé le 31 janvier 1995, son activité de mandataire de la marque Peugeot avait au regard de son activité d'ensemble un caractère déterminant et que la clause de renonciation au bénéfice des dispositions protectrices des articles L. 134 et s. du Code de commerce doit être réputée non écrite.

Les parties divergent sur la manière dont il convient d'apprécier le caractère déterminant (ou seulement accessoire) de l'activité d'agence.

La société Sovaca soutient qu'il faut simplement rapporter au chiffre d'affaires total de la société Trezy le chiffre d'affaires que procurent à cette dernière les ventes de véhicules neufs Peugeot, opération qui conduit à un pourcentage extrêmement faible (2,5 % du CA en 1994, 0,9 % en 1995, la société Trezy faisant vendre annuellement entre 20 et 30 véhicules de la marque seulement), révélant le caractère totalement marginal de l'activité d'agent dans l'économie générale du contrat.

La société Trezy soutient qu'il faut tenir compte de l'ensemble des retombées commerciales pour l'agent de son mandat de représentation d'une grande marque.

C'est son analyse qui doit prévaloir, et ceci pour deux raisons au moins :

- le caractère d'ordre public de la loi du 25 juin 1991 (dont l'objet premier était la protection des agents commerciaux), qui conduit à une interprétation stricte des clauses de renonciation insérées dans les contrats-types rédigés par les concessionnaires (ou les constructeurs automobiles).

- la relation étroite existant entre l'activité de commercialisation des véhicules neufs pour le compte du concessionnaire et les activités qui en découlent directement au titre du service après-vente, des garanties et des contrats accessoires, relation reconnue par la société Sovaca elle-même lorsque, dans un courrier du 4 mars 1994, elle rappelle à la société Trezy qu'il est nécessaire pour le maintien de ses activités après-vente de ne pas perdre de vue la vente des véhicules.

Ainsi mesurée, il n'est pas douteux que l'activité d'agent commercial Peugeot avait avant la résiliation du contrat litigieux, un caractère déterminant pour la société Trezy : en 1996, le CA qu'a procuré à l'appelante l'ensemble de l'activité liée à la marque (vente de véhicules neufs, mais également de pièces de rechange et accessoires, prestation du service après-vente ou au titre des garanties) a en effet représenté, selon l'attestation de son commissaire aux comptes corroborée par les pièces comptables, 68, 30 % de son CA total.

Il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré applicable au présent litige l'article 12 de la loi du 25 juin 1991 (aujourd'hui art. L. 134-12 du Code de commerce).

II - Sur le droit à indemnisation et le montant de l'indemnité

La société Sovaca ne peut faire valoir aucune faute grave contre son agent, même si elle tente d'accréditer l'idée qu'il n'aurait pas été performant au niveau des ventes de véhicules neufs ou qu'il aurait existé des " divergences de vue " entre les parties (cf lettre de rupture du 25 juin 1996).

De tels motifs, formulés de la manière la plus vague, qui n'ont à aucun moment été invoqués préalablement à la rupture, ne peuvent suffire à exonérer un mandant de son obligation d'indemniser le préjudice résultant pour l'agent de la résiliation de son mandat.

Pour l'évaluation du préjudice, et selon la logique qui a conduit à retenir l'application des articles L. 134 du Code de commerce à la relation litigieuse, nonobstant les stipulations du contrat, il ne peut être question de ne prendre en considération que la privation brutale des commissions sur ventes de véhicules neufs causée par la rupture. La société Trezy a perdu la clientèle attachée à la marque Peugeot, c'est l'ensemble de ses activités qui s'est trouvé affecté, elle a dû chercher de nouveaux marchés et déployer à cette fin des efforts importants qui ont eu un coût financier.

Le fait que ces efforts aient été couronnés de succès ne peut avoir pour effet de minorer son droit à réparation. D'ailleurs, même s'il est exact que son chiffre d'affaires, a crû entre 1996 (1 811 333 F) et 1997 (1 908 864 F), cette croissance ne s'est nullement accompagnée d'une augmentation, mais d'une diminution de son résultat net d'exploitation (149 702 F en 1996 contre 67 986 F en 1997), notamment sous l'influence des charges salariales et sociales qui ont connu entre ces deux exercices une augmentation notable.

Il y a lieu au vu de ces éléments de réformer le jugement déféré pour porter à la somme de 70 000 F le montant de l'indemnité de rupture.

L'équité commande d'allouer à la société Trezy la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile laquelle viendra s'ajouter à celle de 10 000 F qu'elle a déjà obtenue à ce titre en première instance,

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, infirme le jugement déféré, sauf sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et statuant à nouveau, condamne la société Sovaca à payer à la société Trezy la somme de 70 000 F à titre d'indemnité de rupture, la condamne à payer à l'appelante la somme de 10 000 F au titre de ses frais irrépétibles d'appel, rejette toutes prétentions plus amples ou contraires des parties, condamne la société Sovaca aux entiers dépens de première instance et d'appel et pour ces derniers, autorise la SCP Grimaud, avoués, à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.