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Décisions

CJCE, 11 décembre 1973, n° 120-73

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gebrüder Lorenz GmbH

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne, Land de Rhénanie-Palatinat

CJCE n° 120-73

11 décembre 1973

LA COUR,

1. Attendu que, par ordonnance du 19 mars 1973, parvenue au greffe de la Cour le 12 avril 1973, le Verwaltungsgericht de Francfort-sur-le-Main a posé, en vertu de l'article 177 du traité, plusieurs questions relatives à l'interprétation du paragraphe 3 de l'article 93 du traité instituant la Communauté économique européenne ; que ces questions concernent les modalités du contrôle préventif des aides d'Etat et, en particulier, les effets du retard de la Commission à prendre position à l'égard des projets qui lui sont notifiés ou à engager la procédure de constatation de leur incompatibilité avec le Marché commun ou de l'omission d'une telle intervention ;

2. Attendu que l'article 93 met en œuvre la procédure permettant à la Commission de déceler les aides d'Etat incompatibles, aux termes de l'article 92 du traité, avec le Marché commun, et de pourvoir à leur élimination ou d'en prévenir la mise à exécution ; que son paragraphe 1, relatif aux aides existantes, donne compétence à la Commission pour, après une procédure d'examen contradictoire décrite au paragraphe 2, obliger l'Etat membre concerné à les supprimer ou à les modifier dans le délai qu'elle détermine ; qu'en son paragraphe 3, cet article institue un contrôle préventif sur les projets d'aides nouvelles ou de modification d'aides existantes et dispose que " la Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le Marché commun, aux termes de l'article 92, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale " ;

3. Attendu qu'en déclarant que la Commission doit être informée des projets d'aides nouvelles ou de modification d'aides existantes "en temps utile pour présenter ses observations", les auteurs du traité ont entendu ménager à cette institution un délai de réflexion et d'investigation suffisant pour se former une première opinion sur la conformité, partielle ou totale, avec le traité, des projets qui lui ont été notifiés ; que ce n'est qu'après avoir été mise en mesure de se former cette opinion que la Commission est tenue, si elle estime le projet incompatible avec le Marché commun, d'ouvrir, sans délai, la procédure contradictoire, prévue au paragraphe 2 de l'article 93, en mettant l'Etat membre en demeure de présenter ses observations ;

4. Attendu que, selon la dernière phrase de l'article 93, l'Etat membre ainsi mis en cause ne peut appliquer les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ; que l'objectif poursuivi par le paragraphe 3 de l'article 93, qui est de prévenir la mise en vigueur d'aides contraires au traité, implique que cette interdiction produise déjà ses effets pendant tout le cours de la phase préliminaire ; que, si cette phase doit procurer à la Commission un délai utile, cette dernière doit, cependant, faire diligence et tenir compte de l'intérêt des Etats membres à être fixés rapidement dans des domaines ou la nécessité d'intervenir peut revêtir un caractère d'urgence en raison de l'effet que ces Etats membres attendent des mesures d'encouragement projetées ; qu'a défaut de détermination de ce délai par un règlement les Etats membres ne peuvent unilatéralement mettre fin à cette phase préliminaire nécessaire à la Commission pour remplir sa mission ; que celle-ci ne saurait, cependant, être considérée comme agissant avec la diligence voulue si elle omettait de prendre position dans un délai raisonnable ; qu'il est indiqué, à cet égard, de s'inspirer des articles 173 et 175 du traité qui, s'appliquant à des situations comparables, prévoient un délai de deux mois ; que si, passé ce délai, l'Etat membre concerné peut mettre le projet à exécution, les exigences de la sécurité juridique impliquent, cependant, qu'il en soit donné préavis à la Commission ;

5. Attendu, d'autre part, que, s'il est de l'intérêt d'une bonne administration que la Commission, lorsqu'elle estime au terme de l'examen préliminaire auquel elle a procédé, que l'aide est conforme au traité en fasse part à l'Etat intéressé, elle n'est cependant pas tenue de prendre, à cet égard, une décision au sens de l'article 189 du traité, l'article 93 n'imposant pareil acte qu'au terme de la procédure contradictoire ; que, de la circonstance que la Commission n'aurait pas estimé devoir ouvrir, dans le délai raisonnable, ci-dessus visé, la procédure d'instruction contradictoire, on ne saurait conclure que la mesure d'aide serait compatible avec le traité ; qu'en effet, le paragraphe 1 de l'article 93 oblige la Commission à procéder avec les Etats membres à un examen permanent des régimes d'aides existantes ;

Qu'une aide mise à exécution, dans le silence de la Commission, au-delà du délai nécessaire à son premier examen, sera alors soumise comme aide existante aux dispositions des paragraphes 1 et 2 de l'article 93 ;

6. Attendu qu'aux questions posées il y a donc lieu de répondre en premier lieu que l'article 93, paragraphe 3, du traité doit être interprété en ce sens que, si la Commission, au cours de la phase préliminaire, arrive à la conclusion qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure contradictoire, elle n'est pas tenue d'arrêter une décision au sens de l'article 189 ; que cette même disposition implique en outre que, si la Commission, après avoir été informée par un Etat membre d'un projet tendant à instituer ou à modifier une aide, omet d'ouvrir la procédure contradictoire, cet Etat peut, à l'expiration du délai suffisant pour procéder au premier examen du projet, mettre l'aide projetée à exécution à condition qu'il en ait été donné préavis à la Commission, cette aide relevant ensuite du régime des aides existantes ; que, compte tenu des réponses ainsi données aux questions sous a, b et c, la question sous d est privée d'objet ;

7. Attendu que, par une dernière question, il est demandé si la notion d'"Etat membre" figurant à l'article 93, paragraphe 3, du traité doit être entendue en ce sens que les justiciables possèdent un droit direct au respect de cette disposition ou si, à tout le moins, elle n'oblige pas le juge national à tenir compte d'office de la nullité d'une loi qui instituerait une aide en dépit de l'interdiction de mise à exécution prévue à l'article 93, paragraphe 3 ;

8. Attendu qu'ainsi qu'il a déjà été constaté par l'arrêt du 15 juillet 1964 (affaire 6-64, Recueil, 1964, p. 1141), l'interdiction de mise à exécution visée à la dernière phrase de l'article 93, paragraphe 3, a un effet direct et engendre, en faveur des justiciables, des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder ; que le caractère immédiatement applicable de cette interdiction s'étend à l'ensemble de la période pour laquelle elle s'applique ;

Qu'ainsi, l'effet direct de l'interdiction s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée et, en cas de notification, se produit pendant la phase préliminaire et, si la Commission engage la procédure contradictoire, jusqu'à la décision finale ;

9. Attendu, en ce qui concerne la seconde partie de cette question, que si l'effet direct de l'interdiction en cause oblige les juridictions nationales à l'appliquer, sans que puissent lui être opposées des règles de droit national, quelles qu'elles soient, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de déterminer le procédé juridique aboutissant à ce résultat ;

10. Attendu que les frais exposés par les Gouvernements de la République fédérale d'Allemagne et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement et que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Verwaltungsgericht de Francfort-sur-le-Main par ordonnance du 19 mars 1973, dit pour droit :

1) L'article 93, paragraphe 3, troisième phrase, du traité doit être interprété en ce sens que si la Commission, au cours de l'examen préliminaire de l'aide qui lui a été notifiée, arrive à la conclusion qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure contradictoire, elle n'est pas tenue d'arrêter une décision au sens de l'article 189 ;

2) Si la Commission, après avoir été informée par un Etat membre d'un projet tendant à instituer ou à modifier une aide, omet d'ouvrir la procédure contradictoire prévue au paragraphe 2 de l'article 93, en mettant l'Etat membre concerné en demeure de présenter ses observations, ce dernier peut, à l'expiration du délai suffisant pour procéder à son premier examen, mettre l'aide projetée à exécution à condition qu'il en ait été donné préavis à la Commission, cette aide relevant ensuite du régime des aides existantes ;

3) L'effet direct de l'interdiction pour l'Etat membre intéressé de mettre à exécution des mesures d'aide projetées s'étend à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée et, en cas de notification, se produit pendant la phase préliminaire et, si la Commission engage la procédure contradictoire, jusqu'à la décision finale. En ce qui concerne l'ensemble de cette période, elle engendre, en faveur des justiciables, des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder ;

4) Si l'effet direct de la dernière phrase de l'article 93 oblige les juridictions nationales à appliquer cette disposition sans que puissent lui être opposées des règles de droit national quelles qu'elles soient, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de déterminer le procédé juridique aboutissant à ce résultat.