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Décisions

Cass. crim., 18 mai 1999, n° 97-85.979

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Launay

Avocats :

SCP Piwnica, Molinie.

TGI Foix, ch. corr., du 6 mai 1997

6 mai 1997

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par J André et J Joël contre l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, du 9 octobre 1997, qui, notamment, pour abus de faiblesse, infractions à la législation sur le démarchage à domicile et vente au déballage non autorisée, les a condamnés chacun à 6 mois d'emprisonnement et 60 000 francs d'amende ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits ; - Sur le premier moyen de cassation, proposé pour André J, pris de la violation des articles 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, R. 137, R. 241-3 et R. 249 du Code de la route, 385, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler le procès-verbal, base des poursuites, et la procédure subséquente ;

"aux motifs qu'aux termes de l'article 47 de l'ordonnance du 31 décembre 1986 ici applicable, les enquêteurs peuvent accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transports à usage professionnel, demander la communication de livres, factures et tous autres documents professionnels et en prendre copie, recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications ; que les agents de la DGCCRF n'ont ainsi commis aucun abus de pouvoir demandant à consulter la carte grise du camion stationné devant les lieux de l'infraction et contenant les marchandises mises en vente, à usage professionnel donc ; qu'au demeurant, le renseignement recueilli au vu de ce document est sans incidence sur les faits tels qu'ils sont poursuivis ;

"alors qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, et des articles R. 137, R. 241-3 et R. 249 du Code de la route, que le certificat d'immatriculation d'un véhicule - fut-il celui d'un véhicule à usage professionnel - ne figure pas parmi les documents dont les agents de la DGCCRF sont en droit d'exiger la communication dès lors qu'ils n'agissent pas en vertu d'une autorisation judiciaire donnée par le président du tribunal de grande instance en application de l'article 48 de la même ordonnance et que, dès lors, en refusant d'annuler le procès-verbal, base des poursuites, et la procédure subséquente pour incompétence et abus de pouvoir, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

"alors que les dispositions de l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en ce qu'elles délimitent rigoureusement les pouvoirs d'enquête des agents de la DGCCRF, ont un caractère substantiel de sorte que, dès lors, leur méconnaissance implique par elle-même une atteinte aux intérêts de la partie concernée" ;

Et sur le premier moyen de cassation, proposé, dans les mêmes termes, pour Joël J, les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il ne résulte ni du jugement frappé d'appel, ni d'aucunes conclusions, que les prévenus aient soulevé devant les premiers juges, avant toute défense au fond, une exception de nullité du procès-verbal, base des poursuites, prise d'un excès de pouvoirs des agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes qui ont demandé la présentation de la carte grise du véhicule professionnel des demandeurs ; que, si c'est à tort que les juges d'appel ont statué, pour l'écarter, sur cette exception au lieu de la déclarer irrecevable comme tardive, en application de l'article 385, dernier alinéa, du Code de procédure pénale, le moyen qui la reprend devant la Cour de cassation est également irrecevable ;

Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Joël J, pris de la violation des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, 121-3 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Joël J coupable d'infractions à la législation sur le démarchage ;

"alors qu'en ne contestant pas que celui-ci ait violé en connaissance de cause les dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, l'arrêt attaqué a méconnu les dispositions de l'article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les infractions à la législation sur le démarchage dont elle a déclaré Joël J coupable ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ne saurait être accueilli ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour André J, pris de la violation des articles L. 122-8 et L. 122-9 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré André J coupable d'abus de faiblesse ;

"aux motifs, d'une part, que l'article L. 122-8 n'a pas égard aux qualités propres de la victime, contrairement à l'article 313-4 du Code pénal qui vise expressément les mineurs ou les personnes d'une particulière vulnérabilité apparente en raison de leur âge, d'une maladie, infirmité ou d'une déficience physique ou psychique etc ; qu'il n'y a, en conséquence, pas là un élément constitutif précis de l'infraction ; que l'article L. 122-8 s'attache au contraire explicitement non pas à la personnalité de la victime mais aux circonstances dans lesquelles la transaction a été conclue ; qu'ainsi, en particulier la faiblesse d'une personne - puisque l'ignorance ne paraît pas être ici à envisager - peut résulter de la situation dans laquelle elle a été mise par le vendeur, et n'être donc que passagère et contingente ; qu'il résulte des témoignages précédemment rappelés que par le moyen de toute une mise en scène destinée à étourdir les personnes préalablement sélectionnées, "privilégiées" et soigneusement isolées en comités restreints, en les appâtant de la perspective de cadeaux de valeur tout en endormant leur méfiance par touches successives au moyen d'un jeu soigneusement préparé, mis en scène et orchestré (chéquier montré, puis prêté, puis rendu, puis chèque, chèque rempli et signé donné puis rendu), le vendeur, Joël J, est parvenu, au dernier moment et par surprise, dans le prolongement et sous le couvert d'un jeu avec cadeaux, à faire signer à un certain nombre de ces personnes, et sur un document où ils étaient d'abord invités à complimenter le vendeur sur les qualités de sa prestation, un engagement ferme à tempérament contenant le paiement d'un acompte représentant en réalité la valeur des marchandises dont on venait de leur faire croire qu'elles constituaient un cadeau ; que ce procédé caractérise autant de ruses et artifices pour convaincre les victimes de souscrire après les avoir mises dans une situation où chacun est en vue et se trouve porté par le groupe que le vendeur a mis sous sa dépendance grâce aux vertus de la dynamique qu'il a créée par l'ensemble de la mise en scène, ce qui caractérise une véritable situation de faiblesse psychologique ainsi qu'une véritable forme de contrainte ;

"aux motifs, d'autre part, qu'il résulte des autres éléments de l'affaire qu'elle constitue une méthode de vente soigneusement préparée qui implique nécessairement la co-action d'André J dès lors qu'elle suppose une logistique précise univoque qui ne peut être que son fait personnel : "- d'une part, la sélection d'un groupe de "privilégiés" et donc toute l'organisation du démarchage par téléphone par une société tierce, suivi d'un système de courrier personnalisé rapide ; " - d'autre part, la mise à disposition des moyens : des salles de vente au déballage, du camion et des marchandises "cadeaux", de l'apparat de la salle avec ses services de porcelaine exposés et protégés, mais également du personnel "d'encadrement" ; "-enfin, des moyens contractuels particuliers, soigneusement établis en violation directe de la loi sur le démarchage, où la nature ferme de l'engagement ne résulte que de mentions imprimées en petits caractères, illisibles dans le contexte sus-décrit, et constitue la condition sine qua non du succès de l'entreprise tant il est certain que nombre d'acheteurs - dont André J traite lui-même les réclamations- ne manqueront pas de se réveiller sitôt éteinte l'emprise du vendeur ;

"alors que le délit d'abus de faiblesse défini par les articles L. 122-8 et L. 122-9 du Code de la consommation exige, pour être constitué, l'existence chez la victime d'un état de faiblesse ou d'ignorance préalable à la sollicitation et qu'en prenant en compte un prétendu état de faiblesse ou d'ignorance généré par la sollicitation, l'arrêt attaqué a méconnu les textes susvisés en sorte que la cassation est encourue ;

"alors que l'abus de faiblesse suppose, en outre, l'emploi de ruses, artifices ou contrainte en vue de convaincre les victimes et que l'arrêt, qui n'a pas constaté qu'André J ait participé à la "mise en situation" ou aux "pressions exercées sur les victimes, n'a pas légalement justifié sa décision de condamnation à son encontre" ;

Et sur le deuxième moyen de cassation, proposé dans les mêmes termes pour Joël J ; les moyens étant réunis ; - Vu l'article L. 122-8 du Code de la consommation ; - Attendu que le délit d'abus de faiblesse incriminé par ce texte suppose, pour être caractérisé, l'existence d'un état de faiblesse ou d'ignorance de la victime, préalable à la sollicitation et indépendant des circonstances dans lesquelles elle a été placée pour souscrire l'engagement ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Usifrance, qui commercialise de la porcelaine de Limoges, organise dans des salons d'hôtel ou salles municipales des expositions réservées aux personnes, sélectionnées à la suite d'un démarchage téléphonique, titulaires d'invitations personnelles assorties de promesses de cadeaux ; qu'un vendeur de la société recueille de ces invités, après les avoir fait participer à divers jeux, des commandes de services de table au prix d'environ 15 000 francs accompagnées du versement d'un acompte ; qu'André J, dirigeant de la société, et Joël J, vendeur salarié, sont poursuivis pour abus de faiblesse ;

Attendu que, pour les déclarer coupables de l'infraction, les juges énoncent que le délit prévu par le Code de la consommation, contrairement à celui incriminé par l'article 313-4 du Code pénal, n'exige pas, comme élément constitutif, l'existence d'un état de faiblesse objectif des victimes ;qu'ils ajoutent que cet état peut découler, comme en l'espèce, de la mise en scène ainsi que des ruses et artifices déployés par le vendeur pour les convaincre de souscrire la commande ;

Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; que la cassation est, dès lors, encourue ;

Et sur le quatrième moyen de cassation, proposé pour Joël J, pris de la violation des articles 132-24, 132-30 et 133-11 du Code pénal, 23 de la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie, 593 et 769 du Code de procédure pénale, 61 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Joël J à six mois d'emprisonnement ferme et 60 000 francs d'amende ;

"aux motifs que le prévenu, qui a déjà été condamné au cours des cinq années précédent les faits, pour délit de droit commun, à une peine d'emprisonnement (Avignon, 30 mai 1991 - contradictoire - un mois de prison pour violences volontaires) ne peut plus bénéficier du sursis simple à l'emprisonnement ;

"alors qu'il est interdit aux juges de prendre en considération une condamnation amnistiée pour refuser à un prévenu le bénéfice du sursis simple et que, dès lors, en mentionnant dans sa décision et en prenant en considération la condamnation prononcée le 30 mai 1991 par le tribunal correctionnel d'Angers, condamnation amnistiée en application de l'article 7 de la loi du 3 août 1995, pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme à l'encontre de Joël J, la cour d'appel a violé le principe susvisé" ;

Vu les articles 7 et 17 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie ; - Attendu que les condamnations effacées par une loi d'amnistie ne peuvent être prises en compte pour apprécier les conditions d'octroi du sursis simple à l'occasion du prononcé d'une nouvelle condamnation ;

Attendu que, pour condamner André J à une peine de 6 mois d'emprisonnement, les juges relèvent que l'intéressé, déjà condamné pour violences, le 30 mai 1991, au cours des 5 années précédant les faits, à une peine d'un mois d'emprisonnement, ne peut plus bénéficier du sursis simple ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la condamnation antérieure était effacée par l'amnistie, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ; d'où il suit que la cassation est, derechef, encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il ait lieu d'examiner les autres moyens proposés contestant la peine d'amende, casse et annule, mais seulement en ce qu'il a statué sur les déclarations de culpabilité du chef d'abus de faiblesse et sur les peines prononcées contre Joël J et André J, l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse, en date du 9 octobre 1997, toutes autres dispositions, notamment les déclarations de culpabilité du chef de démarchage illicite, vente au déballage non autorisée et publicité illicite, étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Toulouse, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;