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Décisions

CJCE, 10 juin 1993, n° C-183/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Kakouris

Présidents de chambre :

MM. Rodríguez Iglesias, Zuleeg

Avocat général :

M. Van Gerven.

Juges :

MM. Joliet, Moitinho de Almeida, Grévisse, Díez de Velasco, Kapteyn, Edward

CJCE n° C-183/91

10 juin 1993

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 juillet 1991, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CEE, un recours visant à faire constater que la République hellénique, en ne se conformant pas à la décision 89-659-CEE de la Commission, du 3 mai 1989, concernant les aides accordées aux entreprises exportatrices sous la forme d'une exonération de la taxe spéciale unique - instituée par l'arrêté ministériel E.3789-128 du 15 mars 1988 - sur la partie des bénéfices correspondant aux recettes d'exportation (JO, L 394, p. 1), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

2. L'arrêté E.3789-128, pris par le ministre des Finances de la République hellénique le 15 mars 1988, a institué une taxe spéciale unique grevant le revenu global de certaines entreprises au cours de l'exercice 1987. Néanmoins, la partie des bénéfices provenant d'opérations d'exportation était exonérée, en vertu de l'article 1er, deuxième alinéa, de cet arrêté.

3. La décision 89-659, précitée, constatait l'illégalité des aides prises en violation des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité ainsi que leur incompatibilité avec le marché commun, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, et ordonnait la modification sans délai du régime de la taxe spéciale unique (article 1er). De même, la Commission exigeait la récupération des aides auprès des entreprises récipiendaires par la voie du paiement de la partie de la taxe qui n'avait pas été perçue (article 2), et la présentation d'informations sur les mesures prises pour s'y conformer, ainsi que d'un rapport sur les montants des aides et sur les entreprises tenues au remboursement (article 3).

4. Le Gouvernement hellénique n'a pas attaqué cette décision. Il n'a pas procédé non plus à la récupération des aides concernées. En réponse aux demandes successives de la Commission sur l'exécution de la décision, les autorités helléniques, par lettres du 25 mars 1989 et du 19 mars 1990, ont communiqué à la Commission certaines observations, relatives au caractère exceptionnel du régime et à l'impossibilité absolue de mettre en œuvre la décision. Après plusieurs réunions entre la Commission et le Gouvernement hellénique, la Commission a introduit le présent recours.

5. Pour un plus ample exposé des antécédents du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

6. La Commission fait valoir l'absence de toute mesure d'exécution de la décision et, par conséquent, le caractère incontestable du manquement.

7. La République hellénique soutient que la décision de la Commission est illégale et qu'il existe une impossibilité absolue de l'exécuter.

8. Il est constant qu'aucune mesure n'a été prise par la République hellénique en vue d'obtenir la restitution de l'aide, exigée par la décision 89-659.

9. Il est constant également que ni le Gouvernement hellénique, ni les entreprises bénéficiaires de l'exonération n'ont introduit de recours en annulation de la décision en cause, en vertu de l'article 173 du traité, et que, par conséquent, elle est devenue définitive.

10. Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la République hellénique n'est plus fondée à mettre en cause la validité d'une décision qui lui a été adressée sur la base de l'article 93, paragraphe 2, du traité, après l'expiration du délai fixé à l'article 173, troisième alinéa, du traité (voir arrêts Commission-Belgique du 12 octobre 1978, 156-77, Rec. p. 1881, et du 15 janvier 1986, 52-84, Rec. p. 89). Il résulte notamment de ce dernier arrêt que, dans ces circonstances, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué contre le recours en manquement est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision.

11. A cet égard le Gouvernement hellénique fait valoir, notamment, que la récupération prendrait nécessairement la forme d'une taxe financière rétroactive, ce qui serait incompatible avec l'article 78, paragraphe 2, de la Constitution hellénique. De l'avis du Gouvernement hellénique, cet article est l'expression des principes généraux qui régissent tant l'ordre juridique interne que l'ordre communautaire, et particulièrement des principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

12. Le Gouvernement hellénique soutient en outre que l'importance financière minime de l'exonération, les difficultés administratives pour établir la distinction entre les bénéfices provenant des échanges communautaires et ceux provenant des exportations vers les pays tiers, ainsi que le coût disproportionné des mesures de récupération de l'aide, rendraient anti-économique et irrationnel le recouvrement de la taxe.

13. Dans la mesure où le Gouvernement hellénique fait valoir que la récupération de l'aide, telle qu'elle a été ordonnée par la décision de la Commission, se heurte à des principes généraux de droit reconnus par l'ordre juridique communautaire, il remet nécessairement en cause la légalité de cette décision. Or, ainsi qu'il a été relevé au point 10 du présent arrêt, le Gouvernement hellénique n'est plus fondé à mettre en cause la validité de cette décision.

14. Au surplus, les arguments qu'il invoque à cet égard ne sont, en tout état de cause, pas fondés.

15. En effet, en faisant valoir que la récupération de l'aide ne pourrait que prendre la forme d'une taxation rétroactive, contraire aux principes généraux du droit communautaire, le Gouvernement hellénique méconnaît les conséquences attachées à la qualification juridique de l'exonération fiscale en cause comme une aide illégale.

16. Ainsi qu'il découle de la jurisprudence de la Cour, la suppression d'une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité (voir, notamment, arrêt du 21 mars 1990, Belgique-Commission, C-142-87, Rec. p. I-959, point 66). Or, cette conséquence ne saurait dépendre de la forme dans laquelle l'aide a été octroyée.

17. S'agissant, comme en l'espèce, d'une aide octroyée sous forme d'exonération fiscale et dont l'illégalité a été dûment constatée, il est inexact de soutenir, comme le fait le Gouvernement défendeur, que la récupération de l'aide en cause doive nécessairement prendre la forme d'une taxation rétroactive, qui, en tant que telle, se heurterait à une impossibilité absolue d'exécution au regard notamment des principes généraux du droit communautaire. Sur le fondement de la décision 89-659, précitée, il appartient seulement aux autorités helléniques de prendre des mesures ordonnant aux entreprises bénéficiaires de l'aide de verser des sommes dont le montant correspond à celui de l'exonération fiscale qui leur a été illégalement consentie.

18. Il convient de rappeler encore que, s'il est vrai que l'on ne saurait exclure la possibilité, pour le bénéficiaire d'une aide illégale, d'invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, en revanche, un État membre, dont les autorités ont octroyé l'aide en violation des règles de procédure prévues à l'article 93, ne saurait invoquer la confiance légitime des bénéficiaires pour se soustraire à l'obligation de prendre les mesures nécessaires en vue de l'exécution d'une décision de la Commission lui ordonnant de récupérer ladite aide. En effet, une telle possibilité reviendrait à priver les dispositions des articles 92 et 93 du traité de tout effet utile, dans la mesure où les autorités nationales pourraient ainsi se fonder sur leur propre comportement illégal pour mettre en échec l'efficacité des décisions prises par la Commission en vertu de ces dispositions du traité (voir arrêt du 20 septembre 1990, Commission-Allemagne, C-5-89, Rec. p. 3437, points 16 et 17).

19. Enfin, en ce qui concerne les autres arguments invoqués par le Gouvernement hellénique, il y a lieu de souligner que le fait, pour l'État destinataire, de ne pouvoir soulever, contre un recours comme celui de l'espèce, d'autres moyens que l'existence d'une impossibilité d'exécution absolue, n'empêche pas qu'un État membre qui, lors de l'exécution d'une telle décision, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience des conséquences non envisagées par la Commission, soumette ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, la Commission et l'État membre doivent, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire, notamment, l'article 5 du traité, collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité, et notamment de celles relatives aux aides (voir arrêt Commission-Belgique, 52-84, précité, et arrêt du 2 février 1989, Commission/Allemagne, 94-87, Rec. p. 175).

20. En l'espèce, le Gouvernement défendeur s'est borné à faire part à la Commission des difficultés juridiques et pratiques que présentait la mise en œuvre de la décision, sans entreprendre quelque démarche que ce soit auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en œuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés alléguées.

21. Dans ces circonstances, force est de constater que le Gouvernement défendeur n'est pas fondé à alléguer une impossibilité absolue d'exécuter la décision de la Commission.

22. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de constater le manquement dans les termes résultant des conclusions de la Commission.

Sur les dépens

23. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La partie défenderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête:

1) En ne se conformant pas à la décision 89-659-CEE de la Commission, du 3 mai 1989, concernant les aides accordées aux entreprises exportatrices sous la forme d'une exonération de la taxe spéciale unique - instituée par l'arrêté ministériel E.3789-128 du 15 mars 1988 - sur la partie des bénéfices correspondant aux recettes d'exportation, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE.

2) La République hellénique est condamnée aux dépens.