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Décisions

CJCE, 19 mai 1993, n° C-198/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

William Cook plc

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M Due

Présidents de chambre :

MM. Zuleeg, Murray, Mancini

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

MM. Schockweiler, Moitinho de Almeida, Grévisse, Díez de Velasco, Kapteyn

Avocats :

Mes Bentley, Rivas de Andrés, Hernández-Mora

CJCE n° C-198/91

19 mai 1993

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 30 juillet 1991, William Cook PLC (ci-après "Cook") a, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation d'une décision de la Commission, qui lui a été communiquée par une lettre en date du 29 mai 1991, "de ne pas soulever d'objections" aux différentes aides d'État accordées à Piezas y Rodajes SA (ci-après "Pyrsa").

2. Il ressort du dossier que la Commission, par une décision en date du 26 mai 1987 (voir communication 88-C 251-04 JO C 251, p. 4), a autorisé le régime général d'aides régionales en Espagne dont le projet lui avait été notifié par le Gouvernement espagnol le 30 janvier de la même année, conformément aux dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Les modifications apportées ultérieurement à ce régime ont été approuvées par une décision de la Commission, du 1er septembre 1987.

3. Il est notamment prévu dans le cadre de ce régime d'aides, autorisé au titre de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité, l'octroi d'aides régionales dans la province de Teruel, dans la limite d'un plafond de 75 % équivalent-subvention net (ESN).

4. C'est dans cette province, sur le territoire de la commune de Monreal del Campo, que Pyrsa a engagé un programme d'investissements d'un montant de 2 788 300 000 PTA pour la construction d'une usine de fonderie destinée à produire des barbotins (roues dentées entraînées par des chaînes utilisées principalement dans l'industrie minière) et des équipements GET (pièces utilisées pour le nivellement du sol et l'excavation).

5. Il est constant que cet investissement a bénéficié des aides suivantes:

- une subvention de 975 905 000 PTA du Gouvernement espagnol;

- une subvention de 182 000 000 PTA de la communauté autonome d'Aragon;

- une subvention de 2 300 000 PTA de la commune de Monreal del Campo;

- une garantie, pour un prêt d'un montant de 490 000 000 PTA, accordée par la communauté autonome d'Aragon;

- une bonification d'intérêts, portant sur le prêt susmentionné, accordée par la Diputacion provincial de Teruel.

6. Cook, qui produit des moulages d'acier et des équipements GET, a présenté, le 14 janvier 1991, une "plainte formelle" à la Commission par laquelle elle contestait la compatibilité de ces aides avec le Marché commun.

7. Par lettre en date du 13 mars 1991, la Commission a informé l'entreprise plaignante que l'aide du Gouvernement espagnol de 975 905 000 PTA avait été accordée dans le cadre du régime général d'aides régionales et était, dès lors, compatible avec les dispositions de l'article 92 du traité. Cette lettre faisait état, pour les autres aides, de l'ouverture d'une enquête auprès des autorités espagnoles.

8. A la suite de cette enquête, la Commission informait la plaignante, par lettre en date du 29 mai 1991, de sa décision de ne "pas soulever d'objections" aux aides accordées à Pyrsa. A cette lettre, était jointe la décision, référencée sous le n° NN 12-91 (ci-après "décision NN 12-91"), adressée au Gouvernement espagnol, dans laquelle la Commission constatait que ces aides relevaient du champ d'application des dispositions de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité selon lesquelles peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi.

9. Cette décision est fondée sur deux motifs. Dans le premier motif, la Commission estime que "la production de Pyrsa se situe dans le sous-secteur des barbotins et des équipements GET... dans lequel la demande s'est accrue pour la période 1988-1990 et qui ne connaît pas de problèmes de surcapacité." Dans le second motif, il est constaté que "les aides s'adressent à un programme d'investissement dans une nouvelle entreprise et que l'intensité globale de toutes les aides prises ensemble se situe en fait en-dessous du plafond de 50 % équivalent-subvention net."

10. Par le présent recours, Cook demande l'annulation de la décision de la Commission qui lui a été communiquée par la lettre du 29 mai 1991.

11. Le Gouvernement espagnol a été admis, par une ordonnance du Président de la Cour, en date du 20 novembre 1991, à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

12. Pour un plus ample exposé des faits du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et des arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur l'objet et la recevabilité du recours

13. La lettre du 29 mai 1991 se borne à informer la plaignante de la décision NN 12-91 par laquelle la Commission a estimé que les aides accordées à Pyrsa étaient compatibles avec le Marché commun.

14. En elle-même, cette lettre d'information ne constitue pas une décision de nature à pouvoir faire l'objet d'un recours en annulation.

15. En revanche, la décision NN 12-91, dont le Gouvernement espagnol est le destinataire, peut faire l'objet d'un tel recours.

16. La défenderesse a fait valoir que cette dernière décision, en tant qu'elle mentionne l'aide de 975 905 000 PTA accordée par le Gouvernement espagnol, ne fait que confirmer la lettre susmentionnée du 13 mars 1991, par laquelle il était constaté que cette aide avait été accordée dans le cadre du régime général d'aides régionales approuvé par la Commission. En réponse à cet argument, Cook a précisé, dans son mémoire en réplique, que le recours ne visait ni la lettre du 13 mars 1991 ni aucune confirmation ultérieure de cette lettre.

17. Il y a lieu, dans ces conditions, de regarder le recours comme dirigé contre la décision NN 12-91 uniquement en tant qu'elle porte sur des aides autres que l'aide accordée par le Gouvernement espagnol.

18. A défaut pour Cook d'être destinataire de la décision attaquée, la recevabilité du recours est subordonnée, selon les dispositions de l'article 173, deuxième alinéa, du traité à la condition que la requérante soit directement et individuellement concernée par cette décision.

19. La Commission et le Gouvernement espagnol soutiennent que cette condition n'est pas remplie et que le recours est, dès lors, irrecevable.

20. Il ressort d'une jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être concernés au sens de l'article 173, deuxième alinéa, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 199).

21. Pour déterminer si ces conditions sont remplies dans le présent recours, il convient de rappeler l'objet des procédures prévues respectivement par les paragraphes 2 et 3 de l'article 93 du traité.

22. Comme la Cour l'a relevé dans l'arrêt du 20 mars 1984, Allemagne/Commission (84-82, Rec. p. 1451, points 11 et 13), il faut distinguer, d'une part, la phase préliminaire d'examen des aides, instituée par l'article 93, paragraphe 3, du traité, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l'aide en cause et, d'autre part, la phase d'examen de l'article 93, paragraphe 2, du traité. Ce n'est que dans le cadre de cette phase d'examen, qui est destinée à permettre à la Commission d'avoir une information complète sur l'ensemble des données de l'affaire, que le traité prévoit l'obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations.

23. Lorsque, sans ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, la Commission constate, sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu'une aide est compatible avec le Marché commun, les bénéficiaires de ces garanties de procédure ne peuvent en obtenir le respect que s'ils ont la possibilité de contester devant la Cour cette décision de la Commission.

24. Les intéressés, au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité ont été définis par la Cour comme les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi de l'aide, c'est-à-dire notamment les entreprises concurrentes et les organisations professionnelles (arrêt du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 16).

25. Dans le cas d'espèce, si la Commission et le Gouvernement espagnol contestent le caractère substantiel des distorsions de concurrence entraînées par les aides litigieuses, ils ne contestent pas, en revanche, le fait que Cook, qui produit, comme l'entreprise bénéficiaire de l'aide, des équipements GET, est une entreprise intéressée au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité.

26. Par conséquent, en cette qualité, Cook doit être regardée comme directement et individuellement concernée par la décision NN 12-91 de la Commission. Elle est, dès lors, recevable à demander l'annulation de cette décision sur le fondement de l'article 173, deuxième alinéa, du traité.

Sur le fond

27. A l'appui de son recours, Cook invoque l'irrégularité de la procédure résultant de la circonstance que la décision attaquée a été prise sur le seul fondement des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité sans que la Commission ait préalablement ouvert la procédure d'enquête prévue par le paragraphe 2 de ce même article. Cook soutient également que les principes de respect des droits de la défense et de bonne administration ont été méconnus, en raison du fait que, en sa qualité d'entreprise plaignante, elle n'a pas été mise en mesure, dans le cadre de la procédure de l'article 93, paragraphe 3, du traité, de présenter ses observations sur les éléments retenus par la Commission pour justifier sa décision. Enfin, le motif de la décision attaquée selon lequel le sous-secteur des barbotins et des équipements GET n'est pas surcapacitaire serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

28. Cook soutient notamment que la Commission est tenue de suivre la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, lorsque, comme dans le cas d'espèce:

- elle statue sur la compatibilité d'une aide qui ne lui a pas été notifiée;

- elle constate la compatibilité d'une aide sur le fondement des dispositions de l'article 92, paragraphe 3, sous a), du traité;

- les difficultés pour porter une appréciation sur la compatibilité de l'aide justifient l'ouverture de cette procédure.

29. Comme l'a précisé la Cour dans l'arrêt Allemagne/Commission, précité, (point 13), la procédure de l'article 93, paragraphe 2, revêt un caractère indispensable dès que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le Marché commun. La Commission ne peut s'en tenir à la phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, pour prendre une décision favorable à une aide que si elle est en mesure d'acquérir la conviction, au terme d'un premier examen, que cette aide est compatible avec le traité. En revanche, si ce premier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire, ou même n'a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l'appréciation de la compatibilité de cette aide avec le Marché commun, la Commission a le devoir de s'entourer de tous les avis nécessaires et d'ouvrir, à cet effet, la procédure de l'article 93, paragraphe 2.

30. Si contrairement à ce que soutient Cook, l'obligation d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité ne dépend pas des conditions de notification de l'aide ou de la disposition de l'article 92 du traité dont il est fait application, il appartient à la Commission, de déterminer, sous le contrôle de la Cour, en fonction des circonstances de fait et de droit propres à l'affaire, si les difficultés rencontrées dans l'examen de la compatibilité de l'aide nécessitent l'ouverture de cette procédure.

31. Il convient, en conséquence, de rechercher si, dans le cas d'espèce, les appréciations sur lesquelles s'est fondée la Commission, et plus particulièrement celle relative à l'absence de surcapacité dans le sous-secteur des barbotins et des équipements GET, présentaient des difficultés de nature à justifier l'ouverture de cette procédure.

32. Comme l'a reconnu la Commission dans ses réponses aux questions de la Cour, il n'existe pas de données spécifiques relatives aux barbotins et aux équipements GET.

33. Les seules données disponibles concernent le sous-secteur des fonderies d'acier, dans lequel est incluse l'activité de production des barbotins et des équipements GET. Dans une communication 88-C320-03 relative à l'encadrement des aides dans certains secteurs sidérurgiques hors CECA (JO C 320, p. 3), la Commission avait constaté que le sous-secteur des fonderies d'acier connaissait une contraction de la demande et nécessitait, en raison du faible taux d'utilisation des équipements, de nouvelles adaptations.

34. La Commission soutient que, depuis ce document qui laissait supposer l'existence d'une surcapacité de production dans le sous-secteur en cause, la situation a évolué de façon favorable en 1989 et 1990. Pour justifier cette analyse, qui va à l'encontre des documents concordants produits par la requérante, la Commission s'appuie sur des statistiques du Comité des associations européennes de fonderies (CAEF).

35. Les données chiffrées que contiennent ces statistiques ne sont que partielles, en ce qu'elles concernent seulement la production, la valeur de cette production et le nombre des emplois. Elles ne permettent pas de connaître les capacités de production et de les comparer avec la production et la demande sur le marché. L'absence ou l'existence d'une surcapacité de production ne peut pas, en conséquence, être, de façon certaine, déduite de ces données.

36. La Commission admet d'ailleurs elle-même dans ses mémoires et réponses que "le secteur des fonderies d'acier ne se prête pas à une estimation aisée des capacités de production."

37. Dans ces conditions, l'existence ou l'absence de surcapacité dans le sous-secteur des barbotins et des équipements GET ne résultait pas clairement, à la date de la décision attaquée, des données et des statistiques disponibles. Cette constatation nécessitait, au contraire, une analyse complexe du sous-secteur concerné et des investigations complémentaires auprès des entreprises de ce sous-secteur.

38. Il en résulte que, dès lors que la Commission entendait se fonder sur l'absence de surcapacité dans le sous-secteur d'activité considéré, il lui appartenait d'ouvrir la procédure prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, ceci afin de vérifier, après avoir recueilli tous les avis nécessaires, le bien-fondé de son appréciation qui était de nature à soulever des difficultés sérieuses.

39. A défaut d'avoir été précédée d'une telle procédure, la décision NN 12-91 est illégale en tant qu'elle porte sur les aides autres que l'aide accordée à Pyrsa par le Gouvernement espagnol. Dans cette mesure, il convient, par conséquent, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens invoqués par la requérante, d'annuler cette décision.

Sur les dépens

40. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

41. Conformément aux dispositions de l'article 69, paragraphe 4, de ce même règlement, le royaume d'Espagne doit, en sa qualité d'intervenant, supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

déclare et arrête:

1) La décision NN 12-91 de la Commission, adressée au Gouvernement espagnol et communiquée à Cook par une lettre du 29 mai 1991, "de ne pas soulever d'objections" aux différentes aides d'État accordées à Pyrsa est annulée en tant qu'elle porte sur les aides autres que la subvention de 975 905 000 PTA accordée par le Gouvernement espagnol.

2) La Commission est condamnée aux dépens.

3) Le Royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.