Livv
Décisions

CJCE, 18 mai 1993, n° C-356/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royaume de Belgique

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Rodríguez Iglesias, Murray

Avocat général :

Me Darmon

Juges :

MM. Mancini, Joliet, Schockweiler, Díez de Velasco, Kapteyn, Edward

Avocat :

Me Marissens.

Comm. CE du 4 juill. 1990 ; Comm. CE du …

4 juillet 1990

LA COUR,

1. Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 6 décembre 1990 et le 11 juillet 1991, le Royaume de Belgique a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation, respectivement, de la décision 90-627-CEE, de la Commission, du 4 juillet 1990, concernant des crédits octroyés par les autorités belges à un armateur pour l'achat d'un navire LPG de 34 000 m3 et de deux navires réfrigérés (JO L 338, p. 21), notifiée le 4 octobre 1990, ainsi que de la décision 91-375-CEE de la Commission, du 13 mars 1991, concernant des crédits octroyés par les autorités belges à différents armateurs pour la construction de neuf navires (JO L 203, p. 105), notifiée le 13 mai 1991.

2. Par acte séparé déposé au greffe de la Cour le 6 décembre 1990, en même temps que le recours C-356-90, le Royaume de Belgique a introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité, une demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de la décision 90-627, précitée, et à faire enjoindre à la Commission de rouvrir la procédure administrative prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité. Par ordonnance du 8 mai 1991 (C-356-90 R, Rec. p. I-2424), le président de la Cour a rejeté la demande en référé et réservé les dépens.

3. Les décisions attaquées ont été adoptées sur la base de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité ainsi que de la directive 87-167-CEE du Conseil, du 26 janvier 1987, concernant les aides à la construction navale (JO L 69, p. 55, ci-après "directive").

4. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, les aides à la production en faveur de la construction et de la transformation navales peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, à condition que le montant total de l'aide octroyée pour un contrat ne dépasse pas, en équivalent subvention, un plafond maximal commun exprimé en pourcentage de la valeur contractuelle avant aide.

5. Ce plafond est, selon l'article 4, paragraphes 2 et 3, fixé par la Commission, sur la base de la différence qui existe entre les coûts des chantiers les plus compétitifs de la Communauté et les prix pratiqués par leurs principaux concurrents internationaux. Il est revu tous les douze mois, ou à un intervalle plus court lorsque des circonstances exceptionnelles le demandent, avec l'objectif de sa réduction progressive.

6. L'article 4, paragraphe 4, de la directive précise que le plafond est applicable non seulement à toutes les formes d'aides à la production octroyées directement aux chantiers, mais aussi (article 3, paragraphes 1 et 2) à toutes les formes d'aide aux armateurs ou à des tiers qui sont disponibles en tant qu'aide pour la construction ou la transformation de navires, lorsque ces aides sont effectivement utilisées pour la construction ou la transformation de navires dans les chantiers de la Communauté.

7. Par les décisions attaquées, la Commission, d'une part, a déclaré incompatibles avec le marché commun une série d'aides à la construction navale, accordées sous forme de crédits, par les autorités belges dans le courant de l'année 1989, étant donné que leur équivalent subvention dépassait le plafond maximal fixé pour 1989; d'autre part, elle a enjoint au Gouvernement belge de revoir les conditions des crédits afin de réduire ces derniers à concurrence dudit plafond.

8. Pour un plus ample exposé des faits du litige, de la réglementation communautaire applicable, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9. À l'appui de ses deux recours, le Royaume de Belgique invoque essentiellement deux moyens. Le premier est relatif à la nature des aides accordées, dans le sens que à son avis, seul doivent être prises en considération pour la détermination du plafond les aides effectivement disponibles en tant qu'aides à la production, les aides à l'exploitation, en revanche, ne devant pas l'être. Le second est relatif à la portée du plafond visé à l'article 4, paragraphe 1 de la directive.

10. Accessoirement au premier moyen, le Gouvernement belge soutient que la Commission, pour mettre en cause les aides à l'exploitation, aurait dû engager la procédure de l'article 169. Accessoirement au deuxième moyen, le Gouvernement belge invoque la violation de l'obligation de motivation au sens de l'article 190 du traité ainsi que des droits de la défense.

Sur le premier moyen relatif à la distinction entre aides à la production et aides à l'exploitation

11. Le régime d'aides à la construction navale en Belgique est régi par la loi du 23 août 1948 (ci-après "la loi"), modifiée à plusieurs reprises, tendant à assurer le maintien et le développement de la marine marchande, de la pêche maritime et de la construction maritime, et instituant à ces fins un Fonds de l'Armement et des Constructions maritimes.

12. Selon le Gouvernement belge, la loi, qui a été dûment notifiée à la Commission, poursuit un double objectif: elle viserait, d'une part, des aides directes dans le cadre d'un contrat déterminé aux chantiers navals pour la construction ou la transformation d'un navire et, d'autre part, des aides à l'exploitation accordées aux armateurs, c'est-à-dire des aides d'incitation à la navigation sous pavillon belge ou luxembourgeois, même sur des navires construits dans des pays tiers, qui viseraient tant l'emploi que la modernisation du matériel navigant d'un armateur déterminé, en dehors de tout contrat de construction ou de restructuration avec un chantier naval.

13. Or, pour le Gouvernement belge, seul le premier type d'aides entrerait dans le champ d'application de la directive dont l'objectif serait d'éviter l'accroissement des capacités de production des chantiers navals de la Communauté; la Commission aurait donc dû isoler la part "aide à l'exploitation" du montant total de crédits octroyés, afin de ne retenir que la part "aide à la production" et ne vérifier que la conformité de cette dernière, exprimée en équivalent subvention, avec le plafond commun applicable. Si la Commission avait procédé de cette manière, elle n'aurait pu constater que le plafond était dépassé et déclarer en conséquence que les aides en question étaient incompatibles avec le marché commun.

14. Il convient d'observer, à cet égard, comme l'avocat général l'a relevé à juste titre, que la directive a instauré un système cohérent qui prend en considération, pour la détermination du montant d'une aide consentie lors de la construction d'un navire, non seulement les aides directes mais également les aides indirectes que l'État peut accorder à son industrie navale. Cela résulte clairement de l'article 4, paragraphe 4, de la directive, aux termes duquel le plafond est applicable non seulement à toutes les formes d'aide à la production octroyées directement aux chantiers, mais aussi aux aides visées à l'article 3, paragraphe 2, cette dernière disposition visant toutes les formes d'aides octroyées aux armateurs ou à des tiers lorsque ces aides sont effectivement utilisées pour la construction ou la transformation des navires dans les chantiers de la Communauté.

15. En l'espèce, il ressort du texte des décisions litigieuses que les aides en cause étaient effectivement destinées à la construction de navires dans des chantiers navals belges. Le Gouvernement belge n'ayant fourni aucun élément de preuve en sens contraire, il n'est donc pas contestable qu'elles entrent dans le champ d'application de la directive.

16. Le premier moyen doit dès lors être rejeté.

17. Le Gouvernement belge soutient, comme moyen accessoire, que l'éventuelle incompatibilité avec la directive de la distinction entre aides à la construction et aides à l'exploitation ne découle pas des aides visées par les décisions litigieuses, mais de la loi du 23 août 1948 elle-même, de sorte que la Commission aurait dû engager une procédure au titre de l'article 169 du traité et non pas la procédure, spécifique aux aides, de l'article 93, paragraphe 2.

18. A cet égard, il suffit de rappeler, comme il découle de l'arrêt du 30 janvier 1985, Commission/France (290-83, Rec. p. 439), que même une loi, prévoyant des aides, doit être appréciée suivant la procédure de l'article 93, paragraphe 2, dès lors qu'il s'agit de constater l'incompatibilité de ces aides, en tant que telles, avec le marché commun.

19. Il en résulte qu'en l'espèce, s'agissant d'aides dont elle cherchait à vérifier la compatibilité avec le marché commun, la Commission ne pouvait que suivre la procédure de l'article 93, paragraphe 2.

20. Ce moyen accessoire ne saurait donc être retenu.

Sur le deuxième moyen relatif à la portée du plafond visé à l'article 4, paragraphe 1, de la directive

21. Selon le Gouvernement belge, c'est à tort que la Commission, en donnant une portée absolue au plafond commun instauré par l'article 4, paragraphe 1, de la directive, s'est limitée à constater, purement et simplement, que les aides litigieuses dépassaient ledit plafond pour en déduire automatiquement leur incompatibilité avec le marché commun.

22. Il ressortirait, en revanche, tant du préambule de la directive, dont l'objectif serait la lutte contre la surcapacité dans le secteur de la construction navale dans la Communauté, que des termes mêmes de l'article 4, paragraphe 1 ("... peuvent ..."), que cette disposition n'introduit qu'une présomption explicite de compatibilité en ce qui concerne les aides ne dépassant pas le plafond et une présomption implicite d'incompatibilité, en ce qui concerne les aides qui le dépassent. Il s'agirait de présomptions simples en ce sens que, dans le premier cas, il ne serait pas exclu que la Commission puisse déclarer incompatible une aide même si elle ne dépasse pas le plafond et que, dans le deuxième cas, il serait possible à l'État membre concerné de fournir la preuve que, malgré le dépassement, l'aide spécifique mise en cause est néanmoins compatible avec le marché commun.

23. Cette approche serait justifiée essentiellement par le fait que la directive, en tant qu'acte de droit dérivé, ne pourrait déroger au droit primaire, en l'occurrence aux articles 92 et 93 du traité, qui prévoient, d'une part, les critères d'incompatibilité d'une aide avec le marché commun et, d'autre part, l'obligation pour la Commission de procéder à la vérification ponctuelle et spécifique de ses critères cas par cas. La directive ne saurait donc être interprétée dans le sens qu'elle impose un plafond maximal comme critère d'application générale non susceptible de démonstration contraire.

24. A cet égard, il y a lieu d'observer que l'article 92 du traité, après avoir édicté, en son paragraphe 1, l'interdiction de principe, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, des aides accordées par les États, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence, indique, en son deuxième paragraphe, les aides qui sont en tout état de cause compatibles avec le marché commun et, en son troisième paragraphe, les aides qui peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun.

25. Il résulte de la structure et de l'économie de l'article 92, que son paragraphe 3 introduit la possibilité de déroger, dans des cas spécifiques, à l'interdiction d'aides qui seraient autrement incompatible. Cette possibilité est fonction de l'existence et du poids d'un certain nombre d'exigences, notamment sociales et régionales, dignes d'être prises en considération et pouvant justifier de passer outre à l'incompatibilité.

26. En outre, l'article 92, paragraphe 3, sous d), permet au Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, d'élargir l'éventail des aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun, au-delà des catégories indiquées sous a), b) et c).

27. Le Conseil a fait usage de cette possibilité en adoptant la directive 87-167, précitée, qui est la sixième d'une série de directives concernant les aides à la construction navale.

28. L'examen de la directive et, en particulier, de son préambule permet de constater que le Conseil, tout comme il l'avait fait dans les directives précédentes, a procédé à une analyse du secteur en montrant, d'une part, que, face à la crise de celui-ci, les aides à la construction navale sont contraires aux intérêts du marché commun en tant qu'elles tendent à renforcer le cloisonnement du marché intérieur (cinquième considérant), et que, d'autre part (sixième considérant), du fait notamment des différences de coûts qui existent pour la plupart des catégories de navires par rapport aux chantiers navals de certains pays tiers, il n'est pas possible d'abolir immédiatement lesdites aides, en raison de la nécessité d'encourager la restructuration de nombreux chantiers navals, mais qu'une politique d'aides plus rigoureuse et plus sélective est néanmoins nécessaire en vue notamment d'assurer des conditions équitables et uniformes de concurrence intracommunautaire.

29. Le quatrième considérant relève également qu'une industrie compétitive de construction navale revêt un intérêt essentiel pour la Communauté et contribue à son développement économique et social ainsi qu'au maintien de l'emploi dans un certain nombre de régions qui souffrent déjà d'un taux élevé de chômage.

30. Il en résulte que le Conseil, conformément à la ratio de l'article 92, paragraphe 3, en partant de la constatation de l'incompatibilité des aides à la construction navale, a pris en compte une série d'exigences d'ordre économique et social qui l'ont conduit à faire usage de la faculté, reconnue par le traité, de considérer néanmoins ces aides comme compatibles avec le marché commun, à condition qu'elles satisfassent aux critères de dérogation contenus dans la directive (article 1er, sous d), deuxième alinéa).

31. En ce qui concerne les aides à la production en faveur de la construction et de la transformation navales, le critère retenu est celui du non-dépassement du plafond maximal commun, prévu à l'article 4, paragraphe 1, de la directive. Ce plafond constitue ce que le Conseil a considéré comme le point d'équilibre entre les exigences contradictoires du respect des règles du marché commun et du maintien d'un niveau suffisant d'activité dans les chantiers navals européens ainsi qu'à la survie d'une industrie européenne de la construction navale efficace et concurrentielle (sixième considérant de la directive).

32. Il apparaît dès lors que le respect du plafond litigieux est la condition essentielle pour qu'une aide à la construction navale puisse être considérée comme compatible avec le marché commun et que son dépassement entraîne ipso facto l'incompatibilité de l'aide en cause.

33. Il en découle que, dans ce contexte, le rôle de la Commission est limité à la vérification du respect de ladite condition. Exiger, comme le soutient le Gouvernement belge, que la Commission procède à une nouvelle vérification, cas par cas, de la compatibilité des aides par rapport aux critères visés à l'article 92, paragraphe 1, non seulement enlèverait tout effet utile à la directive, mais serait illogique, s'agissant d'un régime dérogatoire, qui présuppose nécessairement que les aides visées sont au départ incompatibles avec le marché commun.

34. Au vu de ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté.

35. S'agissant du moyen accessoire, relatif à la violation de l'article 190 du traité, ainsi que des droits de la défense, le Gouvernement belge soutient que les décisions en cause sont entachées d'un défaut de motivation, tenant au fait que la Commission ne démontre aucunement que l'octroi des aides litigieuses auraient méconnu l'objectif de la directive, à savoir éviter l'accroissement de la capacité de production des chantiers navals de la Communauté. Les droits de la défense auraient également été méconnus du fait que la Commission aurait omis d'offrir à l'État membre requérant la possibilité de prouver que lesdites aides n'étaient pas incompatibles avec le marché commun.

36. A cet égard, il convient de constater, comme le Gouvernement belge l'admet, que l'un et l'autre grief sont intimement liés à l'argumentation principale concernant la portée du plafond litigieux. Cette argumentation ayant été ci-dessus rejetée, on ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir procédé à des investigations autres que la vérification du respect du plafond. Dès lors est exclue toute nécessité de motivation autre que la constatation du dépassement du plafond ainsi que toute obligation de consulter l'État membre concerné sur des questions ne devant pas faire l'objet d'enquête de la part de la Commission.

37. Par conséquent, ce moyen accessoire doit également être rejeté.

38. Il résulte de toutes les considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

39. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Royaume de Belgique ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens, y inclus les dépens de la procédure en référé.

Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté.

2°) Le Royaume de Belgique est condamné aux dépens, y inclus ceux de la procédure en référé.