CA Bordeaux, 2e ch., 19 février 2003, n° 02-00295
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Vignobles Georges Audy (SA)
Défendeur :
Gam Audy (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseillers :
Mlle Courbin, M. Ors
Avoués :
SCP Michel Puybaraud, Arsène-Henry, Lancon
Avocats :
Mes Gumery, Espaignet
Par jugement du 18 décembre 2001, le Tribunal de commerce de Libourne a dit que la société des Vignobles Georges Audy a porté préjudice à Gam Audy en mettant un terme à leurs relations commerciales sans respecter les dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, l'a condamnée à payer à Gam Audy une indemnité forfaitaire de 1 103 000 F, outre 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Vignobles Georges Audy a interjeté appel le 9 janvier 2002, déposé ses dernières écritures le 24 décembre 2002; elle demande à titre principal, en l'absence de tout contrat de distribution à durée indéterminée entre elles depuis le 1er janvier 1994, le débouté de Gam Audy;
subsidiairement, elle invoque l'absence de preuve d'un préjudice;
à titre reconventionnel, elle sollicite 150 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial et moral, 15 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Gam Audy, par dernières écritures du 7 janvier 2003, sur le fondement de l'article L. 442-6-4 du Code de commerce, demande la confirmation du jugement en son principe, sa réformation sur le quantum de ses préjudices, sollicite 336 302 euros au titre du préjudice direct, 304 898 euros au titre du préjudice commercial, 121 000 euros au titre du préjudice indirect, avec intérêts au taux légal depuis le 18 décembre 2001, outre 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Attendu que l'ordonnance de clôture a été reportée au jour de l'audience des plaidoiries, les parties étant d'accord pour plaider en l'état des écritures signifiées et pièces communiquées, VGA n'entendant pas répliquer aux dernières écritures de Gam Audy;
Attendu qu'il n'est pas discuté que Monsieur Audy, dont la famille était propriétaire du Château Clinet à Pomerol, a créé la société Vignobles Georges Audy -VGA- pour exploiter la propriété viticole et la société Gam Audy pour le négoce afin de distribuer notamment la récolte du Château Clinet; que VGA a été cédée à la Cie GAN et Gam Audy à des personnes privées;
Qu'aux termes d'une promesse synallagmatique de vente et d'achat sous conditions suspensives du 18 décembre 1998, Monsieur Deleglise représentant les vendeurs s'est engagé à vendre toutes les actions de VGA à Messieurs Laborde et Arcaute; qu'à l'article IX-3 le "vendeur et Monsieur Jean Michel Arcaute en sa qualité de Président du conseil d'administration de la SA" "déclarent que les contrats liant la SA à la société Gam Audy, la société Vignobles et Châteaux ont fait l'objet d'un protocole signé le 23 novembre 1998, ci-annexé, constatant leur résiliation à effet du 1er janvier 1999 (Annexe 6)"; que ce protocole signé par les représentants de VGA et de Gam Audy notamment expose en préambule que divers contrats de mandat ont été conclus avec les divers mandants, VGA et la société civile du Château Clinet, que les parties se sont rapprochées afin de mettre un terme aux divers mandats pouvant exister entre elles, à savoir:
- un contrat de direction commerciale entre Gam Audy et VGA,
- un contrat de gestion administrative entre Vignobles et Châteaux Gestion et VGA,
- un contrat de direction technique passé entre Vignobles et Châteaux Gestion et VGA,
- un contrat de gestion juridique administrative et financière passé entre Vignobles et Châteaux Gestion et la société civile Château Clinet;
Que les parties sont convenues "qu'il serait mis un terme au 31 décembre 1998, aux mandats pouvant les lier et ce par lettres non motivées remises en mains propres le 15 juin 1998", et "qu'en raison de cet accord, aucune indemnité ne sera versée par l'une ou l'autre partie du fait de cette résiliation";
Que Monsieur Laborde, Président du conseil d'administration de VGA, le 20 avril 1999, a informé Gam Audy de la mise sur la place de 30 000 bouteilles au prix de 230 F/HT, lui a demandé la confirmation des échéances et a précisé qu'il souhaitait un entretien pour analyser le programme des ventes et vins hors primeurs; que Gam Audy, le 22 avril 1999, a confirmé l'achat en primeur de 30 000 bouteilles de Château Clinet 1998 au prix de 230 F/HT, précisé les échéances de paiement, a joint en annexe la liste des clients Gam Audy et la liste des clients direct propriété, auxquels elle allait proposer en primeur Château Clinet 1998; que, suivant facture du 14 juin 1999, Gam Audy a acquis les 30 000 bouteilles de Château Clinet 1998; que VGA n'établit pas que Gam lui a préalablement fait une offre ou avoir sollicité une allocation;
Que Monsieur Laborde, le 24 juin 1999, a fait état auprès de Gam Audy de ce que VGA semblait vendre en direct ou parallèlement par le canal d'un tiers, précisait que Château Clinet ne sortirait pas plus de 30 000 bouteilles en primeur 98, et ajoutait: "par principe aucune vente ne doit être effectuée sans mon accord";
Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juin 2000, Gam Audy a écrit à VGA, pour protester contre la mise sur le marché, la semaine précédente, des primeurs Clinet 99, au mépris de leurs relations commerciales;
Que VGA, le 23 juin 2000, a répondu qu'elle n'était liée par aucun contrat de distribution, et que Gam Audy n'avait pas sollicité l'allocation de primeurs 1999;
Attendu que "l'historique des contrats de mandat et leurs modifications successives" annexé au protocole précise l'objet de ces divers mandats;
Que le 5e visé est le contrat de direction commerciale passé le 20 octobre 1994 entre Gam Audy, mandataire, et VGA, mandant, disant que le mandataire devait effectuer le choix des circuits commerciaux, sous le contrôle de Monsieur Arcaute agissant en qualité d'associé de la SARL Gam Audy, que le mandataire avait aussi la charge du marketing "relations publiques", incluant la mise en place d'une politique de marketing mixte, ainsi qu'un plan de communication incluant le choix des cibles et moyens adéquats pour valoriser l'image du Château Clinet, que l'information du Conseil d'Administration de VGA est assurée par le mandataire, qui doit faire part du résultat de sa politique commerciale et de l'évolution du marché et de la concurrence, qu'une rémunération de ces prestations était versée au mandataire sous la forme d'un forfait annuel de 60 000 F HT et une commission de 2 % sur les ventes comptabilisées chez le mandant;
Qu'il a été mis fin à ce contrat par l'accord des parties à effet du 31 décembre 1998; qu'après cette date Gam Audy n'avait plus la "direction commerciale" de VGA et donc n'avait plus le pouvoir de décision quant à la politique commerciale, au choix notamment de vendre en primeurs ou de stocker les vins; que par contre le protocole n'a pas mis fin aux relations commerciales qui existaient antérieurement au contrat du 20 octobre 1994, quant à la distribution des primeurs, selon les modalités fixées par VGA; qu'en l'absence de toute référence expresse à ce contrat de distribution verbal liant les deux sociétés antérieurement au contrat du 20 octobre 1994, la renonciation à ces relations, et donc à un droit, ne peut être déduite du protocole, sans équivoque;
Que dans un courrier du 19 juillet 1999 VGA, sous la signature de Monsieur Laborde qui protestait contre une vente de Clinet 95 en février 1999 sans son accord, a écrit à Monsieur Neraudau de Gam Audy:
"en tant que de besoin, je te rappelle qu'à ce jour nous n'avons mis en place aucun accord de commercialisation ni avec Gam Audy, l'entreprise que tu diriges, ni avec toute autre personne ou entreprise. Je parle bien sûr à l'exception des primeurs";
Que VGA a ainsi reconnu, sans équivoque, la poursuite des relations commerciales contractuelles avec Gam Audy pour la vente des primeurs de Château Clinet;
Attendu qu'elle n'invoque aucune faute contre Gam Audy, ni de cas de force majeure; que s'agissant d'un contrat à durée indéterminée, il pouvait être résilié unilatéralement à tout moment sans motif, mais à la condition pour l'auteur de la rupture de respecter un préavis suffisant nécessaire pour permettre à son cocontractant de trouver des vins de substitution; qu'en ne respectant pas cette condition, VGA a commis une faute cause d'un préjudice pour Gam Audy;
Attendu que les relations commerciales entre les deux sociétés existaient depuis plus de 10 ans; que Gam Audy établit que les ventes de Château Clinet représentaient environ 11 % de son activité en 1996, 1997 et 1999, 8,6 % en 1998; qu'elle ne démontre pas qu'un préavis de plus d'1 an était nécessaire pour trouver de nouveaux vins en volumes et qualités équivalents à ceux de Château Clinet; qu'elle produit seulement un courrier du 22 janvier 2001, soit plus de 6 mois après la rupture des relations pour justifier de sa recherche de vins équivalents; qu'en conséquence l'estimation de son préjudice pour perte de marge sur le millésime 1999 faite par les premiers juges est retenue par la cour;
Qu'elle invoque un préjudice commercial consécutif à l'impossibilité de reconstituer auprès de sa clientèle avant plusieurs années une offre de produits en quantités et qualités comparables, compte tenu de la réputation internationale de Château Clinet et donc une perte en termes d'image de marque et de notoriété, qu'elle chiffre à 304 398 euros; que toutefois VGA pouvait régulièrement mettre fin au contrat en respectant le préavis; qu'il n'est pas certain que Gam Audy aurait retrouvé des vins comparables compte tenu de la spécificité du produit et de la demande du marché, éléments indiqués par ses propres écritures; que sa demande n'est pas fondée;
Attendu que Gam Audy invoque un préjudice indirect, au motif que la perte de la commercialisation de Château Clinet a généré une baisse très sensible de la commercialisation de ses autres produits, que les allocations de primeurs du Château Clinet lui permettaient de proposer, les négociants ayant pour usage d'offrir à leur clientèle habituelle des bouquets de vins de diverses appellations complémentaires; que la comptabilité, qui fait apparaître une perte de marge pour le Châteaux La Croix du Casse et Beau Soleil classés Pomerol et Jonqueyres classé Bordeaux Supérieur, n'établit pas le lien direct entre la perte de la distribution de Château Clinet et la baisse du chiffre d'affaires résultant de la vente de ces vins, d'autant qu'une baisse est déjà survenue pour ces trois vins pour le millésime 1996, a persisté pour le Château Jonqueyres pour le millésime 1997, alors que Château Clinet était toujours distribué par Gam Audy;
Qu'en outre, le contrat de distribution était susceptible d'être rompu;
Attendu que le jugement est confirmé; que VGA est déboutée de sa demande reconventionnelle; que, succombant, elle doit supporter les entiers dépens de 1re instance et d'appel, est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante ses frais irrépétibles de procédure;
DÉCISION
Par ces motifs, LA COUR: - dit mal fondées VGA SA en son appel principal et Gam Audy SA en son appel incident, - confirme le jugement, y ajoutant, - déboute VGA de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - la condamne à payer à Gam Audy 1 300 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - la condamne aux entiers dépens, application étant faite des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.