TPICE, 3e ch. élargie, 27 février 1997, n° T-106/95
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
FFSA, USEA, Groupe des assurances mutuelles agricoles (Groupama), FNSAGA, FCA, BIPAR
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vesterdorf
Juges :
M. Briët, Mme Lindh, MM. Potocki, Cooke
Avocats :
Mes Voillemot, Hutin, Lehman.
LE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES,
Faits à l'origine du litige
1. Le 11 avril 1990, le Gouvernement français a présenté devant l'Assemblée nationale un projet de loi portant sur les principes et les modalités essentielles de la réforme des services de poste et de télécommunications.
2. Le 4 mai 1990, trois des requérants dans la présente affaire, la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), agissant conjointement avec l'Union des sociétés étrangères d'assurances (USEA) et le Groupe des assurances mutuelles agricoles (Groupama), tous trois des associations représentant des entreprises d'assurances, ont déposé auprès de la Commission une plainte dirigée contre ce projet de loi, au motif qu'il était de nature à créer, dans le secteur des assurances, des distorsions de concurrence contraires aux articles 85, 86 et 92 du traité CE (ci-après "traité").
3. Dans leur plainte, les plaignants ont notamment fait valoir que l'État français avait l'intention d'accorder, en violation de l'article 92 du traité, des aides d'État à La Poste sous la forme d'allégements fiscaux. Selon les requérants, ces aides d'État illicites prenaient la forme des avantages suivants: un régime fiscal dérogatoire en vertu duquel, jusqu'au 1er janvier 1994, La Poste serait soumise aux seuls impôts et taxes acquittés par l'État à la date de publication de la loi à raison des activités qui lui seraient transférées; l'assujettissement, à partir du 1er janvier 1994, à une taxe sur les salaires au taux de 4,25 % au lieu du taux moyen d'environ 10 % applicable aux compagnies d'assurances; un abattement de 85 % sur le montant des bases d'imposition en matière de fiscalité locale ainsi que l'application d'un taux pondéré par rapport aux taux communaux. En outre, les plaignants affirmaient que la cession, à titre gratuit, à La Poste des biens immobiliers et mobiliers alors mis à sa disposition, le bénéfice de la gratuité de l'affranchissement pour les services d'assurances et d'autres aides directes et indirectes non identifiées et qualifiées de "dissimulées" violaient également l'article 92 du traité.
4. Le 2 juillet 1990, la loi n° 90-568 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, publiée au Journal officiel de la République française (ci-après "JORF") du 8 juillet 1990, a été adoptée (ci-après "loi de 1990"). En vertu de l'article 1er de cette loi, La Poste est organisée, à compter du 1er janvier 1991, comme une personne morale de droit public placée sous la tutelle du ministre chargé des Postes et Télécommunications.
5. L'article 2 de cette loi inclut, parmi les missions de La Poste, la possibilité d'offrir "des prestations relatives aux moyens de paiement et de transfert de fonds, aux produits de placement et d'épargne, à la gestion des patrimoines, à des prêts d'épargne-logement et à tous produits d'assurance". Son article 7 prévoit que La Poste "est habilité[e] à exercer, en France et à l'étranger, toutes activités qui se rattachent directement ou indirectement à son objet. A cet effet, et dans les conditions prévues par son cahier des charges, [elle] peut créer des filiales et prendre des participations dans des sociétés, groupements ou organismes ayant un objet connexe ou complémentaire". Enfin, l'article 21 de la loi dispose notamment que "les bases d'imposition de La Poste [en matière de fiscalité locale] font l'objet d'un abattement égal à 85 % de leur montant, en raison des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire qui s'imposent à cet exploitant".
6. Après le dépôt de la plainte, un échange de correspondances a eu lieu entre les plaignants et la Commission. Par lettre du 2 août 1990, la Commission a notamment fait savoir aux plaignants que, selon elle, l'exercice des activités d'assurances doit être réglé par les mêmes conditions que celles qui sont imposées aux entreprises d'assurances privées et que la qualité d'entreprise publique, par opposition à la qualité d'entreprise privée, ne peut pas avoir d'incidence sur le droit à bénéficier d'une aide d'État, qu'elle soit directe ou indirecte.
7. Le 12 décembre 1990, le Bureau international des producteurs d'assurances et de réassurances (BIPAR), la Fédération nationale des syndicats d'agents généraux d'assurances (FNSAGA) et la Fédération française des courtiers d'assurances et de réassurances (FCA) ont déposé auprès de la Commission une plainte relative aux aides accordées, selon eux, à La Poste par la loi de 1990.
8. Par lettre du 18 février 1992, la Commission a informé les plaignants qu'elle avait demandé aux autorités françaises de procéder à certains aménagements de la loi de 1990, afin d'en assurer la compatibilité avec le droit communautaire.
9. Le 23 septembre 1992, une réunion a eu lieu entre la Commission et les plaignants. Par lettre du 5 octobre 1992, les plaignants BIPAR, FNSAGA et FCA ont présenté des observations concernant les allégements fiscaux dont bénéficiait La Poste. Par lettre du 3 novembre 1992, les plaignants FFSA, Groupama et USEA ont, de leur côté, présenté des observations supplémentaires et notamment retiré leurs griefs relatifs à l'exonération temporaire de l'impôt sur les sociétés dont bénéficiait La Poste ainsi qu'à la cession gratuite à celle-ci de biens immobiliers et mobiliers de l'État.
10. Par lettre du 29 mars 1994, la Commission a fait savoir aux plaignants que, en ce qui concernait le taux réduit de la taxe sur les salaires, objet de l'un des griefs formulés à l'encontre de la loi de 1990, les autorités françaises lui avaient communiqué que, en vertu de la loi n° 93-1352, du 30 décembre 1993, publiée au JORF du 31 décembre 1993, La Poste serait assujettie au taux de droit commun à partir du 1er septembre 1994.
11. Par lettre du 7 juin 1994, les plaignants FFSA, Groupama et USEA ont précisé la portée de leur plainte. Ils ont notamment retiré le grief relatif à l'application d'un taux réduit de la taxe sur les salaires, compte tenu du fait que l'article 42 de la loi de finances pour 1994 avait supprimé, à compter du 1er septembre 1994, l'allégement fiscal dont La Poste bénéficiait à cet égard. Les plaignants ont maintenu les autres griefs invoqués antérieurement, y compris celui concernant les conditions d'utilisation, pour les activités commerciales, des fichiers constitués aux fins du service public.
12. Par lettre du 26 décembre 1994, les plaignants FFSA, Groupama et USEA ont, au titre de l'article 175 du traité, mis la Commission en demeure "de prendre position, de manière définitive, sur la suite à réserver à [leur] plainte sur les deux points suivants:
- les infractions au titre des articles 85 et 86 [...],
- l'infraction qui subsiste au titre de l'article 92, à savoir les abattements dont bénéficie La Poste en matière de fiscalité locale".
13. Par lettre du 21 février 1995, la Commission a fait savoir au Gouvernement français qu'elle avait décidé, le 8 février 1995, de ne pas qualifier l'avantage fiscal dont La Poste peut bénéficier en vertu de l'article 21 de la loi de 1990, s'élevant en 1994 à 1,196 milliard de FF, d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité [décision publiée au journal officiel des Communautés européennes du 7 octobre 1995 (aides d'État, NN 135-92, France), JO C 262, p. 11, ci-après "décision attaquée"].
14. La lettre de mise en demeure susvisée faisant également état d'une violation des articles 85 et 86 du traité, la Commission a, à cet égard, fait savoir qu'elle se réservait le droit de prendre des mesures appropriées au regard de ces dispositions dans le cadre d'un dossier séparé.
15. Par lettre du 21 février 1995, la Commission a envoyé pour information une copie de la décision attaquée aux plaignants FFSA, Groupama et USEA.
La décision attaquée
16. En ce qui concerne la qualification juridique des mesures étatiques en question au regard des règles applicables aux aides d'État, la décision attaquée est libellée comme suit:
"L'examen des données réunies dans le dossier à la lumière de l'énoncé des articles 90, paragraphe 2, et 92, paragraphe 1, du traité CE permet d'arrêter les conclusions suivantes:
La réduction de l'assiette en matière de fiscalité locale [prévue par l'article 21 de la loi de 1990] représente un avantage financier certain pour La Poste; or, pour pouvoir bénéficier de la dérogation prévue à l'article 90, paragraphe 2, il faut que cet avantage ne dépasse pas ce qui est nécessaire à l'accomplissement de ses missions d'intérêt public; en d'autres termes, le droit communautaire exige que cet avantage ne profite pas aux activités concurrentielles de l'exploitant public.
D'après les autorités françaises, [l']avantage fiscal est inférieur au poids économique des contraintes du service public, telles que l'obligation d'assurer la présence de bureaux postaux sur l'ensemble du territoire national et le manque à gagner de certains services postaux déterminé par le cahier des charges de La Poste [...].
Afin de prendre en compte les avantages dont bénéficient les services concurrentiels de La Poste résultant de l'existence du réseau postal en milieu rural, il convient toutefois de diminuer le surcoût de 2,782 milliards de FF indiqué par les autorités françaises d'un pourcentage égal à l'incidence des services concurrentiels dans le chiffre d'affaires de La Poste. A cet égard, les autorités françaises considèrent que toutes les activités concurrentielles [...] ne devraient pas concourir à former le chiffre d'affaires du secteur concurrentiel du fait, entre autres, que la gestion des comptes de l'État n'est rémunérée qu'à forfait et que la distribution de la presse n'est récompensée que partiellement par les éditeurs et par l'État. Toutefois, il résulte des éléments fournis par les autorités françaises que La Poste mettra en place une comptabilité analytique pendant la période de référence du contrat de plan avec l'État 1995-1997. A l'heure actuelle, les surcoûts du service public sont calculés sur l'ensemble des activités postales car ils sont liés à l'obligation de présence universelle sur le territoire et non aux différents types d'activité des bureaux de poste. En effet, les mêmes bureaux et effectifs sont préposés à la fois aux services d'intérêt public et aux services concurrentiels. Par ailleurs, la distinction entre services publics et services concurrentiels relève du cadre juridique national et ne fait pas encore l'objet dans ce domaine de dispositions uniformes au niveau communautaire.
Étant donné le caractère inachevé à ce stade de la comptabilité analytique de La Poste et l'absence de critères communautaires définissant la nature des différentes activités, il semble opportun qu'aucune déduction ne soit opérée du total des recettes postales attribuables à des activités concurrentielles.
Il s'ensuit qu'il faut retenir comme valeur de référence 34,7 % du chiffre d'affaires, correspondant à l'ensemble des activités concurrentielles. Par conséquent, les surcoûts du service public (2,782 milliards de FF) moins le facteur de 34,7 % (proportion du chiffre d'affaires relevant des activités concurrentielles) peuvent être estimés à 1,82 milliards de FF (la même opération effectuée sur l'estimation minimale - soit 2,02 milliard de FF - du consultant externe conduit à un chiffre de 1,32 milliard FF).
Ce[s] montant[s] [sont] supérieur[s] au montant de l'avantage fiscal (1,196 milliard de FF). L'avantage fiscal pour La Poste ne va donc pas au-delà de ce qui est justifié pour assurer l'accomplissement des missions d'intérêt public auxquelles La Poste est tenue en tant qu'exploitant public. Par conséquent, il n'y a pas lieu de conclure à un transfert de ressources de l'État vers les activités concurrentielles de La Poste. Dès lors, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, les mesures en cause ne constituent pas des aides d'État aux termes de l'article 92, paragraphe 1 du traité CE.
Compte tenu de ce qui précède, la Commission a décidé de ne pas qualifier les dispositions en cause comme aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE."
17. En ce qui concerne les surcoûts liés aux obligations de service public résultant pour La Poste des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire qui s'imposent à elle, deux études ont été effectuées tant par La Poste elle-même que par des consultants externes.
18. Quant à l'étude des surcoûts effectuée par La Poste, il ressort de la décision attaquée ce qui suit:
"La Poste a procédé à une analyse de tous les bureaux de [...] la Région Méditerranée. Le coût des bureaux a été analysé par strate, notion permettant de classer les bureaux selon la taille de l'agglomération et le nombre de tournées de distribution. Le coût des bureaux par strate a ensuite été extrapolé sur toute la France à partir du nombre de bureaux par strate et du coût moyen par strate d'un bureau de la [Région] Méditerranée. Le choix de l'échantillon [...] comprend à la fois des zones urbaines et des habitats ruraux dispersés. Un bouclage sur l'ensemble des charges nationales a été effectué pour renforcer la fiabilité de cette analyse.
En omettant les bureaux dans les banlieues `difficiles' ou des zones en déclin industriel, l'analyse se concentre sur les bureaux ruraux. Ce sont les bureaux distributeurs situés dans des communes de moins de 2 000 habitants, ainsi que les recettes rurales et les recettes de troisième et quatrième classes non distributrices situées dans des communes de moins de 2 000 habitants."
19. L'étude a conclu que les surcoûts du service public s'élèvent à 2,782 milliards de FF.
20. Quant à l'étude des surcoûts effectuée par les consultants externes, il ressort de la décision attaquée ce qui suit:
"La performance de chaque bureau est évaluée à partir de l'écart de marge. Pour chaque bureau, on distingue trois activités majeures: le courrier départ [...], le courrier arrivée [...] et les services financiers [...]. Pour chaque activité, on mesure, par objet traité ou compte géré, l'écart de performance à partir de l'écart de marge entre le bureau et la marge moyenne nationale: en cas de performance négative, il y a un surcoût; dans le cas contraire, il y a contribution positive.
Le surcoût est mesuré au niveau des cantons, Selon les derniers travaux de la DATAR [délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale], le bon niveau d'appréciation de l'impact territorial est le canton. Les surcoûts liés aux missions territoriales (zones rurales, zones industrielles en crise) sont donc mesurés à ce niveau. La performance d'un canton est la somme algébrique des contributions mesurées au niveau des bureaux et non pas la somme des seuls bureaux déficitaires [...]"
21. La marge moyenne nationale a été établie en comprenant 1) les recettes moyennes (courrier par objet et recette financière - hors assurances - par compte), 2) les coûts moyens par objet (de l'activité courrier départ et courrier arrivée dans les bureaux, et du tri/acheminement hors bureau) et 3) les coûts moyens par compte (de l'activité services financiers dans les bureaux et du traitement hors bureaux).
22. Quant à la contribution de chaque bureau, l'étude a calculé, pour chaque activité, la marge brute du bureau en prenant 1) les données réelles pour tout ce qui est effectué dans le bureau (guichet, services arrières, distribution) en les répartissant entre courrier arrivée, courrier départ et services financiers, et 2) les données issues du référentiel national pour le reste (pour le courrier arrivée: recettes moyennes diminuées du coût moyen de courrier départ et du tri/acheminement; pour le courrier départ: coût de tri/acheminement et de courrier arrivée, pour les services financiers: coûts de traitement hors bureau).
23. La marge brute d'un bureau a ensuite été comparée à la marge brute moyenne nationale. La décision attaquée précise que "on [a mesuré] ainsi par différence l'écart de performance du bureau pour tout ce qui est effectué à l'intérieur du bureau". Il a été procédé, ensuite, à une extrapolation des surcoûts pour toute la France.
24. L'étude des consultants externes a conclu que les surcoûts totaux pour le milieu rural s'élèvent à 4,86 milliards de FF, moins 2,84 milliards correspondant au surcoût de distribution, soit un surcoût effectif de 2,02 milliards de FF. Si l'on tient compte des surcoûts des bureaux situés dans les banlieues "difficiles" et les zones en déclin industriel, les surcoûts s'élèveraient à 2,83 milliards de FF.
Procédure et conclusions des parties
25. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 avril 1995, les requérants ont introduit le présent recours.
26. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 1995, la République française a demandé à être admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 24 octobre 1995, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis l'intervention du Gouvernement français.
27. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 septembre 1995, La Poste a demandé à être admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 24 octobre 1995, le président de la troisième chambre élargie du Tribunal a admis l'intervention de La Poste.
28. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Le Tribunal a, toutefois, arrêté des mesures d'organisation de la procédure en invitant, par lettre du 25 septembre 1996, la partie défenderesse à répondre à certaines questions par écrit ainsi qu'oralement à l'audience. La Commission a déféré à cette invitation.
29. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 8 octobre 1996.
30. Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision attaquée;
- condamner la Commission aux dépens.
31. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérants aux dépens.
32. La République française, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérants aux dépens.
33. La Poste, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner les requérants aux dépens de l'intervention.
Sur l'objet du litige
34. Il convient, d'abord, de déterminer l'objet du litige, étant donné que les requérants ont, dans leur requête introductive d'instance et à nouveau lors de la procédure orale, tiré argument de plusieurs avantages prétendument octroyés à La Poste que la Commission n'examine pas dans la décision attaquée.
35. Il ressort du dossier que, après avoir saisi la Commission par leurs plaintes, dans lesquelles ils attiraient son attention sur une série d'avantages prétendument octroyés à La Poste, considérés par eux comme des aides d'État au sens de l'article 92 du traité (voir ci-dessus point 3), les requérants ont mis la Commission en demeure, par lettre du 26 décembre 1994, "de prendre position, de manière définitive, sur la suite à réserver à [leur] plainte sur les deux points suivants:
- les infractions au titre des articles 85 et 86 [...],
- l'infraction qui subsiste au titre de l'article 92, à savoir les abattements dont bénéficie La Poste en matière de fiscalité locale".
36. Il y a également lieu, à cet égard, de relever qu'antérieurement à la lettre de mise en demeure les requérants avaient, dans un premier temps, par lettre du 3 novembre 1992, retiré à la fois leur grief relatif à l'exonération temporaire de l'impôt sur les sociétés dont bénéficiait La Poste ainsi que celui relatif à la cession gratuite à cette dernière de biens immobiliers et mobiliers de l'État et, dans un second temps, par lettre du 7 juin 1994, leur grief relatif à l'application d'un taux réduit de la taxe sur les salaires, compte tenu du fait que l'article 42 de la loi de finances pour 1994 avait supprimé cet allégement fiscal à compter du 1er septembre 1994.
37. Suite à la lettre de mise en demeure, la Commission a, dans l'acte attaqué, uniquement examiné le grief relatif à l'abattement prévu en matière de fiscalité locale par l'article 21 de la loi de 1990, afin de rechercher si cet avantage accordé à La Poste était conforme aux dispositions du traité concernant les aides d'État. Il ressort de la décision attaquée que la Commission s'est réservée le droit de prendre position sur une infraction éventuelle aux articles 85 et 86 dans un dossier séparé (voir ci-dessus point 14).
38. Le Tribunal considère, dès lors, que c'est à juste titre que la Commission, dans la décision attaquée, s'est bornée à examiner la conformité, au regard des règles en matière d'aides d'État, de l'abattement de 85 % sur le montant des bases d'imposition en matière de fiscalité locale, prévu par l'article 21 de la loi de 1990, dont peut bénéficier La Poste. La Commission a, en effet, pu légitimement considérer que les plaignants avaient abandonné les griefs relatifs aux autres avantages prétendument accordés à La Poste.
39. Il s'ensuit que les griefs autres que celui relatif à l'abattement prévu par l'article 21 de la loi de 1990 doivent être considérés comme sans objet dans le cadre du présent litige. Partant, le Tribunal n'a pas à se prononcer à leur sujet.
40. Il résulte de ce qui précède que le litige n'a pour objet une demande d'annulation de la décision attaquée que dans la mesure où celle-ci constate que l'octroi à La Poste de l'abattement sur le montant des bases d'imposition en matière de fiscalité locale prévu par l'article 21 de la loi de 1990 ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité (voir ci-dessus point 13).
Moyens et arguments des parties
41. À l'appui du recours, les requérants font valoir, en substance, quatre moyens. Le premier moyen est tiré d'une violation des droits de la défense, en ce que la Commission n'aurait pas communiqué aux requérants la correspondance, mentionnée dans la décision attaquée, qu'elle a échangée avec le Gouvernement français au cours de la procédure administrative. Le deuxième moyen est tiré d'une violation de l'obligation de motivation de la décision attaquée. Le troisième moyen, d'une erreur d'appréciation de la Commission, en ce qu'elle aurait utilisé une méthode inadéquate afin d'évaluer les surcoûts liés aux obligations de service public incombant à La Poste. Enfin, le quatrième moyen est tiré d'une violation des articles 92 et 90, paragraphe 2, du traité. Ce moyen s'articule en deux branches. D'une part, cette dernière disposition ne pourrait permettre de soustraire l'avantage fiscal litigieux à l'interdiction de l'article 92 du traité et, d'autre part, la Commission aurait omis d'apprécier l'effet que cet avantage fiscal exerce sur le jeu de la concurrence.
1. Sur le premier moyen, tiré d'une violation des droits de la défense
Sur la recevabilité du moyen
Arguments des parties
42. La Commission fait valoir que le moyen est irrecevable, n'ayant été présenté, en violation de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, qu'au stade du mémoire en réplique. De plus, le moyen ne pourrait pas être considéré comme étant d'ordre public.
43. Les requérants estiment qu'il y a lieu de rejeter cette fin de non-recevoir car, selon eux, il appartient au juge communautaire non seulement de rejeter tout formalisme excessif (arrêt du Tribunal du 7 février 1991, De Rijk/Commission, T-167-89, Rec. p. II-91), mais aussi de soulever d'office tout moyen d'ordre public (arrêt du Tribunal du 11 février 1992, Panagiotopoulou/Parlement, T-16-90, Rec. p. II-89).
44. Le Gouvernement français observe qu'aucun élément nouveau de droit ni de fait ne s'est révélé pendant la procédure, justifiant la présentation du moyen au stade du mémoire en réplique.
45. La partie intervenante La Poste se rallie pour l'essentiel à l'argumentation de la Commission. En ce qui concerne l'interdiction de produire des moyens nouveaux en cours d'instance, elle se réfère, en outre, à l'arrêt de la Cour du 31 mars 1992, Commission/Danemark (C-52-90, Rec. p. I-2187), et à l'arrêt du Tribunal du 18 novembre 1992, Rendo e.a./Commission (T-16-91, Rec. p. II-2417). Étant donné que les lettres dont la prétendue non-communication est mise en cause par les requérants étaient visées dans la décision attaquée, ceux-ci n'auraient pas été empêchés de soulever le moyen au stade de la requête.
Appréciation du Tribunal
46. Le Tribunal constate que le présent moyen a été invoqué pour la première fois dans le mémoire en réplique.
47. Aux termes de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
48. Or, en l'espèce, aucun élément nouveau ne s'est révélé pendant la procédure justifiant la présentation tardive du présent moyen. En effet, la correspondance visée par le moyen a été mentionnée dans la décision attaquée. Les requérants n'ont donc pas été empêchés de soulever le moyen dans leur requête introductive d'instance et, en conséquence, ils ne peuvent, selon ledit article 48, paragraphe 2, le soulever au stade de la réplique.
49. Dans les circonstances de l'espèce, le Tribunal n'estime, par ailleurs, pas devoir le soulever d'office. Le moyen doit donc être rejeté comme irrecevable.
2. Sur le deuxième moyen, tiré d'une insuffisance de motivation
Sur la recevabilité du moyen
Arguments des parties
50. La Commission fait valoir que le moyen est irrecevable, n'ayant été soulevé qu'au stade du mémoire en réplique. Quant à l'arrêt du 28 septembre 1995, Sytraval et Brink's France/Commission (T-95-94, Rec. p. II-2651), prononcé par le Tribunal après le dépôt de la requête et invoqué par les requérants dans leur mémoire en réplique, qui fait actuellement l'objet d'un pourvoi devant la Cour sous le numéro C-367-95 P, la Commission affirme qu'il ne saurait en aucun cas constituer un élément nouveau au sens de l'article 48 du règlement de procédure (arrêt de la Cour du 19 mars 1991, Ferrandi/Commission, C-403-85 Rév., Rec. p. I-1215).
51. Les requérants estiment qu'il y a lieu de rejeter cette fin de non-recevoir, le présent moyen étant d'ordre public. Ils font, en outre, valoir que l'arrêt Sytraval et Brink's France/Commission, précité, doit être considéré comme un élément nouveau permettant de soulever le moyen. Ils renvoient au surplus à l'argumentation présentée ci-dessus au point 43.
52. Le Gouvernement français se rallie pour l'essentiel à l'argumentation de la Commission.
53. La partie intervenante La Poste se rallie également à l'argumentation de la Commission. Elle ajoute que le moyen ne peut se fonder que sur des éléments de droit ou de fait qui se seraient révélés pendant la procédure et renvoie, pour le surplus, aux arrêts mentionnés ci-dessus au point 45.
Appréciation du Tribunal
54. Comme le Tribunal l'a relevé ci-dessus au point 47, la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
55. Étant donné que le présent moyen a été invoqué pour la première fois au stade du mémoire en réplique, la question se pose de savoir si les requérants peuvent, comme ils l'ont fait valoir, utilement invoquer l'arrêt Sytraval et Brink's France/Commission, précité, comme constituant un élément de droit ou de fait nouveau, au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.
56. Selon les requérants, cet arrêt, prononcé après le dépôt de leur requête, a étendu sur deux aspects l'obligation de motivation de la Commission vis-à-vis d'un plaignant en matière d'aides d'État. Il en résulterait, pour la présente affaire, une double conséquence. D'une part, vu les circonstances de l'espèce, la motivation de la Commission ne saurait être suffisante pour étayer la conclusion selon laquelle la mesure étatique dénoncée par les requérants ne constituait pas une aide d'État, au sens de l'article 92 du traité. D'autre part, la Commission aurait méconnu l'obligation d'engager un débat contradictoire avec les plaignants, qui s'imposerait à elle lorsque, pour justifier à suffisance de droit son appréciation, elle a besoin de connaître la position des plaignants sur les éléments qu'elle a recueillis dans le cadre de son instruction.
57. Or, le Tribunal considère que l'arrêt Sytraval et Brink's France/Commission, précité, ne saurait être invoqué comme un élément nouveau au sens de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, ledit arrêt ne donnant, en principe, qu'une interprétation ex tunc de l'étendue de l'obligation de motivation incombant aux institutions communautaires. A cet égard, il ressort de la jurisprudence qu'un arrêt qui n'a fait que confirmer une situation de droit que le requérant connaissait, en principe, au moment où il a introduit son recours ne saurait être considéré comme un élément nouveau permettant la production d'un moyen nouveau (arrêt de la Cour du 1er avril 1982, Dürbeck/Commission, 11-81, Rec. p. 1251, point 17).
58. Cette appréciation est, d'ailleurs, corroborée par l'arrêt Ferrandi/Commission, précité, invoqué par la Commission. En effet, dans le cadre d'un recours en révision d'un arrêt de la Cour, celle-ci a considéré qu'un arrêt, rendu entre-temps par le Tribunal et comportant une appréciation juridique sur des faits qui pouvaient éventuellement être qualifiés de nouveaux, ne saurait en aucun cas constituer lui-même un fait nouveau.
59. Par ailleurs, il y a lieu de constater que les requérants n'ont pas été empêchés, en raison d'éléments de fait inconnus, de soulever le moyen dans la requête introductive d'instance.
60. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sauraient être habilités à le soulever pour la première fois au stade du mémoire en réplique.
61. Dès lors, le moyen est irrecevable.
62. Il est vrai que, compte tenu de l'importance que revêt, en général, le devoir de motivation incombant, en vertu de l'article 190 du traité, aux institutions de la Communauté dans l'exercice de leurs compétences, le Tribunal pourrait soulever d'office le présent moyen, celui-ci étant d'ordre public (arrêt du Tribunal du 28 janvier 1992, Speybrouck/Parlement, T-45-90, Rec. p. II-33, point 89). Toutefois, vu les circonstances de l'espèce, le Tribunal considère qu'il n'est pas nécessaire de le faire.
3. Sur les troisième et quatrième moyens, relatifs au bien-fondé de la décision attaquée
63. Avant d'examiner les moyens relatifs au bien-fondé de la décision attaquée, il est utile de rappeler brièvement l'économie de cette dernière.
64. La Commission a décidé de ne pas qualifier l'avantage fiscal litigieux d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, au motif que le montant de cet avantage ne va pas au-delà de ce qui est justifié pour assurer l'accomplissement des missions d'intérêt public dont La Poste est investie en tant qu'exploitant public. L'avantage fiscal a été, en effet, estimé inférieur aux surcoûts résultant des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national, notamment d'une présence postale en milieu rural, et de participation à l'aménagement du territoire qui incombent à La Poste (ci-après "surcoûts du service public").
65. Afin d'arriver à cette conclusion, la Commission s'est fondée, en substance, sur trois suppositions. Premièrement, La Poste serait une entreprise publique chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Deuxièmement, l'accomplissement des obligations de service public fixées par la réglementation française et la politique menée par le Gouvernement français en matière d'aménagement du territoire engendrerait des surcoûts pour La Poste. Troisièmement, l'octroi des avantages fiscaux destinés à compenser ces surcoûts ne tomberait, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité, pas sous le coup de l'article 92, paragraphe 1, dudit traité et est donc admis à condition que le montant de l'aide reste inférieur au montant des surcoûts.
66. Quant à la première supposition, le Tribunal relève qu'il n'est pas contesté que La Poste s'est vu confier la gestion d'un service d'intérêt économique général, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.
67. Selon l'article 2 de la loi de 1990, La Poste a pour objet "d'assurer, dans les relations intérieures et internationales, le service public du courrier sous toutes ses formes, ainsi que celui du transport et de la distribution de la presse bénéficiant du régime spécifique prévu par le code des postes et télécommunications". A cet égard, il y a lieu de souligner que le service public du courrier consiste dans l'obligation d'assurer la collecte, le transport et la distribution du courrier, au profit de tous les usagers, sur l'ensemble du territoire d'un État membre, à des tarifs uniformes et à des conditions de qualité similaires, sans égard aux situations particulières et au degré de rentabilité économique de chaque opération individuelle (voir l'arrêt du la Cour du 19 mai 1993, Corbeau, C-320-91, Rec. p. I-2533, point 15).
68. En ce qui concerne les missions d'intérêt économique général dont La Poste est investie, il y a lieu de relever qu'à l'époque celles-ci ressortaient notamment de la loi de 1990 ainsi que d'un cahier des charges de La Poste, approuvé par le décret n° 90-1214, du 29 décembre 1990, publié au JORF du 30 décembre 1990.
69. L'article 8 de la loi de 1990 dispose qu'un cahier des charges fixe les droits et obligations, le cadre général dans lequel sont gérées les activités, les principes et procédures selon lesquels sont fixés les tarifs et les conditions d'exécution des services publics que La Poste a pour mission d'assurer. Le cahier des charges doit notamment préciser les conditions dans lesquelles sont assurées "la desserte de l'ensemble du territoire national; [et ...] la participation de l'exploitant à l'aménagement du territoire".
70. Le cahier des charges prévoit, de son côté, à la fois que "le service public du courrier offert par La Poste dessert l'ensemble du territoire en prenant en compte les orientations générales de la politique gouvernementale, notamment en matière d'aménagement du territoire" (article 3), et que "La Poste constitue, développe et exploite sur l'ensemble du territoire un réseau d'installations et de dessertes destiné à fournir l'ensemble de ses services" (article 21). Enfin, l'article 24 du cahier prévoit que, "dans la définition de ses programmes d'équipement, La Poste prend en considération les orientations générales de la politique d'aménagement du territoire définies par le gouvernement, ainsi que les données et objectifs de développement économique et social des régions, des départements et des communes" et que "La Poste définit sa politique de présence locale après concertation avec le préfet concerné".
71. Il ressort, en outre, du dossier que le Gouvernement français a, dans le cadre de sa politique en matière d'aménagement du territoire, pris depuis la fin de l'année 1991 des mesures imposant à La Poste le maintien de ses points d'accueil et de ses services en zone rurale.
72. Ces contraintes de desserte de l'ensemble du territoire et de participation à l'aménagement du territoire qui s'imposent à La Poste, notamment l'obligation de maintenir une présence postale et des services publics non rentables en milieux ruraux, doivent être considérées comme des missions particulières, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.
73. Quant aux deux autres suppositions sur lesquelles s'est fondée la Commission, il convient, ensuite, d'examiner, en premier lieu, la pertinence des analyses effectuées par la Commission en ce qui concerne l'évaluation des surcoûts du service public et, en second lieu, l'application qu'elle a faite dans la décision attaquée des articles 92 et 90, paragraphe 2, du traité.
Sur le troisième moyen, tiré de l'inadéquation de la méthode employée par la Commission afin d'évaluer les surcoûts du service public
Arguments des parties
74. Les requérants font valoir que la méthode employée par la Commission, afin de calculer les surcoûts du service public que doit supporter La Poste, n'est pas pertinente. De plus, la méthode serait entachée de plusieurs erreurs et susceptible d'aboutir à une surestimation de ces coûts. En ce qui concerne la notion de service public, les requérants ont souligné que celle-ci ne comprend en l'espèce que l'acheminement du courrier sous toutes ses formes et la distribution de la presse.
75. Quant à l'étude des surcoûts effectuée par La Poste elle-même, les requérants considèrent que, au lieu de comparer les coûts des bureaux ruraux par rapport à une moyenne nationale, il aurait plutôt fallu prendre comme référence le "coût d'opportunité". Il faudrait, par cette notion, comprendre le coût économique réel que La Poste doit payer pour maintenir ses bureaux de poste non rentables, afin de remplir sa mission de service public.
76. Lors de l'audience, les requérants ont ajouté que, si l'on avait fait application de la loi n° 82-213, du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, publiée au JORF du 3 mars 1982, telle qu'ultérieurement complétée et modifiée (ci-après "loi de 1982"), prévoyant l'établissement de négociations directes sur l'étendue du service public entre les entreprises chargées d'un tel service et les communes ou les départements concernés, ceux-ci auraient pu, en mettant en balance la nécessité des services rendus et les coûts qui s'en suivent, examiner l'opportunité de fermer certains bureaux de poste non rentables.
77. Quant à l'étude effectuée par des consultants externes et qui a été retenue par la Commission, les requérants soutiennent qu'elle entraîne une surestimation des coûts pour plusieurs raisons.
78. En premier lieu, les marges de certains bureaux ne devraient être prises en compte que par rapport à une "marge de référence" au-dessous de laquelle la fermeture d'un bureau serait préférable pour La Poste, cette marge de référence étant comparable à la notion susmentionnée de "coût d'opportunité". Elles ne devraient, en particulier, pas être rapportées à "une marge moyenne" nationale, comme cela a été fait dans la décision attaquée. Les requérants ajoutent que la comparaison des marges de certains bureaux avec une marge moyenne est d'autant moins justifiée lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui dispose d'un monopole dans l'exercice d'activités relevant du service public.
79. En deuxième lieu, l'étude des surcoûts ne tiendrait, à tort, pas compte des "externalités intrinsèques au réseau", à savoir de l'incidence des bureaux ruraux sur les coûts de fonctionnement des autres bureaux, sur le volume du trafic postal, sur les coûts de distribution, etc. En effet, la présence de bureaux ruraux, même non rentables, permettrait de réduire les coûts de fonctionnement des autres bureaux.
80. En troisième lieu, les requérants considèrent que l'estimation des surcoûts aurait dû être faite sur la base des "coûts minima", vers lesquels tend toute entreprise privée, et non sur la base des "coûts réalisés". En effet, la méthode utilisée peut, selon les requérants, inciter les entreprises considérées à gonfler leurs coûts afin de bénéficier d'une augmentation de subvention et afin d'exploiter ensuite l'avantage acquis, par exemple, sur le marché des assurances.
81. En quatrième lieu, les requérants font valoir que les surcoûts ont été évalués avant l'entrée de La Poste sur le marché des assurances. Ce faisant, l'estimation qui en a été faite serait excessive puisque l'activité sur le marché des assurances devrait avoir pour effet d'accroître la rentabilité des bureaux de poste et, dès lors, de réduire les surcoûts liés au service public. Il s'ensuit, selon les requérants, que toute comparaison se révèle inopérante.
82. Se référant à l'avis n° 96-A-10, du 25 juin 1996, du Conseil de la concurrence français, relatif à une demande d'avis de l'Association française des banques concernant le fonctionnement des services financiers de La Poste au regard du droit de la concurrence (publié au Bulletin officiel de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du 3 septembre 1996, ci-après "avis du Conseil de la concurrence"), les requérants ont, lors de l'audience, affirmé que l'activité financière de la Poste représente près des trois quarts de l'activité de celle-ci. Ce serait donc à tort que la Commission, afin de déterminer le montant des surcoûts relevant du service public, n'a soustrait des surcoûts relevant de l'ensemble des activités que 34,7 %. Si elle avait, conformément à l'avis susvisé, effectué cette opération sur la base d'un pourcentage de 75 %, elle serait parvenue à la conclusion que les surcoûts du service public ne s'élevaient qu'à 696 millions de FF, c'est-à-dire à un montant inférieur d'environ 500 millions de FF à celui de l'aide litigieuse.
83. Enfin, compte tenu du fait qu'ils ne seraient pas en mesure de vérifier les données sur lesquelles sont fondées les études effectuées par La Poste et les consultants externes, les requérants sollicitent du Tribunal, conformément à l'article 70 du règlement de procédure, qu'il ordonne une expertise afin de déterminer si la méthode utilisée et les évaluations retenues étaient appropriées et, si cela s'avérait ne pas être le cas, de rechercher une méthode de substitution permettant de tirer des conclusions juridiquement incontestables.
84. La Commission fait valoir que la méthode utilisée pour estimer les surcoûts du service public, adoptée dans le cadre de son pouvoir d'appréciation en la matière, est pertinente. Se référant à la fois à l'article 8 de la loi de 1990 et aux articles 21 et 24 du cahier des charges, susmentionnés, la Commission précise qu'il s'agit des surcoûts résultant de l'accomplissement des missions d'intérêt public découlant notamment de ces dispositions.
85. Elle observe, en premier lieu, que la méthode qu'elle a adoptée était la plus rationnelle et la plus objective pour évaluer les surcoûts, la référence à un "coût d'opportunité" étant inadaptée puisque La Poste n'est pas en mesure de contrôler l'allocation des fonds publics mis à sa disposition. En deuxième lieu, contrairement à ce que pensent les requérants, la Commission ne devrait pas exclure de ses calculs certains coûts effectifs du service public estimés trop élevés, le but de l'article 92 du traité n'étant pas de limiter le niveau absolu des coûts du service public, mais d'éviter un transfert de ressources vers les activités concurrentielles.
86. Quant au reproche qui lui est fait de n'avoir pas fondé ses calculs sur des coûts minima plutôt que sur des coûts réels, la Commission répond, en troisième lieu, que son rôle n'est pas d'améliorer l'efficacité du service public postal en France.
87. En quatrième lieu, la Commission fait valoir que, contrairement à l'affirmation des requérants, elle a bien pris en compte les "externalités intrinsèques aux réseaux" puisqu'elle a déduit les avantages indirects qui découlent, pour les activités concurrentielles de La Poste, du réseau de service public.
88. La Commission rappelle, dans ce contexte, que la méthode utilisée avait pour objet d'éviter qu'une augmentation éventuelle de subvention, suite à une augmentation des surcoûts du service public, puisse procurer des avantages sur les marchés commerciaux. Elle explique que, pour atteindre cet objectif, elle a, dans la décision attaquée, diminué le total des surcoûts assumés par La Poste d'un pourcentage (34,7 %) égal à l'incidence des services concurrentiels dans le chiffre d'affaires de celle-ci. Cette diminution permettrait de prendre en compte les avantages dont les services concurrentiels de La Poste bénéficient du fait de l'existence du réseau postal en milieu rural.
89. La réduction de 34,7 % permettrait, par ailleurs, de réfuter l'affirmation des requérants selon laquelle les surcoûts ont été évalués avant l'entrée de La Poste sur le marché des assurances.
90. Quant à l'avis du Conseil de la concurrence invoqué par les requérants, la Commission rétorque, enfin, que la répartition retenue dans cet avis se réfère à l'activité des bureaux de poste et non pas au chiffre d'affaires, qui a été utilisé comme référence dans la décision attaquée.
91. Le Gouvernement français fait valoir que le calcul des surcoûts résultant pour La Poste de ses obligations de service public est pertinent. Il relève, à ce sujet, en ce qui concerne le manque à gagner de certains bureaux de poste, qu'environ 58 % de ceux-ci sont situés dans des communes de moins de 2 000 habitants. Dans la plupart de ces bureaux, le préposé ne serait fréquemment occupé, chaque jour, qu'un peu plus d'une heure sur huit heures de présence. Le surcoût de cette inactivité ou de cette non-productivité ne pourrait être affecté qu'à la mission générale du maintien d'une présence postale sur l'ensemble du territoire national, mission de service public non rentable qui déborderait le strict domaine du service public du courrier.
92. Le Gouvernement français rappelle ensuite que, d'une année à l'autre, La Poste est globalement, grosso modo, en équilibre financier. Par conséquent, l'on pourrait estimer que le coût moyen de l'ensemble des bureaux de poste est sensiblement équivalent à celui qui permet d'atteindre l'équilibre financier. Dès lors, la référence au coût moyen ne "gonfle" pas, selon lui, les surcoûts des bureaux non rentables par rapport aux bureaux en équilibre financier. Le Gouvernement français a, lors de l'audience, souligné que l'équilibre financier n'est atteint qu'en tenant compte de l'allégement fiscal.
93. Quant au grief tiré d'une absence de prise en compte des "externalités intrinsèques au réseau", le Gouvernement français répond que, si l'on prenait, comme référence de coût moyen, le coût des bureaux restants après suppression de tous les bureaux non rentables, ce coût moyen serait beaucoup plus faible qu'il ne l'est actuellement, même en tenant compte d'une augmentation du coût des bureaux restants. Par conséquent, les surcoûts des bureaux non rentables seraient nécessairement évalués à la hausse, ce qui n'irait pas dans le sens souhaité par les requérants.
94. Pour ce qui est de l'argument selon lequel les coûts de référence auraient dû être calculés sur la base de coûts minima, le Gouvernement français rétorque que, en ce qui concerne l'application des dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du traité, c'est l'adéquation de la compensation aux surcoûts du service public qui importe, et non pas la valeur absolue de ces coûts.
95. Par ailleurs, les coûts des bureaux situés dans des zones rurales ou dans des quartiers défavorisés baisseraient très peu si l'on employait une telle base de calcul. En revanche, les moyens techniques et humains des bureaux situés "en ville" pourraient théoriquement être réduits, de façon à parvenir à un coût d'exploitation moindre. Or, dans ce cas, les surcoûts des bureaux non rentables seraient encore plus élevés par rapport à la moyenne, contrairement à ce qu'entendent démontrer les requérants.
96. La partie intervenante La Poste soutient qu'elle est, en vertu de ses obligations de service public, notamment de celles relatives à l'aménagement du territoire, contrainte de maintenir un réseau postal non rentable. La présence de bureaux en milieu rural constituerait une charge qui serait représentée non pas par une activité, mais par une absence d'activité, comme l'a exposé le Gouvernement français.
Appréciation du Tribunal
97. Il convient, à titre liminaire, de rappeler que les requérants ne contestent pas l'existence de surcoûts engendrés par les contraintes de service public incombant à La Poste. Ils se contentent, au contraire, de faire valoir que la Commission a manifestement surestimé ces surcoûts en employant des méthodes de calculs erronées.
98. Afin d'examiner le bien-fondé des griefs soulevés dans le cadre du présent moyen, il y a lieu de rappeler qu'il ressort des dispositions du paragraphe 3 de l'article 90 et de l'économie de l'ensemble des dispositions de cet article que le pouvoir de surveillance dont dispose la Commission à l'égard des États membres responsables d'une atteinte portée aux règles du traité, notamment à celles relatives à la concurrence, implique nécessairement la mise en œuvre d'une marge d'appréciation de la part de cette institution.
99. Cette marge d'appréciation est d'autant plus large, en ce qui concerne notamment le respect des règles de concurrence par les États membres, que, d'une part, la Commission est, selon le paragraphe 2 de l'article 90, invitée, dans l'exercice de ce pouvoir, à tenir compte des exigences inhérentes à la mission particulière des entreprises concernées et que, d'autre part, les autorités des États membres, de leur côté, peuvent disposer, dans certains cas, d'un pouvoir d'appréciation tout aussi large pour réglementer certaines matières, telles que, comme en l'espèce, l'organisation des services publics dans le secteur postal (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Ladbroke Racing/Commission, T-32-93, Rec. p. II-1015, point 37).
100. S'agissant, en l'espèce, d'une affaire mettant en jeu une appréciation de faits économiques complexes, la marge d'appréciation quant à l'évaluation des surcoûts du service public est d'autant plus large, cette marge d'appréciation étant comparable au pouvoir d'appréciation que détient la Commission dans le cadre de l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité (arrêts de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C-301-87, Rec. p. I-307, point 49, du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C-142-87, Rec. p. I-959, point 56, et du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303-88, Rec. p. I-1433, point 34).
101. De plus, il résulte de la jurisprudence que, dans le cadre d'un recours en annulation, il appartient uniquement au juge communautaire de vérifier si la décision attaquée est entachée d'une des causes d'illégalité prévues à l'article 173 du traité, sans pouvoir substituer son appréciation en fait, notamment sur le plan économique, à celle de l'auteur de la décision (arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, point 23). Il s'ensuit que le contrôle que le Tribunal est appelé à exercer en l'espèce sur l'appréciation de la Commission doit se limiter à la vérification de l'exactitude matérielle des faits et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation.
102. A cet égard, il ressort du dossier que, afin de calculer les surcoûts résultant pour la Poste de ses obligations de service public, la Commission a procédé à une analyse économique complexe sur la base de deux études effectuées tant par La Poste elle-même que par des consultants externes.
103. Il ressort de la décision attaquée (voir ci-dessus point 18), ainsi que des plaidoiries devant le Tribunal, que La Poste a, dans son étude, examiné les activités de 617 bureaux ruraux situés dans des communes de moins de 2 000 habitants dans la Région Méditerranée. L'étude a consisté à comparer les charges générées hors distribution par ces bureaux ruraux aux coûts standard liés à leur activité, pour déterminer à la fois l'existence et le montant d'un éventuel surcoût. Le résultat de cette analyse a été, ensuite, extrapolé à l'échelle du territoire français, ce qui a fait apparaître l'existence de surcoûts du service public s'élevant à 2,782 milliards de FF.
104. Quant à l'étude effectuée par les consultants externes, il y a lieu de constater qu'elle a été menée dans trois départements français, à savoir le Jura, la Marne et la Saône, considérés comme constituant un échantillon représentatif. Les surcoûts ont été calculés en comparant l'écart de marge entre chaque bureau rural et la marge moyenne nationale, calculée selon des critères spécifiques (voir, à cet égard, ci-dessus points 20 à 23), une performance négative donnant lieu à l'enregistrement d'un surcoût. Tous les bureaux situés dans un même canton ont été étudiés et la performance du canton a été calculée comme étant la somme algébrique des contributions mesurées au niveau de ces bureaux. Les résultats ont été, ensuite, extrapolés à l'échelle du territoire français. L'étude des consultants externes conclut que le total des surcoûts pour le milieu rural s'élèvent à au moins 2,02 milliards de FF. Si l'on tient compte, en plus, des surcoûts des bureaux situés dans les banlieues "difficiles" et les zones en déclin industriel, ce total s'élève à 2,83 milliards de FF.
105. Il ressort de la décision attaquée que, à défaut d'une comptabilité analytique permettant d'établir une distinction entre les charges et les dépenses affectées aux activités de service public et celles affectées aux activités concurrentielles, les surcoûts du service public ont été calculés sur l'ensemble des activités de La Poste. De ce fait, la Commission a, afin de prendre en compte les avantages dont bénéficient les services concurrentiels de La Poste en raison de l'existence du réseau postal en milieu rural, réduit, à juste titre, les résultats susmentionnés de 34,7 %. Ce pourcentage correspond à la proportion du chiffre d'affaires relevant des activités concurrentielles de La Poste pour l'exercice de 1993, y compris les activités relevant du secteur des assurances, proportion qui n'est pas contestée par les requérants. Compte tenu des données disponibles, le Tribunal considère que la répartition des surcoûts totaux entre les différentes activités de La Poste en fonction de la part de chiffres d'affaires qu'elles représentent était la méthode la plus objective pour évaluer les surcoûts pouvant être rattachés aux activités de service public. Suite à l'opération de réduction susvisée, les surcoûts du service public ont été évalués à 1,82 milliard de FF. Si l'on prend pour base l'estimation minimale des surcoûts (voir ci-dessus point 104), ceux relevant du service public s'élèvent à 1,32 milliard de FF.
106. Le Tribunal considère que, en se fondant sur une telle analyse des faits, la Commission a établi, à suffisance de droit, l'existence pour La Poste des surcoûts s'élevant à - au moins - 1,32 milliard de FF. Lesdits surcoûts, engendrés en premier lieu par le maintien d'une présence postale non rentable en milieu rural, sont liés à l'accomplissement des services d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité, qui s'imposent à La Poste, à savoir des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire. En employant les méthodes de calcul exposées ci-dessus, la Commission a, en fait, comparé les coûts générés par des bureaux non rentables situés en milieu rural aux coûts moyens des bureaux de poste français.
107. Le Tribunal considère que les griefs soulevés par les requérants quant aux prétendus vices dont les méthodes de calcul seraient entachées ne sont pas de nature à ébranler les appréciations de la Commission.
108. Premièrement, les références aux "coûts d'opportunité", "coûts minima" ou "marge de référence", au-dessous desquels la fermeture d'un bureau serait préférable pour La Poste, ne sont pas pertinentes. En effet, la Commission, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, n'est pas habilitée à se prononcer sur l'étendue des missions de service public incombant à l'exploitant public, à savoir le niveau des coûts liés à ce service, ni sur l'opportunité des choix politiques pris, à cet égard, par les autorités nationales, ni sur l'efficacité économique de La Poste dans le secteur qui lui est réservé (voir, sur ce dernier point, les conclusions de l'avocat général M. Tesauro sous l'arrêt Corbeau, précité, Rec. p. I-2548, point 16).
109. Deuxièmement, en ce qui concerne le grief tiré d'une absence de prise en compte des "externalités intrinsèques au réseau", force est de constater que les requérants n'ont pas avancé d'éléments de fait susceptibles de l'étayer. Dans ces circonstances et compte tenu du fait que les requérants n'ont pas non plus répondu à l'argumentation présentée par le Gouvernement français à cet égard (voir ci-dessus point 93), il y a lieu de d'écarter ce grief.
110. Troisièmement, le fait que la Commission a réduit les surcoûts totaux de 34,7 %, pourcentage égal à la proportion du chiffre d'affaires réalisé par La Poste en 1993 dans le cadre de ses activités concurrentielles, y compris des activités relevant du secteur des assurances (voir ci-dessus point 105), démontre que l'affirmation des requérants, selon laquelle les surcoûts du service public ont été évalués avant l'entrée de La Poste sur le marché des assurances, est dénuée de fondement.
111. Enfin, en ce qui concerne l'avis du Conseil de la concurrence, invoqué par les requérants, le Tribunal considère qu'il n'est pas susceptible de mettre en cause le bien-fondé de la réduction, effectuée par la Commission, de 34,7 % (voir ci-dessus point 105), puisque ledit avis concerne la répartition des activités aux guichets et non pas celle des chiffres d'affaires relevant des différentes activités de La Poste.
112. Il y a lieu, en outre, de constater que les requérants n'ont pas apporté la preuve de l'existence d'une méthode alternative et plus précise pour calculer les surcoûts sur la base des données disponibles à l'époque.
113. Étant donné que les requérants se sont bornés à contester, de manière générale, les appréciations faites par la Commission, sans avoir produit d'éléments susceptibles de mettre en cause ces appréciations, il y a donc lieu, compte tenu des considérations qui précèdent, de conclure que les requérants n'ont pas démontré que la Commission, en évaluant les surcoûts du service public, a fondé sa décision sur des faits matériellement inexacts ou a outrepassé son pouvoir d'appréciation en la matière.
114. Il n'est pas contesté que l'avantage fiscal litigieux dont bénéficie La Poste en vertu de l'article 21 de la loi de 1990, à savoir l'abattement de 85 % sur le montant des bases d'imposition en matière de fiscalité locale, s'est élevé en 1994 à 1,196 milliard de FF. Le Tribunal considère, dès lors, que c'est à bon droit que la Commission a considéré que le montant dudit avantage fiscal ne dépassait pas les surcoûts du service public, même si l'on se fondait sur l'estimation minimale, soit des surcoûts de 1,32 milliard de FF (voir ci-dessus point 106).
115. En ce qui concerne la demande visant à ce que le Tribunal ordonne, en application des articles 66 et 70 du règlement de procédure, une expertise afin de déterminer si la méthode utilisée par la Commission et les évaluations retenues étaient appropriées, force est de constater que les requérants n'ont pas produit d'éléments de nature à faire présumer que la Commission aurait pu commettre des erreurs manifestes d'appréciation en déterminant les surcoûts en cause. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise, étant donné que c'est à la partie requérante qu'incombe la charge de la preuve lorsqu'elle conteste l'appréciation de faits économiques effectuée par la Commission dans le cadre de son pouvoir d'appréciation.
116. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le présent moyen doit être rejeté.
Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation des articles 90, paragraphe 2, et 92 du traité
117. Le présent moyen s'articule en deux branches. Dans une première branche, les requérants soutiennent que l'article 90, paragraphe 2, ne permet pas de soustraire l'avantage fiscal litigieux, accordé indistinctement à l'ensemble des activités de La Poste, à l'interdiction de l'article 92 du traité. Dans la seconde branche du moyen, ils font grief à la Commission d'avoir violé l'article 92 en omettant d'apprécier l'effet sur la concurrence de l'octroi de l'avantage fiscal litigieux.
Sur la recevabilité de la première branche du moyen
- Arguments des parties
118. La partie intervenante La Poste fait valoir qu'il convient, en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, de rejeter la première branche du moyen comme irrecevable, celle-ci n'ayant été soulevée qu'au stade du mémoire en réplique. Selon elle, l'exposé contenu dans la réplique quant à une prétendue violation de l'article 90, paragraphe 2, du traité ne constitue pas de simples arguments nouveaux. En effet, les développements figurant dans l'acte introductif d'instance porteraient uniquement sur la distinction qu'il conviendrait d'établir entre l'objectif de l'avantage fiscal litigieux et ses effets et non pas sur les dispositions spécifiques de l'article 90 à l'égard d'une entreprise chargée d'une mission d'intérêt économique général, ni sur les conditions d'application du paragraphe 2 dudit article.
119. Les requérants contestent qu'il s'agisse d'un moyen nouveau. Dans leur requête, ils auraient également allégué une violation de l'article 90, paragraphe 2, du traité.
120. D'une part, les requérants rappellent qu'ils ont fait valoir que la Commission, par la décision attaquée, a fait une application erronée des dispositions du traité, ce qui devrait inclure l'article 90, paragraphe 2, étant donné que la Commission a considéré que l'aide en question échappe, en vertu dudit article, à l'interdiction édictée par l'article 92. D'autre part, les requérants auraient invoqué, dans leur requête, non seulement les dispositions de l'article 92, paragraphe 1, mais aussi celles de l'article 90, paragraphe 2.
121. De surcroît, lesdits articles seraient très étroitement liés en l'espèce. A ce propos, les requérants s'appuient sur l'arrêt du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement (T-37-89, Rec. p. II-463), pour soutenir que la présente branche du moyen ne constitue qu'une simple ampliation de l'autre branche du moyen, tirée d'une violation de l'article 92 du traité.
- Appréciation du Tribunal
122. Il y a lieu de constater, d'emblée, que la recevabilité de la présente branche du moyen n'est pas contestée par la Commission.
123. S'agissant d'une fin de non-recevoir d'ordre public, celle-ci peut cependant, en vertu de l'article 113 du règlement de procédure, être soulevée d'office par le Tribunal. Il n'est, dès lors, pas nécessaire d'examiner la question de savoir si la partie intervenante peut soulever une fin de non-recevoir qui ne l'a pas été par la partie dont elle soutient les conclusions.
124. Afin d'examiner la recevabilité de la présente branche du moyen, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations à l'appui (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387-94, Rec. p. II-0000, point 106, ordonnance du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T-56-92, Rec. p. II-1267, point 21).
125. A ce propos, il y a lieu de relever que le juge communautaire admet la présentation, au stade de la réplique, d'un moyen qui ne constitue en réalité qu'une ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d'instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci (arrêt Hanning/Parlement, précité, point 38, et arrêt de la Cour du 19 mai 1983, Verros/Parlement, 306-81, Rec. p. 1755, point 9).
126. Tel est le cas en l'espèce. En effet, il convient de constater que les requérants ont fait allusion à l'article 90, paragraphe 2, du traité dans leur requête. Ainsi, ils ont affirmé dans celle-ci qu'"il est [...] constant que les objectifs visés par les aides d'État ne suffisent pas à justifier l'octroi de cette aide à une entreprise même `chargée de la gestion de services d'intérêt général' (article 90, paragraphe 2, du traité)". De plus, dans la mesure où les requérants affirment que seul l'effet de l'aide litigieuse doit être examiné et non son objet, le Tribunal considère qu'ils allèguent - au moins implicitement - que les contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire qui pèsent sur La Poste ne peuvent justifier, en application de l'article 90, paragraphe 2, l'octroi de l'avantage fiscal litigieux.
127. Les articles 90 et 92 du traité sont, en effet, étroitement liés en l'espèce, la Commission ayant décidé, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, de ne pas qualifier la mesure étatique en cause d'aide au sens de l'article 92.
128. Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu'il y a lieu de considérer l'argumentation, développée dans le mémoire en réplique, quant à une violation de l'article 90, paragraphe 2, du traité, comme une simple ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, tiré d'une violation de l'article 92 dudit traité. Il s'agit en effet d'un moyen unique qui s'articule en deux branches distinctes. Dès lors, le Tribunal considère que l'argumentation développée dans la réplique quant à l'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité ne sort pas du cadre du litige défini par la requête.
129. Il s'ensuit que la première branche du moyen est recevable.
Sur le bien-fondé du moyen
- Arguments des parties
130. Les requérants font valoir, dans la première branche du moyen, que l'exception prévue par l'article 90, paragraphe 2, du traité ne fait pas obstacle à l'application du principe d'interdiction des aides d'État énoncé par l'article 92, paragraphe 1, du traité.
131. L'article 90, paragraphe 2, du traité énoncerait une exception à l'application des règles de concurrence. Par conséquent, il conviendrait de l'interpréter d'une manière restrictive. Une aide ne pourrait être maintenue que si sa suppression devait empêcher l'accomplissement des missions de service public. Les requérants affirment, à ce propos, que, contrairement à ce que laissent entendre les parties intervenantes, les seules missions de service public incombant à La Poste sont, selon l'article 2 de la loi de 1990, d'assurer, d'une part, le service public du courrier sous toutes ses formes et, d'autre part, le transport et la distribution de la presse.
132. Les requérants ont, lors de l'audience, fait valoir que trois conditions doivent être remplies avant que la dérogation prévue par l'article 90, paragraphe 2, du traité puisse être appliquée. Premièrement, l'aide en question devrait être nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public. Deuxièmement, l'aide devrait être appropriée et la moins restrictive possible pour la concurrence. Troisièmement, l'aide devrait être affectée aux activités relevant du service public et ne devrait notamment en aucun cas profiter aux activités concurrentielles exercées par La Poste.
133. Aucune de ces trois conditions ne serait remplie en l'espèce. En premier lieu, l'avantage fiscal litigieux ne serait pas nécessaire à l'accomplissement de la mission de service public en matière de distribution du courrier et de la presse. En deuxième lieu, un abattement de 85 % sur le montant des bases d'imposition en matière de fiscalité locale ne serait pas non plus la meilleure mesure susceptible de favoriser l'aménagement du territoire, cet abattement ayant pour effet de réduire les recettes des collectivités locales qui sont les bénéficiaires potentiels de la politique de l'aménagement du territoire. De plus, il existerait des mesures plus appropriées et plus ciblées pour pouvoir répondre aux nécessités de l'aménagement du territoire et du maintien de La Poste en milieu rural. En effet, il aurait été possible, en application de la loi de 1982, de mettre en place un système d'aides en faveur de La Poste, tout en évitant d'adopter des mesures fiscales discriminatoires et restrictives de concurrence.
134. En ce qui concerne la troisième condition, les requérants allèguent que la Commission n'était pas en mesure, lors de l'adoption de sa décision, de s'assurer de l'absence de subvention croisée au profit des activités concurrentielles de la Poste. Ils font, à cet égard, valoir que la méthode de comparaison employée par la Commission, consistant à rechercher si le montant de l'avantage fiscal dont bénéficie La Poste dépasse ou non les surcoûts du service public, est contestable dans son principe. Cet argument comporte deux aspects essentiels.
135. D'une part, en l'absence de toute comptabilité analytique au sein de La Poste, il serait impossible d'affirmer, comme le fait la Commission, que l'avantage fiscal en question ne compense que les surcoûts du service public. Il profiterait à l'entreprise "La Poste", c'est-à-dire à l'ensemble des activités de cette dernière et donc également aux activités qu'elle exerce dans le secteur des assurances, ce qui serait contraire aux règles de concurrence. A cet égard, les requérants soulignent que les mêmes bureaux et effectifs sont préposés à la fois aux services d'intérêt public et aux services concurrentiels. De plus, il ressortirait de la jurisprudence qu'une aide versée à une entreprise comme La Poste, afin de compenser les surcoûts du service public, permettrait à celle-ci de libérer d'autres ressources au bénéfice de ses activités concurrentielles ou, à tout le moins, de favoriser le développement de ces activités à moindre coût (arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, précité, point 14).
136. Toujours sous cet aspect, les requérants affirment que l'aide litigieuse n'est pas strictement ciblée sur des activités relevant du service public comme le droit communautaire l'exige, car, selon l'article 21 de la loi de 1990, l'abattement de 85 % dont font l'objet les bases d'imposition de La Poste inclut dans son assiette la totalité des coûts et du chiffre d'affaires de celle-ci, y compris la part résultant des activités concurrentielles.
137. D'autre part, les données comparées par la Commission seraient en réalité incomparables, car le maintien de bureaux de poste en milieu rural ne serait pas lié à un souci de rentabilité, mais à la nécessité de maintenir une "administration de base" en milieu rural, dans le cadre de l'aménagement du territoire. Dès lors, le coût d'un service public dépendrait uniquement des décisions politiques et ne serait autre que le coût que la collectivité veut bien y consacrer.
138. En ce qui concerne la seconde branche du moyen, les requérants font, d'abord, valoir que l'avantage fiscal litigieux constitue une aide au sens de l'article 92 du traité (arrêt de la Cour du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30-59, Rec. p. 1).
139. Aux fins de sa qualification au regard de l'article 92, paragraphe 1, du traité, il conviendrait uniquement d'apprécier l'effet d'une aide sur la concurrence, et non son objet ou sa forme. L'objectif qui lui est assigné ne pourrait suffire pour déclarer inapplicable l'interdiction des aides d'État énoncée à l'article 92, la Cour ayant jugé que ce dernier article "ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions visées, mais les définit en fonction de leurs effets" et "que, dès lors, ni le caractère fiscal ni le but social éventuels de la mesure litigieuse ne suffiraient à la mettre à l'abri de la règle de l'article 92" (arrêt de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173-73, Rec. p. 709, points 27 et 28). Il en irait de même pour les aides accordées à une entreprise chargée de la gestion de services d'intérêt économique général. A cet égard, les requérants se réfèrent, en outre, à la pratique administrative de la Commission et à l'arrêt de la Cour du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57-86, Rec. p. 2855).
140. Par conséquent, ce serait à tort que la décision attaquée justifie l'avantage fiscal accordé à La Poste par le fait que celle-ci serait soumise à "des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire".
141. Les requérants rappellent que, selon eux, les activités que La Poste développe dans le secteur des assurances profitent également du versement de l'aide litigieuse (voir ci-dessus point 135). Il en irait de même dans le cas d'un abattement fiscal moins important car il ne serait pas nécessaire, pour qu'une aide tombe sous le coup de l'article 92, paragraphe 1, du traité, de prouver un effet "substantiel" sur la concurrence ou sur le commerce entre États membres (arrêts de la Cour Belgique/Commission, précité, et du 13 juillet 1988, France/Commission, 102-87, Rec. p. 4067). Il ressortirait également de la jurisprudence que, lorsqu'une aide financière accordée par un État renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l'aide (arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730-79, Rec. p. 2671, point 11).
142. Enfin, les requérants ont ajouté que, en invitant les autorités françaises "à faire en sorte que l'organisation comptable de La Poste intègre le respect des règles du droit communautaire, en particulier en ce qui concerne l'absence de subventions en faveur des activités qui ne relèvent pas des missions d'intérêt public", la Commission a, d'une part, reconnu que le manque de transparence des comptes est susceptible d'entraîner une subvention croisée au profit des activités concurrentielles et, d'autre part, que celles-ci peuvent, en outre, contribuer au financement du service public de La Poste.
143. La Commission rappelle, à titre liminaire, que l'article 92 du traité appréhende l'ensemble des entreprises, privées ou publiques, et l'ensemble des productions desdites entreprises, sous la seule réserve de l'article 90, paragraphe 2 (arrêts de la Cour du 22 mars 1977, Steinike & Weinlig, 78-76, Rec. p. 595, et du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C-387-92, Rec. p. I-877).
144. La Commission soutient, toujours à titre liminaire, que le pouvoir de décision dont elle dispose dans le cadre de la procédure prévue par l'article 93 implique nécessairement la mise en œuvre d'un large pouvoir d'appréciation. Or, les requérants n'auraient pas démontré qu'elle a outrepassé en l'espèce les limites de ce pouvoir.
145. La Poste étant chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général, il ressortirait de la jurisprudence relative aux articles 92 et 90, paragraphe 2, du traité que les moyens financiers mis à sa disposition afin de lui permettre d'exercer cette tâche ne constituent pas une aide d'État au sens du traité.
146. Tout en partageant l'avis des requérants quant au principe selon lequel la qualification d'une mesure au regard de l'article 92 doit être basée sur les effets que cette mesure exerce sur le jeu de la concurrence, la Commission estime cependant qu'elle a respecté ce principe en l'espèce.
147. En effet, elle aurait vérifié que le montant global de l'avantage consenti à La Poste était inférieur aux surcoûts supportés par celle-ci dans l'exercice de ses activités de service public, de sorte que cet avantage ne produirait pas d'effet de subvention croisée. Il lui aurait uniquement appartenu de vérifier qu'aucun financement public ne favorisait les activités concurrentielles de La Poste.
148. La Commission rappelle, dans ce contexte, que les surcoûts totaux du service public ont été calculés sur la base de leur montant réel, en déduisant de la somme globale de ces surcoûts la fraction qui devait être considérée comme ayant un effet favorable sur les activités concurrentielles de La Poste.
149. L'argument des requérants selon lequel l'avantage fiscal de 1,196 milliard de FF consenti à La Poste profite à l'ensemble des activités de celle-ci serait dépourvu de pertinence, dans la mesure où les surcoûts du service public s'élèveraient, en tout état de cause, à un montant supérieur, en l'occurrence à 2,8 milliards de FF.
150. Dans la mesure où les requérants contestent le principe même de la méthode comparative qui a été utilisée au motif qu'il n'existe pas de comptabilité analytique permettant de distinguer clairement les activités relevant du service public des activités concurrentielles, la Commission fait observer que les articles 92 et 93 du traité ne l'habilitent pas à introduire une obligation de transparence comptable à la charge des États membres. En outre, la méthode adoptée aurait été la seule méthode raisonnable lui permettant de prendre position, en temps utile et à partir des données disponibles à l'époque, sur les plaintes dont elle était saisie.
151. A l'argument des requérants selon lequel le coût du service public dépend de décisions politiques, la Commission répond que, en l'absence d'harmonisation communautaire, elle ne devait ni ne pouvait se prononcer sur l'opportunité des choix politiques effectués par les autorités françaises en matière de service public. Si, par hypothèse, les autorités françaises avaient jugé nécessaire d'augmenter le nombre de bureaux de poste en milieu rural, pour des raisons liées à l'aménagement du territoire, elles auraient pu, selon la Commission, parallèlement adapter le financement public pour couvrir ces surcoûts, sans que cette augmentation ne tombe dans le champ d'application de l'article 92.
152. Quant à l'affirmation des requérants selon laquelle il existerait des mesures plus appropriées et plus ciblées pour pouvoir répondre aux nécessités de l'aménagement du territoire et du maintien de la présence postale en milieu rural, la Commission rétorque qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur la meilleure façon de financer les services publics et de se substituer, à cet égard, aux autorités nationales compétentes.
153. La Commission conteste que l'invitation qu'elle a adressée aux autorités françaises quant à la transparence à l'avenir de l'organisation comptable de La Poste permette de conclure qu'elle aurait reconnu l'existence d'une subvention croisée.
154. Enfin, la Commission observe que la référence à l'arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, précité, est dénuée de pertinence puisque, dans cette affaire, le bénéficiaire de l'aide n'avait pas à assumer d'obligations de service public susceptibles de compenser le financement public.
155. Selon le Gouvernement français, il est certes nécessaire de considérer les effets éventuels d'une aide sur la concurrence, mais il est surtout essentiel d'examiner sa justification et donc son objet. Se référant à l'arrêt Corbeau, précité (point 19), le Gouvernement français fait valoir qu'en l'espèce il est d'autant plus important de vérifier l'objet de la mesure étatique en cause qu'elle peut être justifiée au titre de l'article 90, paragraphe 2, du traité. A cet égard, il observe que La Poste est chargée d'une mission de service public dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire menée par la France.
156. Dans un tel contexte, il incomberait à la Commission, après avoir vérifié que l'objet de la mesure correspond bien aux finalités visées par l'article 90, paragraphe 2, d'en analyser les effets afin de s'assurer qu'elle est bien nécessaire à l'accomplissement de la mission d'intérêt général en cause et que son impact éventuel sur la concurrence n'affecte pas le développement des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté. Selon le Gouvernement français, la démarche suivie par la Commission a été conforme à ce double examen.
157. Quant à l'analyse des effets de l'avantage fiscal litigieux sur la concurrence, le Gouvernement français soutient que, ayant constaté que cet avantage reste inférieur aux surcoûts entraînés pour La Poste par les contraintes de service public qui lui incombent, telle que l'obligation d'assurer la présence de bureaux postaux sur l'ensemble du territoire national, c'est à bon droit que la Commission a conclu qu'aucun transfert de ressources d'État vers les activités concurrentielles ne découlait de l'octroi dudit avantage.
158. Le Gouvernement français observe, enfin, que les requérants commettent une erreur de raisonnement lorsqu'ils affirment que l'avantage fiscal en cause profite nécessairement aux activités concurrentielles de La Poste puisqu'il résulte d'un abattement sur son activité globale. En effet, tant que le montant de l'avantage fiscal est inférieur ou égal au montant des surcoûts de la présence postale pour les activités non concurrentielles, il ne profiterait pas aux activités concurrentielles, quelles que soient les bases de cet abattement.
159. La partie intervenante La Poste se rallie pour l'essentiel à l'argumentation de la Commission et du Gouvernement français quant à l'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Elle rappelle que la Commission a constaté que l'abattement fiscal litigieux n'est pas supérieur aux charges qui lui incombent en vertu de la mission qui lui est conférée dans le cadre de l'aménagement du territoire.
160. Ce faisant la Commission aurait fait une application correcte des règles de concurrence. La notion d'aménagement du territoire ne serait d'ailleurs pas étrangère au droit communautaire car l'article 92, paragraphe 3, du traité précise que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ou les aides destinées à faciliter le développement de certaines régions économiques.
161. En ce qui concerne l'exonération fiscale dont elle peut bénéficier, La Poste a estimé utile de souligner qu'elle était, avant la loi de 1990, soumise au régime fiscal de l'administration de l'État. Par conséquent, contrairement à ce que laissent entendre les requérants, la loi de 1990 a eu, en réalité, pour effet de la soumettre, pour l'essentiel, au régime fiscal de droit commun.
162. Enfin, La Poste relève que les requérants ont reconnu qu'il est parfaitement concevable qu'elle bénéficie de certains avantages, prenant ou non la forme d'aides financières, si ceux-ci sont strictement ciblés sur ses activités de service public. La Poste fait valoir, à cet égard, que c'est précisément après avoir constaté que l'exonération fiscale qui lui a été accordée compensait les surcoûts générés par ses obligations de service public que la Commission a rejeté la plainte des requérants.
- Appréciation du Tribunal
163. Dans le cadre du présent moyen, il appartient au Tribunal d'examiner les griefs présentés par les requérants en ce qui concerne, en premier lieu, le bien-fondé de l'affirmation de la Commission selon laquelle, en application de l'article 90, paragraphe 2, du traité, l'avantage fiscal litigieux accordé à La Poste ne constitue pas, dans la mesure où son montant reste inférieur aux surcoûts du service public, une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, en deuxième lieu, la question de savoir si l'aide est nécessaire pour l'accomplissement des missions particulières dont La Poste est investie et, enfin, en troisième lieu, la question de savoir si la Commission, en se fondant sur le fait que le montant de l'avantage fiscal reste inférieur aux surcoûts du service public, a pu estimer, à suffisance de droit, qu'il n'y avait pas lieu de conclure à un transfert de ressources de l'État vers les activités concurrentielles de La Poste.
164. Aux termes de l'article 92, paragraphe 1, du traité, "sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".
165. Il résulte de l'article 90 du traité que l'article 92 appréhende l'ensemble des entreprises, privées ou publiques, et l'ensemble des productions desdites entreprises, sous la seule réserve de l'article 90, paragraphe 2 (arrêt Steinike & Weinlig, précité, point 18). La compétence de la Commission pour apprécier, en vertu de l'article 93 du traité, la compatibilité des aides s'étend ainsi également aux aides d'État accordées aux entreprises visées à l'article 90, paragraphe 2, notamment celles que les États membres ont chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (arrêt Banco Exterior de España, précité, point 17). Il y a lieu de rappeler, en outre, que les règles de concurrence s'appliquent également au secteur postal (arrêts de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48-90 et C-66-90, Rec. p. I-565, et Corbeau, précité).
166. Comme il a déjà été rappelé ci-dessus au point 114, il n'est pas contesté que l'avantage fiscal dont bénéficie La Poste s'est élevé à 1,196 milliard de FF pour 1994.
167. Cet avantage fiscal constitue en principe une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, celui-ci, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d'État, plaçant La Poste dans une situation financière plus favorable que d'autres contribuables, dont les sociétés représentées par les requérants (arrêt Banco Exterior de España, précité, point 14).
168. En effet, il est de jurisprudence constante que la notion d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité recouvre les avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d'une entreprise (arrêts de la Cour du 26 septembre 1996, France/Commission, C-241-94, Rec. p. I-0000, point 34, du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39-94, Rec. p. I-3547, point 58, et Banco Exterior de España, précité, point 13).
169. Dans la mesure où l'aide est de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser la concurrence, elle est, sauf dérogations prévues par le traité, incompatible avec le marché commun (arrêt Banco Exterior de España, précité, point 15).
170. Lorsqu'il s'agit d'aides versées en faveur d'une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général (voir ci-dessus points 66 à 72), l'article 90, paragraphe 2, du traité prévoit une telle dérogation.
171. En effet, aux termes de l'article 90, paragraphe 2, du traité, "les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie".
172. Il résulte de ce libellé, notamment des termes "dans les limites où l'application de ces règles [en l'occurrence de l'article 92 du traité] ne fait pas échec à l'accomplissement [...] de la mission particulière", que, dans l'hypothèse où l'article 90, paragraphe 2, peut être invoqué, une mesure étatique tombant sous le coup de l'article 92, paragraphe 1, peut néanmoins être considérée comme compatible avec le marché commun (arrêt Banco Exterior de España, précité, points 14 et 15, et, dans le même sens, les conclusions de l'avocat général M. Lenz sous cet arrêt, Rec. p. I-879, point 66). Bien qu'il s'agisse toujours d'une aide d'État au sens de cette dernière disposition, l'effet des règles de concurrence peut cependant, dans ce cas, être restreint (arrêt de la Cour du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen e.a., 66-86, Rec. p. 803, point 56), de sorte qu'une interdiction de mise à exécution d'une aide nouvelle, découlant d'une lecture combinée des articles 92 et 93, paragraphes 2 et 3, peut être déclarée inapplicable.
173. L'article 90, paragraphe 2, du traité énonçant une règle dérogatoire, il convient de l'interpréter d'une manière stricte. Ainsi, pour que la dérogation à l'application des règles du traité prévue par cette disposition puisse jouer, il ne suffit pas seulement que l'entreprise en cause ait été investie par les pouvoirs publics de la gestion d'un service économique d'intérêt général, mais il faut encore que l'application des règles du traité, en l'espèce de l'article 92, fasse échec à l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à cette entreprise et que l'intérêt de la Communauté ne soit pas affecté (arrêt de la Cour du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C-179-90, Rec. p. I-5889, point 26).
174. Afin d'examiner la question de savoir si le droit communautaire s'oppose à ce qu'un État membre octroie des aides d'État pour compenser les surcoûts assumés par une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité, surcoûts résultant de l'accomplissement de la mission particulière dont elle est investie, il convient de rappeler la jurisprudence concernant l'application combinée des articles 85 et 86 et de l'article 90, paragraphe 2, du traité.
175. A cet égard, le Tribunal rappelle que la Cour a reconnu, dans son arrêt du 27 avril 1994, Almelo e.a., (C-393-92, Rec. p. I-1477, point 46), que des restrictions à la concurrence de la part d'autres opérateurs économiques peuvent être admises en vertu de l'article 90, paragraphe 2, dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une mission d'intérêt général d'accomplir celle-ci. La Cour a, à cet égard, notamment jugé qu'il "faut tenir compte des conditions économiques dans lesquelles est placée l'entreprise, notamment des coûts qu'elle doit supporter et des réglementations, particulièrement en matière d'environnement, auxquelles elle est soumise" (point 49). La Cour en a déduit que, en l'espèce, l'application d'une clause d'achat exclusif pouvait échapper aux interdictions des articles 85 et 86, dans la mesure où la restriction à la concurrence que comportait cette clause était nécessaire pour permettre à l'entreprise en question d'assurer sa mission d'intérêt général.
176. Dans le même sens, la Cour a considéré, dans son arrêt Corbeau, précité, que l'octroi de droits exclusifs en ce qui concerne la collecte, le transport et la distribution du courrier en faveur de la Régie des postes belge, susceptible d'entraîner des restrictions à la concurrence, pouvait être justifié dans la mesure où ces restrictions étaient nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à cette entreprise.
177. La Cour a examiné, dans cette dernière affaire, si l'exclusion de la concurrence était nécessaire pour permettre au titulaire du droit exclusif de bénéficier de conditions économiquement acceptables. A cette fin, elle a estimé qu'il fallait "partir de la prémisse que l'obligation [...] d'assurer [les] services dans des conditions d'équilibre économique présuppose la possibilité d'une compensation entre les secteurs d'activités rentables et des secteurs moins rentables" (point 17). Selon la Cour, cela n'est possible que si l'on accepte que la concurrence de la part d'entrepreneurs particuliers au niveau des secteurs économiquement rentables puisse être limitée (points 17 et 18).
178. Le Tribunal considère que cette jurisprudence, relative à l'application des articles 85 et 86, est transposable, mutatis mutandis, dans le domaine des aides d'État, de sorte que le versement d'une aide d'État est susceptible, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité, d'échapper à l'interdiction de l'article 92 dudit traité, à condition que l'aide en question ne vise qu'à compenser les surcoûts engendrés par l'accomplissement de la mission particulière incombant à l'entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général et que l'octroi de l'aide s'avère nécessaire pour que ladite entreprise puisse assurer ses obligations de service public dans des conditions d'équilibre économique (arrêt Corbeau, précité, points 17 à 19). L'appréciation quant à la nécessité de l'aide implique une évaluation globale des conditions économiques dans lesquelles l'entreprise en question accomplit les activités relevant du secteur réservé, sans tenir compte des éventuels bénéfices qu'elle peut tirer des secteurs ouverts à la concurrence.
179. A cet égard, il ressort des pièces du dossier ainsi que des plaidoiries devant le Tribunal que La Poste n'a été, sur la moyenne des trois premières années qui ont suivi l'adoption de la loi de 1990, grosso modo en équilibre financier qu'après impôts, c'est-à-dire en tenant compte de l'allégement fiscal litigieux.
180. Dans ces circonstances, même si les résultats de ces exercices, en l'absence d'une comptabilité analytique permettant de distinguer entre les différents secteurs d'activités de La Poste, englobent l'ensemble des activités de celle-ci, le Tribunal considère que la Commission a pu, sans méconnaître les limites de son pouvoir d'appréciation, estimer que, en l'espèce, l'avantage fiscal litigieux n'allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer l'accomplissement des missions d'intérêt public dont La Poste est investie, à savoir notamment l'obligation de maintenir une présence postale en milieu rural, les surcoûts qui en résultent pouvant être supposés correspondre à des pertes équivalentes pour La Poste. Le fait d'avoir autorisé une aide d'État restant inférieure auxdits surcoûts ne saurait donc, en l'espèce, rendre l'article 90, paragraphe 2, du traité inapplicable et, par conséquent, constituer une violation de l'article 92 dudit traité.
181. Le Tribunal constate, par ailleurs, à ce sujet, que les requérants n'ont pas avancé d'éléments susceptibles d'étayer leur affirmation selon laquelle l'aide litigieuse n'est pas nécessaire pour l'accomplissement des obligations de service public incombant à La Poste. Il y a donc lieu d'écarter le grief relatif à la nécessité de l'aide litigieuse.
182. À ce stade du raisonnement, il y a lieu d'examiner les griefs des requérants relatifs à l'inadéquation de la méthode employée par la Commission. Selon eux, étant donné l'absence d'une comptabilité analytique au sein de La Poste, il serait impossible d'affirmer que l'avantage fiscal litigieux ne profite pas, en violation du droit communautaire, aux activités concurrentielles de celle-ci.
183. Il appartient donc au Tribunal d'examiner si la méthode de comparaison, consistant à apprécier le montant de l'aide d'État (soit 1,196 milliard de FF) par rapport au montant des surcoûts de La Poste (soit 1,32 milliard de FF - selon l'estimation minimale, voir ci-dessus points 105 et 106), est appropriée pour s'assurer, à suffisance de droit, que l'octroi de ladite aide n'entraîne pas de subvention croisée au profit des activités concurrentielles de La Poste. Comme la Commission l'a remarqué à juste titre dans la décision attaquée, le droit communautaire exige que l'aide d'État en cause ne profite pas aux activités concurrentielles de l'exploitant public.
184. A cet égard, le Tribunal constate qu'il ressort du dossier que, lors de l'adoption de la décision attaquée, La Poste ne tenait pas, dans sa comptabilité interne, de comptes séparés pour les services relevant du secteur réservé, d'une part, et pour ceux relevant du secteur non réservé, d'autre part. C'est d'ailleurs pourquoi les surcoûts du service public ont été calculés, dans la décision attaquée, sur l'ensemble des activités postales (voir ci-dessus point 105).
185. Il est indéniable que, si La Poste avait établi, à l'époque, une telle comptabilité analytique, la Commission aurait, sur un fondement plus certain, pu s'assurer de l'absence de subvention croisée.
186. Or, le Tribunal constate, en premier lieu, que le législateur communautaire n'a pas adopté à ce jour de disposition prévoyant l'établissement d'un système de comptabilité analytique pour les entreprises chargées de missions de service public tout en ayant des activités dans des secteurs concurrentiels.
187. En second lieu, l'application concrète des règles de concurrence dans un cas de figure comme celui de l'espèce implique nécessairement des appréciations complexes d'ordre économique et juridique qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission, précité, point 34). Par conséquent, il y a lieu de reconnaître à la Commission une certaine marge d'appréciation quant à l'adoption de la méthode la plus appropriée afin de s'assurer de l'absence de subvention croisée au profit des activités concurrentielles.
188. S'il est vrai que l'octroi d'une aide d'État à une entreprise peut permettre à cette dernière de libérer d'autres ressources au bénéfice d'autres activités (arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, précité), le Tribunal considère toutefois que, s'agissant d'une aide versée en faveur d'une entreprise visée par l'article 90, paragraphe 2, du traité, la possibilité d'une subvention croisée est exclue dans la mesure où le montant de l'aide en question reste inférieur aux surcoûts engendrés par l'accomplissement de la mission particulière au sens de ladite disposition.
189. De surcroît, il y a lieu de rappeler qu'il a été jugé ci-dessus au point 178 que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un État membre octroie une aide d'État à une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général pour compenser les surcoûts résultant de la mission particulière qui lui est impartie, à condition que l'aide s'avère nécessaire pour que ladite entreprise puisse assurer ses obligations de service public dans des conditions d'équilibre économique. Par conséquent, sous peine de priver l'article 90, paragraphe 2, du traité de tout effet utile, le Tribunal considère qu'il faut reconnaître que la méthode de comparaison employée par la Commission était, en l'espèce, appropriée pour s'assurer, à suffisance de droit, que l'octroi de l'aide d'État n'entraîne pas de subvention croisée contraire au droit communautaire.
190. A cet égard, il convient de souligner que les requérants n'ont pas tenté de démontrer l'existence d'une méthode alternative et plus adaptée pour vérifier, compte tenu à la fois des données disponibles à l'époque et de l'état du droit communautaire, que l'avantage fiscal accordé à La Poste ne profite pas aux activités concurrentielles. Ils n'ont pas davantage avancé d'éléments susceptibles de démontrer que la Commission aurait outrepassé sa marge d'appréciation en la matière.
191. En ce qui concerne le grief des requérants relatifs à l'assiette de l'abattement fiscal litigieux, il y a lieu de considérer que celui-ci est dénué de pertinence puisque les requérants ne contestent pas le montant que représente cet avantage fiscal.
192. Quant aux arguments des requérants selon lesquels le coût d'un service public n'est autre que le coût que la collectivité veut bien y consacrer et qu'il eût d'ailleurs été préférable de faire application de la loi de 1982, il suffit d'observer que, comme il est constaté ci-dessus au point 108, la Commission, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, n'est pas habilitée à se prononcer sur l'organisation et l'étendue des missions de service public incombant à une entreprise publique ni sur l'opportunité des choix politiques décidés à cet égard par les autorités compétentes nationales, sous réserve que les activités menées dans les secteurs concurrentiels ne bénéficient pas de l'octroi de l'aide en question et que l'aide versée ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour assurer l'accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à l'entreprise concernée.
193. Le Tribunal considère, par ailleurs, que, contrairement à ce que font valoir les requérants, l'on ne saurait déduire de l'invitation que la Commission a adressée au Gouvernement français, tendant à ce qu'il améliore, pour l'avenir, l'organisation comptable de La Poste, que la Commission aurait reconnu, lors de l'adoption de la décision attaquée, l'existence d'une subvention croisée. En tout état de cause, si l'organisation comptable de La Poste peut être améliorée à l'avenir, dans le sens d'une meilleure transparence de l'affectation des différents coûts, c'est toutefois, comme il est déjà jugé ci-dessus aux points 183 à 189, à bon droit que la Commission, en se fondant sur les données disponibles à l'époque, a considéré que l'octroi de l'avantage fiscal litigieux ne comporte pas de risque de subvention croisée.
194. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la première branche du moyen doit être rejetée.
195. Quant à la seconde branche du moyen, tirée d'une violation de l'article 92 du traité, il est vrai, comme l'ont affirmé les requérants, que la qualification d'une mesure étatique, au regard de l'article 92 du traité, doit être basée sur ses effets sur la concurrence, la Cour ayant jugé que l'article 92 ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions visées, mais les définit en fonction de leurs effets (arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, précité, point 27).
196. Or, le Tribunal considère que ce principe a été suffisamment respecté en l'espèce. Comme la Commission l'a fait valoir à juste titre, elle n'a, en effet, pas simplement tenu compte de l'objectif de l'avantage fiscal litigieux pour exclure qu'il s'agissait d'une aide au sens de l'article 92 du traité. Au contraire, elle a vérifié que le montant global de l'avantage fiscal était inférieur aux surcoûts supportés pour l'exercice des activités de service public, de sorte que l'octroi de cet avantage devait être considéré comme n'étant pas susceptible de produire des effets de subvention croisée au profit des activités concurrentielles.
197. Il résulte de ce qui précède que la seconde branche du moyen, tirée d'une violation de l'article 92 du traité, ne saurait non plus être accueillie.
198. Il s'ensuit que le moyen tiré d'une violation des articles 90, paragraphe 2, et 92 du traité doit être écarté.
199. Bien que la Commission ait considéré, dans la décision attaquée, que, en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité, la mesure étatique en question ne constitue pas une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, contrairement à ce qui a été jugé ci-dessus aux points 167 à 172, le Tribunal considère qu'une telle appréciation, n'ayant aucune influence sur le résultat de l'examen de l'aide en question, ne doit pas entraîner l'annulation de la décision attaquée (voir, dans le même sens, l'arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Günzler Aluminium/Commission, T-75-95, Rec. p. II-497, point 55).
200. Aucun des moyens développés par les requérants n'ayant été retenu, le recours doit être rejeté comme non fondé.
Sur les dépens
201. En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leurs conclusions et la Commission ainsi que la partie intervenante La Poste ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner les requérants aux dépens.
202. Toutefois, la République française, qui est intervenue au litige, supportera ses propres dépens, en application de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête:
1°) Le recours est rejeté.
2°) Les requérants sont condamnés aux dépens de l'instance, y compris les dépens exposés par la partie intervenante La Poste.
3°) La République française supportera ses propres dépens.