CA Paris, 25e ch. A, 14 septembre 2001, n° 1999-24622
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Les Impressions Steve (SARL)
Défendeur :
Epson France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault
Conseillers :
Mme Bernard, M. Picques
Avoués :
Me Mut, SCP Verdun
Avocats :
Mes Aulibe Istin, Berthault.
Reprochant à la société Ivain de lui avoir vendu, suivant facture du 8 septembre 1998, une imprimante Epson type Stylus Color 3000 défectueuse, et à la société Epson France (ci-après société Epson) fabricant de ce matériel, d'avoir manqué à son obligation de garantie, la société Impression Steve les a assignées le 17 décembre 1998 aux fins de voir prononcer la résiliation (sic) de la vente, et de voir condamner la société Epson, avec exécution provisoire, à lui payer 13 700 F, prix de l'imprimante ainsi que 2 242,05 F représentant les consommables, outre 161 725 F de dommages-intérêts au titre du préjudice commercial subi du fait de l'annulation des commandes, 150 000 F de dommages-intérêts pour atteinte à son image de marque et perte d'un marché envisagé 20 000 F pour résistance abusive, et 20 000 F pour ses frais irrépétibles.
La société Epson a conclu au rejet des demandes, demandant la condamnation de la société Impression Steve à lui payer 15 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. La société Ivain n'a pas comparu.
Par jugement réputé contradictoire, le Tribunal de commerce de Meaux:
- a débouté la société Impression Steve de ses demandes et lui a ordonné de restituer le matériel contre remboursement de 15 942 F,
- a ordonné l'exécution provisoire,
- a condamné la société Impression Steve à payer à la société Epson 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Impression Steve a interjeté appel de ce jugement à l'encontre de la société Epson, et dans ses dernières écritures déposées le 14 mars 2001, auxquelles il est renvoyé, expose que l'imprimante acquise auprès de la société Ivain et livrée le 11 septembre 1998 a présenté des problèmes de fonctionnement dès le 13 septembre 1998, que ces difficultés ont perduré malgré le remplacement de la disquette d'installation, que cette imprimante a été reprise le 21 septembre 1998 pour réparation par un technicien de la société Begelec mandataire de la société Epson pour la maintenance de ses produits, et jamais restituée par la suite, qu'une nouvelle imprimante, adressée par la société Epson à la société Begelec, également défectueuse, ne lui a jamais été livrée, que le caractère défectueux de l'imprimante vendue le 11 septembre 1998 a été confirmé suivant constat dressé le 27 octobre 1998 par Maître Godard huissier de justice, qu'enfin la société Epson a admis par lettre du 28 octobre 1998 avoir livré un matériel inutilisable et reconnu avoir commis une faute engageant sa responsabilité.
Elle demande à la cour:
- de confirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Epson à lui payer 15 942 F,
- de l'infirmer pour le surplus,
- de constater que la société Epson est responsable en sa qualité de producteur des dommages causés par les défauts de son produit, qu'elle soit ou non liée par un contrat avec la victime, et ce sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil,
- de dire qu'elle a également engagé sa responsabilité contractuelle, l'imprimante litigieuse étant sous garantie constructeur et faisant l'objet d'une garantie de trois ans, et l'imprimante de remplacement présentant les mêmes défauts,
- de dire que la société Epson ou ses mandataires sont en possession de l'imprimante Stylus Color 3000 vendue le 11 septembre 1998 et qu'il n'y a pas lieu à restitution,
- de condamner la société Epson à lui payer 161 725 F augmentés de la TVA en réparation du préjudice né de l'annulation des commandes, 150 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à son image et de la perte du marché envisagé,
- subsidiairement, d'ordonner une expertise pour apprécier les préjudices subis,
- de condamner la société Epson à lui payer 20 000 F pour ses frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Epson, intimée, réplique dans ses dernières écritures déposées le 23 mai 2001, auxquelles il est renvoyé, que l'article 1386-1 du Code civil invoqué par la société Impression Steve est inapplicable en l'espèce, ses dispositions ayant pour objet de réparer les dommages causés par un produit dangereux pour les personnes ou les biens, l'imprimante litigieuse ne pouvant être déclarée défectueuse au sens de cet article, et les préjudices allégués par l'appelante n'entrant pas dans les dommages réparables sur le fondement de ces dispositions.
Elle ajoute que l'imprimante vendue à la société Impression Steve bénéficiait uniquement, outre la garantie due par le vendeur la société Ivain, d'une garantie constructeur qui a été pleinement satisfaite en l'espèce, les dysfonctionnements dénoncés par la société Impression Steve résultant en réalité de l'inadaptation de ce matériel à l'usage qu'elle voulait en faire, et elle-même ayant en tout état de cause parfaitement exécuté ses obligations nées de la garantie constructeur, en acceptant l'échange de l'imprimante et sa reprise, puis la résolution de la vente contre remboursement de l'imprimante ainsi que des consommables bien qu'ils soient en principe non garantis.
Elle demande à la cour:
- de confirmer la décision entreprise,
- de lui donner acte de ce que l'imprimante vendue le 11 septembre 1998 lui a été restituée et de constater qu'elle-même est dans l'attente de la facture de 15 942 F devant être établie par la société Impression Steve pour payer cette somme,
- de débouter la société Impression Steve de toutes ses demandes visant à l'obtention de dommages-intérêts, subsidiairement de dire que son préjudice ne peut dépasser 1 840,33 F,
- de la condamner à lui payer 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Sur ce,
Sur l'application de l'article 1386-1 du Code civil
Considérant qu'il résulte des dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil, instaurant une responsabilité objective pesant sur le producteur de produits défectueux, que les produits en cause doivent avoir porté une atteinte à la sécurité d'une personne ou d'un bien autre que le produit lui-même ; que les griefs soulevés par la société Impression Steve à l'encontre de l'imprimante Stylus Color 3000 vendue le 11 septembre 1998 concernent des vices de fonctionnement qui affecteraient cet appareil, aucune atteinte à la sécurité n'ayant jamais été évoquée par l'appelante dans ses écritures;
Que dès lors ces dispositions ne sont pas applicables en l'espèce;
Sur la responsabilité contractuelle de la société Epson
Considérant que la société Impression Steve se fonde sur la garantie constructeur consentie par le fabricant pour soutenir que la société Epson avait l'obligation de garantir le bon fonctionnement de la machine, en application des dispositions de l'article 1142 du Code civil ; qu'il est constant que l'appelante n'a engagé aucune action directe contre le fabricant au titre des vices affectant la chose vendue la rendant impropre à l'usage auquel elle était destinée;
Considérant que l'imprimante Epson Stylus Color 3000 qui lui a été vendue était assortie d'une "garantie constructeur" valable pendant un an à compter de la date d'achat, selon la carte de garantie versée aux débats par la société Epson ; que la société Impression Steve, qui soutient que cette garantie était portée à trois ans, n' en justifie pas ; que la garantie accordée par Epson dite "garantie européenne", recouvre la réception de l'équipement pour sa remise en état, le coût des pièces et de la main d'œuvre dans les conditions d'acceptation de la garantie Epson"; qu'elle couvre le produit lui-même ainsi que les divers éléments le constituant s'ils sont d'origine Epson; qu'il est précisé que cette garantie ne s'étend pas aux consommables;
Considérant que la société Impression Steve, qui a pour activité les travaux d'imprimerie sous toutes ses formes, déclare avoir recherché un équipement lui permettant de créer des modèles de documents en impression couleur qui par la suite seraient reproduits par un photocopieur couleur ; que le dépliant publicitaire présentant l'imprimante litigieuse mentionne notamment sa parfaite adaptation aux applications CAO/DAO et PAO, qui en font "la partenaire idéale des designers, architectes, paysagistes et autres professionnels des arts graphiques", ainsi que ses "couleurs éblouissantes et noir "laser" même sur papier ordinaire";
Qu'il est constant que l'imprimante livrée le 11 septembre 1998 a été reprise dès le 21 septembre 1998 pour réparation par la société Begelec mandataire de la société Epson, le bon d'intervention de cette société de maintenance spécialisée mentionnant "effet de banding"; que ces anomalies ont été confirmées par les essais effectués par un technicien de la société Ivain, relatés dans le constat dressé le 27 octobre 1998 par Maître Godard huissier de justice dans les locaux de cette société; qu'il n'est pas contesté que l'imprimante proposée en échange standard par la société Epson à la société Impression Steve suivant lettre du 8 octobre 1998 n'a pas davantage donné satisfaction; que la société Epson, qui déclare que la société Impression Steve n'aurait pas utilisé ces appareils dans des conditions normales, n'en justifie pas ; qu'il convient d'observer qu'elle était, en tout état de cause, tenue en sa qualité de fabricant du matériel choisi, d'apporter ses conseils à l'utilisateur de ce matériel, en tous cas dès qu'elle était informée des difficultés rencontrées par lui ; que la société Impression Steve est dès lors bien fondée à demander réparation du préjudice occasionné par ces dysfonctionnements renouvelés;
Considérant que la société Epson qui ne conteste pas être en possession de l'imprimante litigieuse depuis le 21 septembre 1998, offre comme elle le proposait dès le 28 octobre 1998, de rembourser le prix payé par la société Impression Steve ainsi que le prix des consommables, soit au total 15 942 F;
Considérant que la société Impression Steve demande en outre des dommages-intérêts en réparation du manque à gagner résultant de l'annulation des commandes de ses clients soit une perte de chiffre d'affaires de 161 725 F, et 150 000 F en réparation de l'atteinte à son image et de la perte du marché dont elle avait espéré conquérir une part substantielle;
Mais considérant que le préjudice subi par la société Impression Steve au titre de l'annulation de ses commandes ne peut concerner que sa perte de marge; que les éléments comptables succincts qu'elle verse aux débats font ressortir un résultat net moyen de 1,55 % par rapport à son chiffre d'affaires, sa perte de marge sur les commandes annulées s'élevant dès lors à 2 500 F ; que l'appelante, qui déclare elle-même dans ses écritures que le marché sur lequel elle comptait s'implanter était un marché "envisagé", ne peut se plaindre que d'une perte de chance, ainsi que d'une perte d'image que la cour évaluera globalement à 10 000 F;
Considérant qu'il convient d'infirmer la décision entreprise;
Qu'il est équitable que la société Impression Steve soit indemnisée de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel;
Par ces motifs, Infirme la décision entreprise, et statuant à nouveau, Donne à la société Epson l'acte requis, La condamne à payer à la société Impression Steve 28 442 F (4 335,95 euros) à titre de restitution et de dommages-intérêts, ainsi que 10 000 F (1 524,49 euros) pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, Condamne la société Epson aux dépens de première instance et d'appel, Admet Maître Nut, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.