CE, 4e et 6e sous-sect. réunies, 5 mars 2003, n° 225470
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Immaldi et Compagnie (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
Mme Picard
Avocats :
SCP Defrenois, Levis.
LE CONSEIL: - Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 septembre 2000 et 26 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société en nom collectif Immaldi et Compagnie, dont le siège social est 13, rue Clément Ader, Parc d'activités de la Goële à Dammartin-en-Goële (77230), représentée par son gérant en exercice; la société Immaldi et Compagnie demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 27 juin 2000 par laquelle la commission nationale d'équipement commercial a rejeté son recours dirigé contre la décision du 8 octobre 1999 par laquelle la commission départementale d'équipement commercial du Nord a rejeté sa demande d'autorisation de création d'un magasin à l'enseigne Aldi d'une surface de vente de 750 m à Férin dans le département du Nord; - Vu les autres pièces du dossier; - Vu le traité du 25 mars 1957 modifié instituant la Communauté européenne; - Vu la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat modifiée notamment par la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996; - Vu le décret n° 93-306 du 9 mars 1993 modifié; - Vu le Code de justice administrative; - Après avoir entendu en séance publique: - le rapport de Mme Picard, Maître des Requêtes, - les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société Immaldi et Compagnie, - les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement;
Considérant que la décision attaquée, refusant à la société Immaldi et Compagnie l'autorisation de créer un magasin à l'enseigne Aldi d'une surface de vente de 750 m dans la commune de Férin (Nord), comporte l'énoncé des éléments de fait et de droit sur lesquels la commission nationale d'équipement commercial s'est fondée; que celle-ci n'est pas tenue de se prononcer sur chacun des critères fixés par l'article 28 de la loi du 27 décembre 1973; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait insuffisamment motivée;
Considérant qu'aux termes de l'article 43 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne: "Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre. La liberté d'établissement comporte (...) la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres établissements (...)"; qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973, dont les dispositions soumettent à autorisation notamment la création ou l'extension de commerces de détail d'une surface de vente supérieure à 300 m, "Les pouvoirs publics veillent à ce que l'essor du commerce et de l'artisanat permette l'expansion de toutes les formes d'entreprises (...), en évitant qu'une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l'écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l'emploi./ Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre ville et dans les zones de redynamisation urbaine./ Ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés";
Considérant qu'il résulte de l'article 43 CE du traité, tel que l'a interprété la Cour de justice des Communautés européennes, notamment dans l'arrêt Reinhard Gebhard (aff. C-55-94 du 30 novembre 1995), que "les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité doivent remplir quatre conditions: qu'elles s'appliquent de manière non discriminatoire, qu'elles se justifient par des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre"; qu'à cet égard, il incombe au juge national de se prononcer au vu des modalités concrètes d'application de la réglementation contestée devant lui;
Considérant que les dispositions ci-dessus rappelées, qui soumettent notamment l'implantation ou l'extension de certains commerces de détail d'une surface de plus de 300 m2 à une autorisation délivrée par la commission départementale d'équipement commercial et sur recours, par la commission nationale d'équipement commercial, sous le contrôle du juge, si elles n'instaurent pas d'inégalité de traitement, directe ou indirecte, susceptible de défavoriser les entreprises ayant leur siège dans d'autres Etats membres de la Communauté européenne, dès lors qu'elles s'appliquent indistinctement à toutes les personnes susceptibles d'exploiter un équipement commercial de ce type, quelle que soit leur nationalité, peuvent cependant, être de nature à limiter, pour les ressortissants d'un des Etats membres de la Communauté européenne ou installés à l'intérieur de celle-ci, la liberté d'établissement;
Considérant, toutefois, que les limitations à l'implantation ou l'extension de commerces de détail qui peuvent découler de la mise en œuvre de ces dispositions répondent à des motifs d'intérêt général, liés notamment à la préservation des petites entreprises, à l'emploi et à l'aménagement du territoire; que ces motifs constituent des raisons impérieuses d'intérêt général de nature à justifier une limitation à la liberté d'établissement;
Considérant qu'eu égard à l'apparition de nouvelles formes de distribution, et notamment des magasins de "maxi-discompte" disposant de surfaces de vente limitées, la fixation à 300 m2 du seuil au-delà duquel l'autorisation est requise apparaît nécessaire et proportionnée aux objectifs que poursuivent ces dispositions; que l'autorisation requise pour implanter un magasin de maxi-discompte ne révèle ainsi ni par elle-même, ni par les modalités concrètes de sa mise en œuvre, de mesures allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle, que, contrairement à ce qui est soutenu par la société Immaldi et Compagnie, la loi du 27 décembre 1973 n'est pas incompatible avec l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne tel qu'interprété par cette Cour;
Considérant qu'aux termes de l'article 81 CE du traité du 25 mars 1957: "Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ()";
Considérant que les autorisations de création ou d'extension de magasins de commerce de détail d'une surface de vente supérieure à 300 m sont accordées par une commission départementale d'équipement commercial, présidée par le préfet, qui est composée, aux termes de l'article 30 de la loi du 27 décembre 1973 modifiée, de trois élus et de trois personnalités, dont le Président de la chambre de commerce et d'industrie dont la circonscription territoriale comprend la commune d'implantation, le Président de la chambre des métiers et un représentant des associations de consommateurs; que les décisions de la commission départementale peuvent faire l'objet d'un recours devant la commission nationale d'équipement commercial, qui est composée, en vertu de l'article 33 de la même loi, d'un membre du Conseil d'Etat, Président, d'un membre de la Cour des comptes, d'un membre de l'inspection générale des finances, d'un membre du corps des inspecteurs généraux de l'équipement et de quatre personnalités désignées pour leur compétence en matière de distribution, de consommation, d'aménagement du territoire ou d'emploi à raison d'une par le Président de l'Assemblée nationale, une par le Président du Sénat, une par le ministre chargé du Commerce et une par le ministre chargé de l'Emploi;
Considérant qu'eu égard à la composition et aux conditions de fonctionnement des commissions d'équipement commercial, les décisions qu'elles prennent ne peuvent être regardées comme des ententes entre entreprises, que les pouvoirs publics auraient imposées ou favorisées ou dont ils auraient renforcé les effets; que les commissions départementales et la commission nationale d'équipement commercial sont des organes de l'Etat, dont les décisions, fondées sur les critères fixés par le législateur, sont soumises au contrôle du juge administratif; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les pouvoirs publics auraient délégué leurs compétences à des opérateurs économiques privés en méconnaissance de l'article 81 CE du traité ci-dessus rappelé;
Considérant que si la requérante a également entendu invoquer l'incompatibilité de ces dispositions avec l'article 82 CE du même traité, ce moyen n'est assorti d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait été prise sur le fondement de dispositions incompatibles avec les stipulations des articles 81 et 82 du traité du 25 mars 1957;
Considérant, enfin, qu'en tenant compte, pour apprécier les effets du projet qui lui était soumis sur l'équipement commercial de la zone de chalandise, du nombre et de la surface des magasins de détail à prédominance alimentaire sans se limiter à l'examen de la situation des établissements de "maxi-discompte", la commission nationale d'équipement commerciale