CA Douai, 4e ch., 11 mars 1993, n° 268
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Zarlenga, Estran-Reignoux, Vandenbergue, Mayeur
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Courdent
Conseillers :
M. Thery, Mme Parenty
Avocats :
Mes Bony, Dubreuil, Touchard
LA COUR,
I) Sur la procédure
Le 28 février 1992 le Tribunal correctionnel de Douai 1°) a condamné Nicole P, épouse L, et son mari Pierre L à un an d'emprisonnement avec sursis et 100 000 F d'amende pour avoir dans l'arrondissement de Douai et sur le territoire national entre le 1er janvier 1986 et le 9 août 1990 et dans les conditions qu'il a précisées, a) effectué illicitement à titre de profession habituelle des opérations de banque, b) contrevenu aux dispositions des articles 2,3, 4 et 5 de la loi du 22 décembre 1972 en pratiquant ou en faisant pratiquer sans respecter les obligations prévues par cette loi le démarchage au domicile de particuliers, 2°) a ordonné la publication du jugement par extrait aux frais des condamnés dans "La Voix du Nord" et "50 Millions de consommateurs" en limitant le coût de chaque publication à 2 000 F et son affichage aux portes de leur entrepôt, 3°) a condamné les époux L à payer a) 2 500 F à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral à chacune des parties civiles suivantes, Vincent Zarlenga, Elisabeth Estran-Reignoux, René Vandemberghe et Gérard Gatine b) 1 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral à Myriam Mayeur, c) 2 500 F en application de l'article 475-1 du CPP à René Vandemberghe, 4°) a déclaré irrecevable en raison de leur de leur indétermination les demandes des parties-civiles Michelle Gernez-Ruffin et André Dubreuil et en raison de leur absence de lien avec les infractions commises par les époux L celles de Brigitte Bonan et de Jean Cheron.
Le 28 février 1992 ce jugement a fait l'objet d'appels réguliers des prévenus sur ses dispositions pénales et civiles puis du Procureur de la République sur ses dispositions pénales.
II) Sur les délits reprochés aux époux L et les motifs de la décision
A) Sur l'exercice de la profession de banquier:
La cour se réfère aux motifs des premiers juges en ce qui concerne le délit consistant à avoir effectué à titre de profession habituelle des opérations de banque en y ajoutant les précisions suivantes: les époux L recevaient en contrepartie des chèques remis par les marchands forains une commission de 3, voire de 5 % de leur montant exigeaient d'eux un billet d'engagement de remboursement dans le cas où ils seraient impayés faute de provision ; Mme L n'a pas contesté, ce qui illustre l'importance de ces opérations, la somme de 1 828 399 F, représentant des versements en espèces en échange de chèques pour la période de mai 1985 à avril 1986.
L'un des conseils des prévenus a demandé à la cour de les relaxer pour ce délit soutenant qu'il n'était pas légalement établi. Il a rappelé les opérations de banque prévues par la loi du 24 janvier 1984 et a conclu que les faits reprochés au époux L ne pouvaient être considérés ni comme des opérations de fonds reçus du public qui suppose le droit d'en disposer pour son propre compte, mais à charge de les restituer, ni comme la mise à la disposition de leur clientèle de moyens de payement ou de gestion de ces moyens qui permettent à toute personne de transférer des fonds, ni comme des opérations de crédit qui semblent seules avoir été envisagées par la prévention ; à ce sujet ces opérations supposent deux conditions qui ne sont pas réunies en l'espèce un certain temps entre la mise des fonds à la disposition des clients et leur restitution et l'acceptation par ceux qui y procèdent du risque de ne pas être remboursés à l'issue des opérations.
Effectivement, les époux L n'ont pas procédé à des opérations de crédit dans leurs relation avec les marchands forains qui négociaient les meubles provenant de la SA Daris mais la prévention est plus large puisqu'il leur est reproché par l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction d'avoir 'illicitement effectué à titre de profession habituelle des opérations de banque, notamment des opérations de crédit...".
Dans la présente affaire il résulte de l'in formation et notamment de leurs aveux des charges suffisantes d'avoir effectué à titre de profession habituelle la gestion à titre onéreux de moyens de payement, c'est à dire des chèques qui leur étaient remis par les marchands forains, En effet ils leur en remettaient la contrepartie en argent liquide sous la condition mentionnée ci-dessus et moyennant une commission et les encaissaient pour le compte de leur société.
Ce premier délit est donc établi à leur encontre.
B) Sur les infractions à la loi sur le démarchage à domicile.
La cour se réfère à l'exposé des faits des premiers juges. Elle y ajoutera les précisions qui résulteront de ses réponses aux conclusions du conseil des époux L et un motif supplémentaire au sujet de leur culpabilité.
Leur conseil soutient d'abord que la plupart de ces délits sont prescrits, ou n'entrent pas dans le cadre de la prévention.
Sur le premier point le délit de démarchage à domicile est effectivement prescrit, à défaut d'un acte d'instruction ou de poursuite moins de trois ans depuis qu'ils ont été commis à l'égard de Mme Marchal, née Monique Collet, de Mme Cartigny née Maryvonne Duthieuw, et de Jean-Claude Mauroy.
Il convient de constater pour ces délits l'extinction de l'action publique.
Sur le second point, la défense soutient que la prévention ne vise pas les délits que les prévenus auraient commis courant 1985 puisqu'elle est relative à la période du 1er janvier 1986 au 9 août 1990.
La cour ne retiendra pas cette argumentation.
En effet la prévention indique ensuite les personnes qui auraient été victimes du démarchage à domicile, les délits ayant été commis pour certaines d'entre-elles courant 1985.
Cette divergence constitue une simple erreur matérielle et n'a entraîné aucun préjudice aux époux L qui ne pouvaient pas avoir de doute sur la portée de la prévention.
Par ailleurs il convient de les relaxer pour le démarchage à domicile à l'égard d'André Dureuil qui le 15 juillet 1986 a acheté des meubles sur un marché à un marchand ambulant et de Laurent Henot qui était un salarié de la société Danis.
Pour les autres faits le conseil des époux L ne conteste pas, ce qui est établi par l'information, que les marchands forains qui vendaient à des particuliers les meubles de la société DARIS n'ont pas respecté la loi sur le démarchage à domicilemais soutient au principal que les délits ne sont pas légalement constitués à défaut d'un lien de subordination entre les époux L et ces marchands et subsidiairement que cette loi n'est pas applicable à ces derniers si l'or se réfère à son article 8 II a.
L'argumentation principale ne peut pas être retenue.
En effet le tribunal de Douai a relevé plusieurs éléments concordants qui lui ont permis de conclure à bon droit qu'il existait entre les prévenus et les marchands forains un lien de subordination et de dépendance et que prévenus avaient donc fait pratiquer le démarchage à domicile dans des conditions réprimées par l'article 5 de la loi du 22 septembre 1972.
Ce lien de dépendance est confirmé par le comportement des prévenus lorsque des incidents de payement se produisaient avec les acheteurs de meubles de leur société.
En effet, les marchands forains qui auraient dû intervenir s'ils avaient agi comme le soutient la défense à titre indépendant ne le faisaient pas et c'était les époux L eux-mêmes qui, soit déposaient plainte contre les acheteurs soit les menaçaient de poursuites correctionnelles.
Sur le non-application dans la présente affaire de la loi sur le démarchage à domicile, l'article 8 II a (en réalité 8 I a) ne peut pas être invoqué par les prévenus pour soutenir que les délits ne sont pas établis.
Ce texte dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 juin 1981 et donc en vigueur lors des faits était en effet le suivant "Ne sont pas soumis aux dispositions des articles 1 à b a) les ventes à domicile de denrées ou de produits de consommation courante faites par des professionnels ou leurs préposés au cours de tournées fréquentes ou périodiques dans l'agglomération où est installé leur établissement.., ainsi que par les personnes titulaires de l'un des titres de circulation prévus par la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe".
C) Sur la peine et les dispositions civiles
En raison de la nature et de la gravité des infractions commises par les prévenus mais avec le souci également de ne pas leur interdire l'exercice d'une profession commerciale il convient de les condamner avec le bénéfice des circonstances atténuantes à une, forte amende.
René Vandemberghe a demandé à la cour, par conclusions déposées à l'audience, de confirmer les dispositions civiles du jugement et de condamner les époux L à lui payer la somme supplémentaire de 3 500 F en application de l'article 475-1 du CPP.
Myriam Mayeur a demandé la confirmation du jugement.
Le Tribunal de Douai a exactement apprécié leur préjudice au vu de leurs demandes, du dossier, des pièces qu'ils ont produites et des débats.
Par ailleurs il convient d'accorder à René Vandemberghe la somme complémentaire de 1 000 F au titre des frais irrépétibles.
Les premiers juges ont également fait une exacte appréciation du préjudice des autres parties civiles.
Par ces motifs: Statuant publiquement, dans les limites de l'appel, contradictoirement à l'égard des prévenus et d'Elisabeth Estran-Reignoux, René Vandemberghe et Myriam Mayeur et par défaut à l'égard de Vincent Zarlenga et de Gérard Gatine, les prévenus ayant eu la parole les derniers; Relaxe les époux L pour délit de démarchage à domicile commis au préjudice d'André Dureuil et de Laurent Henot; Déclare l'action publique éteinte pour ce délit qui leur était reproché au préjudice de Mme Marchal, née Monique Collet, Mme Cartigny, née Maryvonne Duthieuw, et de Jean-claude Mauroy; Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité pour le surplus et les dispositions civile; Le réformant quant à la peine; Condamne Pierre L et Nicole P épouse L chacun à 200 000 F d'amende; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné.