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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 6 mai 2003, n° 99-09720

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rode

Défendeur :

Chanel (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Croze

Conseillers :

M. Fohlen, M. Jacquot

Avoués :

SCP Sider, SCP Blanc-Amsellem-Mimran

Avocats :

Mes Bressye-Delaure, Voisin-Moncho, Sévère.

T. com. Nanterre, du 15 mai 1996

15 mai 1996

Exposé du Litige

Monika Rode, exploitant la parfumerie "Grand Jardin" à Vence a été distributeur agréé des parfums Chanel du 1er avril 1991 au 11 septembre 1995. Selon jugement du 15 mai 1996 le Tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la résiliation de la convention liant les parties aux torts de Monika Rode. Après avoir fait constater que celle-ci poursuivait sans autorisation la vente de ses produits, la société Chanel l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Grasse qui par jugement contradictoire du 25 janvier 1999 a:

- constaté que Monika Rode a conservé une partie du stock de produits Chanel aux fins de revente et ce faisant a engagé sa responsabilité contractuelle;

- condamné Monika Rode à payer à la société Chanel la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts;

- interdit à Monika Rode d'acheter et de vendre des produits Chanel sous astreinte de 2 000 F par produit détenu, acquis ou revendu en infraction;

- autorisé la publication du jugement ou de son résumé dans Nice-Matin et le Figaro dans la limite de 15 000 F HT.

Monika Rode est appelante de ce jugement selon, déclaration du 13 avril 1999. Dans ses conclusions uniques d'appel notifiées le 11 août 1999, elle soutient que:

- nonobstant l'appel, la société Chanel a fait publier dans la presse le jugement déféré alors qu'il n'était pas assorti de l'exécution provisoire;

- elle n'a pas produit le contrat de distribution sélective dont elle se prévaut et c'est donc à tort que le tribunal de commerce à retenu un manquement à des obligations contractuelles;

- la revente d'articles par un distributeur non-agréé ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale;

- la vente critiquée est un acte isolé et la société Chanel ne justifie pas de son préjudice qu'elle évalue à 50 000 F;

- l'astreinte prononcée est tout autant injustifiée dès lors qu'elle ne détient plus de produits Chanel.

Monika Rode sollicite ainsi l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société Chanel au paiement de la somme de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Selon conclusions responsives du 18 février 2003, la société Chanel s'y oppose et conclut à la confirmation du jugement sauf à porter les dommages-intérêts alloués à la somme de 10 000 euros et à condamner l'appelante au remboursement des frais de constats établis par les huissiers Zonino et Nadjar. Elle fait valoir que:

- son réseau de distribution sélective est licite;

- Monika Rode n'a pas restitué l'intégralité du stock à la fin du contrat et n'a pas cessé la vente des produits Chanel, contrairement aux obligations souscrites;

- il ne s'agit pas d'un acte isolé au regard du second procès-verbal de constat établi le 3 décembre 2002;

- Monika Rode s'est approvisionnée auprès de deux distributeurs agréés et s'est ainsi rendue complice de la violation de leurs contrats;

- il s'agit d'actes de concurrence déloyale dans la mesure où Monika Rode vend des produits de la marque sans être sujette aux contraintes imposées aux distributeurs agréés;

- le préjudice est constitué par une atteinte au prestige de la marque et la nécessité de mobiliser des moyens constants pour en assurer la défense.

La société Chanel réclame enfin paiement d'une indemnité de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue en cet état de la procédure le 13 mars 2003.

Discussion

Les parties ne discutent pas de la recevabilité de l'appel. La cour ne relevant aucun élément pouvant constituer une fin de non-recevoir susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable,

Sur les ventes litigeuses:

Le long exposé de la société Chanel assorti du rappel d'une jurisprudence abondante, y compris celle de la présente cour, sur la licéité de son circuit de distribution, est quelque peu théorique puisque Monika Rode ne la critique pas vraiment et a seulement reproché à l'intimée de ne pas avoir produit au débat le contrat de distribution servant de fondement à son action. Cette production a été opérée le 18 février 2003 et n'a suscité aucune réplique de l'appelante. Par ailleurs, en sa qualité d'ancien distributeur agréé, Monika Rode ne pouvait sérieusement ignorer les termes du contrat résilié par le Tribunal de commerce de Nanterre dans sa décision précitée du 15 mai 1996 ayant acquis aujourd'hui l'autorité de la chose jugée.

Aux termes du contrat souscrit par elle le 15 octobre 1995, l'appelante était tenue de restituer les stocks en sa possession [la société Chanel s'obligeant elle-même à les reprendre] et à cesser la commercialisation des produits de la marque. Or le procès-verbal établi le 19 novembre 1997 par Me Zonino, Huissier de justice à Saint-Laurent du Var montre qu'une cliente a pu acquérir trois produits Chanel dont l'examen des codes-barres de l'un d'entre eux indique qu'il a été fabriqué en 1994 et provient nécessairement du stock alors fourni à Monika Rode et que les deux autres fabriqués en 1996 et 1997 ont été acquis postérieurement à la résiliation du contrat de 1995.

Un second procès-verbal établi le 3 décembre 2002, soit en cours de procédure, montre enfin que Monika Rode poursuit la commercialisation des produits Chanel. C'est donc à bon droit que la société Chanel considère que Monika Rode a commis une faute contractuelle en ne restituant pas l'intégralité du stock et une faute délictuelle en s'approvisionnant auprès de distributeurs de la marque.

C'est aussi en vain que Monika Rode soutient que la revente de produits par un distributeur non-agréé n'est pas en soi un acte de concurrence déloyale au regard justement de son ancienne qualité de distributeur qui l'a constitue tout particulièrement de mauvaise foi. En effet elle ne peut nullement ignorer que la vente de ces produits intervient dans un environnement particulier selon des critères de qualité définis par la marque et concernant la démonstration, le stockage, la présentation, le distributeur agréé étant tenu par ailleurs de réaliser un certain chiffre d'affaires

Parallèlement à ces obligations la société Chanel participe aux frais de publicité et d'enseigne, de ventes promotionnelles, assure la formation des revendeurs et de leurs employés etc...

En se rendant complice de la violation d'un contrat de distribution en s'approvisionnant chez un distributeur agréé, Monika Rode a donc bien commis une faute constitutive d'un acte de concurrence déloyale. Ce principe est d'ailleurs consacré par les nouvelles dispositions de l'article L. 442-6-I-6 du Code de commerce.

Le préjudice n'est pas plus discutable puisqu'ainsi qu'il a été dit la société Chanel supporte des frais constants pour le maintien et le développement de son réseau. Selon attestations du commissaire aux comptes, ces investissements sont particulièrement lourds car ils sont passés de 77 089 119 euros en 1997 à 91 165 745 euros en 2001 et sont ruinés par des comportements parasitaires tels que celui adopté par Monika Rode, contraignant la société Chanel à engager de multiples procédures pour assurer la défense de sa marque.

Il n'est pas indifférent non plus de noter que Monika Rode, malgré le contentieux existant entre les parties, a poursuivi délibérément ses agissements. Le préjudice subi peut donc être évalué à la somme de 7 650 euros au regard de l'ensemble de ces éléments.

Sur les demandes annexes:

L'appelante relève que la publication du jugement de première instance a été réalisée par la société Chanel sans tenir compte de son recours. Mais dès lors qu'elle n'en tire aucune conséquence de droit, la dénonciation de ce fait demeure une protestation de principe. Quoi qu'il en soit cette disposition sera confirmée dans la mesure où la publication est également un mode de réparation du préjudice subi.

L'interdiction de commercialiser les produits Chanel doit aussi être reconduite puisque les procès-verbaux précités ont montré qu'il ne s'agissait nullement d'un acte isolé.

L'équité commande aussi de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Chanel contrainte de comparaître une nouvelle fois en justice pour vaincre la résistance réitérée de l'appelante.

Celle-ci sera enfin condamnée aux dépens qui comprendront le coût des procès-verbaux d'huissiers des 19 novembre 1997 et 3 décembre 2002 (Me Zonino) et 20 décembre 2002 (Me Nadjar).

Par ces motifs, LA COUR: Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel; Confirme le jugement rendu le 25 janvier 1999 par le Tribunal de commerce de Grasse sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts alloués à la société Chanel qui sont fixés à 7 650 euros au lieu de 30 000 F; Condamne Monika Rode à payer à la société Chanel la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne aux dépens qui comprendront le coût des constats dressés par les huissiers Zonino et Nadjar et autorise la société civile professionnelle Philippe Blanc et Colette Amsellem-Mimran, titulaire d'un office d'avoué près la cour, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.