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Décisions

CA Versailles, 11e ch. soc., 21 mars 2001, n° 99-22312

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Comaille

Défendeur :

Solho Création (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bellamy

Conseillers :

M. Lagarde, Mme Bliecq

Avocats :

Mes Zanotto, Boudias, Raineix.

Cons. prud'h. Boulogne-Billancourt, du 1…

19 novembre 1998

Mme Comaille a relevé appel d'un jugement contradictoire du 19 novembre 1998 du Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt qui a condamné la société Solho Création à lui payer les sommes de:

- 100 921,14 F à titre de commissions sur le client Oger,

- 10 092, 11 F à titre de congés payés afférents,

- 15 000 F à titre d'indemnité de préavis,

- 1 500 F à titre de congés payés sur préavis,

- 50 000 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 3 413,01 F à titre de remboursement de frais d'huissier;

et qui a:

- ordonné la société Solho Création de délivrer à Mme Comaille une attestation Assedic rectifiée,

- débouté Mme Comaille du surplus de ses demandes,

- débouté la société Solho Création de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société Solho Création aux dépens.

Mme Comaille a été engagée à compter du 14 février 1994 par la SARL Solho Création en qualité de VRP multicartes,ainsi qu'il en a été jugé d'une manière irrévocable par la Cour d'appel de Versailles par arrêt du 2 avril 1998 confirmant une ordonnance du 28 février 1997 par laquelle la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt s'est déclarée compétente pour statuer sur les demandes en paiement de commissions de Mme Comaille et lui a accordé une provision de 50 000 F.

Mme Comaille a été licenciée pour faute gravepar lettre en date du 22 octobre 1997 et a contesté ce licenciement en saisissant au fond le 12 mars 1997 la juridiction prud'homale.

A l'occasion du contredit de la société Solho Création devant la cour, Mme Comaille a présenté une demande additionnelle pour un montant de 564 651,36 F, plus les congés payés afférents, à titre de commissions sur le client Oger.

Dans son arrêt du 2 avril 1998, la Cour d'appel de Versailles, en confirmant l'ordonnance de référé du 28 février 1997, a rejeté "toutes autres prétentions et demandes des parties".

Devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes, Mme Comaille a demandé la condamnation de son ex-employeur à lui régler, dans le dernier état de ses demandes, les sommes de:

- 564 661,36 F à titre de rappel de commissions,

- 56 466,13 F à titre de congés payés afférents,

- 120 000 F à titre de commissions de retour sur échantillonnages,

- 62 571 F à titre d'indemnité de préavis,

- 6 257,10 F à titre de congés payés sur préavis,

- 350 000 F à titre d'indemnité de clientèle,

- 250 000 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 413 F à titre de frais d'huissier,

- 12 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Solho Création a soulevé l'irrecevabilité des demandes de commissions de Mme Comaille au motif qu'elles avaient été rejetées par la Cour d'appel de Versailles dans son arrêt du 2 avril 1998, et a sollicité à titre reconventionnel la condamnation de Mme Comaille à lui verser les sommes de:

- 50 000 F à titre de remboursement de la provision réglée en exécution de l'ordonnance de référé,

- 10 000F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le conseil a rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Solho Création, en faisant observer que la Cour d'appel de Versailles, dans son arrêt du 2 avril 1998, n'a pas entendu évoquer le fond de l'affaire.

Sur le fond, le conseil a reconnu le droit de Mme Comaille à être commissionnée à hauteur de 10 % sur le client Oger, rejetant la demande de la salariée au titre des commissions de retour sur échantillonnages.

Ecartant toute faute grave de l'intéressée, le conseil a estimé que le licenciement de Mme Comaille était fondé sur un motif réel et sérieux, du fait que, selon les premiers juges, "les relations contractuelles ne pouvaient plus se poursuivre sereinement dans le climat créé par les divergences apparues sur le règlement des commissions".

Vu les conclusions de Mme Comaille, appelante, qui demande à la cour:

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a:

- rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Solho Création,

- condamné la société Solho Création au paiement d'une somme de 3 413,01 F à titre de remboursement des frais d'huissier,

- de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de condamner la société Solho Création à lui verser les sommes suivantes:

* 564 661,36 F à titre de rappel de commissions,

* 56 466,13 F à titre de congés payés afférents,

* 120 000 F à titre de commissions de retour sur échantillonnages,

* 62 571 F à titre d'indemnité de préavis,

* 6 257,10 F à titre de congés payés sur préavis,

* 350 000 F à titre d'indemnité de clientèle,

* 250 000 F à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- d'ordonner à la société Solho Création la production de la facturation concernant le client Mahey pour les années 1994, 1995, 1996 et 1997 sous astreinte de 500 F par jour de retard,

- d'ordonner à la société Solho Création le remise d'une attestation Assedic comportant le rappel de commissions sollicité ainsi qu'un certificat de travail conforme sous astreinte de 500 F par jour de retard,

- de dire que l'ensemble des condamnations seront assorties de l'intérêt de droit décompté depuis le 22 janvier 1997, date de saisine du conseil.

- de condamner la société Solho Création au paiement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions de la société Solho Création, intimée, qui forme appel incident et demande à la cour:

- de déclarer irrecevable et en tout cas mal fondé l'appel de Mme Comaille,

- d'infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt en date du 19 novembre 1998,

- de dire le licenciement de Mme Comaille fondé sur une faute grave,

- de la débouter de ses entières demandes,

- de condamner Mme Comaille à lui rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire tant dans le cadre de la procédure de référé que selon le jugement du Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt du 19 novembre 1998,

- de la condamner en outre à verser à la société Solho Création la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce,

Sur la recevabilité:

Considérant que les premiers juges ont rejeté à juste titre l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Solho Création, en estimant à bon droit que la Cour d'appel de Versailles, statuant en matière de référé, n'avait rendu aucune décision sur le fond;

Considérant qu'il convient d'ajouter que les décisions rendues en matière de référé n'ont pas l'autorité de la chose jugée et ont un caractère provisoire de sorte que les demandes présentées devant le juge des référés ne font pas obstacle à ce que la salariée saisisse le juge du fond des mêmes demandes, et ce, d'autant lorsque, comme en l'espèce, le juge des référés n'a fait qu'accorder une provision sur les sommes demandées, Le terme même de provision confirmant que la cour n'avait rejeté aucune demande de la salariée sur le fond;

Sur les demandes de rappel de commissions

Considérant que, par courrier du 14 février 1994, la société Solho Création a reconnu à Mme Comaille un droit à commission de 10 % sur les modèles spéciaux et de 7 % sur les modèles du catalogue;

Considérant qu'en ce qui concerne plus particulièrement le client Oger, objet de la demande de rappel de commissions, les premiers juges ont estimé à juste titre qu'il convenait d'appliquer le taux de commission de 10 % sur les produits "en blanc", dès lors qu'il s'agissait de commandes spécifiques et que les prix du catalogue confié à Mme Comaille ne portent que sur le "blanc", c'est-à-dire le produit brut sans habillage; que, par suite, il convient de confirmer le rappel de commissions de 100 921,14F, outre les congés payés (10 092,11 F), alloué pour le client Oger, ce montant tenant compte des commissions déjà perçues par Mme Comaille avant son licenciement, à l'exception de la provision de 50 000 F accordée par l'ordonnance de référé;

Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté Mme Comaille de ses demandes concernant le client société Mahey, dès lors que ce client n'était pas dans le secteur de Mme Comaille et qu'au surplus, celle-ci ne justifie d'aucune commande de la part de cette société;

Sur le licenciement:

Considérant que la société Solho Création a notifié son licenciement à Mme Comaille dans les termes suivants:

"Vous n'avez pas jugé bon de vous présenter à l'entretien préalable prévu pour ce 20 octobre.

Nous vous confirmons toutefois notre décision de procéder à votre licenciement pour faute grave aux motifs suivants:

- non-respect des directives de travail: aucun rapport, aucune information sur votre activité,

- absence totale d'activité et de résultats personnels,

- refus de communiquer la liste des cartes pour lesquelles vous travaillez générant une perte de confiance grave.

En conséquence, à la première présentation de cette lettre, vous serez radiée de l'effectif de l'entreprise";

Considérant, d'abord, qu'aucun élément du dossier ne démontre que Mme Comaille n'aurait pas respecté des directives précises que lui aurait données la société Solho Création; qu'en particulier, aucun contrat de travail écrit n'ayant été établi entre les parties, la société Solho Création ne démontre d'aucune manière que Mme Comaille aurait eu l'obligation de présenter régulièrement des rapports d'activité à son employeur;qu'au surplus, les correspondances produites aux débats démontrent que Mme Comaille a informé la société Solho Création de ses activités, justifiant en particulier de ses demandes de commissions sur les ventes réalisées;

Considérant que c'est à tort que la société Solho Création allègue dans la lettre de rupture une absence totale d'activité et de résultats personnels de Mme Comaille; qu'au contraire, celle-ci, qui ne disposait que d'une clientèle très restreinte sur son secteur parisien au moment de son embauche, a développé celle-ci d'une manière conséquente, son chiffre d'affaire atteignant plus de 550 000 F en 1996;

Considérant, enfin, que Mme Comaille n'a nullement refusé de communiquer à la société Solho Création la liste des cartes pour lesquelles elle travaillait par ailleurs puisqu'elle a communiqué à la société intimée, lorsque celle-ci lui en a fait la demande, non seulement copie de sa carte professionnelle de VRP, sur laquelle étaient inscrites les entreprises dont elle assurait la représentation, mais également ses relevés d'affiliation à la caisse des VRP pour les années 1994, 1995 et 1996 et sur lesquels figuraient tous ses employeurs;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces énonciations, qu'aucun des griefs énoncés dans la lettre de rupture précitée n'étant établi, le licenciement de Mme Comaille n'est manifestement pas fondé sur un motif réel et sérieux;

Considérant qu'il s'ensuit qu'en application de l'article L. 122-14-5 du Code du travail, la société Solho Création, employant moins de onze salariés, doit indemniser son ex-salariée du préjudice consécutif à son licenciement;

Considérant que, compte-tenu du montant des commissions perçues par Mme Comaille, y compris le rappel de commissions ci-dessus confirmé par la cour, le tout atteignant environ 60 000 F par an avec les congés payés, soit une moyenne mensuelle de 5 000 F, il y a lieu d'allouer à Mme Comaille une indemnité de 30 000 F, celle-ci n'ayant pas retrouvé de carte de substitution;

Sur les autres demandes

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée une indemnité de préavis de 15 000 F, outre les congés payés (1 500 F), correspondant à trois mois de salaires;

Considérant que les premiers juges ont débouté à bon droit Mme Comaille de sa demande de commissions de retour sur échantillonnage, en l'absence de toute justification produite aux débats;

Considérant qu'il résulte du dossier que Mme Comaille a incontestablement créé et développé une grande partie de la clientèle de son secteur qu'elle a perdu du fait de son licenciement, n'ayant pas retrouvé de carte de substitution; qu'elle est donc fondée, en application de l'article L. 751-9 du Code du travail, à obtenir une indemnité de clientèle que les premiers juges ont exactement fixée à 50 000 F;

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Solho Création à supporter les frais d'huissier pour l'exécution de l'ordonnance de référé du 28 février 1997;

Considérant que la société Solho Création doit supporter les dépens, ainsi que participer aux frais et honoraires non inclus dans les dépens que l'appelante a dû exposer pour faire assurer sa défense;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare les demandes de Mme Corinne Comaille recevables; Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme Corinne Comaille de sa demande de dommages et intérêts; Et, statuant à nouveau, Dit que le licenciement de Mme Corinne Comaille n'est pas fondé sur un motif réel et sérieux; En conséquence, Condamne la SARL Solho Création à payer à Mme Corinne Comaille la somme de 30 000 F (trente mille francs) à titre d'indemnité pour licenciement abusif, outres les intérêts légaux à compter des présent arrêt; Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions; Y ajoutant, Dit que les sommes allouées par le conseil porteront intérêts au taux légal à compter du 12 mars 1997; Ordonne la délivrance à Mme Corinne Comaille d'un certificat de travail conforme; Condamne la SARL Solho Création à payer à Mme Corinne Comaille la somme de 8 000 F (huit mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; DIT que la provision de 50 000 F (cinquante mille francs) accordée par ordonnance de référé devra être, si elle a été réglée, déduite des sommes allouées à Mme Corinne Comaille; Déboute Mme Corinne Comaille du surplus de ses demandes; Condamne la SARL Solho Création aux dépens.