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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 5 septembre 2003, n° 2003-06812

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rue du Commerce (SA)

Défendeur :

Jamo France (SARL), Wysios (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuinat

Conseillers :

M. Seltensperger, Mme Taillandier

Avocats :

Mes Chabert, Delpla, Orlandi.

T. com. Bobigny, ord. réf du 30 janv. 20…

30 janvier 2003

Vu l'appel formé par la SA Rue de Commerce - société de vente sur Internet - contre une ordonnance de référé du 30 janvier 2003 rendue par le Président du Tribunal de commerce de Bobigny qui, statuant sur les demandes que la SARL Jamo France formait contre elle et contre la SARL Wysios, en invoquant le trouble manifestement illicite que lui causerait la vente sur Internet des matériels de haute fidélité qu'elle entend réserver à son réseau de distribution sélective, a:

- ordonné la suppression sur l'ensemble des sites Internet appartenant à la société Rue du Commerce de la référence aux produits Onkyo et Jamo, et ce, sous astreinte de 750 euros par jour de retard, 72 heures après la signification de l'ordonnance, en se réservant la faculté de liquider ladite astreinte;

- dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes plus amples ou contraires (notamment d'ordonner sous astreinte à la société Rue du Commerce de faire mention, sur la page d'ouverture de son site, du dispositif de la décision à intervenir);

- condamné conjointement et solidairement les sociétés Rue du Commerce et Wysios à payer à la société Jamo la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, ces derniers incluant le coût du constat de la SCP Dellatana-Langle, soit un montant de 956,80 euros;

Vu les conclusions du 5 juin 2003 de la SA Rue du Commerce, appelante, qui prie la cour de:

- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée;

- constater:

* l'inopposabilité à son égard du contrat conclu entre les sociétés Jamo et Wysios,

* l'absence de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent subordonnant la compétence du juge des référés,

* l'absence de compétence du juge des référés pour se prononcer sur des approvisionnements effectués auprès de tout autre que la société Wysios;

- en conséquence, infirmer en son intégralité l'ordonnance entreprise et renvoyer la société JAMO à mieux se pourvoir;

- condamner la société Jamo à lui payer la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et en tous les dépens de première instance et d'appel;

Vu les conclusions du 11 juin 2003 de la SARL Jamo France, intimée, qui prie la cour de:

- vu l'existence d'un trouble manifestement illicite causé à Jamo France et à ses distributeurs par la SA Rue du Commerce, débouter cette société de son appel et confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise;

- condamner la SA Rue du Commerce à lui verser la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens d'appel;

Vu les conclusions du 12 juin 2003 de la SARL Wysios, également intimée, qui prie la cour de:

- constater l'existence de contestations sérieuses

- en conséquence, infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise et débouter les sociétés Jamo et Rue du Commerce de leurs demandes plus amples ou contraires;

- condamner la société Jamo au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- condamner tout succombant en tous les dépens de première instance et d'appel;

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que la SARL Jamo France commercialise en France des matériels électro-acoustiques et notamment des enceintes sous les marques Jamo et Onkyo, et ce, par le canal d'un réseau de distribution sélective;

qu'il est constant que la SA Rue du Commerce ne fait pas partie du réseau de distributeurs exclusifs, mais qu'elle propose cependant, sur le site Internet par lequel elle exploite sa propre activité de commercialisation de divers produits par le commerce électronique, des produits de marque Jamo et Onkyo que la société Jamo France entend réserver à son réseau de distributeur exclusif;

que la licéité du réseau de distribution sélective dont se prévaut la SARL Jamo France n'apparaît pas sérieusement contestable au regard de la réglementation européenne autant que nationale, dès lors que les produits concernés présentent une haute technicité dans le domaine de la haute fidélité, qui justifie des conditions de commercialisation particulières afin d'en préserver la qualité et le bon usage, ainsi que le renom;

que, dans ces conditions, le fait que la société Rue du Commerce propose notamment sur son site Internet des ensembles audio home cinéma composés d'un ampli Onkyo TX-SR500 ou TX-SR600 et d'un pack d'enceinte Jamo, qui figurent au catalogue des produits que la société Jamo France réserve à son réseau de distribution sélective, cause à cette société et à ses affiliés un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du nouveau code de procédure civile, en ce que la société Rue de Commerce ne répond pas aux exigences du réseau et porte donc atteinte à l'unité et à l'intégrité de celui-ci, tout en pratiquant des prix nettement plus bas et en se livrant ainsi à une concurrence déloyale;

qu'il importe peu que la société Rue du Commerce se soit approvisionnée auprès de la SARL Wysios, distributeur agréé par Jamo France selon le contrat de distribution propre au réseau, signé par elle le 21 novembre 2001 et dûment versé aux débats (pièce n° 13), dès lors que ce n'est pas la régularité de cet approvisionnement qui est critiquée mais le fait de revendre au public, sans être membre du réseau, les produits ainsi acquis;

que le fait que la société Rue de Commerce justifie également s'être approvisionnée, pour quelques matériels Jamo et Onkyo (cf. pièces n° 11 à 15), auprès d'un fournisseur allemand non membre du réseau, est également inopérant en ce que, même si la sélectivité du réseau s'avère incomplète, le comportement éventuellement critiquable de ce revendeur allemand ne saurait autoriser une autre société à causer, dans le périmètre français protégé par le réseau, un trouble manifestement illicite en venant concurrencer de façon déloyale les distributeurs agréés, puisque sans se conformer aux obligations que ceux-ci ont acceptées en raison des caractéristiques des produits concernés et en parvenant de ce fait à casser les prix, ce qui est patent en l'espèce;

que c'est donc à juste titre que le premier juge, constatant l'effectivité du trouble manifestement illicite invoqué par la société Jamo France, exploitant du réseau de distribution sélective, a pris les mesures propres à faire cesser ce trouble en ordonnant la suppression, sur l'ensemble des sites internet appartenant à la société Rue du Commerce, de la référence aux produits Onkyo et Jamo, et ce, sous une astreinte dont il a exactement fixé le montant et le point de départ;

que la société Rue du Commerce objecte vainement que la société Wysios, auprès de laquelle elle s'est approvisionnée, admet elle-même ne pas remplir les conditions pour être distributeur agréé du réseau de Jamo France, en ce qu'elle a une activité de grossiste et qu'elle n'a jamais possédé de surface commerciale de vente aux particuliers, dès lors que ces points litigieux concernent les rapports de cette société avec la société Jamo France mais sont sans influence sur le trouble manifestement illicite causé à cette société et à son réseau de distribution exclusive par la société Rue du Commerce, étant du reste observé que cette dernière a assigné la société Wysios en intervention forcée devant le premier juge afin d'être garantie de toute éventuelle condamnation et des sommes payées ou à payer, mais que le premier juge n'a pas statué explicitement sur cette demande et a seulement "dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes plus amples ou contraires", tandis qu'aucune critique n'est formulée à cet égard par l'appelante devant la cour;

que la société Rue du Commerce invoque tout aussi en vain le cas de la société Cdiscount dont les pièces du dossier montrent que cette société a effectivement proposé sur son site internet des produits du catalogue Jamo et Onkyo sans être membre du réseau de distribution, dès lors que la société Jamo France justifie qu'elle a aussitôt réagi et assigné la société Cdiscount en référé, devant le Tribunal de commerce de Bordeaux, par acte du 10 juillet 2002, aux fins notamment de lui voir ordonner sous astreinte la suppression, dans l'ensemble de ses sites internet, de la référence aux produits Jamo et Onkyo, et que cette société Cdiscount s'est, par lettre du 15 août 2002, engagée à ne plus commercialiser que des produits hors catalogue des deux marques dont s'agit;

qu'enfin, la liberté du commerce trouve une limite dans les actes de concurrence déloyale que constitue de la part de la société Rue du Commerce le procédé susdécrit;

Considérant que la société Wysios ne peut, quant à elle, valablement invoquer l'existence d'une contestation sérieuse dès lors que cette notion qui subordonne effectivement le pouvoir de la juridiction des référés est cependant expressément écartée par l'alinéa 1er de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile lorsqu'il s'agit de prendre les mesures propres à faire cesser ou à empêcher un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent;

qu'au surplus, la contestation que soulève la société Wysios au regard du lien - contractuel ou non- entre les sociétés Jamo France et Rue du Commerce évoqué par le premier juge dans sa motivation est sans portée, dès lors que le trouble manifestement illicite précédemment décrit est indépendant d'un éventuel lien contractuel entre ces deux sociétés;

que pas davantage le premier juge n'a excédé son pouvoir de statuer en référé en relevant l'existence d'un trouble manifestement illicite, dès lors qu'il ne s'est livré à aucune interprétation du contrat de distribution et a seulement constaté que la société Rue du Commerce vendait des produits réservés au réseau de distribution sélective alors qu'elle n'en faisait pas partie;

qu'en outre, il a été précédemment répondu par le présent arrêt sur l'objection tirée de l'approvisionnement - pour partie - à l'étranger que la société Rue du Commerce a pu effectuer, sans que de ce mode d'approvisionnement effectué dans un autre Etat membre de l'union européenne puisse retirer son caractère manifestement illicite au trouble causé par la revente, en France, des produits par une société non admise dans le réseau de distribution sélective régulièrement organisé dans ce pays;

qu'enfin, le fait que la société Wysios puisse, bien que signataire du contrat de distribution sélective de Jamo France, ne pas remplir certaines conditions requises pour être intégrée au réseau, n'empêche pas que, ayant signé ledit contrat, elle soit tenue d'en respecter les clauses vis-à-vis des tiers susceptibles de venir troubler l'unité et l'intégrité dudit réseau;

que dès lors, c'est également à juste titre que le premier juge a condamné solidairement aux dépens la société Rue de Commerce et la société Wysios, laquelle s'avère avoir manqué à son obligation contractuelle (article 3.2.2 du contrat) en acceptant de vendre des articles du catalogue à un revendeur non autorisé, de même que l'équité a été satisfaite en condamnant également solidairement ces deux sociétés à verser à la société Jamo France une indemnité relative à ses frais de procédure de première instance non compris dans les dépens;

qu'il s'ensuit que l'ordonnance entreprise, qui n'est pas autrement critiquée, doit être confirmée en toutes ses dispositions;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser supporter à la société Jamo France ses frais de procédure d'appel non compris dans les dépens et que, pour la même raison qu'en première instance, il convient de condamner in solidum les sociétés Rue du Commerce et Wysios à lui verser l'indemnité correspondante;

Par ces motifs, Déclare la SA Rue du Commerce mal fondée en son appel et l'en déboute; Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise; Condamne in solidum la SA Rue de Commerce et la SARL Wysios à verser à la SARL Jamo France la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Les condamne également, in solidum, aux dépens d'appel; admet la SCP D'Auriac-Guizard, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

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