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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 21 mai 2003, n° 2001-20390

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Ingrid Millet (SA)

Défendeur :

Scharstedt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Faucher, Picque

Avoués :

SCP Dubiscq-Pellerin, SCP Degroux Brugere, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Dumas, Victor-Granzer.

CA Paris n° 2001-20390

21 mai 2003

Par jugement contradictoire du 9 octobre 2001, Le Tribunal de commerce de Paris a, à la suite de la rupture le 3 janvier 2000, à effet immédiat, du contrat de distribution exclusive de ses produits en Autriche qu'elle avait conclu avec Sigrid Scharstedt

- condamné la société Laboratoires Ingrid Millet (Laboratoires Millet) à payer à cette dernière 76 224,50 euros de dommages-intérêts pour brusque rupture et 3 048,98 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- pris acte de ce que Sigrid Scharstedt tenait à la disposition de la société Laboratoires Millet les produits, objet des factures de fournitures dont le règlement était demandé par cette dernière, qui restaient en stock après la résiliation du contrat de distribution,

- dit que les parties devront se rapprocher pour définir les modalités de la reprise desdits produits par la société Laboratoires Millet qui en a manifesté l'intention et devront s'en rapporter au tribunal en cas de difficulté,

- débouté dans ces conditions la société Laboratoires Millet de sa demande en paiement des factures y afférentes,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Appelante, la société Laboratoires Ingrid Millet prie la cour,

- de confirmer partiellement la décision attaquée en ce qu'elle a débouté Sigrid Scharstedt de ses demandes tendant à constater que la rupture du contrat de distribution conclu entre elles le 23 juin 1995 et renouvelé le 2 avril 1998, est intervenue sans fondement contractuel et sans juste motif et dans des conditions abusives, et la déboutée de ses demandes de dommages-intérêts,

- de l'infirmer en ce qu'il l'a condamnée à lui payer des dommages-intérêts pour brusque rupture, et l'a déboutée de ses demandes en paiement de factures de fournitures et de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice dû à la non-réalisation des minima,

- et statuant à nouveau, de condamner Sigrid Scharstedt à lui payer :

123 026,36 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2001 à titre de dommages-intérêts pour préjudice dû à la non-réalisation des minima,

49 584,18 euros avec intérêts aux taux de base mensuel moyen des banques françaises majoré de 5 % à compter du 1er mars 2000, au titre des factures impayées,

77 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 4 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sigrid Scharstedt, intimée, conclut à titre principal à l'infirmation de la décision entreprise, et demande à la cour de dire que les conditions de la résolution ne sont pas réunies, et de condamner en conséquence la société Laboratoires Millet à lui payer 351 844,50 euros.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de continuer la décision entreprise en ce qu'elle a décidé que la rupture du contrat était intervenue brutalement, et infirmant sur le quantum de l'indemnité qui lui a été allouée, de condamner la société Laboratoires Millet à lui paver 351 844,50 euros au titre d'une indemnité de préavis, et en tout état de cause, de débouter l'appelante de toutes ses demandes reconventionnelles et de la condamner à lui payer 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

Considérant que la société Laboratoires Millet qui fabrique et commercialise en France et à l'étranger des produits esthétiques de haute qualité et de luxe, a confié en 1983 à Sigrid Scharstedt, exploitant en nom personnel sous l'enseigne Mykos, la distribution exclusive de ses produits sur le marché autrichien que ces relations ont été ultérieurement formalisées par un contrat signé le 23 juin 1995, pour une durée de trois ans, ce contrat prévoyant une clause d'achat minimum à la charge du distributeur que par avenant du 3 avril 1998, ce contrat a été renouvelé jusqu'au 13 juin 2001, de nouveaux minima de chiffre d'affaires ayant été fixés ; que par lettre du 3 janvier 2000, la société Laboratoires Millet a notifié à Sigrid Scharsdtedt la résiliation à effet immédiat du contrat, au seul motif de la non-réalisation pour l'année 1999 des seuils minima contractuellement fixés ;

Sur la rupture du contrat

Considérant que Sigrid Scharstedt soutient que la société Laboratoires Millet a rompu le contrat de manière abusive et brutale, les minima contractuellement prévus, qui doivent correspondre en l'absence de définition contractuelle claire et non équivoque aux chiffres de vente du distributeur auprès des détaillants, ayant été atteints ; que la société Laboratoires Millet réplique que la définition des objectifs à atteindre doit s'entendre du chiffre d'affaires réalisé par le distributeur auprès du concédant, et qu'elle constitue une obligation de résultat qui n'a pas été réalisée par Sigrid Millet, ce manquement justifiant la résiliation du contrat ;

Considérant que selon l'article 5-1 du contrat signé le 23 juin 1995, dans sa rédaction en langue française, " le terme chiffre d'affaires net désigne les ventes pour chaque période réalisée par le distributeur auprès de ses clients au prix de gros hors taxes, à l'exclusion des frais de port, d'emballage et d'assurance, ainsi que des taxes et impôts faisant l'objet d'un poste distinct sur les facturations et déduction faite des avoirs pour retour de marchandises et ainsi que des remises, rabais et ristournes accordés " ;

Que selon l'article 6 du contrat, le distributeur s'engage " à titre de conditions impulsives et déterminantes sans lesquelles le propriétaire de la marque n'aurait pas contracté, à ce que ses achats nets tels que définis à l'article 1, atteignent au minimum les montants suivants :

- 1995 : 7 millions Schillings [soit 3 487 384 F]

- 1996 : 8 millions Schillings [soit 3 844 028 F]

- 1997 : 9 millions Schillings [soit 4 310 892 F] ;

Que l'article 19 du contrat prévoit que le contrat "pourra être résilié à tout moment par anticipation", notamment dans le cas où le distributeur manque à son obligation de respecter les objectifs minima d'achat prévus à l'article 6 du contrat ; qu'il est précisé à l'article 16 du contrat, qu'en cas de non-renouvellement ou de résiliation anticipée prévue à l'article 19 du contrat, le distributeur n'aura droit à aucune indemnisation, ni compensation de quelque nature que ce soit ;

Considérant que ce contrat ayant été conclu pour une durée déterminée de trois ans, les parties sont convenues par avenant du 3 juin 1998 de le renouveler pour une nouvelle période de trois ans ;

Que cet avenant rédigé en anglais se borne à modifier la définition des minima requis du distributeur pour les trois années à venir, dans les termes suivants :

"Definition of the minimum ex-factory turnover in retail products, expressed in french francs, to be achieved for the years 1998, 1999 and 2000 :

- 1998 : 1 200 000 F,

- 1999 : 1 400 000 F,

- 2000 : 1 600 000 F,"

Considérant qu'ainsi que l'ont exactement constaté les premiers juges, cette nouvelle définition se réfère au chiffre d'affaires départ usine "ex-factory turnover" en produits au détail "retail products" ce chiffre d'affaires minimum ne pouvant être que celui réalisé par le distributeur Sigrid Scharstedt auprès du fabricant, et non pas celui que le distributeur réalise auprès de ses clients que la société Laboratoires Millet fait justement observer qu'une interprétation de la clause litigieuse dans le sens souhaité par l'intimée conduirait a une réduction de plus de 60 % des objectifs minima qui lui étaient imposés aux termes de cet avenant, interprétation manifestement contraire à la volonté des parties ;

Que l'obligation d'achat minimum à laquelle s'engageait Sigrid Scharstedt, et dont le caractère déterminant était expressément stipulé à l'article 6 du contrat, constituait une obligation de résultat ;qu'il est constant que les minima ainsi fixés, d'accord entre les parties, n'ont pas été atteints par Sigrid Scharstcdt pour l'année 1999, la société Laboratoires Millet étant dès lors fondée à résilier par anticipation le contrat ;

Considérant toutefoisque Sigrid Scharstedt n'avait jamais respecté les minima contractuellement fixés depuis 1995, sans susciter la moindre protestation de la part de la société Laboratoires Milletainsi que cette dernière le souligne dans ses écritures, l'écart entre les seuils contractuellement fixés et le chiffre d'affaires de l'intimée qui atteignait déjà 40 % en 1995, s'étant élevé en moyenne à 43 % au cours des cinq années précédant la résiliation du contrat ; que l'appelante ne pouvait dès lors sans abus procéder à la résiliation à effet immédiat du contrat de distribution pour ce seul motif, alors que ses relations contractuelles avec Sigrid Scharstedt s'étaient poursuivies depuis 1983, et qu'elle avait décidé de renouveler ce contrat quelques mois plus tôt.

Que c'est par de justes motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont considéré que cette brusque rupture avait causé au distributeur un préjudice qu'ils ont chiffré à 76 924,51 euros (500 000 F), soit environ une année de chiffre d'affaires ;

Sur les demandes en paiement de la société Laboratoires Millet

Considérant que la société Laboratoires Millet demande à la cour de condamner Sigrid Scharstcdt à lui payer 807 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la non-réalisation des minima contractuellement fixés pour les années 1997, 1998 et 1999 ;

Mais considérant qu'ainsi que l'ont justement observé les premiers juges le contrat de distribution ne prévoit pas d'autre sanction à la non-réalisation de ces objectifs, que la résiliation anticipée du contrat, la demande de l'appelante ne pouvant qu'être rejetée ;

Considérant que la société Laboratoires Millet demande encore à la cour de condamner Sigrid Scharstedt à lui payer 325 250,90 F au titre de deux factures n° 3658 du 29 novembre 1999 et 3713 du 7 décembre 1999, restées impayées, majorées de l'intérêt conventionnel stipulé à l'article 8 du contrat, soit le taux mensuel de base moyen des banques françaises majoré de 5%, étant précisé dans cet article que les factures sont payables 120 jours, la majoration conventionnel s'appliquant de plein droit à toute facture qui ne serait pas réglée dans ces délais ;

Considérant que Sigrid Scharstedt soutient que ces produits livrés à la veille de la rupture n'ont pu être écoulés normalement et sont à la disposition des Laboratoires Millet pour une restitution immédiate, ce qui implique qu'elle n'a pas à les payer ;

Mais considérant que le montant de la créance de la société Laboratoires Millet n'est pas contesté qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la société Laboratoires Millet et de condamner Sigrid Sclîarstedt à lui payer 49 584,18 euros avec intérêts au taux de base mensuel moyen des banques françaises majoré de 5 % à compter du 7 avril 2000, au titre des factures impayées ;

Considérant en ce qui concerne l'offre de restitution de ces produits, que selon l'article 22 du contrat, le distributeur doit adresser au propriétaire de la marque, dans un délai maximum de trente jours après l'expiration effective du contrat :

- un rapport tel que prévu à l'article 12 du contrat, contenant notamment un état détaillé de ses ventes ainsi qu'un inventaire de ses stocks, couvrant la période d'activité écoulée depuis la remise du dernier rapport,

- tous justificatifs de la valeur et des prix de revient unitaire des produits subsistant en stock ;

Qu'il est stipulé que " le propriétaire de la marque aura l'option d'acheter tout ou partie du stock de produits en bonne condition marchande et figurant encore sur la liste de prix ", étant précisé que " si à l'issue d'un délai de 90 jours après la fin de l'accord, le propriétaire de la marque n'a pas fait connaître sa décision au distributeur, le propriétaire de la marque sera alors réputé avoir décidé de ne pas acheter le stock ", le distributeur disposant alors d'un délai de trois mois commençant à courir à compter de la notification de la décision du propriétaire de la marque ou à défaut de notification à l'issue du délai d'option de 90 jours, pour commercialiser les produits selon les normes prévues au contrat;

Considérant que par lettre du 4 février 2000, la société Laboratoire Millet a déclaré être ouverte au rachat des stocks, conformément aux dispositions de cet article que toutefois Sigrid Scharstedt ne justifie pas s'être conformée aux obligations fixées par ces dispositions, aucun des documents visés par cet article n'étant produit aux débats que sa demande ne peu qu'être rejetée ;

Considérant qu'il convient de confirmer partiellement la décision entreprise ;

Qu'il n'est pas inéquitable que chacune des parties conserve la charge de ses frais irrépétibles d'appel, les dépens étant partagés par moitié :

Par ces motifs, confirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a débouté la société Laboratoires lngrid Millet de sa demande en paiement de factures, et réformant de ce seul chef, condamne Sigrid Scharstedt à payer à la société Laboratoires Ingrid Millet 49 584,18 euros avec intérêts au taux de base mensuel moyen des banques françaises majoré de 5 % à compter du 7 avril 2000. Y ajoutant, ordonne en tant que de besoin la compensation entre ces créances réciproques, à concurrence de la plus petite, rejette toute autre demande, fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront supportés par moitié par la société Laboratoires lngrid Millet et par Sigrid Scharstedt, admet dans cette proportion la SCP Fisselier Chiloux Boulay et la SCP Duboscq et Pellerin, avoués, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.