CA Paris, 13e ch. B, 5 juin 1997, n° 96-05947
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Comité national contre le tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertolini
Avocat général :
Mme Auclair
Conseillers :
Mmes Verleene-Thomas, Marie
Avocats :
Mes Dauzier, Bihl.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LA PREVENTION:
Par acte du 23 janvier 1996, le Comité national contre le tabagisme a cité directement devant le tribunal Jean-Dominique C et la société X aux fins de voir:
- déclarer Monsieur C coupable du délit de publicité illicite en faveur du tabac, délit prévu et réprimé par les articles L. 355-25 et L. 355-31 du Code de la santé publique et de la contravention de vente avec prime prévue et réprimée par l'article L. 121-35 du Code de la consommation,
- condamner Monsieur C à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 6 000 F en vertu des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,
- déclarer la société X civilement responsable.
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré C Jean Dominique:
- non coupable de vente, prestation de service avec prime légale mais ne comportant pas les mentions exigées, courant 1995 ,sur le territoire national, infraction prévue par les articles 33, 25, 23 Décret 86-1309 du 29-12-1986 et réprimée par l'article 33 AL. 1 Décret 86-1309 du 29-12-1986, l'a relaxé des fins de la poursuite,
- coupable de publicité illicite en faveur du tabac, courant 1995 sur le territoire national, infraction prévue par l'article 1, 2, 8, 12,15 LOI 76-616 du 09-07-1976,
l'a condamné de ce chef à 100 000 F d'amende,
a déclaré la société X solidairement responsable du paiement des amendes et frais mis à la charge de Monsieur C et civilement responsable du paiement des dommages-intérêts mis à la charge de Monsieur C.
a assujetti la décision à un droit fixe de procédure de 600 F
Sur l'action civile le tribunal a reçu le CNCT en sa constitution de partie civile et a condamné Jean-Dominique C à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
LES APPELS:
Appel a été interjeté par:
La société X, le 2 juillet 1996 contre Comité national contre le tabagisme,
Monsieur C Jean-Dominique, le 2 juillet 1996, sur les dispositions pénales et civiles,
M. le Procureur de la République, le 2 juillet 1996,
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par Jean-Dominique C prévenu, la société X et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention.
Jean-Dominique C et la société X représentés par leur conseil, demandent par voie des conclusions conjointes, à titre principal la relaxe de Jean-Dominique C et le débouté du CNCT, à titre subsidiaire que la société X soit déclarée civilement responsable des condamnations civiles prononcées à l'encontre du prévenu, faisant valoir:
En premier lieu, que le CNCT a introduit la procédure en utilisant pour prouver les faits illicites de publicité en faveur d'un produit du tabac reprochés à Jean-Dominique C, une photocopie de l'album photographique litigieux et une attestation de Madame Harant, membre du CNCT.
Les concluants estiment que les conditions dans lesquelles la prime a été offerte ne sont pas rapportées.
En deuxième lieu que si l'article 355-24 du Code de la santé publique interdit toute forme de publicité directe ou indirecte ou toute propagande en faveur du tabac, ces dispositions ne s'appliquent pas aux affichettes disposées à l'intérieur des débits de tabac, dés lors que les affichettes sont conformes à des caractéristiques définies par un arrêté interministériel.
Ils précisent qu'une campagne publicitaire à l'intérieur des débits de tabac, par voie d'affichettes, a été lancée en octobre 1995, pour la marque de cigarettes "Y", la vente était assortie d'une prime qui était annoncée comme telle sur l'affiche, et que sur cette dernière figuraient la représentation graphique du produit, la marque et l'emblème du produit ainsi que les conditions de sa mise en vente avec l'attribution d'une prime.
Les concluants soutiennent d'une part, que ni la loi ni l'arrêté n'interdisent la publicité à l'intérieur des débits de tabac et par voie de conséquence n'interdisent pas la promotion commerciale.
D'autre part, que l'article 4 de l'arrêté du 31 décembre 1992 prévoit que les affichettes peuvent comporter toutes mentions concernant les caractéristiques du produit et ses conditions de vente à l'exception du prix et qu'il est permis d'informer le consommateur de toute opération liée à la vente d'un produit du tabac.
Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) représenté par son conseil, demande par voie de conclusions outre la confirmation du jugement attaqué, la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, faisant valoir, que le fait que l'opération ait eu lieu à l'intérieur du débit de tabac, ne supprime pas l'infraction comme le prétend Jean-Dominique C, la remise d'un album photographique ne pouvant être considérée comme l'apposition d'une affichette.
RAPPEL DES FAITS
Par acte du 23 janvier 1996, le Comité national contre le tabagisme faisait citer directement devant le Tribunal correctionnel de Paris Jean-Dominique C pour publicité illicite en faveur du tabac, délit prévu et réprimé par les articles L. 355-25 et L. 355-3 1 du Code de la santé publique et vente avec prime contravention prévue et réprimée par l'article L. 121-35 du Code de la consommation. Il faisait également citer la société X devant le même tribunal pour la voir déclarer civilement responsable du prévenu.
Dans sa citation le CNCT faisait valoir qu'en novembre 1995, dans tous les bureaux de tabac de Paris, il était offert gratuitement à tous les acheteurs d'un paquet de 25 cigarettes "Y", un album photographique dont la couverture portait des dessins de type sud-américain avec la mention: "Peuples de la Terre Aztèque Mexique".
Il estimait qu'il s'agissait d'une opération de publicité destinée à promouvoir une marque de cigarettes interdite par la loi et que cette opération était en contravention avec les dispositions relatives à la vente avec prime, le nom de la société X n'étant pas mentionné sur l'album.
Sur ce,
Sur l'action publique:
Sur les poursuites du chef de publicité illicite en faveur du tabac:
Sur le moyen tiré de l'absence de preuve de l'infraction:
Considérant que le tribunal ne s'est pas fondé sur le témoignage de Madame Harant pour constater l'existence de l'infraction;
Que celle-ci est établie par la production de l'album photographique aux débats et dont il n'est pas dénié par le prévenu qu'il était offert en prime aux acheteurs des cigarettes "Y";
Qu'en effet, toute son argumentation consiste à soutenir que l'offre de cette prime était licite;
Que, ce moyen doit donc être écarté;
Sur le moyen tiré de la licéité de la publicité:
Considérant que ce qui est reproché à Jean-Dominique C, ce n'est pas, comme il le soutient dans ses écritures, d'avoir contrevenu aux dispositions de l'arrêté du 31 décembre 1992, réglementant la publicité des produits du tabac à l'intérieur des débits de tabac, mais d'avoir engagé une opération de promotion d'un produit du tabac, ce qu'il ne conteste pas, se bornant à faire valoir que la campagne publicitaire litigieuse était licite;
Considérant qu'en remettant aux acheteurs de cigarettes "Y" un album photographique, il incitait, non seulement ceux-ci à consommer davantage de cigarettes comme l'a retenu le tribunal, mais encore rendait public un objet portant le nom d'un fabricant de tabac, le sigle "X" figurant au dos desdits albums, ce qui constituait une publicité interdite par les articles L. 355-25 et L. 355-3 1 du Code de la santé publique;
Qu'en effet, le législateur a limité aux débits de tabac et à certains supports la possibilité pour les fabricants de produits du tabac, afin d'en atténuer la portée;
Considérant que l'infraction est caractérisée dans tous ses éléments et que le jugement doit être confirmé tant sur la déclaration de culpabilité, que sur la peine prononcée laquelle a été exactement appréciée par les premiers juges;
Sur les poursuites du chef de l'infraction de vente assortie d'une primes ne répondant pas aux conditions définies à l'article 121-35 du Code de la consommation:
Considérant que le tribunal qui a relevé que le nom de la société X était clairement indiqué au dos de l'album remis à titre de prime et que le prévenu justifiait que la valeur de cet objet ne dépassait pas 7 % de la valeur du produit principal le paquet de cigarettes "Y", a exactement décidé que l'infraction n'était pas constituée;
Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a relaxé Jean-Dominique C des fins de la poursuite de ce chef;
Sur la condamnation de la société X en qualité de civilement responsable:
Considérant que Jean-Dominique C est président du conseil d'administration de la société X;
Que conformément aux dispositions des alinéas 1 et 2 de l'article 113 de la loi du 24 juillet 1966, le président du conseil d'administration assume sous sa responsabilité, la direction générale de la société et la représente dans ses rapports avec les tiers;
Qu'il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société;
Considérant donc, que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la société X ne saurait être déclarée civilement responsable du président du conseil d'administration Jean-Dominique C, qui oblige ladite société et n'est donc pas son préposé;
Que dès lors, il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré de ce chef et de mettre hors de cause la société X;
Sur l'action civile:
Considérant que, le Comité national contre le tabagisme, association qui a été créée pour lutter contre le tabagisme et qui a été reconnue d'utilité publique à cet effet, subit, en raison de la spécificité du but et de l'objet de sa mission, un préjudice direct et personnel du fait d'une publicité illicite en faveur du tabac ou des produits du tabac, dont il lui est dû réparation;
Qu'en effet, le CNCT déploie pour la sauvegarde de la santé, notamment par de nombreuses campagnes d'information et par l'édition d'une publication périodique, des efforts constants de lutte contre le tabagisme, qui sont contrariés par les agissements du prévenu;
Que, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice résultant pour le Comité national de lutte contre le tabagisme, partie civile des agissements de Jean-Dominique C;
Que, dés lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions civiles;
Que, la demande d'une somme de 6 000 F formulée par ledit Comité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais irrépétibles exposés par lui devant la cour, est justifiée dans son principe, mais doit être limitée à 2 500 F;
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Reçoit les appels du prévenu Jean-Dominique C, du civilement responsable la société X et du Ministère public; Confirme le jugement déféré en ses dispositions pénales et sur les dommages-intérêts alloués au CNCT; L'infirme sur la condamnation de la société X en qualité de civilement responsable; Met hors de cause la société X, Y ajoutant, Condamne Jean-Dominique C à payer au CNCT, partie civile, la somme de 2 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Dit inopérants, mal fondés ou extérieurs à la cause, tous autres moyens, fins ou conclusions contraires ou plus amples, les rejette; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.