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Décisions

CA Paris, 1re ch. D, 13 janvier 1999, n° 1998-13707

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Punto FA SL Polygono Industrial Riera De Caldes (Sté), Punto FA SL Mango France (Sté)

Défendeur :

Cohen (Consorts), Jindy Rosny 2 (Sté), GSCD Avenir (Sté), GSCE (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cahen-Fouque

Conseillers :

MM. Lachacinski, Matet

Avoué :

SCP Goirand

Avocats :

Mes Marinani-Scheinfeld, Clément.

T. com. Bobigny, du 4 juin 1998

4 juin 1998

Gérard Cohen, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'actionnaire des sociétés Jindy Rosny 2 et GSCD Avenir, Simon Cohen agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de ces deux sociétés, la société Jindy Rosny 2 et la société GSCD Avenir, ont assigné devant le Tribunal de commerce de Bobigny la société Punto FA SL à son siège social de Barcelone et la société Punto FA SL au siège de sa filiale Mango France à Paris, en exposant les faits suivants:

La société Punto FA, de droit espagnol, exerçant une activité de mode à Barcelone sous la marque "Mango", avait conclu le 1er mars 1996 avec Gérard Cohen et Simon Cohen, au nom d'une société GSCE, un contrat de fournitures de produits ayant donné lieu à l'ouverture, au mois de mai 1996, d'une boutique Mango à Chelles sur un emplacement exploité par une société Jindy.

Les consorts Cohen, désireux d'ouvrir un deuxième magasin à cet enseigne en région parisienne dans le centre commercial de Rosny 2, recueillaient l'accord formel de la société Punto FA par lettre du 3 octobre 1996 pour la mise en œuvre de ce projet, devant être réalisé à la saison printemps été 1997, ce qui les a conduits à racheter les parts de la société Jindy et à en modifier les statuts, et à constituer une société holding GSCD Avenir, destinée à détenir les parts des différentes sociétés gérant les boutiques Mango qu' ils souhaitaient créer dans la région parisienne.

Invoquant notamment dans différentes correspondances, les problèmes de gestion rencontrées à la boutique de Chelles et des difficultés liées à la surface du local de Rosny 2, formellement contestés par les consorts Cohen, la société Punto FA est revenu sur son engagement de leur accorder la franchise Mango pour le magasin de Rosny.

C'est dans ces circonstances qu'a été engagée devant le Tribunal de commerce de Bobigny la présente procédure.

Considérant que la société Punto FA avait abusivement rompu la promesse de contrat de franchise contenue dans sa lettre du 3 octobre 1996 et ainsi commis "une faute contractuelle" leur causant un préjudice considérable, les demandeurs ont sollicité en réparation de ce préjudice la condamnation solidaire des deux sociétés Punto FA à payer:

- à la société Jindy Rosny 2 la somme de 5 100 000 F,

- à la société GSCD Avenir la somme de 100 000 F,

- à Gérard Cohen et Simon Cohen, chacun la somme de 1 682 000 F,

La société GSCE, représentée par ses co-gérants Gérard et Simon Cohen, est intervenue volontairement dans la procédure afin que soit annulé, pour non respect des dispositions de la loi du 31 décembre 1989 et du décret du 4 avril 1991, le "contrat de fourniture de produits en dépôt commercial gratuit" conclu en son nom, le 2 (en réalité le 1er) mars 1996 entre Gérard et Simon Cohen, et la société Punto FA pour le magasin à ouvrir à Chelles, qu'il soit subsidiairement jugé que Punto FA a exécuté de mauvaise foi ce contrat en n'approvisionnant pas correctement le magasin situé à Chelles géré par GSCE et qu'elle soit condamnée à payer à cette dernière une somme de 1 000 000 F.

La société Punto FA ayant soulevé une exception d'incompétence au profit du Tribunal de Barcelone, en invoquant les dispositions des articles 42 et 43 du nouveau Code de procédure civile, et subsidiairement l'existence d'une clause attributive de compétence figurant dans le contrat précité du 1er mars 1996, le tribunal saisi a, par jugement du 4 juin 1998, retenu sa compétence.

Punto FA SL et Punto FA SL Mango France ont formé contredit en reprenant l'argumentation développée devant les premiers juges, et les demandeurs ont conclu au rejet de ce recours, en invoquant les dispositions de l'article 46 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile et en soutenant qu'au regard des conditions posées par l'article 48 de ce Code, la clause revendiquée les sociétés Punto FA ne pouvait qu'être écartée.

A l'audience du 14 octobre 1998, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur l'application au présent litige des Conventions de Bruxelles du 27 septembre 1968 et de Rome du 19 juin 1980.

Les sociétés Punto FA ont fait valoir que les sociétés GSCD Avenir, Jindy Rosny 2 et GSCE étant "presque exclusivement détenues, gérées et animées" par Gérard et Simon Cohen, lesquels, comme la société GSCE, étaient déjà en relations contractuelles avec elles de par le contrat conclu le 1er mars 1996, la clause attributive de compétence qui y est insérée répond aux conditions posées par l'article 17 de la Convention de Bruxelles et est opposable à l'ensemble des parties demanderesses.

Elles soutiennent également qu'aux termes de la même clause, le contrat est régi par la loi espagnole, et qu'en tout état de cause, les relations des parties se rattachent au droit espagnol et aux juridictions espagnoles, puisque les prestations caractéristiques que les sociétés Punto FA s'étaient engagées à fournir étaient la communication en Espagne de son savoir-faire ainsi que la mise à disposition sur le territoire espagnol des marchandises que les demandeurs de première instance devaient retirer pour les transférer dans leurs boutiques.

Les défendeurs au contredit concluent au rejet de ce recours, et demandent qu'il soit fait application de l'article 89 du nouveau Code de procédure civile pour évoquer l'affaire au fond.

Ils soutiennent que la clause attributive de compétence, figurant dans un acte conclu seulement entre Punto FA SL et GSCE, ne concerne pas les consorts Cohen, GSCD Avenir et Jindy Rosny 2, quelles que soient les personnes physiques détenant ces sociétés, de sorte qu'elle est inapplicable en l'espèce; ils invoquent par ailleurs les dispositions tant des paragraphes 1 et 2 de l'article 5 de la Convention de Bruxelles pour fonder la compétence des juridictions françaises, et soulignent particulièrement la localisation en France de la livraison effective des marchandises vendues ou mises en dépôt pour être vendues et l'exécution de la prestation de service.

Celà étant exposé,

LA COUR,

Sur l'applicabilité de l'article 17 de la Convention de Bruxelles:

Aux termes de cet article, tel qu'il résulte de la Convention de Saint-Sébastien du 26 Mai 1989, la convention attributive de juridiction doit être conclue par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, soit dans le commerce international , sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats de même type dans la branche commerciale considérée.

Il résulte de ces dispositions que la clause attributive de juridiction valable au regard de ce texte, qui donne compétence à un tribunal d'un Etat contractant, doit primer tout autre chef de compétence à l'exception de ceux qui sont expressément réservés.

Il convient donc de rechercher en premier lieu si la clause invoquée par la société Punto est ou non valable au regard de cet article.

La clause attribuant compétence aux tribunaux de la ville de Barcelone dont se prévalent les auteurs du contredit est insérée à l'article 15 du contrat dit de "dépôt commercial gratuit et gestion de vente", conclu le 1er mars 1996 entre d'une part la société Punto FA SL, d'autre part Gérard et Simon Cohen "en nom et représentation de la société GSCE", portant sur la gestion et la vente des vêtements et accessoires Mango dans un établissement devant ouvrir dans le centre commercial de Chelles.

Les conditions édictées par l'article 17 de la Convention de Bruxelles sont d'interprétation stricte et exigent que la prorogation de compétence ait été convenue à propos d'un rapport de droit déterminé.

Il résulte sans ambiguïté des conclusions d'intervention volontaire de GSCE que les demandes formulées à l'encontre de Punto FA, ci-dessus exposées, n'ont trait qu'au contrat conclu entre ces deux sociétés le 1er mars 1996.

En conséquence, la clause attributive de juridiction litigieuse, conclue par écrit et qui répond aux exigences de l'article 17 précité, est susceptible de s'appliquer dans les rapports entre Punto FA et GSCE, sous réserve toutefois du caractère indivisible du litige - sur lequel les parties seront invitées à fournir leurs observations ainsi qu'il sera indiqué au dispositif de la présente décision - dans l'hypothèse où une juridiction française serait compétente pour connaître des prétentions des autres demandeurs.

En effet, les sociétés GSCD Avenir et Jindy Rosny 2 ne sont pas signataires du contrat contenant la clause, et Gérard et Simon Cohen ne l'ont signé qu'en représentation de la société GSCE.

La circonstance, non contestée, que celle-ci soit co-gérée par ces derniers et qu'ils détiennent la quasi-totalité des sociétés GSCD Avenir et de Jindy Rosny 2, ne permet pas de considérer que la clause a été connue et acceptée de ces parties et qu'elles ont eu la volonté certaine et non équivoque de soumettre le règlement des litiges pouvant survenir au sujet de la promesse de franchise concernant le second magasin, qu'ils prétendent abusivement rompue, au tribunaux de Barcelone.

Il s'ensuit que Punto FA ne peut revendiquer l'application de la clause à l'égard des consorts Cohen et des sociétés GSCD Avenir et Jindy Rosny 2, et qu'il convient de déterminer le tribunal compétent, en ce qui les concerne, au regard des dispositions de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles, leurs demandes étant fondées sur "une faute contractuelle".

Sur l'applicabilité de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles aux consorts Cohen et aux Sociétés GSCD Avenir et Jindy Rosny 2:

L'article 5-1 de cette convention prévoit que le défendeur domicilié sur le territoire d'un Etat contractant peut être attrait, dans un autre Etat contractant, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.

En l'espèce, l'obligation alléguée est celle de Punto FA de donner suite à sa promesse d'accorder aux requérants un contrat de franchise pour l'ouverture d'un magasin à l'enseigne Mango pour la saison printemps été 1997 dans le centre commercial de Rosny 2, conformément aux termes de sa lettre susdite du 3 octobre 1996.

Il résulte en conséquence des circonstances de la cause que, quelle que soit la loi applicable, l'obligation dont le non-respect sert de fondement aux demandes devait être exécutée sur le territoire français, de sorte qu'en application des dispositions de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles, les consorts Cohen et les sociétés GSCD Avenir et Jindy Rosny 2 pouvaient valablement saisir une juridiction française.

Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les prétentions des parties relèvent, en ce qui concerne GSCE, des tribunaux de Barcelone, et en ce qui concerne les autres demandeurs, du Tribunal de commerce de Bobigny.

Il convient donc d'ordonner la réouverture des débats pour recueillir les observations des parties sur le caractère indivisible ou non des différentes demandes, dont dépend l'application à la société GSCE de la clause attributive de juridiction revendiquée par Punto FA.

Par ces motifs: Invite les parties à présenter leurs observations sur le caractère divisible ou non des demandes présentées d'une part par la société GSCE, d'autre part par les sociétés GSCD Avenir, Jindy Rosny 2, Simon Cohen et Gérard Cohen; Ordonne à cette fin et sur ce seul point, la réouverture des débats a l'audience du 3 mars 1999 à neuf heures trente; Réserve les frais du contredit.