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Décisions

CA Fort-de-France, ch. corr., 26 avril 2001, n° 2001-00083

FORT-DE-FRANCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Alliance BTP (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boulet-Gercourt

Conseillers :

M. Gravié-Plandé, Mme Tallinaud

Avocats :

Mes Herve-Bazin, Vieyra, Auteville.

TGI Fort-de-France, ch. corr., du 7 juin…

7 juin 2000

RAPPEL DE LA PROCEDURE:

Le jugement

Par jugement en date du 7 juin 2000 le Tribunal correctionnel de Fort de France a relaxé P André des chefs de tromperie sur les qualités substantielles et déclaré irrecevable les demandes des parties civiles.

Les appels:

Par déclaration du 16 juin 2000, la société Alliance BTP a interjeté appel de toutes les dispositions de ce jugement.

La SARL Alliance BTP a régulièrement relevé appel d'un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Fort-de-France le 7 juin 2000 qui a relaxé M. André P des poursuites dont il avait fait l'objet sur sa constitution de partie civile pour tromperie sur les qualités substantielles d'une marchandise vendue, en l'espèce un tracteur Volvo de l'année 1991 mentionné au contrat comme étant de l'année modèle 1995.

Ni le prévenu, ni le Ministère public n'ayant relevé appel de la décision, cette relaxe est définitivement acquise et ne peut être remise en cause.

Sur l'action civile, le tribunal a déclaré irrecevables les demandes de la partie civile, la société Alliance BTP:

Les faits de la cause peuvent être résumés comme suit:

Désireuse de faire l'acquisition d'un tracteur pour les besoins de son exploitation, la société Alliance BTP s'est adressée courant 1995 à la société X dont M. P était alors le PDG.

X disposait d'un tracteur Volvo équipé d'un ralentisseur électrique Telma qui lui avait été livré, neuf, fin 1990/début 1991 (facture du 7 décembre 1990 pour un montant de 625 800 F). Ce tracteur avait été équipé, en juillet 1991, du ralentisseur Telma, lui-même facturé à X 30 mai 1991 pour le prix de 56 000 F Hors Taxes.

Au moment où ce véhicule a été mis à disposition de la société Alliance, soit fin mars 1995, il accusait un kilométrage d'environ 13 000 kms.

Par contrat en date du 18 septembre 1995, la société a loué à la société Hoche Location qui en avait fait elle-même l'acquisition auprès de X pour le prix de 920 000 F le tracteur Volvo, nanti au profit de la BDAF, moyennant paiement de 61 loyers mensuels d'un montant de 14 540 F Hors Taxes chacun et versement d'un dépôt de garantie de 92 000 F.

Il doit être noté que nonobstant ce contrat X faisait parvenir en date du 29 décembre 1995 à la société Alliance une facture concernant le tracteur Volvo, mentionné comme étant d'un modèle 1995 et dont le règlement était prévu à concurrence de 92 000 F par cette société, de 155 000 F par la société Hoche Location, la somme de 673 000 F restant due à la BDAF qui bénéficiait d'une convention de délégation.

Le montage financier permettant de profiter des avantages de la défiscalisation avait été conduit par une société Y.

Le kilométrage parcouru à la date de ce contrat n'est pas connu mais il apparaît d'un ordre de réparation du 19 août 1996 que le camion avait à cette date parcouru 41 183 kms.

Divers problèmes s'étant manifestés dans le courant de l'année 1996 au niveau du fonctionnement du ralentisseur électrique qui engendrait des vibrations, la société Alliance engageait le 4 décembre 1996 une procédure de référé pour solliciter notamment la désignation d'un expert, ce qui a été fait en la personne de Monsieur Delaunay Belleville par ordonnance du 11 juin 1997.

Il apparaît et il n'est pas contesté au vu des opérations d'expertise d'une part que l'indication de l'année modèle 1995 figurant sur la facture de vente et sur la carte du véhicule était erronée, ce véhicule étant de l'année modèle 1991, d'autre part que le ralentisseur électrique Telma n'était pas adapté à ce type de véhicule.

En aucun cas enfin selon l'expert il ne pouvait s'agir d'un véhicule neuf.

Pour s'exonérer du délit de tromperie qui lui est reproché, M. André P a soutenu devant les premiers juges, et reprend dans ses conclusions en cause d'appel, que le représentant de la société Alliance, M. Joseph Gelie savait parfaitement qu'il ne s'agissait pas d'un véhicule neuf puisque ce tracteur accusait 13 000 Kms au compteur lorsqu'il en avait pris possession.

En réalité, c'était à la demande de l'acheteur que le vendeur avait inscrit un millésime faux sur les documents relatifs à la vente, dans le seul but de permettre à la société Alliance de pouvoir profiter de la défiscalisation, possible seulement pour un matériel neuf, ce qui lui permettait de déduire les loyers versés de ses résultats imposables pendant cinq ans.

Le prévenu considère encore, en soulignant que la société qu'il présidait alors n'avait aucun intérêt économique ni financier à ce changement d'année modèle, ni lui-même d'intérêt personnel, que l'on se trouve en présence d'un acquéreur professionnel averti qui n'aurait pu en aucun cas obtenir un financement classique, compte tenu de la création récente de la société et de l'absence de revenus imposables de ses représentants, et qui avait délibérément choisi un mode de financement par location et exigé une mention erronée pour un motif purement fiscal.

Il conclut en conséquence au débouté des demandes de la société Alliance BTP et sollicite la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile.

Dans ses écritures, cette société réfute ces explications et soutient qu'elle a été trompée sur les caractéristiques substantielles du véhicule acheté, le vendeur lui ayant assuré que le kilométrage figurant au compteur était dû au fait que ce type de véhicules se déplacent par leurs propres moyens du lieu de fabrication au lieu de montage de la superstructure, puis au lieu d'embarquement.

Elle n'aurait à l'évidence jamais acquis au prix d'un véhicule de 1995 un véhicule de 1990.

L'indication erronée d'une année modèle et la fausse qualification de véhicule neuf constituant en toute hypothèse une tromperie sur les qualités substantielles de la marchandise vendue dont le vendeur professionnel ne saurait s'exonérer, elle conclut à la condamnation d'André P à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par elle, celle de 6 000 F au titre du remboursement des frais d'expertise judiciaire et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, en sollicitant enfin la restitution de la somme de 5 000 F versée à titre de consignation le 5 novembre 1997.

Décision de la cour:

Attendu qu'il est constant que lorsque le tracteur Volvo a été mis à la disposition de la société appelante, à titre de prêt, le 29 mars 1995, ce véhicule n'avait jamais été immatriculé auparavant et accusait un kilométrage d'environ 13 000 Kms, insignifiant pour un véhicule de ce type;

Que la société Alliance a ensuite utilisé ce véhicule pendant tout le temps de la constitution du dossier financier jusqu'à la date du contrat du 18 septembre 1995 en parcourant un kilométrage d'au minimum 20 000 Kms et sans faire apparemment état auprès du garage X de problèmes rencontrés dans l'utilisation du ralentisseur électrique Telma;

Attendu que dès lors l'appelante est mal fondée à soutenir qu'elle ne s'était pas avisée du kilométrage initial et qu'elle pensait qu'il s'agissait d'un véhicule neuf;

Que le véhicule neuf étant celui qui n'a jamais roulé ni été immatriculé antérieurement, la cour retiendra la bonne foi de M. P quant à l'apposition de cette mention sur le bon de commande -une telle mention étant cependant juridiquement inexacte-,le kilométrage parcouru lors de la prise de possession de l'acheteur étant d'une part nécessairement connu de ce dernier et constitué, au moins pour partie dans la mesure où les indications sur ce point du prévenu ne sont pas démenties, du kilométrage effectué par ce véhicule entre sa fabrication et sa livraison à Fort-de-France;

Attendu cependantque la mention de l'année modèle, manifestement inexacte, porte sur une qualité substantielle du véhicule;

Qu'il importe de relever que X n'avait aucun intérêt à l'apposition d'une année modèle erronée puisqu'elle considérait, certes à tort mais de bonne foi, qu'il s'agissait d'un véhicule neuf, et qu'elle n'avait pas pratiqué sur ce véhicule une réduction de prix, offrant cependant à l'acquéreur, ce que celui-ci omet d'ailleurs de signaler, une remorque d'une valeur d'environ 150 000 F;

Qu'au contraire, l'intérêt était évident pour la société Alliance qui non seulement pouvait bénéficier des avantages de la défiscalisation sur ce matériel, mais encore profiterait de ce "rajeunissement" de quatre ans lorsque elle-même serait amenée à revendre le tracteur;

Que tout conduit donc à accréditer les dires de M. P, confirmés au demeurant par une attestation du vendeur X ayant traité ce dossier, selon lesquels la mention de cette année modèle fausse a été apposée à la demande expresse du représentant de la société Alliance pour bénéficier des dispositions de la loi Pons;

Attendu cependantque le consentement de la victime n'exonère pas le vendeur professionnel de sa responsabilité en ce qui concerne la mention erronée qui porte sur les qualités substantielles du véhicule vendu, ainsi du reste que le reconnaissait lui-même M. P devant les premiers juges;

Que l'infraction de tromperie sur les qualités substantielles est constituée dès lors que le prévenu, vendeur professionnel, avait connaissance de la fausseté des mentions relatives à l'année modèle du véhicule, ce qui en l'espèce n'est pas discutable puisque le tracteur avait été livré à X plus de quatre ans auparavant;

Attendu que M. P étant responsable en sa qualité de chef d'entreprise du fait de ses subordonnés de par son obligation de vérifier la conformité des marchandises vendues, comme l'a relevé justement le tribunal, la cour ne pourra que retenir le principe d'une faute commise par lui au détriment de la société d'Alliance BTP justifiant que l'appel de cette société soit accueilli et qu'une condamnation à réparation soit prononcée;

Que toutefois la cour appréciera à sa juste valeur le préjudice subi par cette société qui apparaît davantage constitué par l'impossibilité d'utiliser correctement le ralentissement électrique monté sur le camion - ce dont M. P ne saurait être tenu pour responsable directement - que par cette discordance dans l'année modèle qui selon toute vraisemblance avait été voulue par elle;

Qu'il ne pourra enfin être accordé à cette société le paiement des frais d'expertise, celle-ci ayant été ordonnée dans le cadre d'une autre instance.

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière d'intérêts civils et en dernier ressort; Déclare recevable et bien fondé l'appel de la société Alliance BTP; Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré sa demande irrecevable et, statuant à nouveau; Dit et juge que M. André P a commis en sa qualité de PDG de la société X, une faute à l'encontre de cette société en mentionnant sur les documents relatifs à la vente d'un tracteur Volvo une année modèle erronée; Condamne en cette qualité M. P à payer à la société appelante la somme de 15 000 F en réparation de son préjudice, et celle de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Autorise la restitution par la régie des recettes du Tribunal de grande instance de Fort-de-France à la société Alliance BTP, représentée par M. Joseph Gelie son gérant, de la somme de 5 000 F payée à titre de consignation le 5 novembre 1997; Déboute la société appelante de ses autres demandes; Condamne M. P aux dépens de l'action civile qui seront liquidés à la somme de cent cinquante-trois francs soixante dix-neuf centimes (153,79 F); En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier.