Cass. crim., 2 mai 2001, n° 00-84.043
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
Mme Fromont
Avocat :
SCP Tiffreau.
LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par P Jean, V Benoit, R Jean-Louis, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 17 mai 2000, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, a condamné, les deux premiers, à 30 000 francs d'amende chacun, le troisième, à 20 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils; - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - Vu les mémoires produits; - Sur le moyen unique de cassation proposé pour Jean P, pris de la violation des articles L. 121-1 à L. 121-7 et L. 213-1 du Code de la consommation, 111-3 111-4, 121-1 et 121-3 du Code pénal, 1382 du Code civil, 485, 567, de l'article 55 de la Constitution, de l'article 189, alinéa 3 du traité CEE, de la directive n° 84-450-CEE du 10 septembre 1984 Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité trompeuse, du principe de primauté des normes communautaires sur les normes nationales des Etats membres, des articles 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen;
"en ce que la cour d'appel déclare le prévenu coupable du délit de publicité trompeuse;
"aux motifs que "il est reproché aux prévenus d'avoir effectué une publicité comportant des allégations fausses ou de nature à induire en erreur le consommateur sur l'origine d'une huile d'olive commercialisée par la société Y, dans les magasins à son enseigne sous la marque Z avec un étiquetage "fabriqué en France", alors qu'elle résultait d'un assemblage entre des huiles d'oliviers de diverses provenances (pays CEE et Tunisie) (...) sans entrer dans des considérations purement casuistiques, un étiquetage, de quelque nature qu'il soit, est une publicité dans la mesure où il rend public des informations destinées au consommateur (marque, origine, composition, etc.), il serait donc vain de soutenir, comme tentent de le faire les prévenus, que la mention litigieuse n'est pas un acte publicitaire susceptible d'être mis en cause au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation; l'étiquetage porté sur un produit ne doit pas être de nature à créer une confusion dans l'esprit du consommateur, notamment sur les caractéristiques du produit et plus particulièrement sur son origine ou sa provenance; si le consommateur moyen connaît l'existence d'une culture d'olivier en Provence, il est certain qu'il ne peut connaître les données statistiques sur le ratio entre des quantités infinitésimales récoltées en France et les quantités consommées en France; il est également certain que le consommateur moyennement averti ignore les processus d'élaboration, de transformation et de production du produit fini, exposé à la vente; dès lors, il n'apparaît pas incongru, ainsi que le relève le premier juge, de demeurer au niveau d'une perception au premier degré de la contre-étiquette incriminée; la mention "fabriqué en France" laisse à penser au consommateur moyennement averti et ignorant tout de la législation européenne sur l'origine des produits que cette huile est fabriquée en France avec des olives provenant de récoltes dans les départements producteurs; le nom commercial choisi, de consonance italienne, voire même corse, ne peut avoir aucune incidence sur la pensée du consommateur; la matérialité du délit est donc établie (...) Jean-Louis R était le PDG de la société A d'avril 1994 à décembre 1995, Benoît V en était quant à lui le directeur général; la société A a été le cocontractant et unique interlocuteur de la société Y; spécialiste des huiles alimentaires, Jean-Louis R avait, ainsi qu'il le reconnaît et pour des motifs évidents dus à la production infinitésimale française, une parfaite connaissance de la composition de l'huile d'olive, assemblée par la société X et vendue à la société Y; de plus, il est avéré que la société A a participé à l'élaboration de l'étiquetage en parfaite connaissance du produit; sa responsabilité pénale est en conséquence engagée; c'est donc à bon droit que le premier juge l'a retenu dans les liens de la prévention en lui faisant, de surcroît, une juste appréciation de la loi pénale (...); spécialistes des huiles alimentaires, Jean P, son directeur général à l'époque des faits et Benoît V, avaient donc une parfaite connaissance de l'origine géographique des huiles et sont co-responsables du délit de publicité mensongère, ayant accepté en connaissance de cause, faisant ainsi preuve de négligence coupable, d'apposer sur les bouteilles conditionnées par les soins de l'entreprise X, l'étiquetage mentionnant "fabriqué en France"; l'Association Force Ouvrière Consommateurs Drôme-Ardèche, la Fédération Départementale des Familles Rurales de la Drôme ainsi que l'Union Fédérale des Consommateurs de la Drôme bien fondées à se constituer partie civile devant le tribunal, n'ont pas formé appel des dispositions civiles du jugement, en allouant à chacune d'elles la somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, le premier juge a fait une exacte appréciation de ce préjudice subi par les consommateurs (...);
"alors que 1°), le juge national a le devoir de se conformer à la directive n° 84-450-CEE du 10 septembre 1984 du Conseil, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de publicité trompeuse, définit la publicité comme toute forme de communication faite (...) dans le but de promouvoir la fourniture (...); que dès lors, en fondant la déclaration de culpabilité sur le motif qu'"un étiquetage, de quelque nature qu'il soit, est une publicité dans la mesure où il rend public des informations destinées au consommateur (marque, origine, composition, etc.), il serait donc vain de soutenir, comme tentent de le faire les prévenus, que la mention litigieuse n'est pas un acte publicitaire susceptible d'être mis en cause au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation" (arrêt attaqué, p. 7, alinéa 5), au surplus sans constater en l'espèce les faits d'où il résulterait que la mention litigieuse "fabriqué en France" aurait été apposée dans le but de promouvoir la vente des produits, promotion qui n'aurait d'ailleurs pu être recherchée que par l'annonceur L, la cour d'appel a violé les textes précités;
"alors que 2°), au surplus, dans ses conclusions d'appel, le prévenu faisait valoir, sans être contesté, que la société X avait fabriqué le produit et apposé la contre-étiquette selon les instructions de l'annonceur Y, qui avait seul décidé de la conception de l'étiquetage et de la distribution du produit; que, par suite, la Cour d'appel ne pouvait déclarer la culpabilité du prévenu sans caractériser un acte de complicité accompli avec la conscience, exclusive d'une simple négligence, de se prêter à une action délictueuse; qu'en omettant de s'en expliquer, la cour d'appel a violé les textes susvisés;
"alors que 3°), subsidiairement, la publicité de nature à induire en erreur, que la loi n'a pas définie, doit être appréciée, non de façon abstraite et subjective, mais concrète et objective, au regard du comportement économique prévisible d'un consommateur moyennement averti, c'est-à-dire normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, au vu de données statistiques résultant d'études, d'enquêtes d'opinion ou de sondages et permettant de déterminer le pourcentage de consommateurs trompés; qu'en l'espèce, en fondant la déclaration de culpabilité sur l'affirmation d'ordre général qu'il est "certain que le consommateur moyennement averti ignore les processus d'élaboration, de transformation et de production du produit fini, exposé à la vente", que "dès lors, il n'apparaît pas incongru de demeurer au niveau d'une perception au premier degré de la contre-étiquette incriminée" et que "la mention "fabriqué en France " laisse à penser au consommateur moyennement averti et ignorant tout de la législation européenne sur l'origine des produits que cette huile est fabriquée en France avec des olives provenant de récoltes dans les départements producteurs", sans corroborer cette affirmation par des données du type de celles susvisées, la cour d'appel a statué par voie de disposition générale et violé les textes précités;
"alors que 4°), au surplus, il n'importe que "le consommateur moyennement averti ignore tout de la législation européenne et des processus d'élaboration, de transformation et de production du produit fini exposé à la vente", dès lors qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé doit savoir que le mot "fabriqué" au genre masculin et l'expression "fabriqué en France" ne peuvent situer en France que la fabrication industrielle ou artisanale du produit présenté à la vente et non la cueillette des olives sélectionnées en vue de l'assemblage des huiles; qu'ainsi, en postulant que le consommateur moyennement averti ignore la signification des mot et expression précités, la cour d'appel a statué par voie de disposition générale et a violé les textes précités;
"alors que 5°), l'action civile en réparation du dommage causé par un crime ou un délit n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé directement par l'infraction; qu'en l'espèce, en omettant de constater que la Fédération Départementale des Familles Rurales de France aurait justifié d'un préjudice personnel découlant directement des faits poursuivis et distinct du trouble social, ni d'une habilitation par la loi à exercer les droits reconnus à la partie civile pour la défense d'un intérêt collectif distinct de l'intérêt social, la Cour d'appel a violé les textes susvisés;
"alors que 6°), au surplus, en se bornant à évoquer un "préjudice", sans s'expliquer sur ses caractères personnel et direct, ni davantage sur son existence et son quantum, la cour d'appel a violé les textes susvisés;
"alors que 7°), enfin, nul n'est pénalement responsable que de son propre fait; que dès lors, en retenant, à raison des mêmes faits qui auraient été commis au cours de la même période de prévention, la culpabilité de Jean P, en sa qualité de "directeur général de la société X à l'époque des faits" (arrêt attaqué, p. 9, al. 5), alors qu'elle retenait également la culpabilité de Benoît V, en sa qualité de "président-directeur général de la société X" à la même époque (arrêt attaqué, p. 9, al. 2), sans constater une faute personnelle de Jean P en relation avec les faits constitutifs de l'infraction poursuivie, la cour d'appel a violé les textes susvisés;
Et sur les moyens uniques de cassation, proposés dans les mêmes termes en ses six premières branches, pour Benoît V et Jean-Louis R"; - Les moyens étant réunis; - Attendu que Benoît V, président du conseil d'administration de la société X, Jean P, directeur général de cette société, et Jean-Louis R, président du conseil d'administration de la société A, sont poursuivis du chef de publicité de nature à induire en erreur pour avoir conditionné et fourni à la société Y, qui les a mises en vente, des bouteilles d'huile d'olive dont l'étiquette portait la mention "Fabriqué en France pour Y" alors que le produit était composé d'un mélange d'huiles de provenances étrangères;
Attendu que les prévenus ont conclu à leur relaxe en faisant valoir que l'étiquetage n'est pas un acte publicitaire au regard de la directive 84-450-CEE du 10 septembre 1984, que la mention est exacte au sens de l'article 24 de la directive 2913-92 du Conseil du 12 octobre 1992, la dernière transformation ayant lieu dans une entreprise française, et que le consommateur moyen ne pouvait être induit en erreur par une telle mention;
Attendu que, pour les déclarer coupables du délit, les juges énoncent que l'étiquetage est une publicité dès lors qu'il rend publiques des informations destinées au consommateur; qu' ils retiennent que le consommateur moyennement averti ignore le processus d'élaboration, de transformation et de production du produit fini et que la mention en cause laisse à penser que l'huile en cause provient d'olives récoltées en France;
Attendu qu' en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine du caractère trompeur de la publicité, la cour d'appel, a justifié sa décision; qu' en effet, constitue une publicité, au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, tout moyen d'information destiné à permettre au client potentiel de se faire une opinion sur les caractéristiques des biens ou services qui lui sont proposés; que ce texte est compatible avec la directive 84-450-CEE du 10 septembre 1984, qui ne fait pas obstacle au maintien par les états membres de dispositions visant à assurer une protection plus étendue des consommateurs;
Attendu, par ailleurs, que, pour déclarer Jean P, directeur général de la société X, responsable de l'infraction concurremment avec Benoît V, l'arrêt retient que, spécialistes des huiles alimentaires, ils avaient une parfaite connaissance de l'origine des huiles et ont accepté en connaissance de cause d'apposer, sur les bouteilles conditionnées par l'entreprise qu'ils dirigent, les étiquettes trompeuses;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, et dès lors que la responsabilité pénale du délit de publicité de nature à induire en erreur commis par une personne morale incombe à ses dirigeants, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article L. 121-5 du Code de la consommation;
Attendu, enfin, qu'en déclarant recevable et fondée l'action civile de la Fédération des familles rurales de la Drôme, association de consommateurs agréée, par application de l'article L. 421-1 du Code de la consommation, la cour d'appel a nécessairement admis que la publicité de nature à induire en erreur avait porté un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs; d'où il suit que les moyens doivent être écartés;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette les pourvois.