CA Nancy, 2e ch. com., 12 novembre 2002, n° 01-01363
NANCY
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Trouyes Direct (SARL)
Défendeur :
Union des Groupements Commerciaux de la Meuse (Association)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moureu
Conseillers :
MM. Jobert, Ruff
Avoués :
Me Grétéré, SCP Bonet-Leinster- Wisniewski
Avocat :
Me Kroëll
BASES CONTRACTUELLES DU LITIGE, FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE
Sur demande présentée le 9 janvier 2001 par M. Francis Braibant pour le compte de la "SARL Troyes Direct", sise à Saint-Pouange (10120), par arrêté du 11 mai 2001, le Maire de Belleville sur Meuse autorisait la requérante "à effectuer une vente au déballage dans le cadre d'une vente de produits de déstockage [...] le samedi 19 mai 2001 à la salle des fêtes de la commune.
Vu la demande en référé introduite contre la SARL Troyes Direct et M. Francis Braibant par l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse selon assignation du 18 mai 2001, d'heure à heure, tendant à l'interdiction de la vente au déballage prévue le 19 mai 2001 à la salle des fêtes de Belleville sur Meuse, sous astreinte de 10 000 F, avec publication de la décision par affichage et dans la presse dans les mêmes conditions que la vente a été annoncée, aux frais des assignés et à leur condamnation au paiement de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions de la partie défenderesse tendant à l'incompétence du juge des référés au profit du Tribunal administratif de Nancy, à la nullité de l'assignation à laquelle l'ordonnance d'autorisation d'assigner d'heure à heure n'est pas jointe, au débouté de l'union demanderesse et à l'allocation de 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu l'ordonnance rendue par le juge de référé du Tribunal de commerce de Verdun le 18 mai 2001 qui, rejetant l'exception d'incompétence, a interdit la vente au déballage prévue le 19 mai 2001 à la salle des fêtes de Belleville sur Meuse, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée, interdit la poursuite de cette vente par toute personne substituée aux défendeurs, ordonné la publication de l'ordonnance par affichage et dans la presse dans les mêmes conditions que la vente a été annoncée et aux frais des défendeurs, condamné la SARL Troyes Direct à payer à l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse 4 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu l'appel de cette ordonnance interjeté par la SARL Troyes Direct et par M. Braibant le 28 mai 2001,
Vu les moyens et prétentions de la société appelante exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 28 mai 2002 tendant à l'annulation de l'ordonnance entreprise pour incompétence du juge des référés commerciaux au profit du Tribunal administratif de Nancy, subsidiairement, à l'existence d'une contestation sérieuse justifiant l'incompétence du juge des référés, en tout cas, à ce qu'il soit donné acte aux appelants de ce qu'ils se réservent de demander réparation de leurs préjudices devant la juridiction du fond, au débouté de l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse et à l'allocation de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les moyens et prétentions de la partie intimée exposés dans ses dernières conclusions signifiées le 11 janvier 2002 tendant à la confirmation de l'ordonnance déférée et à l'allocation de 914,69 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
MOYENS DES PARTIES
Au soutien de leur appel, la SARL Troyes Direct et M. Braibant font valoir que:
- la vente litigieuse avait été autorisée par arrêté municipal du 11 mai 2001,
- l'autorité judiciaire n'avait pas compétence pour apprécier la légalité et le bien fondé de l'arrêté du maire, autorité administrative,
- le juge des référés a, en effet, retenu que la procédure de consultation prévue par le décret du 16 décembre 1996 n'avait pas été respectée,
- le juge des référés a violé la séparation des pouvoirs,
- l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse l'a implicitement reconnu en saisissant ultérieurement le tribunal administratif;
- subsidiairement, le décret du 16 décembre 1996, qui impose une procédure d'information de la chambre de commerce et non une procédure d'avis conforme, ne prévoit pas la nullité de l'autorisation,
- ces considérations constituent une contestation sérieuse excédant la compétence du juge des référés.
L'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse réplique que:
- le défaut de consultation de la chambre de commerce et de l'industrie de la Mense, attesté par elle, a faussé le jeu de la concurrence, ce qui constitue un trouble manifestement illicite,
- l'avis de la chambre de commerce doit être sollicité afin d'éviter une modification anormale du jeu de la concurrence.
MOTIFS
Attendu que les appelants ne contestent pas la qualité de l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse pour engager toutes actions en justice concernant, notamment, les ventes illégales au déballage, conformément à ses statuts et à la délibération de l'assemblée générale du 19 juin 2000;
Attendu qu'il est de la compétence du juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite;
Qu'en l'espèce, l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse soutient que l'organisation de la vente litigieuse avait pour effet de fausser le jeu de la concurrence ce qui constituait un trouble manifestement illicite;
Attendu que le moyen tiré par les appelants de l'existence d'une contestation sérieuse est inopérant puisque l'article 873 du nouveau Code de procédure civile énonce expressément que le juge des référés a le pouvoir de faire cesser un trouble manifestement illicite "même en présence d'une contestation sérieuse";
Attendu que, pour retenir sa compétence et faire droit à la demande, le juge des référés s'est borné à constater que la procédure d'autorisation administrative n'avait pas été respectée et que les affiches publicitaires n'étaient pas conformes;
Attendu, toutefois, que, d'une part, le juge judiciaire n'est pas compétent pour apprécier la légalité d'un acte administratif, sauf à violer la séparation des pouvoirs;
Qu'en l'état de l'autorisation accordée, à tort ou à raison, par le maire de la commune, présentant les apparences de la régularité et, en tout cas, non assimilable à une voie de fait, le premier juge ne pouvait faire grief à la SARL Troyes Direct d'avoir organisé une vente sans l'autorisation conforme aux articles 7 et 8 du décret n° 96-1097 du 16 décembre 1996;
Qu'il revient à la juridiction administrative d'apprécier si, à défaut de l'information de la chambre de commerce et d'industrie et de la chambre des métiers - les mettant en mesure de formuler leurs observations - l'arrêté du maire serait nul;
Que, d'ailleurs, en l'état des éléments versés aux débats, la partie intimée n'a pas indiqué les suites réservées par le Tribunal administratif de Nancy à sa requête en annulation de l'arrêté municipal du 11 mai 2001 déposée le 9 juillet 2001;
Attendu, d'autre part, qu'en énonçant que "les affiches publicitaires n'apparaissant pas [...] conformes, la vente au déballage envisagée peut donc créer un préjudice à la demanderesse" le premier juge s'est fondé sur un motif dubitatif équivalent à un motif inexistant;
Attendu que l'article 10 du décret n° 964097 du 16 décembre 1996 impose à toute publicité relative à une vente au déballage de mentionner la date et l'auteur de l'autorisation, la période pour laquelle elle a été délivrée ainsi que l'identité et la qualité du bénéficiaire;
Que l'affiche versée par l'intimée (pièce n° 11) répond à ces exigences, à l'exception de la mention de la date et de l'auteur de l'autorisation;
Mais attendu que cette omission, constitutive d'une contravention de 5e classe, ne saurait engendrer un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile car il est constant que l'autorisation a été effectivement obtenue, même si elle est présentement soumise à la censure du tribunal administratif;
Que, pour le surplus, l'identité du bénéficiaire est suffisamment précisée par l'indication de l'enseigne Troyes Direct qui a, d'ailleurs, permis à l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse d'obtenir tous renseignements auprès du service Greftel;
Qu'il n'y avait pas lieu de faire figurer la qualité du bénéficiaire puisque la vente était organisée par un seul commerçant;
Que la nature des marchandises et la date de la vente correspondent aux termes de l'arrêté du maire, l'affiche précisant seule les horaires - de 9 h à 17 h alors que l'arrêté se borne à fixer la journée du 19 mai 2001 sans limitation d'horaire;
Et attendu que l'intimée n'a nullement tenté d'établir d'autres circonstances qui soient de nature à caractériser un trouble manifestement illicite telles que acte de concurrence déloyale, infraction à la législation sur les prix, détournement de la notion de vente au déballage, perturbation flagrante et durable du jeu de la concurrence ou autre abus de droit;
Attendu que l'équité justifie de couvrir les appelants de leurs frais de procédure non compris dans les dépens, à hauteur de 1 000 euro;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et eu dernier ressort; Infirme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau; Déboute l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse de sa demande; Condamne l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse à payer aux appelants la somme de mille euro (1 000 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne l'Union des Groupements Commerciaux de la Meuse aux entiers dépens de première instance et d'appel; Autorise Me Grétéré, avoué, à recouvrer directement les dépens d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.