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Décisions

Cass. crim., 20 octobre 1993, n° 82-80.545

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

X

Défendeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Souppe (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Jorda

Avocat général :

M. Amiel

Avocats :

SCP Guiguet-Bachelier, Potier de la Varde, Me Cossa.

Cass. crim. n° 82-80.545

20 octobre 1993

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par C Jean-Pierre, la société l'E M, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 8 novembre 1991, qui a condamné le premier pour publicité illicite en faveur du tabac, à la peine de 200 000 francs d'amende, a déclaré la seconde civilement responsable et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" En ce que l'arrêt attaqué a déclaré illicite la publicité " Marlboro " et condamné de ce premier chef C à une amende de 200 000 francs, ainsi qu'à des dommages-intérêts du même montant envers le comité national contre le tabagisme ;

" aux motifs que le prévenu ne saurait davantage fonder sa demande de relaxe sur le motif que la publicité critiquée reproduit l'emballage des cartouches de 10 paquets de cigarettes qui seraient habituellement présentées à la vente ; qu'en effet, et en premier lieu l'article 8 de la loi de 1976 précise, dans son second alinéa, que " le conditionnement du tabac ou des produits du tabac ne peut être reproduit que s'il satisfait aux règles de l'alinéa premier ", de cet article ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que par ailleurs, la publicité litigieuse ne reproduit pas l'enveloppe de la cartouche mais seulement le paysage qui figure sur cette enveloppe, étant rappelé que le fait de déposer comme emblème de la marque une photographie publicitaire et de la reproduire ensuite sur certains conditionnements du produit et dans la presse écrite constitue manifestement une manœuvre destinée à contourner la loi ;

" alors que l'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 qui autorise la publicité en faveur du tabac par la reproduction notamment de son emballage ne précise pas l'acception dans laquelle ce terme devrait être restrictivement entendu, et vise donc indifféremment toute représentation graphique ou photographique du " paquet " ou de la " cartouche " de cigarettes ; qu'ainsi, en retenant, pour refuser d'admettre la licéité de la publicité qui reproduisait la photographie figurant sur les cartouches de dix paquets de cigarettes que l'usage publicitaire d'une photographie figurant sur un emballage, encore qu'ayant fait l'objet d'un dépôt à l'INPI, devait s'analyser comme une manœuvre destinée à contourner la loi, sans se prononcer sur la question de savoir si la reproduction à des fins publicitaires de la cartouche n'était pas par elle-même licite, compte tenu du texte permissif précité, ce qui excluait qu'une quelconque fraude à la loi put être utilement relevée, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-Pierre C a fait paraître dans le journal de la société l'E une annonce publicitaire en faveur des cigarettes de marque Marlboro représentant dans un paysage de l'Ouest américain un bivouac, avec un paquet des cigarettes précitées, et l'une d'elles allumée, le tout accompagné d'une phrase en langue étrangère et de sa traduction " venez où est la saveur " ; que Jean-Pierre C est poursuivi pour publicité illégale en faveur du tabac infraction aux dispositions des articles 3 et 8 de la loi du 9 juillet 1976 dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 10 janvier 1991 ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de ce délit, les juges énoncent qu'un montage photographique élaboré mettant en scène le produit dans un paysage destiné à le valoriser " ne saurait, même déposé à l'institut national de la propriété industrielle, comme marque, constituer l'emblème de celle-ci, lequel ne peut être qu'une figure symbolique "; qu'ils ajoutent que " la publicité litigieuse ne reproduit pas l'enveloppe de la cartouche " contenant 10 paquets de cigarettes de la marque Marlboro " mais seulement le paysage qui figure sur cette enveloppe " et non sur les paquets eux-mêmes;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 3 de la loi du 9 juillet 1976, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré illicite la publicité " Camel Aventure " ;

" aux motifs qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ces graphismes évocateurs d'une marque de cigarettes très connue sont immédiatement visibles par tout lecteur d'attention moyenne et perçus comme publicité pour le tabac, et non pour un service inconnu du public l'adjonction du mot " aventure " sans autre explication ne fournissant aucune autre signification à cette publicité qui contrevient ainsi aux dispositions de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée par la loi du 13 janvier 1989 lequel dispose notamment que la publicité en faveur d'un service, produit ou article autre que le tabac ne doit pas, par son graphisme, sa représentation ou l'utilisation de l'emblème publicitaire, rappeler un produit du tabac ;

" alors que le prévenu faisait valoir dans ses conclusions que le service " Camel Aventure ", objet de la publicité litigieuse, avait une existence et une notoriété propres, distinctes du tabac vendu sous cette marque, et que les informations délivrées sur " Minitel " auxquelles cette publicité suggérait l'accès étaient exclusivement relatives aux activités organisées par ce service ; qu'ainsi, en se bornant à entériner l'appréciation des premiers juges, qui reposait sur la seule affirmation du caractère prétendument inconnu du public desdites activités, sans répondre à ce chef de conclusions tendant précisément à établir la conformité, dans les faits, de la publicité litigieuse à son objet apparent, la cour d'appel, en l'état d'une publicité comportant le logo spécifique de ce service, une photo évoquant le thème de l'aventure et un message faisant une double référence à ce même thème, n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifié, 1134 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré illicite " la publicité Marlboro Leasure Wear " figurant aux pages 60 à 64 de l'E M ;

" aux motifs que la publicité incriminée, qui introduit un article sur une compétition en motoneige, comporte en tête de chaque double-page, en gros caractères, le logo et le graphisme de la marque de cigarettes " Marlboro ", le terme anglais Leisure Wear figurant en plus petit format sous le logo ; qu'en outre, tous les hommes photographiés portent des vêtements présentés en gros plan, bordés du même logo et du même graphisme ; que ladite publicité, comme la précédente évoque davantage une marque de cigarettes bien connue qu'un produit vestimentaire désigné en langue anglaise (" Marlboro Leisure Wear for action ") et inconnu du public français alors, qu'aucune autre mention en langue française ne vient expliciter l'objet de la publicité ; que dans ces conditions la publicité incriminée, qui rappelle un produit du tabac, contrevient par là-même aux dispositions de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée ;

" alors qu'en statuant par de tels motifs, sans s'expliquer autrement sur le moyen invoqué dans les conclusions d'appel, suivant lequel la publicité en question était une publi-promotion ayant pour objet des vêtements de sports d'une marque notoire, dont d'ailleurs le logo, et non celui de la marque de cigarettes Marlboro ainsi que l'énonce inexactement l'arrêt, était représenté de façon très apparente, la cour d'appel n'a pas donné une base légale à sa décision " ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le prévenu avait également été cité devant la juridiction répressive pour publicité illégale en faveur du tabac, à la suite de la publication dans le même journal, d'une part, d'une photographie représentant un homme ramant dans un canot avec en surimpression certaines caractéristiques de la marque de cigarettes Camel, notamment sa dénomination en très gros caractères, identiques quant à la forme et à la couleur à ceux de cette marque, d'autre part, d'un article sur une course en motoneige avec, à chaque page, les signes spécifiques de la marque de cigarettes Marlboro ;

Attendu que, pour écarter les conclusions de Jean-Pierre C qui soutenait que ces publicités s'appliquaient à un service " Camel Aventure " ou à des vêtements de marque " Marlboro Leasure Wear " et ne rappelaient pas un produit du tabac, la juridiction du second degré après avoir, par motifs adoptés des premiers juges, estimé que sous l'apparence d'une publicité pour ce service ou ces vêtements, les annonces litigieuses constituaient en réalité une publicité en faveur des cigarettes de marque " Camel " et " Marlboro ", prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que par son mode de présentation qui rappelait un produit du tabac chacune de ces annonces constituait une publicité indirecte en faveur de ce produit, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre autrement qu'elle l'a fait aux conclusions du prévenu, dès lors que ; toute propagande indirecte en faveur du tabac est interdite par la loi, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués

D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.