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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 9 janvier 1997, n° 95-01871

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Comité National contre le Tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Segondat

Conseillers :

Mme Algier, M. Le Corre

Avocats :

Mes De Beughem, Voillemont, Bihl.

CA Rennes n° 95-01871

9 janvier 1997

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal correctionnel de Nantes par jugement contradictoire en date du 27 septembre 1995, pour :

Publicité illicite en faveur du tabac,

A condamné F Alain à 100 000 F d'amende,

Et sur l'action civile, a condamné in solidum M. F Alain et la société P M à payer au Centre National Contre le Tabagisme une somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts et une somme de 4 000 F au titre des frais d'instance non compris dans les dépens.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

M. F Alain et la SA P M France, le 6 octobre 1995, à titre principal et général,

M. le Procureur de la République, le 6 octobre 1995 à titre incident.

La prévention :

Considérant que le prévenu F Alain et la société P M France ont été régulièrement cités devant le Tribunal correctionnel de Nantes par le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT), partie civile poursuivante, pour s'entendre déclarer coupable et civilement responsable du délit de publicité illicite en faveur du tabac, en commercialisant des cigarettes à Nantes du 1er au 11 avril 1994 ;

Faits prévus et réprimés par les articles 2 et 12 de la loi du juillet 1976 modifiée.

En la forme :

Considérant que les appels sont réguliers et recevables en la forme ;

Au fond :

I- Les faits et la procédure

La foire Internationale de Nantes s'est tenue au Parc de la Beaujoire du 1er au 11 avril 1994,

Soutenant que le catalogue distribué gratuitement à l'entrée de la Foire indiquait notamment au public que, parmi 4 stands distribuant du tabac, il pouvait trouver :

- hall 10 niveau 2 un stand P M France présentant les cigarettes Malboro, Chesterfield, L et M et P M (stand 36),

- hall 5 un stand " P M France " offrant des cigarettes Malboro, P M et Chesterfield (stand 93),

Soutenant en outre que l'existence même des stands offrant à la vue des paquets de cigarettes, des objets publicitaires et des logos de marques de tabac constitue une nouvelle infraction de publicité illicite en faveur du tabac,

Soutenant enfin que l'exception de l'alinéa 2 ne saurait être invoquée par des fabricants vendant leurs produits dans des stands et non des débits de tabac alors que les publicités étaient parfaitement visibles de l'extérieur et que le catalogue qui ne constitue pas une affichette était distribué à tout visiteur,

Le Centre National Contre le Tabagisme (CNCT) a fait notamment citer directement devant le Tribunal correctionnel de Nantes Alain F, Président du conseil d'administration de la société P M et cette société en qualité de civilement responsable aux fins de voir juger M. F et la société P M coupables de l'infraction prévue par l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 modifiée et réprimée par l'article 12 de la même loi et au paiement de la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts.

Par jugement rendu le 27 septembre 1996, le Tribunal Correctionnel de Nantes a condamné Alain F à une amende de 100 000 F aux motifs essentiels :

- que les sous-débits de marque ouverts par P M France SA étaient surmontés d'une enseigne lumineuse de grandes dimensions portant le logo de cette marque et en toutes lettres la dénomination sociale P M France SA au-dessus de l'enseigne de débit proprement dite " Tabac " en gros caractères ;

- que les stands étaient par ailleurs totalement ouverts sur le hall d'exposition sur les paquets de cigarettes offerts à la vente et sur les affichettes publicitaires sur lesquelles on distinguait les marques Malboro - LM notamment.

Statuant sur l'action civile, le même tribunal a par ailleurs condamné solidairement Alain F et la SA P M France du fait de ces agissements à payer aux CNCT la somme de 250 000 F à titre de dommages-intérêts outre 4 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP.

II- Prétentions des parties

Au soutien de l'appel déclaré le 6/10/1995 et portant sur les condamnations tant pénales que civiles, Alain F et la société P M France SA, font valoir :

A- Sur le prétendu fait d'avoir surmonté les stands d'une enseigne représentant un logo de la marque de cigarette P M :

1) qu'il n'existe aucune infraction aux dispositions de l'article L. 355-2 du code de la santé publique, qui ne prévoit aucune interdiction dont la violation pourrait être constitutive d'une infraction ;

2) que le fait d'avoir apposé sur l'enseigne du sous-débit de marque la dénomination sociale P M France SA n'est pas constitutif d'une publicité illicite puisqu'il s'agit du nom de l'établissement au sens de l'article 1 de l'arrêté du 31/12/1992 pris en application de l'article L. 355-24 du code de la santé publique, d'une indication visant à tenir les consommateurs informés du nom du responsable du stand, d'une dénomination distincte des marques de commerce et de fabrique des produits de tabac ne constituant ni un graphisme, ni une présentation, ni l'utilisation d'une marque ni celle d'un emblème publicitaire, ni celle d'un signe distinctif de nature à rappeler le tabac, ni en définitive une publicité indirecte telle que définie à l'article 3 de la loi Evin ;

3) que le fait d'avoir apposé l'emblème du groupe P M sous la mention de la dénomination sociale, ne peut être considéré ni comme un acte de publicité directe en faveur du tabac puisque ce n'est pas l'emblème utilisé pour la représentation graphique de la marque de cigarettes P M ni comme une publicité indirecte puisque ce n'est ni le signe distinctif ni l'emblème publicitaire ni l'élément graphique constitutif d'une marque de tabac.

B- Sur la prétendue exposition illicite des paquets de cigarettes offerts à la vente :

1) que les dispositions de l'article L. 355-25 n'incriminent pas les faits reprochés ;

2) que le stand était conforme aux dispositions applicables puisqu'il respectait tant les instructions en matière de présentation des produits à la vente que les dispositions applicables en matière de publicité dès lors qu'aucune publicité ou affichettes visibles à l'extérieur ou de l'extérieur de l'enceinte de la Foire n'a été faite, étant observé que la fermeture complète d'un stand serait un facteur d'insécurité particulièrement important.

Aussi prient-ils la Cour d'infirmer le jugement, de relaxer Alain F, de mettre hors de cause la société P M France SA et de débouter le CNCT de toutes ses demandes.

Le Ministère public a pour sa part, requis la confirmation du jugement.

Reprenant l'argumentation développée en 1re instance, le CNCT soutient pour sa part :

1) que la seule présentation des stands dans ce catalogue suffit à constituer le délit de publicité illicite en faveur des marques de tabac ;

2) que l'existence même des stands offrant à la vue de tout venant des paquets de cigarettes, des objets publicitaires, des logos des marques de tabac constitue une infraction de publicité illicite en faveur du tabac.

Il ajoute que l'infraction est particulièrement grave puisque réalisée dans le cadre d'une manifestation officielle à laquelle 150 000 visiteurs étaient attendus et offrant une entrée gratuite pour les enfants de moins de 10 ans et pour le 3e âge le 11 avril.

III- Motifs de la décision :

Considérant qu'au sommaire du catalogue distribué à l'entrée de la Foire Internationale de Nantes sont indiqués par ordre alphabétique l'emplacement de chacun des exposants et qu'à la lettre P on trouve :

- P M hall 5,

- P M France hall 10, niveau 2,

Qu'à la page 17, s'ouvre une rubrique : grand palais, hall 10 niveau 2 " Salon du tourisme et de l'artisanat du monde, Editions et services publics " contenant toujours par ordre alphabétique le nom des exposants avec la lettre P la mention :

" P M France

192 Avenue Charles de Gaulle

92523 Neuilly sur Seine

tél. 46-43-73-00

Cigarettes Malboro, P M, Chesterfield, L et M stand 36 ".

Qu'à la page 25, s'ouvre une autre rubrique : Hall 5 " Vins et Gastronomie " contenant toujours par ordre alphabétique le nom des exposants avec à la lettre P la mention

" P M France

192 Avenue Charles de Gaulle

92523 Neuilly sur Seine

tél. 46-43-73-00

Cigarettes Malboro, P M, Chesterfield, L et M stand 93 ".

Qu'enfin à la rubrique " Tabacs " à la page 44 figurent encore :

- P M hall 5,

- P M France hall 10 niveau 2.

Considérant que bien que ces mentions constituent une publicité directe en faveur d'un produit du tabacdès lors qu'elles ont pour objet d'informer le public de l'existence et de l'emplacement de points de vente de cigarettes clairement désignées aux pages 17 et 25 sous les marques Malboro, P M, Chesterfield et L et M et bien que les appelants ne contestent pas en cause d'appel cette infraction visée dans la citation et entrant dans la saisine de la Cour du fait de l'appel du Ministère public, il n'apparaît pas au vu des pièces fournies à la Cour que Alain F soit l'auteur de ce délit puisque rien n'établit qu'il ait donné pour instruction à l'annonceur d'insérer de telles mentions dans le catalogue ni qu'il ait d'une quelconque manière participé à son élaboration.

Qu'ainsi le tribunal doit-il être approuvé pour n'avoir pas retenu ce premier chef de prévention.

Mais considérant en ce qui concerne le second chef qu'il résulte de quatre photographies versées aux débats que les deux stands P M ouverts l'un hall n° 10 niveau 2, l'autre hall n° 5 étaient surmontés d'une vaste enseigne lumineuse comportant sous l'emblème du groupe les mots :

P M

France SA

et que ces stands étaient totalement ouverts sur le hall, laissant voir au public entre les petites colonnes soutenant le plafond des paquets de cigarette et des cartouches de marque Malboro, Chesterfield et P M ainsi qu'apposées sur les murs visibles de l'extérieur des stands des affichettes publicitaires Malboro.

Considérant qu'Alain F ne conteste pas ces faits ni être à l'origine de cette disposition et exposition des produits.

Considérant que ces faits constituent une publicité directe ou indirecte en faveur des produits du tabac.

Qu'en effet, si comme le soulignent les appelants, l'article L. 355-24 ne contient aucune incrimination, il contient cependant une définition se rapportant aux faits de la cause en ce sens qu'il précise que sont considérés comme produits du tabac les produits destinés à être fumés dès lors qu'ils sont même partiellement constitués de tabac ce qui est bien le cas des cigarettes P M, Malboro, Chesterfield, L et M vendues dans les stands litigieux.

Or considérant que l'article L. 355-22 prohibe toute propagande ou publicité en faveur des produits du tabac ;

Que doit être considérée comme une publicité en faveur des cigarettes P M l'enseigne lumineuse affichant cette marque en grands caractères, Alain F étant mal fondé à soutenir qu'il ne s'agit que d'une dénomination sociale qu'il est autorisé à utiliser surmontée du logo du groupe alors que le public lecteur de cette enseigne la comprend nécessairement comme une publicité en faveur d'une marque de cigarettes dont il peut trouver la vente dans le stand sur lequel elle est apposée, le seul fait d'utiliser la marque fût-elle comprise dans la dénomination sociale rappelant bien le produit du tabac ci-dessus défini.

Considérant par ailleurs que le fait d'avoir offert à la vente des cigarettes visibles de l'extérieur des stands et d'y avoir disposé des affichettes publicitaires en faveur de cigarettes également visibles de l'extérieur des stands constitue bien le délit de publicité en faveur d'un produit du tabac. Qu'Alain F ne peut prétendre avoir respecté les dispositions applicables en matière de publicité au motif que les produits du tabac et les affichettes étaient disposées à l'intérieur de l'enceinte de la Foire et n'étaient pas visibles à l'extérieur de celle-ci alors que la notion d'extériorité s'applique aux sous-débits eux-mêmes et non à l'enceinte de la Foire, celle-ci ne pouvant en aucun cas être considérée comme un vaste débit de tabac à l'intérieur duquel la publicité serait autorisée. Qu'aucun motif de prétendue sécurité ne saurait contrevenir aux dispositions protectrices de la santé publique auxquelles tout exposant doit impérativement se soumettre, surtout lorsqu'il en connaît particulièrement les impératifs en sa qualité de professionnel de la distribution du tabac.

Considérant que les manquements reprochés à Alain F sont suffisamment graves pour justifier une augmentation significative de l'amende que lui a infligée le tribunal..

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice subi par le CNCT du fait des agissements sanctionnés et de l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Qu'il sera en cause d'appel accordé à la partie civile une somme complémentaire équitablement fixée à 4 000 F.

Par ces motifs, LA Cour, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme, Reçoit les appels, Au fond, Confirme le jugement sur la qualification des faits et la culpabilité, le réformant sur la peine, Condamne Alain F à une amende de deux cent mille francs (200 000 F) ; Confirme le jugement sur l'action civile et les frais non répétibles de première instance ; Condamne solidairement Alain F et la SA P M à payer au CNCT quatre mille francs (4 000 F) au titre des frais non répétibles d'appel. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable le condamné, Prononce la contrainte par corps, Le tout par application des articles susvisés, 800-1, 749 et 750 du code de procédure pénale.