CA Paris, 13e ch. B, 17 octobre 2002, n° 02-01444
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Ministère public, Olitec (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Barbarin
Avocat général :
M. Laudet
Conseillers :
M. Nivose, Mme Geraud-Charvet
Avocats :
Mes Sarfati, Hemmerdinger.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LA PREVENTION:
L Philippe est poursuivi pour publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, le 1er octobre 1998, à La Courneuve,
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré L Philippe coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, le 1er octobre 1998 , à La Courneuve, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation
et, en application de ces articles, l'a condamné à 10 000F d'amende. Dit que la contrainte par corps s'exercera s'il y a lieu.
Le tribunal a condamné L Philippe à payer la somme de 1 F à la société Olitec, partie civile.
LES APPELS:
Appel a été interjeté par:
Monsieur L Philippe, le 15 décembre 2000,
M. le Procureur de la République, le 15 décembre 2000,
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels du prévenu et du Ministère public, interjetés à l'encontre du jugement entrepris;
RAPPEL DES FAITS ET DEMANDES:
La société Olitec et la société X, cette dernière ayant pour président du conseil d'administration Philippe L, sont des sociétés concurrentes qui ont pour activité la fabrication et la distribution d'appareils de télécommunication, et notamment de fax modem;
Se fondant sur un procès-verbal de constat dressé le 21 octobre 1998 par un huissier de justice de Nancy, la société Olitec a soutenu que le produit "Y" conçu et commercialisé par la société X à partir du dernier trimestre de l'année 1998, ne remplissait pas la fonction vocale vantée par ses publicités et figurant sur l'emballage dudit produit;
Par exploit en date du 3 mars 1999, la société Olitec a fait citer directement Philippe L, devant le Tribunal correctionnel de Bobigny, pour avoir, à La Courneuve, le 1er octobre 1998, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur un fax modem désigné "Y";
La société Olitec, partie civile, est représentée par son avocat qui a déposé des conclusions;
Elle indique qu'à compter du 1er octobre 1998, elle a débuté la fabrication et la commercialisation d'un fax modem désigné "Smart Memory 56 000" et que de son coté, la société X a mis sur le marché un fax modem désigné "Y" pour lequel elle a bénéficié d'importantes campagnes de publicité parues dans la presse spécialisée, mettant en avant les principales caractéristiques de cet appareil: récupération des e-mails (messages électroniques) sans que l'ordinateur ne soit allumé et rappel de l'utilisateur qui n'avait plus qu'à appuyer sur une simple touche pour en prendre connaissance au moyen d'un procédé de lecture vocale; ces publicités indiquaient notamment: "Y" récupère automatiquement vos e-mails sans allumer votre ordinateur et vous lit leur contenu en appuyant sur une simple touche", "Y" les récupère automatiquement aux heures souhaitées", "Avec Y vos e-mails prennent la parole, même PC éteint"; le contenu publicitaire de l'emballage du produit "Y" indiquait en façade: "Ecoutez vos e-mails chez vous ou par téléphone, lecture vocale de vos e-mails PC éteint, testé par des consommateurs !";
La société Olitec, estimant que ces publicités étaient probablement trompeuses, a mandaté Maître Wilot, huissier de justice, pour vérifier que le modem "Y" permettait bien de recevoir vocalement des e-mails; l'officier ministériel a le 21 octobre 1998, acheté un appareil et a tenté sans y parvenir de l'installer sur le réseau Internet en se connectant par l'intermédiaire des services de la société Z (fournisseur d'accès à Internet et partenaire privilégié de la société X), qui lui a répondu que cette fonctionnalité n'était pas encore accessible;
La société Olitec a donc fait citer directement devant la juridiction répressive Philippe L, ès qualités de représentant légal de la société X, pour délit de publicité trompeuse;
La partie civile considère que la preuve de l'infraction résulte des constations de l'huissier de justice, des termes de l'entretien téléphonique avec le service clientèle de la société Z, du courrier électronique envoyé par cette société et d'une attestation d'un consommateur qui a acheté le produit litigieux le 14 octobre 1998; dans ces conditions, les éléments exposés suffisent largement à confirmer que les publicités de la société X, notamment sur la fonctionnalité essentielle de son produit, étaient au moins jusqu'à la date du 21 octobre 1998, de nature à induire en erreur;
La société Olitec soutient que le fabricant d'un produit concurrent qui a subi un préjudice résultant d'une publicité trompeuse peut se constituer partie civile et elle sollicite:
-la confirmation de la décision du tribunal ayant déclaré Philippe L coupable de l'infraction qui lui était reprochée,
-la condamnation du prévenu à lui payer la somme symbolique de 1 euro en réparation de son préjudice,
-la publication de l'arrêt à intervenir dans des journaux spécialisés suivants: "01 Informatique, Décision Micro, Ordinateur Individuel, PC Achat, Micro Achat", aux frais du prévenu sans que le coût de chaque insertion ne dépasse 3 000 euros,
-et la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Le Ministère public s'en rapporte à la justice;
Philippe L, prévenu, comparaît, assisté de son avocat qui a déposé des conclusions; il critique le jugement déféré l'ayant condamné à une amende de 10 000 F et à des dommages-intérêts et il sollicite sa relaxe;
Il soutient que cette procédure est motivée par un désir de revanche vis à vis d'un concurrent et que l'élément matériel de l'infraction de publicité trompeuse est inexistant; que les vérifications faites à la demande de la société Olitec n'ont aucun caractère contradictoire et ont été effectuées par un huissier de justice dont le rôle n'est pas celui d'un expert; que Me Willot a passé un grand nombre d'appels téléphoniques au fournisseur d'accès Z sans jamais interroger le service après-vente de la société X;
Au fond, le prévenu affirme que le produit Y répondait parfaitement aux spécifications du concepteur depuis son lancement en octobre 1998; il verse au dossier des fiches de prêt du 9 au 21 octobre 1998 à divers journaux professionnels de l'informatique qui ont fait des articles élogieux sur l'appareil en cause et souligne que différents prix qui récompensé ce produit;
A titre reconventionnel, en application des dispositions de l'article 472 du Code de procédure pénale le prévenu estime que la société Olitec a agi de manière téméraire en n'hésitant pas à mettre en œuvre une action pénale dans des conditions hasardeuses qui procèdent d'une évidente intention de nuire et demande la condamnation de la partie civile de lui payer à ce titre la somme de 15 000 euros, outre la somme de 4 573,48 euros par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;
Sur ce
Sur l'action publique
Considérant que le prévenu ne conteste pas que la principale caractéristique du fax modem Y, commercialisé en octobre 1998, est de récupérer des courriels, l'ordinateur étant éteint, et d'en donner une lecture vocale; que le contenu de l'emballage de cet appareil indiquait cette fonctionnalité ainsi que les différentes publicités émanant notamment des sociétés A et C; que cette fonctionnalité du fax modem est parfaitement établie par les pièces versées au dossier de Philippe L et n'est pas contestée par la partie civile qui se borne à soutenir qu'à la date du 21 octobre 1998, la publicité était mensongère, pour avoir vanté les mérites d'un produit qui n'était pas encore opérationnel;
Considérant que la partie civile verse au dossier un procès-verbal d'huissier de justice du 21 octobre 1998; que ce constat qui n'est pas contradictoire, a la force probante d'un simple renseignement en matière pénale et qu'il est soumis à l'appréciation du juge répressif;
Considérant que pour accéder au réseau internet, l'huissier de justice a choisi le serveur Z dont le service clientèle a fait savoir à l'huissier, après une confusion entre le modem Y utilisé et le modem Olitec, qu'il ne connaissait pas cette fonction du modem Y et que "ce n'est pas encore accessible, car malheureusement X a sorti ses modems avant la date prévue d'exploitation de ces nouveaux systèmes...";
Considérant que si une publicité d'accès à internet par l'intermédiaire de la société Z était proposée dans le coffret d'achat du modem Y, il n'y avait aucune obligation pour un utilisateur de modem Y de s'abonner ou de passer par cet opérateur de réseau; que l'huissier se borne à constater que les services du réseau Z n'étaient pas prêts pour l'utilisation du modem Y à la date du 21 octobre 1998; qu'en conséquence la partie civile n'établit pas que l'appareil fax modem incriminé ne fonctionnait pas à la date du 21 octobre 1998;que la cour constate en outre que Philippe L produit des documents qui établissent qu'il a prêté ces mêmes appareils à des journalistes spécialisés pour des essais à partir du 9 octobre 1998 et que sa société a reçu le prix de la communication pour son fax modem permettant de vocaliser ses courriels ordinateur éteint;
Qu'il convient, dès lors, en infirmant le jugement déféré, de relaxer Philippe L.
Sur l'action civile
Considérant que compte tenu de la décision de relaxe à intervenir, il y a lieu de débouter la partie civile de ses demandes.
Sur les demandes du prévenu, au titre des articles 472 et 475 -1 du Code de procédure pénale
Considérant que la partie civile a fondé sa citation sur des pièces non contradictoires qui seraient sans aucune valeur dans une procédure civile, ce qui révèle son intention de nuire à une société concurrente; qu'il convient de faire droit à la demande du prévenu sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale et de condamner la société Olitec à payer à Philippe L la somme de 5 000 euros à ce titre;
Considérant que la demande du prévenu présentée au titre de l'article 475-l du Code de procédure pénale, est irrecevable;
Par ces motifs: LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public; Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions tant pénales que civiles, Sur l'action publique Relaxe Philippe L des fins de la poursuite, Sur l'action civile Déboute la société Olitec de ses demandes, Sur les demandes du prévenu, au titre des articles 472 et 475-1 du Code de procédure pénale, Condamne la société Olitec, partie civile, à payer à Philippe L, la somme de 2 500 euros, au titre de l'article 472 du Code de procédure pénale, Déclare irrecevable la demande présentée par Philippe L, sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.