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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ., 13 mars 2003, n° 01-05960

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fargeot Machines Systèmes - FMS (SARL)

Défendeur :

600 France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Santelli, Kerraudren

Avoués :

SCP Baufume-Sourbe, Me Barriquand

Avocats :

Mes Quincy, Peyron, Selarl Hausmann & Associés.

T. com. Villefranche-sur-Sâone-Tarare, d…

22 février 2001

Faits, procédure et prétentions des parties :

Par "accord de représentation commerciale exclusive" en date du 10 juillet 1998, la SA A. Guitton aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SA 600 France, fournisseur et importateur de machines-outils & outillages industriels a confié à la SARL Fargeot Machines Systèmes la distribution exclusive de produits de la gamme Guitton sur un territoire déterminé dans des conditions juridiques aujourd'hui controversées. La SA A. Guitton a dénoncé, le 23 février 1999, l'accord d'exclusivité.

Par jugement rendu le 22 février 2002, le Tribunal de commerce de Villefranche-Sur-Sâone - Tarare, écartant la qualification de contrat d'agent commercial applicable à l'accord litigieux, a débouté la SARL Fargeot Machines Systèmes de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer à la SA A. Guitton la somme de 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Fargeot Machines Systèmes a régulièrement formé appel de cette décision dans les formes et délais légaux.

Vu l'article 455 alinéa premier du nouveau Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du Décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998;

Vu les prétentions et les moyens développés par la SARL Fargeot Machines Systèmes dans ses conclusions en date du 18 février 2002 tendant à faire juger que l'accord signé est un contrat d'agent commercial soumis aux dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, que sa rupture abusive et prématurée (avant le 10 juillet 2000, date d'expiration de la première période de l'accord) ouvre droit à son profit à l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice réellement subi, soit 211 780,80 euros, qu'elle n'a manqué à aucune de ses obligations d'agent commercial, que la SA A. Guitton doit aux termes du contrat d'agent commercial reprendre une machine-outil (tour Harrison) et que, subsidiairement, la rupture abusive et irrégulière de la relation commerciale non qualifiée de contrat d'agent commercial ouvre droit à des dommages et intérêts d'un même montant que ceux réclamés au titre de la rupture du contrat d'agent commercial, et, en toutes hypothèses, à la reprise par la SA. A. Guitton du tour de marque Harrison Alpha Plus demeuré en sa possession et la restitution de son prix d'achat (58 660,32 euros HT);

Vu les prétentions et les moyens développés par la SA 600 France dans ses conclusions en date du 12 juin 2002 tendant à faire juger que les dispositions des articles L. 134-1 du Code de commerce ne sont pas applicables à la relation commerciale litigieuse, qu'aucune faute ne peut lui être imputée dans la rupture de la relation commerciale, que par contre la SARL Fargeot Machines Systèmes a commis divers manquements à ses obligations justifiant la rupture du contrat de distribution exclusive à ses torts, que la SARL Fargeot Machines Systèmes n'a subi aucun préjudice résultant de la prétendue rupture, qu'aucune obligation ne pèse sur le concédant de reprendre des machines-outils acquises par la SARL Fargeot Machines Systèmes (aucune vente d'une machine-outil n'ayant été réalisée par le concédant postérieurement à la cessation de la relation commerciale) et qu'enfin la violation par la SARL Fargeot Machines Systèmes de son obligation de fidélité pendant le temps du préavis ouvre droit au profit du concédant à l'allocation de dommages et intérêts à concurrence de 20 000 euros;

Motifs et décision :

Attendu que l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, est chargé de façon permanente, de négocier, et éventuellement, de conclure des contrats de vente, au nom et pour le compte de commerçants ; qu'en l'espèce la SARL Fargeot Machines Systèmes ne peut revendiquer l'application du statut des agents commerciaux, dès lors que l'accord qui la liait à la SA A. Guitton et son exécution, ne caractérisent pas un agencement de rapports commerciaux correspondant à la définition légale qui est donnée du statut d'agent commercial ;que la SARL Fargeot Machines Systèmes n'exerce pas son activité au nom et pour le compte de la SA A. Guitton en vue de passer des ventes portant sur des machines-outils, mais est chargée de distribuer et de revendre directement aux clients utilisateurs finaux, sur un territoire déterminé, des machines-outils après les avoir elle-même acquises auprès de la SA A. Guitton qui lui consent une remise sur leur prix de ventequ'il s'agit d'un contrat de concession/distribution par lequel la SARL Fargeot Machines Systèmes revendait en son nom propre et pour son propre compte, des machines-outils sans prospecter la clientèle au nom et pour le compte de la SA A. Guitton;qu'il est indifférent que l'accord litigieux a envisagé, par dérogation stipulée expressément, la possibilité ponctuelle et d'un commun accord que le client final traite directement avec la SA A. Guitton moyennant une commission versée par celle-ci à la SARL Fargeot Machines Systèmes, agissant alors en qualité d'agent commercial ;que cette éventualité ne s'est jamais réalisée au cours de la brève exécution de l'accord litigieux;

Attendu que l'accord de représentation commerciale exclusive prévoyait en son article VII "une durée de 24 mois renouvelables ensuite par tacite reconduction de cinq années, sauf dénonciation de l'une ou l'autre des parties six mois au préalable par lettre recommandée avec avis de réception" ; que cet article institue un délai de préavis de six mois, à tout moment, au cours de l'exécution de la relation commerciale initiale ou renouvelée tacitement, pour permettre à l'une ou l'autre des parties d'en signifier la fin sans prévoir que le préavis doit être donné pour une date déterminée (date anniversaire du contrat, date d'expiration de la première période ou date de son renouvellement tacite) ; que la rédaction de la clause (et notamment l'emploi du vocable "au préalable" sans indication d'une date de référence) implique cette lecture; que la SA A. Guitton a donc régulièrement dénoncé, le 23 février 1999, "l'accord d'exclusivité" invoquant alors une restructuration de l'entreprise, puis a articulé, dans son courrier en date du 23 mars 1999, des griefs à l'encontre de la SARL Fargeot Machines Systèmes ;que les motifs avancés par le concédant au soutien de la rupture ne l'ont pas été tardivement; qu'il était possible à la SA A. Guitton d'alléguer même après la dénonciation de l'accord, les motifs de celle-ci ; que la dénonciation d'un simple accord commercial conformément aux stipulations contractuelles, n'impose pas que des motifs soient donnés ab initio par le concédant pour justifier sa décision, les parties ayant aménagé librement les conditions de la cessation de leur relation commerciale;qu'au demeurant, la SA A. Guitton justifie amplement que les motifs qu'elle invoque à l'appui de la dénonciation de l'accord commercial, sont fondés;que l'accord litigieux prévoyait à la charge de la SARL Fargeot Machines Systèmes diverses obligations (constitution d'un stock de machines-outils dits de "présentation" - trois au total, soit une par gamme de produit -, réalisation de quotas - six machines-outils par gamme de produit, soit 18 ventes correspondant à une vente par département sur le secteur géographique concédé moins l'Ardèche -, suivis commercial et technique du secteur géographique) ; que la SARL Fargeot Machines Systèmes n'a réalisé aucune vente ensuite de la conclusion de l'accord litigieux, ne détenait qu'une seule machine-outil de présentation et n'a pas rempli son obligation en matière de suivis commercial et technique ; que la SARL Fargeot Machines Systèmes ne peut donc prétendre à aucune indemnisation à la suite de la rupture de l'accord de distribution/concession, rupture intervenue régulièrement ensuite de sa dénonciation laissant courir un préavis de six mois, et rupture justifiée au surplus par des griefs exacts imputables personnellement au concessionnaire ;

Attendu que la SARL Fargeot Machines Systèmes a également violé son engagement de ne pas accepter de proposition de distribution de machines identiques à celles qu'elle était chargée de distribuer pour la SA A. Guitton, engagement contenu dans l'article V I d) de l'accord de distribution en signant avec les sociétés Pinacho et Metosa avant la fin du préavis des accord commerciaux en vue de la distribution de machines-outils identiques sur le territoire géographique considéréet en sollicitant, le 23 avril 1999, la société Goratu aux fins d'établir une collaboration commerciale sur la Région Rhône-Alpes ; que la violation par la SARL Fargeot Machines Systèmes de son engagement d'exclusivité et plus généralement de loyauté qui se poursuivait pendant la durée du préavis a causé à la SA A. Guitton un préjudice trouvant sa cause dans une perte de marchés, préjudice qu'il convient d'indemniser par l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;

Attendu que l'accord litigieux comportait une clause XIII par laquelle la SA A. Guitton s'engageait, en cas de résiliation de sa part de l'accord, "à vendre par priorité les matériels de la gamme Guitton détenus en stock par la SARL Fargeot Machines Systèmes" ; qu'à la suite de la dénonciation de l'accord litigieux, le 23 février 1999, moyennant un préavis de six mois, la SA A. Guitton devenue la SA 600 France, a donné en location, le 18 juin 1999, un tour de marque Harrison Alpha Plus 460 X 1500 de même modèle que celui détenu par la SARL Fargeot Machines Systèmes, avec faculté pour le locataire à l'issue d'un délai d'épreuve de six mois se terminant le 15 septembre 1999 au plus tard, de le conserver contre règlement de son prix intégral ; que la SA A. Guitton aurait dû au titre de son engagement de vendre par priorité les matériels de sa gamme, détenus en stock par la SARL Fargeot Machines Systèmes, réaliser l'opération envisagée qui pouvait se solder par une vente, (ce qui est advenu : le locataire, la société Imperator ayant usé de la faculté de conserver le tour de marque Harrison Alpha Plus), avec la machine-outil identique que la SARL Fargeot Machines Systèmes détenait; que l'engagement de la SA A. Guitton de vendre par priorité ladite machine-outil, était né au moment où elle a contracté, le 18 juin 1999, avec la société Imperator; que la SA A. Guitton en avait bien conscience puisque dans sa lettre du 23 mars 1999, postérieure à la dénonciation de l'accord, elle indiquait à la SARL Fargeot Machines Systèmes qu'elle "respectera son engagement de vendre en priorité le tour en exposition chez elle", ce qu'elle n'a pas fait ou entendu faire; que la SA A. Guitton sera tenue de reprendre le tour de marque Harrison Alpha Plus, sans frais de stockage non justifiés par le concessionnaire et d'en restituer à la SARL Fargeot Machines Systèmes, à titre de dommages et intérêts, le prix HT que cette dernière avait acquitté, soit 384 786,50 F ou 58 660,32 euros ;

Attendu que chacune des parties ayant succombé alternativement dans ses demandes et prétentions, conservera les frais qu'elle a exposés pour la défense de ses intérêts ;

Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que les parties seront déboutées de leur demande présentée à ce titre ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel de la SARL Fargeot Machines Systèmes comme régulier en la forme, au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, condamne la SA A. Guitton devenue la SA 600 France à porter et payer à la SARL Fargeot Machines Systèmes la somme de 58 660,32 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Condamne la SARL Fargeot Machines Systèmes à porter et payer à la SA 600 France la somme de 20 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Ordonne la compensation entre ces deux condamnations. Dit que la SA 600 France devra reprendre, a ses frais, le tour de marque Harrison Alpha Plus 460 X 1500 détenu dans les locaux de la SARL Fargeot Machines Systèmes à Anse (69), dans le délai de trois mois qui suivra la signification du présent arrêt, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard passé de délai. Déboute les parties de leurs plus amples ou contraires conclusions. Dit que chacune des parties supportera les frais qu'elle a engagés pour la défense de ses intérêts.