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Décisions

CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 15 janvier 2003, n° 2003-52

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Organisation générale des consommateurs, UFC "Que Choisir", Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bianconi

Substitut :

général: Mme Sayous

Conseillers :

Mmes Varlamoff, Kamianecki

Avocat :

Mes Zazzo.

TGI Grasse, ch. corr., du 22 sept. 2000

22 septembre 2000

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LA PRÉVENTION:

Thierry C a été cité devant le Tribunal correctionnel de Grasse par le Procureur de la République, pour avoir:

- à Biot le 2 janvier 1996, et en tout cas dans le ressort du Tribunal de grande instance de Grasse, depuis temps non couvert par la prescription, exposé, mis en vente ou vendu, des denrées servant à l'alimentation de l'homme, des boissons ou des produits agricoles ou naturels, qu'il savait être falsifiés, corrompus ou toxiques, notamment en proposant à la vente des produits sans s'être assuré de leur conformité et de leur innocuité notamment "A" et "B", compléments alimentaires additionnés de substances chimiques non autorisées et dont le dosage et le mode d'emploi préconisés conduisent à l'ingestion de quantité de vitamines journalières supérieures aux recommandations scientifiques,

faits prévus par l'article L. 213-3 alinéa 1 2° du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 213-3, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation,

- à Biot, le 26 janvier 1996, en tout cas dans le ressort du Tribunal de grande instance de Grasse, depuis temps non couvert par la prescription, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et notamment en distribuant des produits compléments alimentaires (C, D, E) promettant un développement spectaculaire des muscles en un minimum de temps, alors qu'un entraînement intensif était au minimum nécessaire sans être de façon certaine suffisant,

faits prévus par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimés par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation.

LE JUGEMENT:

Par jugement contradictoire du 22 septembre 2000, le Tribunal correctionnel de Grasse a déclaré C Thierry coupable des faits qui lui sont reprochés et l'a condamné à la peine de 30 000 F d'amende.

Sur l'action civile, le tribunal l'a condamné à payer à l'Organisation générale des consommateurs "ORGECO" et à l'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir" la somme de 10 000 F chacune à titre de dommages-intérêts et celle de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

LES APPELS:

Le prévenu a régulièrement interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions, par déclaration au greffe du 29 septembre 2000.

l'Organisation générale des consommateurs "ORGECO", partie civile, a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 3 octobre 2000.

Le Ministère public a relevé appel incident le 5 octobre 2000.

DÉCISION:

EN LA FORME,

Attendu que les appels formés par le prévenu, par l'Organisation générale des consommateurs "ORGECO", partie civile et par le Ministère public sont recevables pour avoir été interjetés dans les formes et délais légaux

Que C Thierry, régulièrement avisé de la date d'audience, a comparu assisté de son conseil et déclare être également le représentant légal de la SARL X;

Que l'Organisation générale des consommateurs "ORGECO" et "l'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir", partie civile, sont absentes

Qu'il sera statué par arrêt contradictoire à l'égard de C Thierry et de la SARL X et par arrêt de défaut à l'égard de l'Organisation générale des consommateurs "ORGECO" et l'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir";

AU FOND

RAPPEL SUCCINCT DES FAITS:

La SARL X dont C Thierry est le gérant a pour objet social la vente en gros de compléments alimentaires et procède également à la vente de ces produits par correspondance aux particuliers.

Il est reproché d'une part à C Thierry de proposer à la vente des compléments alimentaires additionnés de substances chimiques non autorisées ou dont le dosage en vitamine et le mode d'emploi conduisent à l'ingestion de quantités journalières supérieures aux recommandations scientifiques et, d'autre part, de procéder à des publicités mensongères en distribuant certains produits qui procureraient un développement spectaculaire des muscles en un minimum de temps alors qu'un entraînement intensif est nécessaire sans être même suffisant de façon certaine.

MOYENS DES PARTIES:

C Thierry conclut à titre principal à l'infirmation du jugement déféré et donc à sa relaxe et à titre subsidiaire, à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'un arrêt de la Cour européenne de justice saisie d'une procédure en manquement intentée contre la France, le 5 juillet 1999, du fait de la contrariété de principe dit de la liste positive, avec le principe de libre circulation des produits dans l'Union européenne.

Au soutien de sa relaxe sur les poursuites relatives aux compléments alimentaire, il fait valoir qu'il n'existe pas de réglementation applicable à ceux-ci, en l'état notamment de l'abrogation de l'article 15-2 alinéa 2 du Décret du 15 avril 1912 modifié par le D. n° 97-964 du 14 octobre 1997 visé par les premiers juges et qu'il convient d'appliquer strictement le principe de légalité des peines. Il ajoute qu'il convient de prendre en compte l'évolution de la législation et des données scientifiques depuis 1912 sur les dosages autorisés en matière de vitamines et autres substances.

Sur le délit de publicité mensongère, il affirme que les publicités en cause font bien référence à l'obligation de suivre une méthode globale d'entraînement physique et une alimentation spécifique et que les quelques éléments versés aux débats par "sic" sont insuffisants à mettre en doute la fiabilité de la méthode proposée.

Le Ministère public conclut à la confirmation du jugement.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Sur l'action publique:

Attendu que les premiers juges, après rappel de la prévention et de la procédure jusque-là suivie, ont exactement exposé les faits; que sur ces points la cour se réfère aux énonciations du jugement déféré;

1 - Sur la culpabilité,

* sur le délit de falsification de denrées alimentaires:

Attendu que les premiers juges pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de C Thierry de ce chef après les contrôles portant sur les produits litigieux ont retenu que ces produits sont des compléments alimentaires et comme tels sont soumis aux textes généraux relatifs aux denrées alimentaires, se référant ainsi à un arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, en date du 1er juin 1999 et à un arrêt de la Cour européenne de justice du 18 mai 2000, dans lequel cette juridiction relève que la réglementation communautaire ne s'oppose pas à la réglementation française en ce qui concerne les substances présentes dans les compléments alimentaires;

Que poursuivant son raisonnement, le tribunal a constaté que les compléments alimentaires visés devaient satisfaire aux exigences réglementaires prévus par les textes généraux et en particulier au Décret du 15 avril 1912 qui a institué le principe des listes positives

Qu'en l'espèce, force était de constater que les deux produits en cause contenaient soit des substances non autorisées par la réglementation générale (ex: acides aminés, chrome ...) ou des vitamines en surdosage par rapport aux apports journaliers recommandés et que l'infraction visée à l'article L. 213-3 du Code de la consommation était donc parfaitement constituée à l'égard de C Thierry, concepteur de ces produits qui en avait également assuré la formulation et l'étiquetage;

Attendu que C Thierry soutient que ce raisonnement est erroné dans la mesure où l'article 15-2 du Décret du 15 avril 1912, ajouté en fait par le Décret du 10 avril 1996 aurait été abrogé par le Décret n° 97-964 du 14 octobre 1997;

Attendu que s'il est vrai que ce dernier Décret a abrogé le précédent, il a cependant repris la même définition du complément alimentaire, à savoir un produit destiné à être ingéré en complément de l'alimentation courante afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers;

Qu'ainsi, cette définition reste applicable aux produits en cause;

Que par ailleurs, la Cour de cassation a confirmé la jurisprudence citée par les premiers juges à savoir qu'un produit commercialisé comme complément alimentaire, qui n'est ni un médicament, ni un produit diététique soumis à la réglementation des aliments destinés à une alimentation particulière, relève des règles applicables aux denrées alimentaires et ne peut, par application de l'article 1er du Décret du 15 avril 1912, être additionné de substances autres que celles dont l'emploi est autorisé par arrêté ministériel ( cf. Cass. crim., 5 septembre 2000);

Qu'en conséquence, le raisonnement développé par les premiers juges apparaît tout à fait cohérent et pertinent en droit et qu'ils ont justement constaté que C Thierry avait utilisé des substances non autorisées dans le cadre de la réglementation générale, tout au moins à l'époque des faits car comme le fait justement observer C Thierry, à titre subsidiaire, la législation a considéré évolué en ce qui concerne tant les dosages de vitamines que la liste des substances pouvant être utilisées dans la fabrication des compléments alimentaires;

Qu'ainsi, il justifie que le Comité scientifique alimentaire dans un avis en date du 28 novembre 2000 a porté le seuil maximal d'ingestion journalière de vitamine B6 pour un adulte à 25 mg, soit une quantité plus importante que le maximum de la dose préconisée dans les produits commercialisés par C Thierry;

Que de la même façon, il justifie qu'une directive du 10 juin 2002, certes non encore transposée, autorise l'utilisation du chrome, du cuivre et du manganèse dans les compléments alimentaires;

Qu'il n'en reste pas moins que certaines substances utilisées dans les produits incriminés restent soumises à autorisation telles la phénylalanine qui, même si elle est concernée par un arrêté du 20 juillet 1977 sur l'étiquetage des produits n'est pas autorisée dans les produits alimentaires à ce jour, la citrate de choline et l'ornothine;

Qu'en conséquence, il convient de constater que la culpabilité de C Thierry du chef de falsification de denrées alimentaires reste caractérisée par l'emploi de ces trois substances non autorisées expressément dans l'alimentation générale et qu'en conséquence, le jugement déféré doit être confirmé sur ce point;

* sur le délit de publicité mensongère:

Attendu que les premiers juges ont retenu la culpabilité de C Thierry de ce chef de prévention du fait de publicités concernant les gammes de produits C, D et E après avoir relevé qu'elles faisaient référence de façon systématique à un développement physique important dans des délais particulièrement brefs alors même que C Thierry avait reconnu qu'il était impossible de garantir un quelconque résultat en dehors d'un cadre intégrant des méthodes d'entraînement accompagnés de programmes alimentaires spécifiques;

Attendu que C Thierry soutient que les publicités en cause font référence à une méthode globale d'entraînement et d'alimentaire, le tout étant présenté dans un conditionnement unique;

Attendu que s'il est vrai que le message publicitaire fait effectivement apparaître la nécessité de suivre un entraînement sportif et une alimentation appropriée, il n'en reste pas moins que la rapidité et l'efficacité promises sont totalement irréalistes et caractérisent le caractère mensonger des publicités puisque comme l'a très clairement indiqué le Docteur Peres, chef du service de physiologie, explorations fonctionnelles et médecine du sport à l'Hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris, dans un avis qui figure régulièrement au dossier "Même sous régimes alimentaires de famine ou bien à l'opposé, d'apports protéiques poussés et entraînement très dur ... , il n'a jamais été constaté de telles modifications dans des délais aussi brefs";

Qu'en conséquence, c'est donc par des motifs exacts et fondés en droit que la cour adopte expressément, que le tribunal l'a déclaré coupable de ce chef de prévention;

Que sa décision sera confirmée;

2 - Sur la peine,

Attendu, toutefois, qu'il convient de faire une application plus modérée de la loi pénale, dans l'appréciation du montant de l'amende, eu égard à l'évolution de la législation quant aux substances pouvant être utilisées dans la fabrication des produits alimentaires;

Qu'ainsi, la cour condamnera le prévenu à une amende de 3 000 euros;

Sur l'action civile:

Attendu que le tribunal a fait une juste appréciation quelque peu excessive du préjudice subi par les parties civiles qui peut être ramené à la somme de 500 euros chacune;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de C Thierry et de la SARL X et par arrêt de défaut à l'égard de l'Organisation générale des consommateurs "ORGECO" et l'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir", en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme, Reçoit les appels formés par C Thierry, prévenu, par l'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir" partie civile et par le Ministère public, Au fond, Confirme le jugement déféré sur la culpabilité du prévenu, Réformant sur la peine et statuant à nouveau, Condamne le prévenu à la peine d'amende de 3 000 euros, Réformant sur les dispositions civiles et statuant à nouveau, Fixe le préjudice subi par chacune des parties civiles à la somme de 500 euros, Condamne C Thierry à verser cette somme à l'Organisation générale des consommateurs "ORGECO" et à l'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir", Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.