Livv
Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 16 décembre 1981, n° 81-2662

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Ministère public, CNCT

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Morelli

Avocat général :

M. Connen

Conseillers :

MM. Veuillet, Berthas

Avocats :

Mes Duquet, Terray, Sabeau Jouannet, Lepetit.

TGI Paris, 31e ch., du 9 févr. 1981

9 février 1981

Statuant sur les appels régulièrement interjetés, par B François, la société "P" et le Ministère public, à l'encontre du jugement déféré;

Se référant à celui-ci, pour l'exposé des faits:

Considérant que, par voie de conclusions, le prévenu invoque le bénéfice de l'amnistie; qu'il demande en outre que le "Comité national contre le tabagisme" soit déclaré irrecevable, pour défaut d'intérêt et de qualité à agir; que subsidiairement il soutient que ni lui-même, ni sa société, n'ont commis une faute propre à entraîner une responsabilité quelconque envers cette association, qui doit donc être déboutée de son action;

Considérant que de son côté, et également par voie de conclusions, ce Comité, partie civile, sollicite la confirmation dudit jugement en ce que, par celui-ci, les appelants ont été condamnés à lui verser 10 000 F à titre de dommages-intérêts qu'il demande que soit ajoutée à ceux-ci une somme de 4 000 F, allouée sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Considérant qu'il échet tout d'abord de relever qu'en vertu de l'article 2 1er de la loi du 4 août 1981 le délit visé par la citation - pour lequel seule une peine d'amende est encourue - se trouve amnistié de plein droit;

Considérant toutefois que, cette amnistie ne pouvant porter atteinte aux droits des tiers, il convient d'apprécier si les agissements reprochés à B, sur lesquels s'appuie la prétention formulée par la partie civile, sont caractérisés dans leurs aspects intentionnel et matériel;

Considérant qu'il résulte de la procédure et des débats que par des motifs pertinents, qui sont à adopter, les premiers juges ont à bon escient répondu affirmativement, et que l'argumentation développée par la défense ne peut être accueillie;

Considérant en effet que sur le plan de l'intention, et sans pour autant mettre en doute, chez les intéressés, un réel désir d'aider le "Jeune cinéma", on ne peut tenir pour totalement exclue de la pensée des responsables de la société concernée la préoccupation parallèle de développer, à la faveur du parrainage organisé, la vente des cigarettes P; que ce souci apparaît a fortiori très vraisemblable si, comme le prévenu l'a spontanément précisé à l'audience, ces ventes sont beaucoup moins importantes que celles des "M", commercialisées par la même société;

Considérant que cette opinion est confortée par les déclarations - qu'a rappelées le tribunal - du directeur général de la firme dont il s'agit, selon lesquelles la création de la "Fondation pour le cinéma" s'intégrait dans une politique de sponsoring et de promotion publicitaire, destinée à donner une nouvelle "image de marque"; qu'elle puise une justification supplémentaire dans la constatation que cette fondation a été en réalité l'œuvre de l'entreprise de publicité "Promo 2000" (installée au même siège social que la société P) dont cette dernière est cliente et par laquelle transitent nécessairement les fonds affectées au lancement des films primés; que la coloration publicitaire du système mis au point est donc manifeste et que sont ainsi révélées les motivations, à tout le moins composites, des instigateurs de l'opération analysée;

Considérant, dans le domaine matériel, que le caractère très visible de nom "P, porté sur les affiches relatives aux longs métrages intitulés "Au revoir, à lundi" et "L'oeil du maître" n'est pas contestable; qu'il faut observer que ce nom n'est pas apposé d'une manière aussi discrète qu'il l'est prétendu, mais se trouve au contraire valorisé par son impression en tête de ces affiches; qu'à cause de la notoriété-même pour les non-fumeurs de ces deux mots réunis, il est évident que l'apparition de ces derniers suscite immédiatement, dans l'esprit du lecteur, une association avec l'idée des cigarettes correspondantes;

Considérant du reste qu'il est à souligner que, dans l'étude - versée au dossier - qu'a effectuée en septembre 1980, à la requête des appelants, l'Institut de sondage Sofres la nature publicitaire des activités de la "Fondation P" n'est pas finalement discutée puisqu'il est indiqué, à la page 17 de ce document, que les personnes interrogées "ne sont pas dupes sur les objectifs"et voient dans ces activités "des opérations de relations publiques et de prestige pour la marque", certains interviewés les qualifiant même de "forme de publicité utile et généreuse";

Considérant que, pour ces diverses raisons, est bien réalisée en l'espèce (fût-ce sous les auspices, dignes de sympathie, d'un "mécénat industriel" à propos duquel et au demeurant utilisée très extensivement l'appellation "Fondation") la publicité indirecte, en faveur du tabac, que le Législateur a voulu empêcher par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976; que partant s'avère établi, à la charge du prévenu, un comportement fautif au regard des prescriptions légales;

Considérant que, comme l'a estimé à bon droit la juridiction du premier degré, ce comportement a occasionné un préjudice au "Comité national contre le tabagisme" en venant contrarier les efforts - avec les initiatives et les dépenses impliquée par ceux-ci - que cet organisme, reconnu d'utilité publique, déploie pour s'opposer, par de nombreuses campagnes et par l'édition d'une publication périodique, à la persistance, sinon à l'extension, de ce tabagisme; que les premiers juges ont donc à juste titre reçu ce Comité en sa constitution de partie civile;

Considérant, quant aux dommages-intérêts, qu'eu égard aux différents éléments de cette affaire le tribunal a équitablement fixé à la somme de 10 000 F l'indemnisation de ce préjudice; qu'il a en outre opportunément déclaré la société P" civilement responsable de son préposé;

Considérant, dès lors, qu'il échet de confirmer les dispositions civiles de la décision critiquée; que néanmoins il convient d'ajouter au dommages-intérêts précités une somme de 1 500 F, accordée en vertu de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges: LA COUR, En la forme: Reçoit les appels; Au fond: Constate l'amnistie de l'infraction commise; Confirme les dispositions civiles du jugement attaqué; Y ajoutant, alloue au "Comité national contre le tabagisme", par application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la somme de mille cinq cents francs (1 500 F); En conséquence, condamne solidairement B François et la société "P" à verser au "Comité national contre le tabagisme", avec intérêts de droit à partir de la date du présent arrêt, les sommes de dix mille francs (10 000 F) en réparation du préjudice subi par cette partie civile, et de mille cinq cents francs (1 500 F) attribuée sur le fondement du texte susvisé; Rejette toutes conclusions contraires; Condamne le prévenu aux dépens, ceux d'appel étant liquidés à la somme de 336,20 F, en ce compris les droits de poste et forfaitaire; Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps, s'il y a lieu de l'exercer.