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Décisions

CA Caen, 3e ch. sect. 2, 19 avril 2001, n° 00-03156

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Blanche

Défendeur :

Viel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Deroyer

Conseillers :

Mme Clouet, M. Richez

Avocats :

Mes Arin, Degrenne.

Cons. prud'h. Lisieux, du 12 sept. 2000

12 septembre 2000

Madame Blanche a été embauchée à compter du 21 janvier 1984 en qualité de VRP exclusif par Monsieur Viel lequel a pour activité la commercialisation de cuirs et peaux.

Soutenant que l'employeur devait se voir imputer la rupture des relations contractuelles notamment pour ne lui avoir pas payé la rémunération minimale garantie, le 20 octobre 1999 elle a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Elle a ultérieurement été licenciée pour faute grave par lettre du 25 avril 2000;

Vu le jugement rendu le 12 septembre 2000 par le Conseil de prud'hommes de Lisieux;

Vu les conclusions d'appel déposées et régulièrement communiquées par Madame Blanche;

Vu les conclusions déposées et régulièrement communiquées par Monsieur Viel, intimé;

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur l'exécution du contrat de travail

- Sur la rémunération minimale garantie

En vertu de l'article 5 de l'accord interprofessionnel du 5 octobre 1975 lorsqu'un représentant de commerce est engagé à tire exclusif et à temps plein il a droit à la rémunération minimale garantie prévue par ce texte.

Madame Blanche a été embauchée en qualité de VRP exclusif et dès lors que le contrat de travail ne fait mention d'aucun horaire il doit être présumé qu'elle était employée à temps complet sauf, pour l'employeur, à rapporter la preuve de ce que, comme il le soutient, l'intéressée ne travaillait pour lui qu'à temps partiel.

Une telle preuve est rapportée en l'espèce par le faisceau de présomptions que constituent les éléments suivants:

- non seulement l'attestation régulière de Monsieur Barberel mais aussi le carton imprimé portant la mention "Naturalisation Tannage M. et Mme Jean-Claude Blanche" suivie de l'adresse et du numéro de téléphone de ces derniers conduisent à considérer que Madame Blanche exerçait, avec son conjoint, une activité de naturaliste et de vente de peaux tannées(attestations Colonne, Badarelle, Tessier);

- il résulte en outre d'un document établi par le Directeur du Relais Départemental des Gîtes de France du Calvados qu'à l'adresse des époux Blanche un gîte rural était agréé depuis le 29 avril 1996.Madame Blanche ne produisant aucun document (comptable par exemple) susceptible de démontrer le caractère modeste de l'activité lucrative qui était déployée dans ce gîte dont les documents produits précisent qu'il permettait d'accueillir cinq personnes, il est raisonnable d'en déduire qu'elle y consacrait un temps non négligeable et ce au détriment de l'activité exercée pour le compte de son employeur;

- il est d'autre part établi que l'intéressée s'occupait de la vente de vêtements, bibelots et bijoux amérindiens ainsi que ses conclusions en contiennent l'aveu elle reconnaît ainsi implicitement mais nécessairement qu'elle ne consacrait pas tout son temps de travail à la représentation pour le compte de Monsieur Viel puisqu'elle précise: "...l'employeur tente de profiter, par confusions et amalgames de l'existence d'activités annexes, sur quelques périodes courtes, produites par Monsieur Blanche au titre de la vente de bijoux, ou d'expositions "amérindiennes" notamment en 1995 et 1996... cela faisait au contraire venir une clientèle variée et nouvelle pouvant acheter des produits de Monsieur Viel, ce dont ce dernier était tout à fait satisfait, ayant parfaite connaissance de la situation."

- d'autre part aucun élément ne vient corroborer l'allégation de Madame Blanche selon laquelle depuis environ 5 ans l'employeur ne lui aurait plus fourni de la marchandise en quantité suffisante; au contraire de l'étude de l'évolution des stocks il ressort qu'alors qu'ils sont passés, au cours de l'exécution du contrat de travail de 20 % du chiffre d'affaires TTC à 42 % en 1995, 68 % en 1997 et 106 % en 1999;

- enfin il n'est pas établi que Monsieur Viel aurait fortement réduit les opérations publicitaires.

L'ensemble de ces éléments conduit à considérer qu'en accord avec Monsieur Viel qui ne lui a d'ailleurs jamais fait aucun reproche à cet égard, à compter de 1995 Madame Blanche a consacré de moins en moins de temps à visiter la clientèle de son employeurce qui a provoqué une baisse très importante de sa rémunération comme le révèle l'étude de l'évolution de ses salaires depuis le mois de juillet 1994, étant souligné que cette baisse de rémunération n'avait provoqué aucune réaction de la part de l'intéressée avant le mois de septembre 1999.

S'il n'est pas reprochable, l'exercice de telles activités annexes qui ne concurrençaient pas directement Monsieur Viel, avait pour conséquence immédiate que cette salariée avait cessé depuis plus de cinq ans de consacrer tout son temps à la représentation des produits de Monsieur Viel de sorte qu'elle ne pouvait prétendre à la rémunération minimale garantie prévue par l'accord interprofessionnel des VRP.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

- Sur la rupture des relations contractuelles

Ainsi qu'il l'a été indiqué ci-dessus, il n'est établi ni que Monsieur Viel se serait abstenu de fournir à Madame Blanche la marchandise convenue ni qu'il aurait omis de lui verser la rémunération à laquelle cette salariée aurait pu prétendre ni que l'insuffisance des résultats de cette dernière serait consécutive à quelques autres manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles, aucun élément n'étant produit par la salariée pour accréditer la thèse selon laquelle le stock aurait été composé d'au moins 50 % d'articles totalement démodés.

L'intéressée n'est par conséquent pas fondée à soutenir que la rupture du contrat de travail devrait être constatée aux torts de l'employeur.

Il convient donc de considérer que les relations contractuelles ont été rompues à la suite du licenciement prononcé pour faute grave par lettre de l'employeur en date du 27 avril 2000 énonçant en ces termes le motif du licenciement:

* dès l'année 1991, nous avons déjà dû vous envoyer une lettre d'avertissement car nous nous étions aperçus que vous vendiez des vêtements de cuir produits par votre époux ce qui concurrençait notre activité;

* nous avons récemment découvert que vous vendiez des vêtements pour votre compte, sur les foires et à votre magasin, achetant auprès de fournisseurs concurrents de la marchandise de même nature que celle que je vous donnais à vendre.

- Sur la procédure de licenciement

Selon l'article L. 122-14 l'employeur qui envisage le licenciement un salarié doit, avant toute décision, convoquer l'intéressé par lettre recommandée, ou par lettre remise en main propre contre décharge, en lui indiquant l'objet de la convocation; au cours de l'entretien l'employeur est tenu d'indiquer le ou les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications du salarié.

D'autre part, selon l'alinéa 2 du même texte lors de cet entretien le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou, lorsqu'il n'y a pas d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, par un conseiller de son choix inscrit sur une liste dressée par le préfet, mention devant être faite de cette faculté dans la lettre de convocation prévue à l'alinéa 1 laquelle, en outre, doit préciser l'adresse des services où la liste peut être consultée.

En l'espèce, Madame Blanche a été convoquée par lettre du 9 février à un entretien préalable fixé au 18 février. Cet entretien s'étant en définitive déroulé le 16 février, ainsi que le reconnaissent les parties, et la lettre de licenciement ne faisant mention d'aucun fait postérieur à cette date, il doit être considéré que la seconde convocation adressée par l'employeur par lettre du 14 avril et fixant un nouvel entretien au 25 avril était sans objet.

Or la lettre du 9 février précisait que la liste des conseillers était disponible "à la mairie de Lisieux, 21 rue Henry Chéron ou auprès de l'inspection du travail." Les dispositions de l'alinéa 2 de l'article susvisé n'ont donc pas été méconnues peu important que par une mention superflue mais qui ne faisait pas grief, il ait été fait mention de ce que la liste considérée pouvait également être consultée à l'inspection du travail. Il doit d'ailleurs être souligné qu'à l'entretien préalable qui s'est déroulé le 16 février, Madame Blanche était assistée par un conseiller.

- Sur la cause de licenciement

Le licenciement a été prononcé pour un motif disciplinaire. Il en résulte que par application des dispositions de l'article L. 122-41 du Code du travail, il ne pouvait intervenir plus d'un mois après l'entretien préalable.

Or tel n'a pas été le cas puisque ledit entretien s'est tenu le 16 février et que le licenciement a été prononcé par lettre du 27 avril suivant.

Le caractère tardif du prononcé de la sanction au regard des dispositions de l'article L. 122-41 prive ce licenciement de cause et lui confère un caractère abusif.

Puisque Monsieur Viel occupait habituellement moins de onze salariés, il y a lieu à application des dispositions de l'article L. 122-14-5 du Code du travail.

Madame Blanche peut donc prétendre à l'indemnisation du préjudice qu'elle a réellement subi. Or, elle n'invoque rien de précis concernant l'évolution de sa situation depuis son licenciement se bornant à produire une attestation Assedic d'où il ressort qu'en décembre 2000 elle percevait l'allocation unique dégressive.

Au vu de cet élément et compte tenu de son ancienneté (16 ans) et du montant de sa rémunération au moment de la rupture de son contrat de travail (inférieure à 2 000 F) il lui sera alloué une indemnité de 30 000 F.

- Sur l'indemnité de clientèle

Il résulte de l'article L. 751-9 du Code du travail que la rupture du contrat de travail du fait de l'employeur entraîne, à condition que, comme en l'espèce, la rupture ne soit pas provoquée par une faute grave du salarié, l'attribution d'une indemnité de clientèle destinée à réparer le préjudice que cause au représentant son départ de l'entreprise en lui faisant perdre, pour l'avenir, le bénéfice de la clientèle qu'il a apportée, créée ou développée.

En l'espèce eu égard à la faiblesse du chiffre d'affaires qu'elle réalisait depuis plusieurs années et au caractère particulièrement imprécis des documents qu'elle produit (liste manuscrite de clients dépourvue de toute pièce justificative et attestations de clients certifiant lui avoir acheté plusieurs vêtements) il n'est pas possible de considérer que Madame Blanche aurait apporté, créé ou développé pour le compte de son employeur une clientèle fidélisée dont elle aurait perdu le bénéfice pour l'avenir.

Il doit au surplus être souligné que plusieurs documents (facture de la société AJG Diffusion et lettre adressée par le directeur général de cette entreprise à Monsieur Viel le 15 décembre 1999) prouvent que Monsieur Blanche commercialisait lui aussi des vêtements de cuir de sorte qu'à supposer qu'ait été développée ou créée une véritable clientèle, il est raisonnable d'estimer que Madame Blanche est encore à même de l'exploiter pour le compte de son conjoint.

Elle ne peut, de ce fait, prétendre à aucune indemnité de clientèle. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Dès lors que son licenciement ne reposait pas sur une faute grave, en vertu des dispositions des articles L. 122-6 et L. 122-8 du Code du travail Madame Blanche peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis. Celle-ci doit être évaluée à 3/12e des commissions perçues au cours des 12 mois ayant précédé la rupture. Elle a droit également aux congés payés afférents d'un montant d'un dixième de l'indemnité de préavis.

- Sur la demande reconventionnelle de Monsieur Viel

Les pièces versées aux débats ne rapportent pas une preuve suffisante de ce que Madame Blanche aurait concurrencé son employeur au cours de l'exécution du contrat de travail. Celui-ci sera, par conséquent, débouté de sa demande de dommages-intérêts.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant dans l'essentiel de ses prétentions Monsieur Viel supportera les dépens et versera à Madame Blanche, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité dont le montant, fixé en équité, sera précisé au dispositif de la présente décision.

DÉCISION

LA COUR, Réformant le jugement entrepris, Condamne Monsieur Viel à payer à Madame Blanche les sommes suivantes: - 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse; - une indemnité de préavis représentant 3/12e des commissions perçues au cours de 12 mois précédant la rupture; - une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis représentant un dixième de l'indemnité de préavis; Renvoie les parties à effectuer le calcul des deux indemnités ci-dessus énumérées; Déboute Madame Blanche de toutes autres demandes; Condamne Monsieur Viel à remettre à Madame Blanche des documents sociaux et notamment une attestation Assedic rectifiés; Condamne Monsieur Viel aux dépens et à payer à Madame Blanche la somme de 10 000 F à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.